Chapitre 9. « Fais tes bails on fait les nôtres »
Je venais de déposer Maëlle chez elle et je repartais en direction d'Auber. Je savais que j'allais avoir le droit à un tribunal en rentrant. Mes zins me poseraient des tonnes de questions.
Je l'aimais vraiment bien la gamine. C'était un putain de rayon de soleil. Elle avait vécu des trucs de merde mais elle était toujours positive et souriait h24. Je savais pas comment elle arrivait à continuer à sourire tout en racontant la mort de sa daronne. Elle devait avoir une force incroyable.
Il fallait que j'appelle ma mère. La handballeuse m'avait fait réaliser que j'avais vraiment de la chance d'avoir encore une mère et m'avait fait culpabiliser de pas l'appeler plus souvent.
Je kiffais parler avec elle, elle était grave intéressante et on pouvait discuter des heures sans s'arrêter. Le pire c'est qu'en vrai, quand on débattait pas sur des sujets sans queue ni tête, on disait pas grand chose. C'était vraiment juste qu'aucun de nous pouvait s'empêcher de parler ou de répliquer et ça partait souvent en couilles.
À peine posé sur mon canap', une première question me fut balancée à la gueule :
– Alors ?! demanda le Fenek avec empressement.
Il était visiblement revenu de sa petite visite à sa timp.
– Alors quoi ?
– Vous avez fait des bails ?
– Frère tu t'es barré pendant toute la soirée, si t'avais été là t'aurais compris que c'était pas ce genre de meuf.
Nos gars acquiescèrent pour appuyer mes propos.
– Mais genre t'aimerais bien la ken ou pas ? insista Fram'.
On avait l'habitude de parler de meufs sans trop de respect mais là je savais pas pourquoi, ça me faisait chier qu'ils parlent de Maëlle comme ça.
– Nan même pas, en vrai on parle bien, elle est grave cool, puis elle a un gars déjà. Vous êtes mes potes aussi, je veux pas vous baiser pour autant.
– Ça c'est toi qui le dit, répondit mon frère.
Je lui jetai un coussin à la gueule.
– Et tu sais, qu'elle ai un gars ou pas ça change pas grand chose hein, continua Fram'.
– Ouah les gars vous êtes lourds ! Y'aura rien avec elle, c'est ma pote c'est tout.
Mais c'est vrai qu'au fond il avait pas tort. J'avais jamais eu trop de scrupule à me taper des meufs en couple.
Mais j'sais pas, Maëlle c'était vraiment pas pareil, sous ses airs de gamine elle imposait le respect. Et j'avais un peu envie de la protéger aussi, même si elle en avait visiblement pas besoin du tout.
Les gars partirent petit à petit. Je me couchai enfin, défoncé, vers 6h du mat'. J'avais une séance de stud' aujourd'hui pour mon EP. J'avais bien envie que Maëlle vienne faire un tour. Je pris mon téléphone pour lui envoyer un message avant de me coucher, et vis que j'avais un message non lu, reçu vers une heure du mat :
Maëlle : Bien rentré ducon ?
Je souris, amusé. Ah ouais d'accord c'était mon surnom officiel. Et bé pas de soucis.
Moi : T'inquiètes la grosse, ça va se coucher. Bon match !
Elle devait encore dormir à cette heure-là. Je lui renvoyai un message pour le studio :
Moi : Avec Eff et mon reuf on sera en stud, je pense qu'on y restera tard. Si tu veux passer quand t'es rentrée sur Paname tu peux, je veux savoir à quel point t'as été nulle
Je lui envoyai l'adresse, me mis en caleçon et me laissai tomber sur mon lit comme une merde avant de sombrer dans le sommeil.
[...]
Vers 20h le lendemain j'étais encore en cabine en train d'enregistrer. « Putain je refais mon couplet encore une fois et puis j'arrête, j'ai la dalle », songeai-je.
J'suis un produit du sous-sol, pas des carrés VIP
J'ai un pied dans les coupe-gorge et l'autre dans les quartiers chics
Celle-là c'est pour mes hood boys, pour mes grands garçons
Je ne mens pas, je ne pense qu'à bédave pousser le son à fond
Je viens d'en bas comme la fondation, pour té-mon faut aller vite
J'suis ce qui se fait de plus proche des classiques venant d'Amérique
On me disait "akhi, tu parles trop et t'agis pas assez"
Puis j'ai agi et ils se sont dit que j'en disais pas assez
Les codes j'm'en suis débarrassé, cousin je fais mon propre truc
Nique la révolution dissident j'mène ma propre lutte
J'ai fait ma place par la force de mes proses
Devenu artiste indépendant par la force des choses
En sortant de la cabine mon visage s'illumina en voyant que Maëlle était là, vêtue d'un nouveau T-shirt d'un nouveau groupe de rock que je connaissais pas, d'une longue chemise à carreaux avec les manches retroussées sous une veste en cuir noir, d'un jean noir troué et de Dr Martens. Elle avait encore les cheveux attachés et je me fis la réflexion qu'en deux putain de semaines j'avais jamais vu sa tronche les cheveux détachés.
