Chapitre 88. « Afraid to say what was on my mind »
Putain de rappeurs de merde, putain de rappeurs de merde, putain de rappeurs de merde. C'était la seule phrase qui résonnait dans ma tête depuis qu'Eff Gee m'avait appelé.
Raphaël et moi nous étions précipité dans le premier métro et je flippais comme j'avais rarement flippé auparavant. Eff ne nous avait pas donné plus d'explication, n'en ayant pas reçu davantage lui-même ; il savait simplement que l'accident n'avait pas été excessivement grave mais il ne connaissait pas pour autant l'étendu des dégâts.
Je les déteste, putain mais qu'est-ce que je les déteste !
Dans ma tête et dans mon cœur, c'était Bagdad ; j'étais terrifiée à l'idée qu'il soit arrivé quelque chose à Deen et Jehkyl, j'avais une envie folle de les frapper pour me faire ressentir autant de peur, et j'avais envie de me frapper à l'idée que la dernière fois que nous nous étions vu, Deen et moi nous étions engueulé.
Si c'était grave et que notre dernière discussion avait été aussi violente...
Dans le métro, j'avais complètement abandonné mon apparence de femme forte et restai blottie contre le torse de mon jumeau, le visage caché sous un des pans de son blouson, tandis que Raphaël me tenait fermement contre lui en me chuchotant des paroles rassurantes. Mais je sentais une certaine tension dans sa voix, et s'il n'était pas aussi angoissé que moi, il n'était certainement pas serein non plus.
Nous descendîmes enfin à la station la plus proche de l'hôpital avant de nous précipiter dans la rue.
– S'ils ont rien je te jure que je vais les tuer, fulminai-je.
– Mel attends...
Je marchais vite et je sentais que mon frère voulait me retenir d'entrer en trombe dans le service des urgences. Mais j'avais trop besoin de savoir que Deen allait bien et l'attente dans le métro avait déjà été presque insurmontable.
– Mel, ralentis s'il te plait, ça sert à rien d'y aller dans cet état-là...
Mais au contraire, j'augmentai la cadence. Je l'entendais à peine, trop concentrée à éliminer mes pensées les plus sombres ; s'il lui était vraiment arrivé quelque chose je me promis de le haïr jusqu'à la fin de ma vie.
Je débarquai dans le hall des urgences une poignée de minutes plus tard et jetai un œil aux alentours pour essayer de repérer une tête connue. Je vis finalement le bonnet d'Ivan, ce dernier étant assis sur une chaise le visage fermé. L'expression qu'arborait Eff à côté de lui n'était pas plus rassurante et je sentis la panique commencer à m'envahir.
Putain de merde, faites qu'ils n'aient rien de grave.
Je tentai de garder ma contenance et me dirigeai vers eux d'un pas décidé :
– Ils sont où ? lâchai-je. Il s'est passé quoi ?
Leurs têtes se levèrent vers moi, puis Ivan m'adressa un faible sourire rassurant :
– T'inquiète Elma, plus de peur que de mal. Ils faisaient les cons en gova, Jehk roulait un peu trop vite, ils se sont foutu en travers du périph. Ils ont eu de la chatte, y'avait personne derrière.
Quelle bande d'abrutis finis putain !
– Ils sont où ? demandai-je pour la seconde fois, avec plus d'agressivité cette fois.
– Deen il est a la machine à café, là-bas, dit-il en m'indiquant un couloir.
Avant que je ne puisse m'y précipiter, Eff me retint par le poignet, tandis que mon frère me disait d'y aller doucement :
– Attends, Deen ça va. Mais ils font des examens à Jehk', il a pris un sale coup à la tête. Le déglingue par trop s'il te plait, il a besoin de toi là.
J'adressai un hochement de tête compréhensif au rappeur avant de me diriger le plus calmement possible vers l'endroit indiqué.
Mais en apercevant une égratignure sur son visage, ma colère remonta à pic et je pressai le pas, déterminée à lui rentrer dedans. Il se retourna vivement en m'entendant arriver, et ferma les yeux en grimaçant à la vue de mon air remonté.
