Chapitre 86. « J'vais faire rimer l'éternité 'vec la fraternité »
Ces trois jours dans mon Sud nous avaient jamais autant rapproché Maëlle et moi. J'avais peut-être attendu deux ans, mais j'avais littéralement découvert une autre personne. Je savais depuis longtemps que la handballeuse n'était pas que dure et froide et qu'elle était prête à tout pour les autres. Mais le nombre d'attentions dont elle avait fait preuve ces trois jours envers ma famille qu'elle connaissait même pas m'avait juste fait m'attacher encore plus à elle. En vrai je me demandais à quel moment j'avais pu trouver une perle pareille.
Ma daronne m'avait rapidement fait comprendre qu'elle la kiffait :
– Elle est magnifique, m'avait-elle dit lorsqu'on s'était retrouvé que tous les deux.
J'avais pas pu m'empêcher de sourire comme un con.
Ah ça oui. Et j'avais l'impression de la trouver encore plus belle de jour en jour. Alors qu'elle m'avait pas attiré plus que ça la première fois que je l'avais vu, j'étais sûr que si demain on me mettait avec une latina ou une beurette, la seule image qui s'immiscerait dans mon esprit serait celle d'une petite handballeuse aux cheveux châtains, aux yeux extraterrestres, aux petits seins et au boule musclé, et que la simple vue de ses lunettes rondes, de son T-Shirt Led Zeppelin, de son jean troué et de ses Dr Martens me ferait sourire comme un malade. C'était elle ma meuf, et pas une autre.
– C'est elle qui s'était fait agressé dans le métro ?
J'acquiesçai. J'aimais pas trop qu'on me parle de cette histoire, rien que d'y repenser j'avais des envies de meurtre. Pareil si on me reparlait de cette raclure de Morad.
– J'ai cru que j'allais les tuer, lâchai-je.
– Je comprends maintenant que je l'ai vu. Elle est vraiment adorable, je trouve ça fou qu'on ai essayé de s'en prendre à elle.
Surtout qu'à la base ils s'en prenaient à Alice et qu'elle avait l'air encore plus innofensive que Maëlle.
– Elle sait se défendre seule, faut pas croire, c'est une vraie teigne.
– Ça ne se voit pas en tout cas, elle a été formidable avec nous.
– Elle l'est avec tout le monde.
J'écarquillai les yeux en entendant mes mots sortirent. Ça j'avais pas prévu de le dire par exemple. Putain mais quel fragile.
Ma mère me sourit avec bienveillance et me caressa la joue comme si j'avais douze ans.
– Elle te fait beaucoup de bien cette petite mon chéri, tu as l'air très heureux. Alors garde-la, ne fais pas le con.
Je comptais vraiment pas faire le con. Mais seulement parce que j'avais peur de me faire hagar par elle, puis les trois autres Fantastiques, puis son daron.
On était rentrés depuis deux jours, j'avais passé l'aprèm avec mes gars et là je rejoignais Raph pour voir un match de sa reus. Ça faisait un moment que je m'étais pas pointé au Palais des Sports pour la voir jouer, j'étais vraiment le pire mec.
– Ça va gros ? dis-je en checkant mon kho.
Il me répondit positivement alors que sa gueule prouvait tout le contraire. Il avait des cernes gigantesques et des poches sous les yeux, et ça se voyait qu'il galérait à respirer. Putain ça me faisait chier de voir mon reuf comme ça.
Grâce à l'assiduité de Raph, on était posté juste à côté du terrain et on voyait tout parfaitement bien. Les filles étaient à l'échauffement et Maëlle canardait déjà sa gardienne.
– Vas-y je vais chercher à boire, lança Raphaël. Tu veux une bière ?
Ouais bien sûr, et se retaper les marches pour aller jusqu'en haut.
– Ta gueule, j'y vais, tu vas pas me la faire à moi, si je te laisses remonter maintenant je suis sûr que tu t'étales dans les marches.
Il me contredit pas et ça m'inquiéta encore plus ; j'aurais préféré qu'il se batte un peu, ça aurait voulu dire qu'il avait de la force pour.
Je revins quelques minutes plus tard avec une bière pour moi et deux bouteilles d'eau pour lui. Ce con avait même pas pensé à prendre une bouteille dans son sac et pourtant fallait qu'il s'hydrate. Sur le moment j'avais l'impression d'être sa daronne. Mais j'allais rien lui dire parce que je savais qu'il détestait ça ; il avait déjà Maëlle sur le dos, même un peu Framal, et il avait pas besoin que tous ses khos s'y mettent aussi.
