Chapitre 90. « What about all the peace »

– T'es obligée d'y aller ? râla Deen alors que je me levais.

J'embrassai sa face endormie depuis littéralement dix minutes, et il me retenait maintenant fermement par la taille depuis que je m'étais assise pour me lever.

– Oui, faut vraiment que j'aille en cours, j'ai des TD ce matin.

– T'as pas besoin d'y aller, tu sais déjà tout, bouda-t-il.

– Bah oui, mais j'ai le droit qu'à trois absences injustifiées et on est qu'en novembre, je veux garder des jokers.

– C'est quoi la date de naissance de John Quincy Adams, me demanda-t-il de sa voix toute endormie sans faire attention à ce que je venais de lui dire.

– 1767. Allez lâche-moi Mika.

Mais celui-ci n'en fit rien, et commença simplement à embrasser mon cou lentement tout en laissant ses mains glisser sous mon t-shirt. Son souffle contre ma peau me fit frémir, et je fermai les yeux comme pour me forcer à résister.

– La guerre des Sioux ?

– 1862, soufflai-je, tentant coûte que coûte de résister à l'attaque de ses lèvres.

– Tu vois, dit-il entre deux baisers, t'as pas besoin d'aller en cours.

Alors que je pensais avoir pris sur moi et pouvoir m'en sortir, l'une de ses paumes glissa sur ma jambe nue et se rapprocha un peu trop près d'un point un peu trop sensible. Mon souffle s'accélérait de plus en plus, et je sentais les lèvres de mon mec s'étirer en un sourire satisfait sur mon cou.

– Tu sais même pas si c'est juste ce que je te dis, parvins-je à lancer dans un faible souffle.

– Je te fais confiance.

Résiste Maëlle, résiste. Ne pense pas à son souffle dans ton cou, à sa voix rauque près de ton oreille, à sa main sur ta cuisse et à son visage si près du tient que tu n'as qu'à te retourner pour l'embrasser.

Si j'abandonnais la lutte maintenant, que je ne mangeais pas et que je courais en cours, je pourrai peut-être arriver à l'heure.

Oh et puis merde.

Je me retournai vivement, fit face au visage surpris de Deen qui arbora bien vite un sourire lubrique, puis je le poussai en arrière afin de me mettre au-dessus de lui.

Ce mec me rendait si faible...

– Tu fais chier, boudai-je quelques minutes plus tard, allongée à côté de lui, le souffle court, m'octroyant encore quelques secondes avant de me lever pour de bon.

– C'est pas ce que tu disais y'a deux minutes, ricana-t-il.

Il était beaucoup plus réveillé que quelques minutes auparavant.

– J'ai pas envie d'y aller, râlai-je en sentant ses bras autour de ma taille.

J'étais tellement bien là, la barbe de Deen me chatouillant l'omoplate, ses mains traçant de petits cercles sur mon ventre, au chaud sous la couette. Il était beaucoup plus tentant de rester toute la matinée ici dans ses bras que de devoir sortir dans le froid pour m'asseoir sur des chaises inconfortables dans un cours d'histoire.

– Et bah restes, m'intima le rappeur, d'une voix soudain plus faible.

Il était visiblement en train de se rendormir.

Allez, c'était le moment ou jamais. Je m'extirpai vivement de ses bras et ramassai mes affaires avant de rapidement m'habiller, me brosse les dents, me maquiller légèrement, et de piquer une brioche dans le placard de Deen.

Je vérifiai très rapidement si je n'avais rien oublié, puis fit un bref salut de la main à Deen.

– Mel...

Je m'arrêtai en levant les yeux au ciel après avoir entendu sa voix d'enfant.

– Quoi ?

– Je peux avoir un câlin ?

Je ricanai devant son comportement d'enfant lèche-cul, puis me dirigeai rapidement vers lui avant d'entourer son cou de mes bras et de déposer un bisous sur sa joue.

– C'est tout ? grogna-t-il tandis que je repartais vers la porte d'entrée.

– T'avais qu'à pas me mettre en retard, déclarai-je en sortant.


[...]


Quand Pablo, notre nouvel entraîneur, m'avait parlé à l'échauffement, j'avais sauté dans les bras de Stine, et nous avions improvisé une danse de la joie. Il fallait absolument que je l'annonce à mes amis !

C'est donc sans surprise qu'avant le début du match, mes coéquipières me virent foncer dans les vestiaires et m'empresser de prendre mon téléphone. Le sourire aux lèvres j'ouvris la conversation Messenger que je partageais avec mes amis depuis mon départ en Norvège :

Elmacassélescouilles : Eh les pédé ! Devinez qui vient d'être appelée pour le mondial 2015 ? :D

Les réponses ne tardèrent pas à fuser :

Lemeilleurdesjumeaux : Je te l'avais dit, t'as tout démonté depuis septembre ! Je suis fier de toi la moche.

