Chapitre 8. « Voilà du bon son pour rouler la nuit »

– Donc si j'ai bien compris, ton père il a pécho la p'tite reus de ta mère ? demanda Ivan.

Ça faisait bien deux heures que nous ne nous arrêtions pas de parler. Même si je n'avais été réellement ivre à aucun moment, l'alcool était redescendu et j'étais de nouveau dans mon état normal.

La discussion tournait encore autour de moi et ça commençait à me gêner. Pas qu'ils en apprennent plus sur moi, au contraire, c'était qu'ils étaient vraiment intéressés et qu'ils ne me voyaient pas uniquement comme une fille de passage. Mais j'avais l'impression d'être très égocentrique à force de parler uniquement de ma petite personne.

– Ouais c'est ça. En fait ma tante a toujours été plus ou moins amoureuse de mon père mais elle était trop jeune quand mes parents se sont mis ensemble. Et puis mon père n'avait d'yeux que pour ma mère, pour lui c'était juste sa petite sœur casse-couilles. Mais après la mort de ma mère ils sont restés proches et y'a quatre ans ils se sont mis ensemble. Du coup notre tante est aussi notre belle-mère, mais pour nous ça restera toujours plus notre tante.

Ils acquiescèrent. La pièce commençait à devenir un vrai aquarium, j'allais bientôt avoir besoin d'air.

– Tu vois tu nous aurais pas dit que t'avais un jumeau je l'aurais capté quand même. Tu dis toujours « nous » genre vous êtes deux dans ta tête, dit Jekhyl.

– Ouais je sais, c'est chiant pour mon entourage. Raph' et moi c'est deux pour le prix d'un, on pourrait être la même personne que ça ferait le même effet.

– Ça doit être cool d'avoir un jumeau... dit Doums d'un air rêveur, visiblement défoncé. J'aimerais bien en avoir un...

– Putain deux Doums ce serait l'enfer sur terre, répliqua Louis.

– Wallah y'aurait jamais assez de beuh sur toute la planète pour deux comme lui, enchaîna Idriss, ce qui nous fit tous rire.

– Eh au fait t'as un mec ? me demanda Mohamed. Parce que bon... Tu sais si tu te sens seule Sneazzy West il est al !

Je rigolai avant de lui lancer avec virulence :

– Ouais j'ai un mec ouais, et laisse tomber t'as aucune chance, trop jeune pour moi, dis-je en rejetant mes cheveux en arrière comme dans une pub de shampoing.

En réalité il n'avait qu'un an de moins que moi, mais j'aimais bien le taquiner.

– Comment tu fais trop la meuf, s'exclama-t-il, puis me regardant de haut en bas avec mépris : de toute façon t'es cheum.

Je lui lançai une capsule de bière et nous nous chamaillâmes quelques secondes.

Après avoir décrété que j'avais assez raconté ma vie, je leur posai plein de questions sur eux et leurs projets actuels puis ils me montrèrent quelques morceaux en cours.

Nous rigolâmes beaucoup. Je n'étais là que depuis quelques heures mais j'aimais déjà passer du temps avec eux, ils étaient faciles à vivre et très ouverts. J'avais l'impression de les connaître depuis des années. J'étais vraiment à l'aise et nous discutions de tout et de rien, débattant sur plein de sujets et parlant de rap. Mais l'heure tournait, et je devais m'en aller. Je commençai à me lever :

– Bon les gars c'est pas que je vous aime pas mais faut que je bouge, j'ai un match demain !

Mon annonce fut accueillie par des « Oh nan Elma » et autres « Restes s'teuplait ».

Oui, « Elma »... Je crois que Doums venait de définir mon surnom.

Seul Louis se démarqua :

– On peut venir ?

– On est en déplacement, on joue à Nantes.

Ce supplément d'information calma immédiatement ses ardeurs. Quitte à voir un match de handball, sport qui ne devait pas l'intéresser plus que ça j'imaginais, autant ne pas avoir à se déplacer.

Deen se leva et fouilla dans ses poches. Je l'interrogeai du regard :

– Je te ramène.

– Restes avec tes potes, en plus c'est chez toi, je peux rentrer toute seule je suis une warrior moi t'inquiètes !

Il rigola mais n'en démordit pas pour autant :

- Discutes pas Princesse, tu prends pas le RER à cette heure-là.

Je levai les yeux au ciel en râlant mais je n'avais visiblement pas trop le choix. Je checkai tous les garçons un par un puis sortis accompagnée de Deen qui ne tarda pas à mettre son bras autour de mes épaules avec le même air protecteur qu'en arrivant.

– Et au fait j'suis pas une princesse, y'a qu'un homme qui a le droit de m'appeler comme ça et c'est pas toi !

– Ah ouais ? Je suis sûr que ton gars est carrément moins beau que moi, me dit-il d'une voix grave en m'adressant un clin d'œil.

– Je parle pas de mon copain ducon. Je parle de mon papa, dis-je avec un air enfantin en sautillant comme une petite fille.