Penchés en avant les coudes sur les genoux, on vit Maëlle commencer son match sur les chapeaux de roues ; à peine l'engagement effectué, la balle circula de seulement quelques postes avant que ma meuf la récupère, fonce dans le tas, saute en dribblant, rebondisse et tire. Putain de merde elle était douée ; les Nîmoises avaient vraiment du soucis à se faire, elle allait les écraser.
Alors que j'étais comme un ouf, Raph faisait toujours preuve d'un calme déconcertant quand il regardait sa sœur jouer ; il acclamait pas et analysait tout, on pouvait seulement voir une petite lueur de fierté dans ses yeux de temps en temps. Mais putain là c'était différent de d'habitude, il avait l'air épuisé.
Après une magnifique première mi-temps de la part des parisienne mais surtout du numéro 18, les filles rejoignirent les vestiaires et je me chargeai de faire parler mon kho :
– T'es vraiment sûr que ça va Raph ?
– Ouais ouais t'inquiètes gros. Je suis juste ultra fatigué avec la fac et cette merde là.
« Cette merde ». C'était lui qui avait cette putain de maladie et pourtant on la détestait tous. Franchement aucun de nous n'était un psychopathe mais putain on rêvait tous qu'un keumé se tue dans un accident ou je ne sais quoi, et que Raph puisse récupérer ses poumons. On était pas prêt à voir partir notre reuf et on voyait tous qu'il nous échappait de plus en plus.
Je posai ma paume sur sa nuque pour la serrer dans un geste de soutient et il m'adressa un regard à la fois reconnaissant et fatigué ; ça me mettait hors de moi de le voir aussi abattu, connaissant le tempérament des Clarkson. Quand quelqu'un faisait du mal à tes khos tu pouvais toujours lui niquer sa mère. Mais contre sa putain de maladie on pouvait faire que dalle.
Les nîmoises eurent pas beaucoup de répit ; à peine rentrées sur le terrain, Stine balança un putain d'obus dans les cages. Puis lors de leurs engagement, ma meuf plus rapide qu'une fusée leur piqua la balle pendant une passe avant de foncer vers les cages et de faire un Kung-Fu avec une coéquipière, déclenchant quelques « Ouah » dans le public.
Au bout d'une dizaine de minutes, alors que l'écart commençait à se creuser, Raphaël tourna la tête vers moi :
– Ok, j'ai mytho gros... En vrai ça va pas du tout.
Sans blague, il faisait ma taille mais j'étais sûr qu'il pesait deux fois moins que moi en ce moment. Mon cœur se serra quand même un peu dans ma poitrine ; c'était pas pareil de l'entendre le reconnaître.
– J'en ai encore parlé à personne mais je sens que j'en ai plus pour beaucoup de temps. Je sais pas c'est... Je suis HS tout le temps, quoi que je fasse j'ai l'impression que je remonte pas la pente. C'est pas ultra flagrant comme différence, ça va archi doucement mais... Je pense honnêtement que ce sera mon dernier Noël.
J'eus immédiatement le souffle coupé et ma gorge se serra. Putain. Dit comme ça c'était terrifiant. On était en octobre. Ça voulait dire un an à tout péter.
– Je flippe comme pas possible, j'veux pas crever putain.
Sa voix était vraiment très enrouée. Ce mec-là était ultra fort et je l'avais jamais vu ne serait-ce qu'un tout petit peu abattu, alors là ça me faisait mal au bide.
– Tu vas pas crever.
Ma voix était plus enrouée que je l'aurais cru.
– Ça fait combien de temps qu'on te dit qu'il te reste un an ? T'es encore là putain, peut-être que c'est juste une mauvaise passe, on sait pas... Peut-être que... Peut-être que c'est parce que l'hiver approche, on est tous K.O, toi avec la fac en plus c'est chaud. On sait pas, peut-être dans deux mois t'iras mieux. Maëlle m'a dit que ça faisait souvent ça pour votre daronne, y'a des hauts et des bas. Là t'es dans une putain de crevasse mais ça veut pas dire que tu peux pas remonter.
Raph lâcha un petit ricanement reconnaissant.
– Et quand bien même ça irait pas mieux, on trouvera quelqu'un avec le même groupe sanguin que toi et on le tuera. On te laissera pas crever. Je te laisserai pas crever.
Un silence s'installa entre nous durant lequel on essaya de se reconcentrer sur le match, mais je savais même plus où ça en était et je m'en branlais complet. J'arrivais pas à penser à autre chose qu'à ce que venait de me dire Raph.
– Cimer gros, lâcha enfin celui-ci avant de toussoter plus de gêne qu'autre chose.
