Des chiffres et des cocktails



Des chiffres et des cocktails

Les affaires de Granger n'étaient pas les siennes, là était un fait indéniable.

Ce n'était quand même pas de sa faute si elle décidait de venir pleurer dans les couloirs du ministère de bon matin. En plus de lui faire des yeux gonflés, ça gâchait significativement une journée.

D'accord, il avait été gêné de tomber sur elle. Voir même mal à l'aise. Déjà qu'en général il s'appliquait à fuir consciencieusement tout ce qui ressemblait de près ou de loin à des pleurs. Mais que ce soit elle, c'était cent fois pire. Il avait l'impression d'avoir été trop loin dans ce qui n'appartenait qu'à elle. Il s'était senti comme un intrus, comme un idiot avec son café.

Mais toujours était-il que si Sean était un idiot, ça ne le regardait pas. Et puis il était sûrement  la dernière personne au monde à qui elle voulait se confier. Surtout sur ça.

On parlait tout de même d'Hermione Granger, avec qui ses relations étaient strictement professionnelles - et encore. Elle allait donc probablement se remettre au travail, se plonger corps et âme dedans, en lui décochant des regards noirs chaque fois qu'elle allait le croiser, le défiant d'oser venir lui parler.

Rassuré par cette conclusion, Drago se mit enfin au travail.

Cependant, il dû assez vite se rendre compte que les affaires de Granger étaient les siennes. A son plus grand malheur.

Il s'avéra qu'en effet, elle ne pouvait pas faire et faire son travail et gérer sa séparation. Enfin, dans l'absolu elle pouvait tout à fait. Simplement en plus de ses dossiers à elle, il fallait qu'elle s'occupe de ceux de Drago. Malgré ses revendications, elle continuait à travailler pour lui. Enfin, surtout parce qu'elle se retrouvait obligée de traiter certains de ses dossiers car ils étaient nécessaires pour traiter les siens.

Bref, toujours était-il qu'elle se retrouvait avec une charge de travail double et une séparation sur les bras.

Son histoire d'amour et sa vie en général étant quelque chose d'assez public, il se doutait qu'elle n'allait pas s'adresser à un avocat ou un notaire. Non, cette tête du mule allait tout faire seule. Il savait de source sûre qu'ils avaient acheté ensemble leur appartement, un an plus tôt, ainsi que la plupart de leurs meubles. A son plus grand dépit, la vie amoureuse d'Hermione Granger était un sujet courant autour de la machine à café.

Et comme bien-sûr elle était elle, elle allait faire une séparation exacte et juste, de sorte à ce que chacun s'en tire aussi bien que l'autre. Là où il aurait emporté tout ce qu'il avait de valeur en faisant croire qu'il se sacrifiait pour s'en débarrasser, elle allait évaluer la valeur de chaque bien, s'il avait gagné ou perdu, et faire une répartition irréprochable qui bien entendu prendrait près de trois millénaires. Sinon c'était trop facile.

Il était impossible de compter sur l'aide de Sean pour ça. Drago avait pu en faire l'expérience l'an dernier. Une comptable avait dû prendre un congé après avoir cherché à voir un dragon d'un peu trop près. Le ministère avait des finances assez strictes cette année-là et il avait dû demander à un de ses employés de cumuler son travail à un peu de comptabilité.

Sean, en bon samaritain, s'était porté volontaire et avait commencé à s'occuper des chiffres du département. Le résultat avait été une vaste blague. Une catastrophe. Une calamité. Un désastre. Un cataclysme. Bref, appelez ça comme vous voulez.

En résumé, Granger avait trop de boulot pour elle toute seule et il en pâtissait. Elle avait beau dire ce qu'elle voulait, il ne pouvait pas gérer des cocktails et ses dossiers. Le relationnel ne s'établissait pas sur des horaires donnés.

Il soupira et essaya encore de relire la même phrase. Malheureusement l'ampleur de ces imprévus commençait à bousculer son quotidien. C'était fascinant à quel point les mauvaises choses pouvaient s'accumuler en un temps record. Dans tous les cas, il fallait prendre une décision radicale.