Son style grunge me faisait marrer, ça allait bien avec son caractère. Elle sortait du lot vu que les meufs qui traînaient d'habitude avec nous avaient toutes le même style. À sa façon elle apportait un peu de changement.
Je m'approchai d'elle, puis elle me checka.
– Un vrai bonhomme !
– Tu veux pas que je te saute dans les bras non plus ?
J'aurais pas dit non mais même si on se connaissait que depuis très peu de temps, je savais déjà que les insultes étaient les plus beaux gestes d'affections que cette meuf pouvait offrir. Je me contenterai donc d'un check.
– Ça fait longtemps que t'es là ? demandai-je.
– Assez pour dire que ton EP va être lourd. J'ai vraiment trop hâte d'écouter ça, s'exclama-t-elle avec son putain de sourire géant.
Je savais pas pourquoi mais venant d'elle, j'y croyais. Et j'étais putain de content que ça lui plaise alors que j'avais rien à lui prouver au fond.
– T'as mangé ? demandai-je.
Elle me fit non de la tête et je pris ma veste.
– Viens on bouge chercher à graille. Les gars comme d'hab' ?
Mes reufs me répondirent positivement. On marcha quelques temps en silence, chacun les mains dans les poches. Et comme souvent c'était un silence apaisant, qui nous rapprochait parfois plus qu'en parlant. Maëlle le brisa finalement :
– Ils sont cool Eff Gee et Jehkyl, je les aime bien. C'est ouf comme vous êtes différents quand vous êtes avec votre bande de sauvage ou tout seuls.
– Je suis sûr que t'es pareille avec tes potes, tu dois être méconnaissable, genre tu casse des bagnoles et tout.
Elle rigola. Son rire était super communicatif, on pouvait pas aller mal en l'entendant, il respirait la joie de vivre.
– Au fait ton match la grosse ? T'as pas trop handicapé ton équipe ?
Elle me donna un coup de poing dans le bras. Je souris en me le frottant ; je commençais à m'habituer à ce geste.
– Nan ça va on a gagné. Et pour ton information ducon, j'ai marqué quatre buts, dont un jet de sept mètre.
– Un jet de sept mètre ?
– Ouais un penalty quoi. Je te jure les footeux...
Je ricanai. Quelle gamine ! Elle savait très bien que j'étais pas un fanna de foot et que j'étais même incapable de citer un seul joueur de l'OM, mais ça la faisait marrer de me foutre dans la case des footeux.
Il fallait que j'apprenne quelques termes handballistiques et que je regarde quelques matchs si je voulais la suivre.
– Préviens moi la prochaine fois qu'il y a un match sur Paname, j'ai envie de te voir jouer.
- Ça marche, lança-t-elle tandis qu'un sourire digne d'un enfant heureux d'avoir rendu son parent fier se dessinait sur son visage. Par contre il faudra que je te briefe un peu et qu'on aille voir un match tous les deux histoire que tu comprenne cet étrange sport qu'est le handball, continua-t-elle d'un ton apocalyptique. Un sport parfaitement étrange que soixante pour cent de la population française ignore.
Elle bougeait ses mains en l'air comme si elle racontait une histoire d'horreur. Elle me faisait vraiment golri. Elle était ce genre de personne qui pouvait dire n'importe quoi, avec la bonne intonation c'était drôle.
– Du coup c'est un rencard ? dis-je en faisant sauter mes sourcils, un sourire joueur sur le visage.
– Pff. Alors déjà, t'as pas le temps de faire quoi que ce soit à un match de hand, surtout pas avec moi parce que je suis beaucoup trop à fond. Et j'ai un copain mon Burb, donc ça règle l'affaire. En plus t'es pas mon style.
– J'suis beaucoup mieux que ton copain, dis-je l'air boudeur.
Elle se laissa tomber sur le côté, faisant s'entrochoquer nos deux bras et me faisant surtout presque tomber dans un buisson. Avant que j'ai pu rétorquer elle avait déjà détalé dix mètres devant. Elle était rapide la conne. Je m'élançai sur le trottoir et la rattrapai quelques secondes plus tard en soupçonnant qu'elle m'ai laissé faire. Je la soulevai pour la mettre sur mon épaule. Elle bourrinait mon dos de ses petites mains, et je la posai sur le toit d'une voiture. Putain elle était vraiment légère, comment elle faisait pour pas casser pendant ses matchs ? Pour en avoir vu un ou deux à la télé je savais que c'était pas un sport de Bisounours.