Nikos : Bravo la reus, trop hâte de te voir jouer

Antouéne : Putain, bien joué Elma, grave fier de toi, tu vas encore tout démonter !

Téléphonemaghrébin : Vous avez une meuf aussi badass que ça vous ?

Framalàlatête : tg on sait que t'as la meilleure c bon, commence pas à casser les couilles

Toudoums : on vient de s'allumer un bédo pour fêter ça

Éternuement : ce soir ramène ton boule chez oim, réssoi pour fêter ça

Mecrapule : Bah wesh attendez nous nan ??

Elmacassélescouilles : non.

EffGeeKLMNOP : faites vos bails en Belgique, Elma elle a besoin que de nous

Elmacassélescouilles : c'est Lille ce soir les gars, c'est ça ?

Nikos : bah ouais ça t'aurait rien coûté de venir nous voir...

Elmacassélescouilles : j'ai un match ducon

Mecrapule : nn mais on reconnaît les vrais tkt

Comme bien souvent, une embrouille générale s'ensuivit où les preuves de mauvaise foi et les insultes à deux balles fusèrent dans tous les sens, mais je n'eus pas le temps d'insulter mes amis autant que je le voulais, devant me rendre rapidement à l'échauffement.

J'étais ravie, une petite victoire de notre équipe et ma journée ne pourrait pas être meilleure !

Bon, il était vrai que mes amis du S-Croums me manquaient toujours autant; et j'avais une envie folle d'être avec eux en tournée, mais le hand avant tout !

Après une belle victoire, une célébration avec mes coéquipières et une bonne douche dans les vestiaires, j'ouvris de nouveau la conversation et remarquai que ces cinglés avaient envoyé une centaine de messages. Je remontai la conversation pendant quelques secondes, puis commençai à lire toutes leurs conneries, me marrant dans mon coin. Certains se plaignaient toujours des surnoms que je leur avais donné un an auparavant, rageant sur le fait que seul Raph avait pu se surnommer lui-même sans que je ne change rien. Je ne remarquai pas que mes coéquipières s'étaient arrêté de glousser et de parler, leurs propres téléphones dans les mains.

Puis je tombai sur un message paniqué d'Idriss :

Framalàlatête : Ptn vous avez vu les infos les gars ?

Éternuement : Ouais, on a entendu surtout, c chaud gros, ça fait une une heure on arrive plus à parler

Nikos : vs allez tous bien ??

Téléphonemaghrébin : ouais ouais tkt on est tous ensemble

EffGeeKLMNOP : c tendu ptn on a tous la haine laisse tomber

Toudoums : on a les images en boucle sur bfm la ptn jsuis archi content que vous alliez tous bien les frères

Antouéne : à part nous, vos mifs, vos gars, vos reus, ça va ?

Mecrapule : pour l'instant ouais, ptn j'ai envie de tout casser là

LeDon : Lo t'es où ?

MrHyde : gros si t'es dans la rue fais gaffe

LouisXIV : eh y'a quoi les gars ? Jsuis presque chez Sneazz, ça va j'ai pas autant de retard que ça calmez vous

Éternuement : bouge ton cul, y'a eu des attentats dans paname là

Mon cœur fit un bon immense dans ma poitrine et je me sentis suffoquer. Je fis un tour sur les réseaux sociaux et sentis les larmes me monter progressivement aux yeux tandis que les titres défilaient et que les vidéos se lisaient.

Après quelques secondes d'absence et un regard vers mes coéquipières aussi fébriles que moi, je retournai sur la conversation pour recompter le nombre de personne ayant discuté sur la conversation pour être sûre que tout le monde allait bien. Je lâchai un soupir de soulagement en voyant que tous mes amis semblaient saufs, envoyai un message sur la conversation avec les filles, puis continuai ma lecture de celle avec L'Entourage :

LouisXIV : jure ?!

Téléphonemagrébin : vas-y dépêche toi, on t'expliquera quand tu seras là

Nikos : Elma elle est avec vous ??

Nikos : elle répond pas là, elle est où ?

Lemeilleurdesjumeaux : t'inquiètes elle est au palais des sports, je suis avec elle, elle va bien, Stine aussi

Nikos : ptn faites pas de dinguerie faites gaffe en rentrant

Téléphonemaghrébin : ouais nan, restez là-bas en vrai svp. Et Nek Zer2, vos gos sont avec nous vous inquiétez pas

Nikos : ouais on sait

– T'as entendu ce qu'il s'est passé ? me demanda Stine, les yeux embués de larmes.

Je hochai la tête et me précipitai dans ses bras, les larmes aux yeux aussi.

C'était terrible. Je n'avais même pas les mots pour exprimer à quel point j'étais bouleversée.

La même question revenait sans cesse : pourquoi ?

– Les filles, vous avez pas le droit de sortir pour le moment, nous annonça Pablo en débarquant dans les vestiaires. Y'a eu...

– Ouais, on sait, le coupa Armelle, notre gardienne.