– T'es vraiment qu'un sombre trou du cul, tu le sais ça ? criai-je en lui lançant quelques coups de poing dans les pectoraux. T'as pas le droit de te barrer après une dispute pour finir à l'hosto après !
Deen ne se défendait pas, gardant simplement les mains en l'air en signe d'abandon, et lorsque je sentis des larmes me monter aux yeux, je me détournai pour lui tourner le dos et aller marcher plus loin.
Ce n'était qu'en laissant déferler ma colère sur lui que j'avais pris conscience d'à quel point j'avais eu peur. C'était une chose de savoir que nous n'étions potentiellement plus ensemble. C'en était une autre de penser qu'il lui était arrivé quelque chose de grave.
J'expirai un grand coup dans un sanglot et, une fois sûre que mes larmes s'étaient évaporées, me retournai avant de me précipiter sur lui, entourant son cou de mes bras. Les siens ne tardèrent pas à se regrouper derrière mon dos, puis sa main traça des cercles sur ma nuque. Dans ma poitrine, mon cœur me donnait l'impression qu'il était sur le point d'exploser.
– Je t'aime tellement, murmurai-je.
Deen m'écarta lentement de lui avant de déposer un baiser sur mon front :
– Je suis désolé pour tout ce que je t'ai dit, je sais que c'était pas juste, j'ai réagis comme un con. C'était vraiment une engueulade de merde. J'ai l'impression qu'avec le label et mon squeud que j'arrive pas à commencer je me prend la tête pour des conneries.
– Nan, t'avais raison sur certains points, je sais que je suis de mauvaise foi et que j'ai peur de trop m'engager. Mais regarde-toi aussi, t'as vu comment tu m'as fait flipper ? Normal que j'ai peur de m'engager, la vie c'est trop aléatoire.
– En tout cas je veux que tu saches que je te fais vraiment confiance, il faut que j'arrêtes de dire que j'ai peur que tu te casses à tout moment, je le pense pas en plus, franchement cette dispute c'était un concentré de mauvaise foi.
Je parvins à lâcher un petit sourire qui fut aussitôt suivi par celui de Deen :
– Voilà, je préfère, dit-il en me caressant la joue. J'aime pas quand tu tire la tronche, t'es moche.
– T'as qu'à pas me faire autant flipper. Et c'est toi qu'est moche.
– Je suis irrésistible.
Je soufflai de manière dédaigneuse :
– Tu parles ! Avec tes vieilles lunettes là. Vous les rappeurs vous savez pas ce que c'est d'avoir des lunettes depuis tout petit, râlai-je. Je rêverais de plus en avoir et vous, vous vous en servez en déco.
– C'est pour embellir l'œuvre d'art.
– Quelle œuvre d'art ? Un Picasso ?
Deen me choppa la nuque avec sa grande main avant de la serrer :
– Répète ça !
– Aïe ! T'es cheum.
Il raffermit sa prise, et je gémis en poussant des petits cris de douleur tout en essayant de me débattre, mettant des coups dans le vide. Deen me lâcha au bout de quelques secondes, puis il me tourna face à lui avant de de déposer ses lèvres sur les miennes :
– Pouffiasse, murmura-t-il contre mes lèvres.
– Connard.
Nous nous sourîmes avec amusement ; j'adorais ces moments où l'on pouvait très bien être potes et se comporter comme des enfants chiants.
Un petit silence s'ensuivit, durant lequel nous nous contentâmes de nous regarder dans les yeux. Comme d'habitude, Deen fixait mon œil d'alien.
– J'aurais pas dû partir, ça voulait rien dire, dit-il finalement.
– Je sais, et j'aurais pas dû te lancer cet ultimatum de merde, c'était débile.
Il déposa un baiser sur mon front et je me blottis tout contre lui. Ça faisait un bien fou de sentir son cœur battre juste contre mon oreille.
– On se quitte plus jamais fâché hein ? demandai-je.
