Chapitre 87. « Personne n'agit avec perfection »
– Nan nan nan, casses toi espèce de gros bâtard !
Je criai tout en appuyant sur les touches de la manette de Deen pour qu'il lâche sa carapace rouge derrière lui pour toucher Raph plutôt qu'à l'avant et me piquer ma première place.
Une bagarre s'ensuivit de laquelle Ivan profita pour nous dépasser tous les deux, suivi non loin par Maxime et Raph.
– Putain je te déteste, ragea Deen en lâchant sa manette sur la table basse. Vas-y je te quittes, tu m'as saoulé.
Rigolant, je déposai un léger baiser sur sa joue, ne provoquant qu'un grognement de sa part.
– Depuis le temps que je me demande quand est-ce que tu vas enfin la larguer, lâcha mon frère en checkant le rappeur.
– Ah gros, heureusement que cette partie m'a ouvert les yeux.
– Je savais que j'aurais dû partir en tournée avec Ken, boudai-je. Le S-Croums au moins il m'aime.
Mes amis se marrèrent mais ne me reconfortèrent pas pour autant, et tous à l'exception de Raph s'éclipsèrent sur le balcon pour fumer.
Mon frère profita de ce moment pour me parler :
– Mel, faut que je te dise un truc...
Mon regard auparavant fixé sur mes amis à l'extérieur, je le rivai sur les yeux bleus de mon jumeau. Un sourire timide illuminait son visage et on aurait dit un enfant, il était adorable. Son sourire ne tarda pas à me contaminer et l'excitation à me gagner :
– Qu'est-ce qu'il y a ? Tu vas être papa ? Tu vas aller dans l'espace ? Tu vas encore aux championnats du monde ?
Raphaël rigola en entendant l'excitation digne d'un enfant apprenant qu'il allait à Disneyland dans ma voix.
– Nan je... Je crois que je vais demander à Ines de m'épouser.
Ouah. Juste. Ouah.
Raphaël rigola une nouvelle fois et je réalisai que j'avais la bouche ouverte et les yeux écarquillés.
– Je... Mais... Mais oui fais le ! parvins-je enfin à lâcher. Putain Raph, je sais même pas quoi dire... Mon frère va se marier, m'exclamai-je.
– Attends, attends, c'est pas encore fait, je suis pas encore sûr à cent pour cent de ce que je veux faire.
– Mais y'a pas de question à se poser, c'est la femme de ta vie Ines, on le sait tous !
– C'est pas par rapport à ça que j'ai des doutes...
– Raphy, nique la muco. La laisse pas diriger ta vie. Tu veux qu'Ines devienne ta femme, ta putain de maladie elle a pas son mot à dire.
– J'ai peur que ce soit trop difficile à vivre pour elle...
– Dis pas de connerie ! Y'a deux mois elle est venue emménager avec toi à Paris quand même ! Elle t'aime et elle veut continuer avec toi, c'est évident. T'en connais beaucoup des gens qui seraient prêts à rejoindre leur copain ou leur copine à des kilomètres de chez eux tout ça pour dormir avec leurs appareils qui font un bruit pas possible toute la nuit ? Qui seraient prêts à supporter les réveils en quinte de toux, les allers-retours à l'hôpital et les jours où t'as besoin d'être assisté ? Parce que moi j'en connais pas beaucoup, et Ines si elle supporte tout ça c'est parce qu'elle est folle de toi. Et ça tout le monde le sait depuis des années. Crois-moi, elle te laissera même pas finir ta phrase, elle dira oui direct.
– Qui dira oui direct ?
Les trois mousquetaires venaient de faire de nouveau irruption dans mon salon, la curiosité légendaire de mon copain en tête.
– Certainement pas moi, balançai-je avec dédain, et Deen eut un sourire mi amusé-mi agacé comme bien souvent.
– Bon bah maintenant, foutu pour foutu, lâcha mon frère. Je crois que je vais demander ma copine en mariage.
Nos trois amis s'exclamèrent et nous avions l'air tous les quatre plus enthousiastes que mon frère.
– Franchement kho, fonce, m'appuya Deen. Tu vas pas laisser ta putain de maladie te dicter ta vie, c'est tes choix et juste les tiens.
– C'est exactement ce que je lui ai dit, répliquai-je fièrement.