Elle descendit de la voiture, se tenant le ventre, morte de rire. La voir comme ça me fit pouffer à mon tour et je fus pris d'un fou rire.
– Deen Burbigo il a un putain d'égo mais zéro cardio, se moqua-t-elle une fois calmée.
J'allais répliquer quand je reçu un appel. C'était Eff :
– Eh vous branlez quoi ? Ça fait une demie heure que vous êtes partis, vous êtes allé chercher les ingrédients vous même wesh ? Bougez vous !
Je n'eus pas le temps d'en placer une qu'il avait déjà raccroché. Je regardais d'un air interdit la handballeuse qui avait tout entendu. On se regarda quelques secondes sans rien dire puis on pouffa de nouveau de rire.
– Viens on bouge, dit-elle finalement, ils vont crever de faim les pauvres.
On acheta quatre grecs, et le chemin du retour fut plus rapide puisqu'on ne se chamailla pas, se contentant de parler rap, comme souvent maintenant.
– Putain c'est pas trop tôt sérieux ! Plus jamais vous allez chercher à bouffer tous les deux, me lança mon frère lorsque nous arrivâmes.
À peine posés - Maëlle et moi partagions le même canapé - le téléphone de la handballeuse sonna :
– Salut tua ! lança-t-elle.
Vu l'air qu'elle affichait et son sourire géant, ça devait être son mec. Je savais pas pourquoi mais ça m'agaçait un peu.
Maëlle allongea ses jambes sur mes genoux, et je lui jetai un regard sombre, ce qui ne la fit que sourire d'un air amusé.
Je continuai ma discussion avec Eff et mon frère en mangeant, ne suivant qu'à moitié, l'autre moitié envahie par la curiosité écoutant la conversation de la squatteuse de genoux. Cette dernière me donna une claque sur la main : j'étais en train de jouer avec un des trous de son pantalon situé sur son genoux, l'agrandissant au passage.
– Ouais laisse tomber je suis claquée. Et je vais même pas pouvoir compter sur toi pour prendre soin de moi là, ou alors faut que je bouge mon cul.
Vraiment, pourquoi ça m'énervait autant ? Je crois que Maëlle remarqua ma pointe d'irritation puisqu'elle sourit.
– Je suis en studio avec Deen là, c'est vachement cool ! dit-elle toute enjouée.
Elle lui avait donc parlé de moi. J'espérais qu'il était jaloux. Je répondis à Eff distraitement, faisant toujours semblant d'écouter ce que lui et Max se disaient. Lorsque je me concentrai de nouveau sur la handballeuse, celle-ci s'était un peu renfrognée :
– Mais t'aurais pas pu me le dire plus tard nan ? Genre demain. Ma journée était vraiment parfaite jusque là, t'as vraiment le don de tout gâcher Raphy.
Son ton n'était pas agressif, juste joueur. Mais quelque chose avait l'air de la faire chier quand même.
– Nan mais viens on y va pas, on invente une excuse je sais pas moi...Que Paris a été mise en quarantaine et qu'on a interdiction de sortir ?
J'entendis des bribes de paroles au bout du fil avant que Maëlle ne réponde, non sans lâcher un soupire énorme :
– Fait chier hein, on va encore avoir droit à ses « Mais vous savez si la France va mal c'est à cause des arabes ! » et puis ses « Nan mais les pédé j'ai rien contre eux, seulement ce n'est pas naturel ». Je me demande quand elle va enfin claquer celle-là !
Première réaction : je me sentais con d'avoir été jaloux. De son reuf.
Deuxième réaction : je pouffai de rire à sa dernière phrase dépourvue de tout respect.
– Ok bah on y va qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Faut juste que je trouve une renoi pour faire genre c'est ma copine. Oh ou alors une rebeu, encore mieux.
Se foutre de la gueule de la mamie homophobe et raciste, bonne idée.
– Ouais... Ouais ça marche, bah ce soir ça va être tendu je suis trop loin de chez toi mais sinon demain tu viens dormir chez moi... Roh allez c'est le weekend après et on pourra aller chez la vieille ensemble... Cool. Ouais bon allez bisous, bonne nuit trouduc' !
Elle raccrocha.
– Vous êtes vraiment chelou toi et ton frère, lui dis-je.
– Ouais mais toi t'étais jaloux de lui, répliqua-t-elle en me lançant une frite à la tronche.
Je me contentai de faire une moue genre « pff n'importe quoi » en secouant la tête.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top