– Ouah t'es archi proche de ton père en fait ! rit-il.

- Ouais, personne pourra jamais le test, c'est le meilleur.

- C'est ce que j'ai cru comprendre.

Nous marchâmes quelques secondes sans rien dire puis mon rire brisa le silence :

– Qu'est-ce qu'il y a de golri ?

– J'étais en train de me dire qu'il s'entendrait super bien avec vous tellement il est jeune dans sa tête. En fait c'est vraiment le même que vous en un peu plus vieux et plus posé. J'étais en train de me l'imaginer dans l'appart en train de glousser et de rapper avec ta bande de sauvages.

– Pauvre homme, soupira-t-il, deux gosses qui lui ruinent sa vie et l'empêchent de rester comme nous pour toujours ! Faites que ça ne m'arrive jamais, pria-t-il en regardant solennellement le ciel.

– Je suis sûre que t'as au moins un gosse caché avec le nombre de meufs que tu te tapes !

– Putain arrêtes, dit-il comme si j'avais prononcé le nom du Seigneur des Ténèbres.

– Tu dis ça parce que j'ai raison, raillai-je.

– De ouf, tu vas me porter l'œil ! 

Il y eut un moment de flottement puis il ajouta :

– Si jamais j'ai un gosse quelque part il doit être beau comme un dieu et ultra intelligent avec mes gènes. 

Je lui donnai un coup de coude pour le punir de son narcissisme et il se mit à rire fièrement.

Nous montâmes dans la voiture, laquelle n'avait apparemment pas de propriétaire fixe dans la bande.

– Pourquoi tu m'avais pas dit que ta daronne elle était morte ?

Je me doutais qu'il n'allait pas pouvoir s'empêcher d'en parler.

Je haussai les épaules ; à vrai dire mon comportement m'avait aussi surprise que lui. Je ne savais pas pourquoi j'en avais parlé devant autant d'inconnu alors que j'avais omis de le dire à Deen lorsque nous n'étions que tous les deux.

– Je sais pas trop, je voulais pas que t'ai pitié de moi dès le départ. J'aurais fini par te le dire, mais je préférais m'affirmer avant de t'exposer cet partie de ma vie. Par contre je sais vraiment pas pourquoi je l'ai dit ce soir devant tous tes potes. Je crois que c'est Nekfeu qui m'a poussée, j'avais envie de montrer que j'étais pas une petite princesse pourrie gâtée.

Il acquiesça, l'air compréhensif :

– D'ailleurs désolé pour Nek, il est con des fois. Il a du mal à faire confiance aux go qui nous tournent autour.

– C'est pas moi qui vous tourne autour, c'est toi qui veut pas me lâcher. Ça fait des jours que j'essaye de me débarrasser de ta sale tronche.

Il me lança un regard noir en se mordant la lèvre mais ne pu retenir un sourire amusé. Puis celui-ci s'effaça et il posa la question que je savais brûlait les lèvres de tous les gars tout à l'heure dans son appartement :

– Elle est morte comment ?

Il avait l'air mal à l'aise et était assez hésitant. Je réalisai que ça ne devait pas arriver souvent à Monsieur Deen Burbigo et je trouvais que c'était mignon.

Munie de mon éternel sourire lorsqu'il fallait aborder le sujet, je répondis :

– Une maladie, la mucoviscidose.

– Putain merde, lâcha-t-il l'air désolé. Comme le chanteur de Popstar ou j'sais pas quoi là ?

– Grégory Lemarchal, ouais. Le problème c'est qu'elle est morte avant lui et qu'à l'époque les gens savaient vraiment pas ce qu'était cette putain de maladie. Après sa mort à lui les gens ont commencé à réaliser que le don d'organes était super important et les assoc' ont pu récolter plein d'argent. Mais pour Grégory comme pour ma mère c'était déjà trop tard.

Il regardait la route, les yeux fixés devant lui, plongé dans une profonde réflexion.

– Mais bon, mieux vaut tard que jamais. J'ai perdu ma mère mais au moins je sais que maintenant les malades de la muco' peuvent vivre beaucoup plus longtemps qu'avant. Et l'espoir c'est tout ce qu'il leur fallait.

Il tourna la tête vers moi, un petit sourire désolé sur le visage.

– Me regardes pas comme ça, je vais bien t'inquiètes. C'est vrai que c'est triste mais ça fait grandir. C'était y'a longtemps.

C'était ce dont je me persuadais à chaque fois que j'abordais le sujet avec quelqu'un.

– Elle te manque quand même ? me demanda-t-il enfin.