Je lui serrai l'épaule amicalement et nos deux têtes se retournèrent vers le match. Les filles gagnaient 25 à 19 et il restait dix minutes de jeu.
– Bigo, par contre je veux que tu gardes ça pour toi, m'intima Raph, les yeux toujours sur le match. Il faut pas que Maëlle le sache. Ou Fram et Mek.
– Je peux pas leur cacher un truc pareil kho...
– Si, tu peux. Si tu le fais pas pour moi, fais-le pour Maëlle. Ça l'avancera à rien de le savoir. Même si elle montre rien, je sais qu'elle est terrifiée tout le temps. C'est pas la peine d'en rajouter, elle a pleinement conscience du fait que ça va pas en s'arrangeant.
Putain je pouvais pas lui cacher ça sérieux... Je détestais lui mentir, surtout pour un truc aussi important que la santé de son jumeau.
Mais quelque chose me disait qu'elle s'en doutait déjà, y'avait qu'à se rappeler la crise de panique qu'elle avait fait la dernière fois.
– Depuis qu'on est tout petits elle fait tout pour moi. Je fais tout pour elle aussi, ça a toujours été comme ça entre nous, mais elle elle est pas malade donc c'est pas compliqué de toute faire pour elle. Par contre le nombre de sacrifices qu'elle a fait pour moi... Y'en a tellement que je pourrais même pas t'en citer. Alors maintenant je veux qu'elle profite, qu'elle arrête de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Qu'elle démonte tout pendant cette saison, qu'elle soit championne du monde avec la France, qu'elle soit majeure de promo et qu'elle profite de tous les moments avec vous sans se dire que c'est peut-être ma dernière année. Franchement ça servirait à rien de lui dire à part la faire vivre à moitié.
Je passai ma paume sur mon visage en soupirant. J'étais totalement d'accord avec lui. Cette conne s'éteindrait à petit feu si on lui disait maintenant. Même si j'avais encore espoir qu'il remonte la pente. Parce que putain, c'était Raphaël Clarkson, il allait forcément remonter la pente, je le voyais bien avec au moins cinq ans devant lui.
– Ok, lâchai-je finalement. Je dirai rien.
– Merci.
J'arrivais même pas à finir de regarder le match. Lorsque le coup de sifflet final retentit, je lançai un rapide coup d'œil au compteur pour voir que Paris avait gagné 30 à 23.
On attendit la handballeuse dehors et je fumai un bédo en étant sûr que Raph se prenne pas la fumée dans la gueule ; j'en avais vraiment besoin depuis ce qu'il m'avait dit.
La handballeuse débarqua finalement aux côtés de Stine en sautillant, un immense sourire aux lèvres, et je dû faire de mon mieux pour rien laisser paraître.
C'est justement en voyant son sourire que mes derniers doutes quant à mon potentiel silence s'envolèrent ; rien qu'à imaginer son visage sans la vision de ses dents blanches et de ses yeux plissés par son sourire ça me foutait à terre. J'allais peut-être lui mentir mais il était pas question que j'efface sa joie de vivre.
– Stine elle vient avec nous pour la dernière soirée du S-Croums, s'exclama-t-elle cramponnée au bras de la norvégienne.
– Tu sais qu'ils vont juste en tournée et qu'ils vont pas crever hein ? la taquinai-je.
– On sait jamais, il faut que je les emmerde une dernière fois au cas où Ken mourrait en se jetant dans la foule, qu'Idriss se brise la nuque en tombant sur scène, qu'Hakim meurt en se battant avec un vigile, que Théo se repète la cheville et fasse une hémorragie fatale, ou que Doum's fasse une overdose de shit.
Raph et moi on se marra en imaginant ses scénarios catastrophes ; le pire c'est que c'était limite envisageable putain.
Lorsqu'on arriva chez le grec, la handballeuse sauta dans les bras du Fenek comme si elle l'avait pas vu depuis trois mois ; à savoir qu'ils s'étaient vu hier. Stine se dirigea automatiquement vers Lissa et Julia, venant compléter le quatuor de choc.
Maëlle passa la soirée collée à Nek ou Framal, et ça me faisait un peu chier. Pas par jalousie, j'avais jamais été jaloux de qui que ce soit de nos reufs ou des siens. Juste... Maintenant que je savais comme Raph voyait son avenir, même si elle le savait pas, j'avais envie de la prendre dans mes bras pour lui apporter du soutient alors qu'elle savait même pas qu'elle en avait besoin.
Putain j'espérais vraiment que Raph allait remonter la pente, parce que j'étais pas près à perdre mon kho, et encore moins à voir ma meuf au fond du trou.
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