L'apparence. Il n'y avait que ça qui comptait. Chaque jeune fille devait porter la dernière robe à la mode dans la capitale ou exposer le dernier bijou acheter à un prix défiant le ridicule. Elles n'étaient ni plus ni moins que les poupées de porcelaine mises en vitrine par chaque famille espérant, par le biais des toilettes de ces dernières, faire étalage de leur fortune. Mais malgré tous les efforts qui puissent être fait, il y a parfois une tare qui se glisse dans le lot et le vilain petit canard de la société n'était autre que Joséphine Conquérant.

Fille aînée d'une fratrie de quatre enfants, présumée héritière du Baron Conquérant, Joséphine était connue pour son manque global d'intérêt envers, disons-le, les affaires féminines. Elle ne dansait que rarement, mais ne manquait ni de grâce ni d'élégance. Elle ne papotait que pour échanger politesses et courtoisies. Elle était de ces jeunes femmes dotées d'une beauté naturelle la rendant d'autant plus mystérieuse pour les hommes et enviable pour les femmes. Malgré tout cela, nul fou s'étant risqué à la séduire n'avait jusque là réussi l'entreprise car Joséphine n'a d'intérêt que pour deux choses : Sa famille et une soif intarissable d'aventures, de voyages. L'amour était pour elle, une chose bien futile et totalement fugace. Elle le voyait. Du jour au lendemain ou au fur et à mesure des soirées, les couples changeaient constamment. Rarement la même pair ne s'affichait.

En outre, les mondanités étaient pour la jeune fille une précieuse perte de temps que cette dernière ne pouvait s'accorder. Sa mère étant décédée peu de temps après la naissance du petit dernier, Joséphine s'est occupée de l'éducation de ses cadets, chacun ayant développé avec le temps, une particularité.

Bartolomé, le deuxième enfant de la grande famille des Conquérant, est entré à l'Académie militaire et serait, aux dernières nouvelles, un fin limier faisant de l'ombre au reste de sa promotion. Ambre, la troisième, est l'artiste de la famille et espère pouvoir avoir un jour l'occasion de faire reconnaître son travail par ses pairs masculins qui jusqu'ici lui rit encore au nez. Quant à Thomas, le quatrième et dernier enfant, nous pouvons aisément dire qu'il n'y a pas un fripon comme lui tant il rends la vie de son précepteur bien compliquée. Néanmoins, la fratrie est surveillée d'un œil avisé par le Baron. Richard Conquérant. Marin émérite ayant fait sa fortune grâce à son entreprise commerciale qui ne tarde à Joséphine de reprendre,profitant de la voie des mers pour sortir de son carcan dans lequel elle s'ennuie tant.

- Demain soir, il y aura un bal chez la Comtesse Haven, lance le Baron en quittant sa carte pour observer le visage de sa fille aînée assise non loin de lui.

- Père...soupire cette dernière sachant pertinemment où cette conversation va la mener.

- Je dis cela dans ton propre intérêt, tu sais ? Tu pourrais être là, dehors, à profiter du beau monde au lieu d'avoir ton nez dans le livre de comptes.

- J'aime vous aider.

- Joséphine, une jeune fille de ton âge pense à s'amuser.

- Il n'y a rien d'amusant dans le fait de parader comme une autruche et de glousser au moindre sujet.

- Joséphine ! grogne son père tandis qu'elle leva les yeux au ciel

D'aussi loin qu'elle se souvienne, Joséphine ne s'est jamais plainte de la platitude de ces rassemblements car en tant qu'aînée, elle était consciente des responsabilités qu'elle avait, mais elle s'est plusieurs fois autorisée, dans de rares moments d'égarements alors tenus secrets jusqu'ici, à rêver d'une possible autre vie. Néanmoins, cela lui était bien impossible.

- Puis-je au moins savoir en quel honneur est donné ce bal ?

- Je pensais que tu étais au courant, toutes les jeunes filles du centre-ville ne parle que de ça.

- Quoi donc ?

- Du retour du Duc de Varsox.

Ce nom ne lui était que vaguement familier. L'avait-elle déjà entendu ailleurs qu'au détour d'un cancan de salon de thé ? Elle n'avait jamais rencontré l'homme en question, mais en savait bien long sur sa vie tant, à chaque fois qu'il fut mention de lui, tout le monde faisait étalage de ses connaissances.