Drago alla donc prendre un café.

~o~

- Vous connaissez Sean Almott ? demanda-t-il soudainement.

Il était donc descendu à la cafétéria. Ici, le café était fade et amer, mais au moins il était chaud.

Devant lui, Mady Mershew le fixait attentivement derrière ses grosses lunettes noires. C'était une quadragénaire de son département, très intelligente même si vraiment trop rêche.

Drago pensait souvent qu'avec un peu plus de prestance, elle aurait été le parfait sosie de sa grand-mère maternelle. Il la remerciait alors presque immédiatement d'avoir une grâce similaire à celle d'un crapaud.

- Oui, mais vous savez c'est quelqu'un de très calme.

Oh, ça, il s'en doutait. Simplement Sean ne pouvait pas être que ça et il valait toujours mieux en savoir le plus possible sur l'ennemi.

C'était l'avantage d'être à son poste, il avait - à part le directeur du département bien entendu - tout le monde sous son autorité. D'accord, tout le monde sauf Granger. Évidemment.

- Je n'en doute pas, Mady. Mais comment est-il ? Je veux dire, sa personnalité.

Elle parti un instant stupéfaite avant de se reprendre et de répondre en remontant ses lunettes du bout des doigts :

- Et bien, c'est un employé respectueux, très ponctuel. Il aide volontiers et je l'ai déjà vu faire des heures supplémentaires par bonté de cœur.

- Et concernant sa qualité de travail ?

- Elle est très convenable. Bien-sûr, avec vous et Granger dans le département, personne ne peut faire de travail parfait.

Ce n'était ni de l'ironie, ni de la flatterie. Mady était un mélange incertain de vérité implacable et de dureté inébranlable.

Elle se resservit un café. Drago avait une sérieuse concurrente dans sa course à la surconsommation.

- C'est tout ? Aucun point faible ?

Il était presque déçu. Mais en même temps, comment était-il censé se tirer dans cette situation de débordement de travail s'il ne se renseignait pas sur la source du problème ?

Bien-sûr, il ne considéra pas à un seul moment que la fameuse source du problème était peut-être lui-même et ses dossiers qu'il ne faisait pas.

- Puis-je vous demandez pourquoi Monsieur Malefoy ?

- Je dois faire un rapport sur chaque employé au directeur et je ne peux pas me contenter de ce que chacun dit sur lui-même. Il me faut des avis extérieurs.

Il avait un tel don pour le mensonge que Mady reprit simplement son explication, entrecoupée par de grandes gorgées de café :

- Je ne crois pas qu'il ait des « points faibles » . Vous savez, c'est un homme tout à fait ordinaire. Peut-être un manque de décisions personnelles ou d'expression. Mais certains diront que c'est à ça que l'on reconnaît les employés modèles.

- Si ça ne tenait qu'à moi, j'écrirais dans ce rapport qu'il manque sérieusement de personnalité.

Mady releva son regard sur lui, sourcils froncés.

- Vous ne le ferez pas ?

- Je m'en voudrais de nuire à un employé si dévoué.

Il s'en voudrait surtout de nuire encore plus à Granger qui s'occupait de moins en moins de ses dossiers. Ah, et il n'avait aussi aucun rapport à rendre.

- Bien, vous m'excuserez Monsieur Malefoy.

- Bonne journée, Mady.

Elle lui sourit vaguement et rejoint une petite table où d'autres employés commençaient une discussion animé.

Drago la regarda faire en avalant une gorgée de son café. Le brouhaha de la cafétéria l'entourait paisiblement et l'ascenseur grinçait.

C'était pire que tout ce qu'il pensait. Sean Almott n'était absolument pas intéressant. Pas d'anecdotes croustillantes, pas la moindre vague.

Lui qui avait pensé que Granger avait atteint le fond en sortant avec Weasley ; elle était tombée amoureuse d'un mollusque.

~o~

Drago continua de se torturer avec des questions d'éthiques pour le reste de la journée.