Le visage de Pablo se ferma ; nous retenions tous notre émotion mais elle était palpable, l'atmosphère était très lourde.

– Ok, ouais, euh... On a pas le droit de sortir tant qu'on sait pas de quoi il encourt et tant qu'on aura pas eu le feu vert de la police.

Il quitta les vestiaires et chacune baissa les yeux sur son téléphone. Certaines passèrent des appels, d'autres furetèrent sur les réseaux sociaux. Moi, je n'avais qu'une seule envie : rejoindre mon jumeau.

Je remis un bas de jogging, un t-shirt d'entrainement propre et une veste à l'effigie d'Issy-Paris, annonçai à Stine que je partais rejoindre Raphaël dans les gradins, puis sortis des vestiaires.

Autour du terrain, un brouhaha assourdissant. Des visages paniqués ou dans l'incompréhension la plus complète. Des centaines de personnes au téléphone, des membres de la sécurité et du staff tentant en vain de rassurer les gens.

J'avais repéré Raphaël, chose assez simple puisqu'il avait sa place parmi les habitués, mais fus coupée dans mon élan par une vibration continue de mon téléphone :

Hey Dad.

Un soupir de soulagement retentit de l'autre côté du combiné.

You ok ?

Sa voix était si rauque, il avait l'air terrifié.

Je vais bien, t'inquiètes pas. Je suis au stade, le match vient de se terminer, on a pas le droit de sortir. Tout le monde va bien, t'en fais pas.

Ton frère ? Il répond pas à son téléphone.

Je jetai un œil à mon frère en plissant les yeux et vis qu'il était en pleine discussion avec d'autres supporters ; il ne s'était probablement pas rendu compte que notre père avait essayé de l'appeler.

Il va bien, il est dans les gradins.

Nouveau soupir au bout du fil :

Merci mon dieu.

Pour une personne athée au possible, c'était plutôt surprenant.

Tu veux que je te le passe ?

Ouais je veux bien. C'est con mais tant que j'aurais pas entendu sa voix...

Je sais, t'inquiètes.

Quelques minutes plus tard, mon frère s'était fait engueuler par mon père et celui-ci nous avait dit qu'il nous aimait. En Français. L'emploi du Français plutôt que de l'Anglais pour dire ces choses était mille fois plus fort dans notre famille, et mon frère et moi avions conclu qu'il devait avoir eu vraiment très peur.

Aussitôt l'appel terminé, Raphaël m'attira vivement contre lui et j'enfouis mon visage dans son sweat. Autour de nous, le brouhaha faisait toujours rage, et il n'y avait plus aucune distinction entre le terrain et les gradins.

Soudain, je sentis le portable de mon jumeau vibrer dans sa poche ventrale, et m'écartai de lui pour le lui tendre ; Hugo était apparemment en train d'essayer de l'appeler, et Raph mit automatiquement le haut-parleur :

– Duprés, s'exclama notre ami d'un air soulagé, ça va ?

– Ouais t'inquiètes, je suis au match de Mel là, on va bien tous les deux.

Mon frère et moi entendîmes un vague « passe-les moi », puis le téléphone sembla être arraché des mains d'Hugo.

– Vous allez bien ?

Le ton de Tarek était limite froid, et nous lui répondîmes par la positive.

Un nombre incalculable de jurons retentit en arabe, puis Tarek s'exprima ensuite plus calmement. Enfin, « calmement », c'était vite dit :

– J'ai juré, la prochaine fois que je vous vois, vous avez intérêt à courir bande de hmar ! Avec Moingeon on vous a appelé mille fois, je vais vous démonter vos gueules de babtous fragiles !

Dans d'autres circonstances, nous aurions pu rire, mais l'ambiance était si pesante et l'inquiétude qui perçait à travers la voix de notre frère si palpable que je ne trouvai rien d'autre à formuler à part des excuses :

– Désolée Bouhied, on est vraiment paumés là, et tu m'as sûrement appelée quand j'étais au téléphone avec notre père.

Un soupir retentit dans le téléphone, puis celui-ci sembla être posé sur quelque chose. Une paire de secondes plus tard, le son était plus clair et seule la voix d'Hugo résonnait :

– Faut pas lui en vouloir, on a vraiment flippé notre race et vous savez qu'il assume pas de se rendre malade pour des gens.

Notre discussion continua pendant quelques minutes, Hugo nous demandant comment allaient tous nos amis, si nous connaissions qui que ce soit dans les victimes, puis nous intimant de faire attention à nous.

– Embrasse Bouhied pour nous s'il te plait, le priai-je.

– Ouais et dis-lui d'assumer de nous aimer, railla mon frère.

– Ce sera fait. Je vous aime les gars.

– Nous aussi, nous répondîmes en chœur.

C'était dans des moments comme ceux-ci que je me rendais compte que je n'exprimais pas assez mes sentiments aux gens que j'aimais.

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