Deen leva sa main en l'air et nous nous checkâmes sans nous regarder.
– En plus si tu le fais pas, Papa il faudra qu'il attende Soso ou Zoé, continuai-je. Ça va être long pour lui !
– Tu veux pas te marier Elma ? me demanda Ivan d'un air surpris.
Je secouai la tête de gauche à droite :
– Je trouve ça beau, mais chez les autres. La mariage c'est juste une norme aux yeux de la société. Tu peux très bien aimer quelqu'un à la folie sans pour autant devoir marquer ton appartenance avec une bague et un bout de papier. Regardez notre père et Fanny ; ils sont pas mariés pourtant ils sont très heureux.
– Ouais mais tu serais pas fière de voir ton gars faire un truc cool et te dire « Putain, ça c'est mon mari » ? essaya Maxime.
– Pas forcément, je serais archi fière mais parce que ce sera mon homme, pas mon mari. Enfin je sais pas, pour l'instant c'est pas dans mes plans mais j'ai le temps de changer d'avis, j'ai que vingt-quatre ans.
– Ton reuf aussi il a vingt-quatre ans, continua Deen.
– Ouais mais Raph il a toujours été plus équilibré, plaisantai-je.
Le visage de Deen s'était un peu rembruni depuis le début de la discussion. Pourtant je ne pensais pas avoir dit quoi que ce soit de mal, j'exprimais simplement mon point de vue. En plus ce n'était pas comme si nous étions sur le point de nous marier, loin de là.
– J'ai vraiment trop hâte que tu lui demandes, m'enthousiasmai-je pour changer de conversation.
– Moi aussi, me dit-il avec un sourire adorable.
Il était vraiment très heureux, ça crevait les yeux. Au fond il savait depuis le début qu'il allait le faire, nous venions seulement d'éliminer le dernier petit pourcentage de doute qu'il avait.
Après avoir discuté de longues minutes de l'organisation de son potentiel mariage, imaginé la tête de notre arrière-grand-mère, l'excitation de Sohel et la baston pour être témoin du marié, Maxime et Deen nous checkèrent, prétextant une soirée avec leurs potes d'Aubervilliers.
Si Deen pensait s'en sortir aussi facilement... Il semblait me faire la gueule depuis que j'avais partagé mon point de vue sur le mariage, et je n'allait pas le laisser s'en tirer comme ça.
– Eh qu'est-ce qu'il t'arrive ? lui demandai-je en le rattrapant son frère et lui sur mon palier.
– Rien, faut qu'on bouge c'est tout.
– Arrêtes Deen, je te connais suffisamment pour savoir quand t'es contrarié et que j'aurai le droit à la gueule pendant au moins une soirée.
– Euh, bon moi je t'attends en bas frère, annonça Maxime après un coup d'œil vers moi, et Deen ferma les yeux avec agacement.
Nous restâmes silencieux le temps que son frère ai descendu les escaliers. Je le regardai les bras croisés tandis qu'il faisait tout pour soutenir mon regard.
La porte du hall claqua en bas et je ne me fis pas prier pour entamer ce qui je savais allait être une dispute :
– Qu'est-ce que t'as ? C'est parce que j'ai dit que je voulais pas me marier, c'est ça qui te déranges ? Parce que bon Mika, ça fait que deux mois qu'on s'est remis ensemble donc je suis pas sûre que ce sera pour demain le mariage.
– Nan, c'est pas ça qui me dérange, s'empressa aussitôt de me répondre le rappeur. Ce qui me dérange c'est ta putain de peur de l'engagement. Parce que t'as beau te cacher derrière ton problème de normes ou je ne sais quoi, mais on sait tous les deux qu'en fait c'est le même problème depuis le début de notre histoire : tu flippes. Le reste, c'est juste un prétexte. Tes idéaux sur le mariage c'est juste la continuité de ton flippe. Donc ouais, quand tu dis des trucs comme ça, ça m'emmerde parce que par extension je sais que ça s'applique tout simplement à nous.
– N'importe quoi, répliquai-je, mais avec moins de confiance que je ne l'aurais voulu. Vraiment, ça n'a rien à voir avec nous pour le coup.