– Putain nan, j'ai vraiment cru que j'allais caner en étant en froid avec toi quand la vago a commencé à tourner. C'était vraiment nul comme sensation.
Il marqua une courte pause, semblant réfléchir, avant de reprendre :
– Je sais que je te le dis jamais, j'y arrive pas, je sais pas pourquoi. Mais tu sais hein ?
– Oui Mika, je sais. Et je comprends que t'ai encore du mal à le dire, je me surprend de ouf à arriver à l'exprimer moi, rigolai-je.
Deen ricana et souffla d'un air exaspéré :
– Des putains d'handicapés...
Je soupirai en souriant pour appuyer ses propos :
– Si tout était simple on se serait déjà lassé...
– Je risque pas de me lasser alors, t'es la go la plus compliquée de France.
Je lui donnai une petite tape sur le pec et il me donna une pichenette dans le front, puis je lui proposai de retourner en salle d'attente avec nos amis. Son visage se ferma d'un coup et je pus voir une lueur d'angoisse dans ses yeux.
– Tu veux pas rester ici plutôt ? Je crois que j'ai la flemme de faire genre tout va bien.
Il avait l'air si peu sûr de lui, triturant machinalement l'une de ses chevalières. Je sentis mon cœur ramollir dans ma poitrine face à ce comportement enfantin et je ressentis un certain contentement en réalisant qu'il voulait cacher ses faiblesses à nos amis mais qu'il se laissait aller devant moi. Pourtant ce n'était pas la première fois.
J'acquiesçai donc en lui adressant le sourire le plus chaleureux possible puis le pris par la main pour aller nous installer sur le sol contre un mur.
Les mains toujours liées et les jambes allongées sur le sol, nous restâmes sans rien dire quelques secondes, le silence étant seulement brisé par les pieds de Deen qu'il faisait s'entrechoquer avec fébrilité. Je posai alors ma main libre sur sa cuisse pour y tracer de petits cercles et il arrêta ses mouvements répétés.
– Ils ont dit ce qu'il avait ? demandai-je finalement.
J'essayais de ne rien laisser paraître de mon angoisse, mais même si j'avais été rassurée de voir que Deen allait bien, savoir que son frère était je ne savais où avec je ne savais quelle blessure me tendait vraiment.
– Normalement rien, il a juste pris un bon coup sur le front. Ils lui ont fait des points de sutures mais ils voulaient être sûrs qu'il y avait rien de plus grave. Je suis sûr à 90 pour cent que ça va, mais je flippe quand même, je supporte pas de pas savoir.
– C'est normal, c'est ton petit frère, tout le monde réagirait comme toi à ta place.
– Pas toi.
Je tournai la tête pour l'interroger du regard et il lâcha un petit rire dans un soupir, avant de détacher sa main de la mienne pour m'entourer les épaules afin de me faire basculer contre lui :
– Tu te rends même pas compte d'à quel point t'es forte, c'est ouf.
Son ton était sans réplique, et ce n'était pas le moment d'avoir un débat sur le sujet alors je haussai simplement les épaules.
S'il y avait bien une personne forte entre nous deux c'était lui. C'était Deen qui me portait au quotidien, lui qui supportait mes crises d'angoisses et mon passé douloureux, lui qui acceptait de passer après mon frère jumeau, lui qui me relevait à chaque mauvaise nouvelle des médecins de Raphaël, lui qui avait un espoir sans faille quant à la suite du parcours de mon frère. En plus de ses propres problèmes avec son label, ses problèmes d'écriture, ses récents problèmes familiaux, il devait faire avec mes problèmes et ceux-ci n'étaient pas des moindre. Et il supportait tout ça sans jamais se plaindre. S'il y avait bien une personne de forte entre nous deux, un roc, c'était bien lui.
En silence, nous attendîmes que quelqu'un vienne nous chercher. Cela nous donnait beaucoup de temps pour réfléchir. Deen s'allongea finalement sur le sol, les jambes pliées et la tête sur mes genoux, et je lui enlevai son bonne pour passer ma main dans ses cheveux tandis qu'il fixait le plafond.
