Chapitre 7. « I'm walking on sunshine »

– Alors Maëlle, racontes-nous un peu ta vie.

Tous les gars me fixaient en attente d'une réponse. C'était intimidant. Je n'avais pas l'habitude de parler de moi, encore moins avec autant de paires d'yeux rivées sur moi. Je préférais entendre les histoires des autres plutôt que de raconter les miennes et priai intérieurement pour qu'ils se désintéressent vite de moi pour retourner à leurs discussions.

Celui que j'avais reconnu comme étant Nekfeu avait l'air de m'analyser sous toutes les coutures, l'air méprisant. J'avais l'impression qu'il sondait mon âme. Je ne savais pas pourquoi, mais je sentais que je n'allais pas l'aimer.

– Bah... Déjà Maëlle Duprés-Clarkson, enchantée...

Deen me proposa du whisky-coca mais je refusai, demandant une bière à la place. J'aimais bien boire, mais je savais que je ne m'arrêterai pas à un seul verre et ce n'était pas le bon soir pour me mettre une caisse.

– Qu'est-ce que vous voulez savoir ? demandai-je, hésitante.

– J'sais pas, d'où tu viens, ce que tu fais, t'as quel âge d'jà ? demanda Nekfeu, l'air agacé.

Je n'avais pas envie de lui répondre au vu de son amabilité, mais ce n'était pas le moment de faire la gamine. Moi qui avait pourtant le sang chaud, je tentai de garder mon calme.

– J'ai vingt-et-un ans, je viens de Dijon et je suis handballeuse professionnelle. Et en même temps je suis en fac d'anglais.

Ils me regardaient l'air sincèrement intéressés tandis que Deen me tendait une bière, que je pris.

Mais n'y tenant plus, et le naturel revenant au galop, je me tournai vers Nekfeu :

– Et t'es pas obligé de me parler comme ça tu sais, je suis pas ta pote ! lui lançai-je froidement.

Son visage était fermé, je croyais l'avoir vexé. Super comme première impression, bravo Maëlle, championne ! Tant pis, je ne m'étais jamais laissé marcher sur les pieds, et ce n'était pas pour ses beaux yeux que ça allait commencer.

Je jetai un regard aux autres pour voir si j'étais allée trop loin. Ils avaient plus l'air curieux qu'autre chose, Deen avait l'air amusé.

Nekfeu se défendit :

– Les meufs comme toi j'les connais. Le genre de petite fille à papa bien bourge qui profite de son physique pour pécho des mecs vite fait connus. Ou alors, deuxième version, une go qui fait sa crise d'ado en retard et qui traîne avec des rappeurs pour faire chier ses darons. Ça se voit rien qu'à ton style, je suis sûr que tu connais même pas un son de ce putain de groupe, cracha-t-il en regardant mon T-shirt. J'comprends même pas pourquoi tu l'as ramené Bigo, surtout si c'est une pisseuse de fan.

J'étais choquée. Il avait vraiment faux sur toute la ligne :

– Tu sais si t'avais pris le temps de vraiment me parler et d'apprendre à me connaître tu te sentirais bien con mon gars, parce que t'as tout faux, t'imagines même pas les galères qui me sont arrivées, dis-je le plus calmement possible.

Il se renfrogna, un air de dégoût sur le visage, et partit dans ce que je devinais être la cuisine.

Un blanc s'était installé, et je n'étais pas plus perturbée que ça par son attaque. Il en fallait plus pour abîmer ma fierté et je n'allais certainement pas me laisser faire par un connard de rappeur. J'allais rester à cette soirée même si l'autre passait son temps à faire la gueule.

Les autres gars avaient l'air amusé. Je me fis la réflexion qu'on ne devait pas lui tenir tête très souvent.

Deen avait un air de parent fier, du genre « ça c'est ma championne », ce qui me conforta dans le fait de rester.

Baissant la tête sur mon T-shirt, je tentai de dissiper la gène qui s'était installée :

– Par contre personne a le droit de parler de Nirvana comme ça, ça mérite la peine de mort de prononcer « putain de groupe » sur ce ton en parlant d'eux !

Quelques gars rigolèrent et d'autres esquissèrent des sourires amusés. Je ne m'étais pas mis tout le monde à dos apparemment.

– Ah ouais donc c'est pas juste pour faire genre le T-Shirt, dit 2zer, t'es vraiment fan.

Je levai lentement les yeux au ciel d'un air innocent en marmonnant au goulot de ma bière :

– Je vois pas de quoi tu parles...

Les conversations allaient dans tous les sens et j'essayai d'écouter chacun des gars. Ils étaient tous très drôles et intéressants. Je discutai quelques minutes avec Fonky Flav qui me parla de son rôle de manager et de son désir de monter son propre label puis Jazzy Bazz me fixa finalement à la fin de sa conversation avec Deen :

– C'est le handball qui t'amène sur Paname ? me demanda-t-il.