– Ça a tout à voir avec nous, me coupa-t-il, mais tu te voiles trop la face pour le capter. À la base c'est moi le mec qui arrive pas à se poser et qui fait le con h24. Pourtant depuis le début c'est toi qui fout la merde. Quand tout va bien, franchement j'arrive pas à comprendre comment j'ai fait pour te mériter. Mais t'es une putain de tornade ; t'arrives sans prévenir et tu repars sans qu'on capte trop pourquoi. Tu t'es pointée dans ma vie comme ça, t'as foutu le delbor dans ma tête, quand j'ai commencé à tomber amoureux de toi tu t'es barré parce que t'as flippé, t'es revenue, et depuis j'ai l'impression que tu peux te barrer à tout moment même si tu jure le contraire. Y'a qu'à compter le nombre de fois où t'as voulu me repousser à cause de la maladie de Raph. L'histoire du mariage c'est encore une autre excuse, t'es juste une énorme flippette.
Sa tirade m'avait vraiment coupé le sifflet. Il n'avait pas crié, mais il avait mis assez de fermeté dans ses paroles pour me faire comprendre qu'il cachait un certain mal-être vis-à-vis de notre relation depuis quelques temps.
– Pourquoi tu me fais chier putain ? m'emportai-je. Je comprends pas là, vraiment. On sait qu'on s'aime, c'est le plus important nan ?
– Pas si tu flippes tout le temps et qu'un jour tu décides de te barrer comme tu t'es barré l'été dernier. Parce que de ce que j'ai compris tu m'aimais déjà à ce moment-là mais ça t'a pas empêché de partir pour autant.
– C'était parce que je pensais que c'était pas réciproque !
– Putain mais Maëlle arrêtes de te mentir ! C'est encore une vieille excuse ça !
Il avait haussé la voix, suite logique à la tension que je voyais augmenter en lui depuis quelques minutes.
– T'es vraiment mal placé pour parlé de ça, t'es un putain d'hypocrite. Tu dis que je flippe mais c'est toi qui ramène le sujet toutes les deux secondes, tu dis que t'as confiance en moi mais au final tu penses que je vais me barrer à la moindre contrariété !
– On se demande d'où ça me vient.
Je serrai à mon tour les mâchoires ; c'était vraiment un coup bas.
– C'est injuste ça par contre Mika. Tu comptes me le reprocher combien de temps ? Je pense que j'ai capté que je t'ai fait du mal, pas besoin de me le rappeler toutes les deux secondes. Parce que si tu veux sortir des coups bas comme ça, je pourrais te reprocher de jamais exprimer ce que tu ressens pour moi, mais je le ferai pas parce que je sais que t'as du mal à parler de tes sentiments, et je te le reproche pas au fond. Mais je pourrais quand même compter sur les doigts de la main le nombre de fois où tu m'as dit que tu m'aimais.
Le ton était monté très vite entre nous et je me demandais si tout l'immeuble avait entendu notre dispute.
Un voile passa rapidement sur le visage du rappeur, et je le connaissais assez pour savoir qu'il savait pertinemment qu'il était injustement mesquin. Mais ça n'eut pas l'air de le déranger plus que ça puisqu'il reprit un air dur et froid et ne s'excusa pas.
– Putain... souffla-t-il finalement plus calmement en fermant les yeux, les mâchoires serrées. Normalement c'est moi qui suis une galère en couple, je pensais pas trouver pire.
Nous restâmes silencieux quelques secondes, nous dévisageant dans un mélange de colère et d'incompréhension ; cette discussion ne menait à rien.
– C'est quoi le plan du coup ? demandai-je finalement avec aigreur. On arrête tout ?
– Je...
Mais avant qu'il ne puisse répondre, la voix de Jehkyl raisonna dans la cage d'escalier :
– Oh frère, bouges ton cul sérieux, vous aurez tout le temps de vous foutre sur la gueule plus tard !
Deen se gratta la nuque d'un geste brusque trahissant son agacement, se pencha au-dessus de la rampe pour dire à son frère qu'il arrivait, puis se retourna de nouveau vers moi :
– Faut que je bouge, on en reparle plus tard.
– Nan Mika, on peut pas rester brouillé, tu sais que j'aime pas ça !
Mais il n'avait pas l'air d'en avoir quelque chose à faire puisqu'il serra une nouvelle fois les mâchoires avant d'entamer sa descente des escaliers.