Ce con m'avait vraiment fait peur. Je ne savais pas ce que j'aurais fait s'il lui était vraiment arrivé quelque chose. Voilà probablement pourquoi j'avais autant de mal à m'attacher et pourquoi même après notre dispute, l'engagement me faisait peur. À partir du moment où j'étais tombée amoureuse de lui, j'avais eu tout à perdre.
Les minutes passèrent, puis une heure, puis deux. Au bout de la deuxième, et Deen semblant avoir réussi à prendre sur lui, nous retournâmes rejoindre les autres en salle d'attente.
– Ah bah vous êtes toujours vivants, s'exclama Ivan. On pensait qu'Elma elle t'avait tué frère, que t'étais déjà bien froid à la morgue.
Deen ricana avant de s'asseoir sur une chaise en face d'Eff, et je rejoignis les genoux de mon frère ; ses bras ne tardèrent pas à s'enrouler autour de ma ta taille et je me laissai basculer en arrière, mes mains sur les siennes. Le seul contact de mon frère jumeau calmèrent aussitôt les quelques battements en trop de mon cœur et je sentis mon angoisse baisser un peu.
– Vous cassez les couilles en vrai, se plaignit Eff. Il a intérêt à avoir une bête de commotion ou un gros problème au cerveau vu le temps qu'on attend !
Tout le monde ricana à la tentative de détente de l'atmosphère de notre ami.
– De toute façon il peut pas être plus amoché qu'il l'était déjà, plaisanta à son tour Ivan.
– Les gars, déjà vous partez du principe qu'il a un cerveau, railla Deen d'un air faussement exaspéré.
– Je vous emmerde, lança avec virulence une voix familière à côté de nous.
Toutes nos têtes se tournèrent en même temps, si vite que j'entendis le cou de Raphaël craquer, et Deen bondit de sa chaise pour demander des nouvelles à Jekhyl.
– Bah j'ai rien de plus qu'une grosse bosse, annonça ce dernier.
Eff grommela quelque chose comme « Tout ça pour ça », mais tout le monde parut soulagé. Deen, plein de sobriété, n'en montra rien et joua la carte de l'indifférence. Si ça avait été Raph, je lui aurais sauté au cou dès que j'aurais eu entendu sa voix.
– On peut décaler du coup ? demanda Deen.
Maxime acquiesça et nous récupérâmes nos affaires avant de sortir. Son aîné posa tout de même sa paume à l'arrière de sa tête pour la frotter brièvement avant de la repousser, seul geste d'affection qu'il aurait pour lui ce soir.
– Eh attends ! lançai-je en agrippant le poignet de Jehkyl alors que nous sortions du hall.
Il parut surpris de mon geste, mais encore plus lorsque je me mis à lui donner de faibles coups de poings sur le torse :
– T'es vraiment qu'un gros beusenot, je te déteste, je tenais à ce que je tu le saches !
Les autres continuèrent leur route en se moquant, et Maxime se rembrunit en baissant la tête :
– Je sais Elma, je suis désolé, je sais pas ce que j'aurais fait non plus s'il était arrivé un truc à mon frère.
Je le frappai une nouvelle fois :
– Mais je parle pas de Deen là, espèce de gros couillon ! J'aurais fait quoi moi s'il t'était arrivé quelque chose hein ? Je fais quoi moi sans mon Henry ?
Ses traits se détendirent et il parut presque satisfait de voir que je tenais autant à lui.
– T'as déjà un Henri et il est cent fois mieux que moi.
– Il est aussi cent fois plus vieux.
Jehkyl éclata de rire :
– Putain la prochaine fois qu'on va voir tes grand-parents tu peux être sûre que ça sera répété !
Je rigolai avec lui avant de me glisser sous son bras pour rejoindre nos amis, et il m'embrassa la tête.
Même si mon cœur en voulait encore à ces deux idiots, j'étais tellement soulagée qu'ils aillent bien que j'avais maintenant envie de les couvrir de câlins. Venant de moi, ça voulait dire beaucoup.
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