Vers seize heures, le café n'aidait plus, c'était même plutôt le contraire. Il avait arrêté aux alentours de midi et de la troisième tasse. Ou la quatrième.

Un diplomate égyptien avait fait irruption en plein milieu de l'après-midi et il avait dû dégager du temps pour s'en occuper afin de négocier des subventions pour le département. Il en avait profiter pour décrocher à Granger son sourire « Je te l'avais dit » parce qu'il lui prouvait par A + B que le relationnel c'était sur le fait et non pas planifié. Par la même occasion, il avait ouvert une cellule de crise parce qu'elle n'avait même pas réagi.

La montagne de ses dossiers en retard vacillait maintenant. Il avait ouvert les fenêtres de son bureau mais ça ne l'avait absolument pas aidé à se vider la tête.

Il était seize heures sept quand il comprit qu'il ne tirerait plus rien de productif de cette journée.

Et puis chaque fois qu'il arrivait un minimum à se concentrer, le visage défait de Granger lui revenait en mémoire. Il aurait vraiment dû réagir autrement, faire quelque chose pour elle. Mais elle avait toujours l'air si forte, si fière, c'était étrange de la voir dans un tel instant de faiblesse.

Autre chose le mettait aussi mal à l'aise. Il ne l'avait vraiment jamais vue tiré à quatre épingles - sauf peut-être au bal de quatrième année - mais jamais non plus aussi perdue que ce matin-là. Elle avait les cheveux fous, les yeux brillants et les joues un peu rouges. Cette image était presque indécente.

C'était vraiment terrifiant de penser à elle de cette manière, surtout qu'elle pleurait à ce moment-là. Mais il l'avait trouvée terriblement innocente, et pour tout dire, terriblement belle.

Drago soupira et jeta définitivement sa plume.

Elle n'avait jamais été horrible. À vrai dire - même s'il ne le dirait jamais - Granger était plutôt jolie dans son genre. Seulement, il s'en rendait compte.

C'était sa conscience qui lui parlait. Outre ses dossiers en retard, Drago commençait à comprendre qu'il ne pouvait pas la laisser comme ça. Qu'il fallait faire quelque chose. Pourquoi ?

Bonne question.

Parce que ce matin-là, elle était jolie avec toute sa peine. Parce qu'il avait découvert une Hermione Granger fragile qu'il ne connaissait pas. Parce que de toute façon, il allait mourir sous une pile de dossiers. Et que franchement, lui et sa belle gueule ne méritaient pas ça.

Il jeta un regard à sa montre. Seize heures et treize minutes.

Drago se leva, agita sa baguette et récupéra deux dossiers dans le vague espoir d'avoir le courage de les examiner ce soir. Mais le courage n'avait jamais été sa spécialité.

Il sortit en fermant la porte et ignora en beauté le secrétaire qui lui adressa un signe de la main. Le jour où il arriverait à l'heure, peut-être méritera-t-il un peu de considération.

L'ascenseur mit - comme toujours aux yeux de Drago - beaucoup trop de temps à atteindre l'atrium. De là, au lieu de transplaner ou d'emprunter le réseau de cheminette, il gravit les escaliers de marbre sombre jusqu'au parvis dehors.

Le vent souleva un peu sa cape mais il n'y fit pas attention. Il s'arrêta quelques mètres après la sortie, le visage fermé et la mâchoire serrée.

Était-il en train de faire une erreur ? Sûrement, il n'avait jamais été doué pour les reconnaître.

Mais une énorme partie de lui voulait en finir avec la pile de dossiers qui le narguait jour après jour. Un autre partie, plus petite, toute petite, se sentait ridicule pour l'autre matin où il l'avait trouvée. Il voulait rattraper ce malaise et faire disparaître la vision d'une Granger éplorée de son esprit parce qu'elle n'avait simplement rien à y faire.

Drago soupira encore une fois et passa une main rapide dans ses cheveux. Il lui fallait toujours prendre une décision radicale.

Alors il transplana.

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