– Mikael putain de merde, je te jure que si tu te barres c'est fini !
Faites qu'il s'arrête, faites qu'il s'arrête, faites qu'il s'arrête.
Il s'arrêta sur le deuxième palier... Puis continua sa marche après quelques secondes d'attente, et la porte du hall claqua.
Je me retrouvai seule, dans l'incompréhension la plus totale devant la porte de mon appartement.
J'avais du mal à réaliser ce qu'il venait de se passer. Tout avait dégénéré si vite ! Et pour si peu ! Qu'est-ce qu'il nous était arrivé ? À peine une demi-heure plutôt nous étions ensemble et là...
Il était parti. Je lui avais lancé une vieille menace toute pétée mais il était parti quand même. Pour une histoire de mariage. Et de « peur de l'engagement ».
Je savais que je flippais lorsque les choses devenaient sérieuses, mais je faisais tous les efforts possibles pour m'améliorer. Et je savais que Deen faisait tout son possible pour exprimer ses sentiments, ce n'était pas de sa faute s'il n'y parvenait pas. Cette dispute n'avait vraiment ni queue ni tête, c'était ridicule.
Je ne mis pas longtemps à me ressaisir, ayant confiance en nous et notre capacité à ne pas rester brouillés plus de 24h. Cette dispute avait été la plus violente que nous ayons eu, mais rien ne nous empêchait de la surmonter.
Surtout qu'elle était si bête et si futile bordel de merde !
Je rentrai donc chez moi, tentant de sauver les apparences avec mon plus beau sourire - même si je savais que mon frère, Eff et Ivan avaient tout entendu - et ceux-ci firent comme si de rien n'était.
Quelques heures plus tard, je me retrouvai enfin seule avec Raphaël, et lui expliquai tout.
– Oh mais c'est rien, me rassura-t-il.
– Il est parti alors que je lui ai dit...
– Mel, me coupa-t-il, si tu savais le nombre de fois où une dispute a tourné comme ça entre Ines et moi. Si ça mettait fin à des couples, ça se saurait, on aurait sûrement pas tenu un an ensemble. Flippe pas, c'est parce que t'as aucune expérience de couple que t'as peur mais je te promets que d'ici demain tout sera comme avant. Voire mieux, parce que vous aurez réussi à vous expliquer plus posément.
Raphaël m'entoura de ses bras et je me blottis contre lui.
– Vous êtes bien ensemble, ça se voit que vous êtes fous l'un de l'autre, c'est pas une petite embrouille de merde qui va vous séparer.
Je soupirai tout en jouant avec le cordon du sweat de mon jumeau :
– Il me manque déjà, boudai-je, et Raph ricana.
– Si un jour on m'avait dit que ce serait moi qui te consolerait d'une dispute avec un gars...
Je ricanai à mon tour ; d'habitude c'était moi qui ramassait les morceaux.
– Et en fait c'est vrai cette histoire de déprime de jumeaux, se plaignit-il. Ça fait même pas cinq heures que vous vous êtes engueulé et je me sens tout mou. Je pensais que c'était des mythos quand tu disais que t'étais déprimais quand Laure m'avait largué.
– Tu me crois jamais t'façon, boudai-je comme une enfant.
– Par contre vous me ferez le plaisir de vous réconcilier vite, j'ai pas envie de déprimer à cause de vos histoires moi.
– Pauvre chou ! Ça t'apprendra à te faire larguer, moi c'est des semaines de déprimes que j'ai accumulé tout au long de notre vie à cause de tes meufs.
Comme très souvent après une petite querelle verbale, des insultes plus nulles les unes que les autres volèrent, puis notre dispute se transforma en scène de catch et nous finîmes essoufflés et morts de rire sur le sol.
Tandis que Raph commençait à me faire des tresses, mon téléphone sonna en affichant le nom d'Eff Gee et je répondis en tentant de réprimer un fou rire provoqué par une blague de merde de mon jumeau :
– Je te manque déjà ? taquinai-je notre ami.
Mais je compris vite à la voix du rappeur que le ton n'était pas du tout à la rigolade :
– Alors Elma, tu panique pas, mais ces abrutis de Jehk et Deen ils ont eu un accident de gov. Ils sont à l'hôpital.
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