– Oui évidemment. Ça fait plus aussi mal qu'au début mais j'ai quand même un grand vide qui se comblera jamais. Tout le monde a besoin de sa maman. Et elle était si jeune, j'aurais tellement aimé qu'elle puisse vivre plus de chose, qu'elle puisse vivre sa vie au maximum et accomplir plein de trucs. Et puis qu'elle s'occupe de moi, que je puisse partager avec elle mes problèmes de fille, des trucs bêtes ; j'aurais aimé qu'elle soit là pour me rassurer quand j'ai eu mes premières règles, que je puisse lui parler de mon premier copain, j'aurais aimé aller faire du shopping ou des manucures avec elle... J'ai grandi entourée d'hommes et de garçons et j'aurais aimé avoir ma maman pour me guider. Mon père a vraiment assuré à tous les niveaux mais il pourra jamais remplacer la présence d'une mère.

– Je comprends. Je sais pas ce que je ferais sans ma daronne. Je sais pas comment tu fais pour être aussi forte et voir les choses d'une façon si positive.

– Je sais pas trop non plus. C'est de famille je crois, on évite de s'emmerder mutuellement avec nos problèmes. C'est moins facile de faire semblant d'aller bien et de sourire mais c'est vraiment plus agréable pour l'entourage.

Il forma un L avec son pouce et son index et leva la main en l'air. Je rigolai, ce qui le fit sourire.

– Je sais même pas pourquoi je te dis tout ça, continuai-je. J'ai jamais parlé de ça avec mon copain et à toi je te déballe ma vie alors qu'on se connait depuis trois jours et demi. Maintenant je dis plus rien, ce sera à toi de parler de trucs aussi profond, rigolai-je.

Il afficha un petit sourire fier. Puis, n'y tenant pas, il posa une autre question, ce qui me fit lever les yeux au ciel :

– Au fait t'es née en France ou aux US ? Vu qu'apparemment ton daron il est ricain.

Je haussai un sourcil tout en le scrutant. Il avait visiblement déjà analysé plein de choses sur ma personne.

– Ouais je sais j'suis curieux, dit-il d'un air coupable.

Je ris. On aurait dit un enfant.

– En fait mon père est né dans le Vermont, il y a vécu pendant six ans, après il a débarqué en France, et ses parents sont repartis là-bas quand il avait seize ans. Il voulait rester en France donc il s'est émancipé et du coup je suis née en France.

– T'y es déjà allée ?

Il était vraiment, vraiment très curieux, c'était assez dingue.

– Ouais j'y vais une fois par an pour Thanksgiving. Et on allait souvent en vacances deux ou trois semaines par an chez ma tante pour faire du ski avec l'argent que notre grand-mère nous envoyait dans le dos de notre grand-père. Mon père et lui se parlent plus depuis des années et mon père a toujours refusé qu'on passe du temps chez lui sauf que ça rendait ma grand-mère triste du coup elle nous faisait venir. Mon père acceptait seulement à condition qu'on séjourne chez notre tante. Enfin bref, tout ça pour dire qu'on avait pas les thunes de faire du ski hein, on n'était pas des gros bourges, crois pas.

– Ça a l'air d'être un de ces delbords ta mif ! rit-il.

Je lui posai ensuite des questions sur la sienne et il me raconta de nombreuses anecdotes sur son enfance avec Maxime et leurs cousins, me faisant parfois pleurer de rire.

La fin du trajet jusqu'à chez moi se fit en silence, ma musique étant le seul son à se propager dans l'habitacle. Je regardais les bâtiments défiler sous la lueur des lampadaires. Il n'y avait pas à dire, Paris était une belle ville.

Arrivés devant chez moi je récupérai mes affaires et remerciai Deen à ma façon :

– T'es vraiment trop con de te taper autant de route juste pour me ramener, dis-je en souriant.

– Ta gueule, y'avait pas moyen que je te laisse errer dans Paname à cette heure-ci.

Je levai les yeux au ciel, affligée par tant de soin :

– C'est les autres qui doivent avoir peur de moi, tu sais pas de quoi je suis capable !

Il souffla un « pff » moqueur mais ne répliqua pas ; il avait probablement déjà pris le pli de ne pas débattre de sujets futiles avec moi. Je souris, fière d'avoir gagné la bataille :

– En tout cas j'ai passé une super soirée, merci. Les gars sont vraiment sympas, enfin presque tous. T'es bien entouré.

– Ouais ils ont l'air de bien t'aimer aussi, je suis sûr qu'ils voudront te revoir. Et vraiment, fais pas gaffe au Fenek, quand il apprendra à te connaître il te kiffera c'est sûr.

S'il savait à quel point je me fichais d'être appréciée de Nekfeu ! Je souris quand même bêtement :

– Bon, et bah merci, à plus ! Fais attention sur la route et profitez bien de la fin de la soirée !

Je lui fis un bisous sur la joue - une première pour moi et mon tempérament plus que froid - et sortis de la voiture.

Alors que je me dirigeai vers la porte d'entrée de mon bâtiment, j'entendis la fenêtre se baisser et me retournai :

– Bon match, tu défonces tout hein ! me lança-t-il avec un clin d'œil.

Je lui montrai mes deux pouces et ouvrai la porte avant de grimper dans mon studio, pressée de tout raconter à mon frère dans un message de la longueur d'un roman.

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