Brillant élève de l'Académie militaire étant été diplômé avec les honneurs, certaines rumeurs disent qu'il est ensuite partit découvrir le monde. On lui prête bien des aventures plus folles les unes que les autres ainsi qu'une réputation bien frivole. De plus, il aurait été nommé Duc suite à la mort de son oncle décédé dans un triste accident, mais étant à l'étranger, personne ne l'a aperçu lors de l'enterrement. Sa succession fut traité à distance dans un vaste échange de courriers.

Si un homme, n'en ayant que faire de sa propre famille a refusé de rentrer pour pleurer un proche, que vient-il faire de nouveau en ville ?

- Devrais-je être inquiète que vous connaissiez mieux les dernières rumeurs que moi-même Père ? souleva la jeune femme alors amusée

- Peut-être parce que je suis à l'affût de ce qui pourrait te rendre pleinement heureuse.

- Mais je le suis, ne vous méprenez pas.

- Tu as bien des talents ma fille, mais mentir n'en fait définitivement pas partie.

Visiblement, les yeux d'un père sont en mesure de voir à travers plus d'un masque. Mais Joséphine connaissait également les pensées de ce dernier, trahies par le regard qu'il lui portait. Elle savait qu'il s'inquiétait pour elle et l'avenir de son bonheur. Malheureusement, le Baron avait une fille bien particulière qui a toujours privilégiée ses frères et soeurs plutôt que son propre bonheur.

- J'irais, dit-elle alors en refermant le livre dans lequel elle était plongée. Uniquement par curiosité.

- Rien que de me dire cela me comble. Tu devrais vraiment être plus souvent avec des gens de ton âge.

- Peut-être le ferais-je quand ces rejetons de la bonne société auront quelque chose à m'apprendre.

- Voyons, ne sois pas mauvaise langue. Je suis certain que tu pourrais t'entendre avec quelques uns.

- Ah oui ? Et qui avez-vous à l'esprit ?

- Pourquoi pas la fille du Baron Camire ?

- Mélissandre ? Trop naïve.

- Et la fille du Vicomte Perink ?

- Commère jusqu'au bout des ongles et à part répéter ce qu'elle a entendu d'autrui, elle n'a pas l'esprit très éclairé.

- Après, je n'ai rien contre la potentielle idée d'amitiés masculines, mais...

- Je vous assure d'être à un âge où je suis moi-même en mesure de nouer de quelconques amitiés si le besoin s'en fait, coupa Joséphine en essayant de se sortir de cette gênante conversation

- Et pourtant, tu passes tes journées enfermée dans ce bureau, soupira son père en se passant une main sur le visage

- Sans doute parce que la compagnie est dès plus plaisante ? Les cartes ne trompent pas et les livres ne mentent pas.

- Oh ça, ma pauvre enfant...Tant qu'il y aura un homme à la rédaction, je crains que ta vision ne soit tout à fait erronée.

Quittant le bureau après avoir embrassée sa fille, le Baron s'arrête au milieu du couloir, tombant alors nez à nez avec un tableau de sa femme. Le seul portrait d'elle demeurant encore dans la maison. Chaque jour et chaque soir, il s'arrête et la regarde, immobile, immortalisée dans les traits de pinceaux la représentant quand cette dernière avait tout juste vingt ans. L'âge duquel leur fille aînée se rapproche dangereusement. Vingt ans et sans envie de quitter la famille. Le Baron n'était pas idiot, il savait que Joséphine se sacrifiait et malgré tout ce qu'ils ont pu échanger sur le sujet, celle-ci n'a pas l'air de vouloir changer d'idées. Elle tient ça de sa mère : Son entêtement.

Il aimerait tant la voir rire, s'amuser, profiter de sa vie comme elle le devrait et pourquoi pas, un beau matin, revenir avec un jeune homme qui lui demanderait sa main. Mais voilà. Le bonheur de Joséphine ne dépend pas d'un homme inconnu, mais bien de sa fille.

Cette nuit là, Joséphine, elle, rêva. D'aventures. De voyages. De découvertes. Elle se voyait déjà avec une besace parcourir le monde et apprendre chaque jour quelque chose de nouveau. Elle se voyait affronter des pirates ou des brigands. Elle se voyait en tête d'une folle expédition à la découverte de civilisations lointaines.

Cette nuit là, Joséphine rêva de l'impossible.