– Ouais, avant je jouais à Dijon, j'ai vécu toute ma vie à Dijon d'ailleurs, puis à la fin de mon contrat j'ai été contactée par l'équipe d'Issy Paris pour un contrat sur un an et... me voilà !

Je leur expliquai ce que j'avais déjà expliqué à Deen par rapport à ma licence d'anglais, et la suite de mes études.

Nekfeu traversa le salon pour sortir de l'appartement. Ah d'accord, merci d'être passé.

– Ah ouais au fait pourquoi tu m'avais pas dit que t'étais méga forte en hand ? lança Deen. La meuf était en équipe de France les gars !

Les gars en question me regardèrent avec les yeux écarquillés. Cela me fit rire :

– Je sais pas, t'as pas demandé, répondis-je en me sentant rougir. En fait le truc c'est que j'aime pas trop parler de moi de base, et quand c'est pour sortir des trucs comme ça j'ai l'impression de me la péter. Mais c'était y'a longtemps j'avais dix-sept ans et dix-huit ans, après je me suis blessée et j'ai pas été resélectionnée.

– Tu devrais être fière et le crier dans tout Paname, me répondit Deen. Si tu veux je le ferai pour toi, ma pote elle est v'la douée en hand je vais trop me vanter.

Je rigolai : toujours plus.

– Tu vivais avec tes darons avant de venir sur Paname ? demanda subitement Sneazzy.

– Juste avec mon père et ma belle-mère.

– Ah toi aussi ils sont divorcés ?

– Nan, ma mère est morte quand j'avais six ans.

L'information m'avait échappée. Dans le flots de la discussion j'avais oublié à quel point je détestais la pitié qui suivait généralement cet aveu.

Un froid s'était installé dans la pièce. Deen me regardait avec des yeux comme des soucoupes. C'est vrai que j'avais omis de lui parler de ce détail.

Alors que Sneazzy ouvrait la bouche pour s'excuser - je n'avais même pas besoin de l'entendre, je connaissais cette expression du visage par cœur tellement je l'avais vu - j'enchaînai avec un sourire sincère :

– Eh t'inquiètes c'est pas grave. Déjà tu pouvais pas savoir, et puis c'était il y a longtemps. Ça devrait pas être un sujet tabou, si on parle jamais d'elle ça fait pas perdurer sa mémoire, et ça par contre c'est triste.

La discussion enchaîna sur quelques banalités de ma vie, si j'avais des frères et sœurs, qui étaient mes potes, ce que j'étudiais précisément, ma courte carrière de grimpeuse.

Malgré ma volonté de ne boire qu'un peu, j'avais bu un verre de whisky et j'en étais déjà à ma quatrième bière. Je sentais que j'étais joyeuse. Je faisais des blagues de merde - qui étonnamment faisaient rire tout le monde - depuis la troisième bière, et mon habituelle volonté de rester la plus froide possible s'était envolée au bout de la quatrième. Mais je connaissais mes limites : je pouvais aller encore plus loin, là je n'en étais qu'à l'échauffement.

– T'as eu quoi comme galère genre ? me demanda Mohamed.

Les rappeurs m'avaient spécifié il y avait une heure de cela qu'ils ne voulaient pas que je les appelle par leurs noms de scène maintenant que j'étais leur pote. Une petite soirée et quatre bière et ça y était, j'étais leur pote ! J'aimais bien le principe.

Je ne compris pas sa question et fronçai les sourcils.

– Tout à l'heure t'as dit au Fenek que t'avais eu plein de galère askip.

Habituellement j'aurais esquivé sa question, surtout devant autant de monde. Mais là l'alcool me poussais à répondre comme s'il s'agissait de parler du dernier film que j'avais vu, le sourire aux lèvres :

– Oulah ! Alors... déjà mes parents ils avaient pas d'argent, on vivait dans un petit appart de merde, après quand ma mère est morte on avait encore moins d'argent on a emménagé dans un appart encore plus petit où y'avait qu'une chambre... Hmm... Ah oui et avant ma mère y'a son frère jumeau qui s'est buté dans un accident de voiture, p'têtre pour ça qu'elle a pas tenu bien longtemps d'ailleurs, balançai-je, l'air songeuse. Ensuite y'a eu quoi... Ah ouais notre père il a perdu notre garde, on a été séparé avec mon frère, lui il a été placé chez des gens et moi je suis restée au foyer... Y'a quoi encore... Euh bah toujours pas de thunes du coup on volait dans les magasins, on a fini pas mal de fois au commissariat... Ah ouais et comme pas d'argent et bah pas de chauffage, mais bon c'est arrivé que deux ou trois ans ça. Y'a peut-être deux-trois trucs qui m'échappent mais je crois que c'est tout hein ! conclus-je.

D'après leurs regards, ils étaient tous sur le cul. Leurs visages - et surtout l'alcool- me firent partir en fou rire.

– Genre ça te fait rire ? me lança Deen, l'air très sérieux.

Je parvins toutefois à me calmer et essuyai mes larmes de rire :

– Ça sert à rien de s'apitoyer sur son sort mon Burb, et puis ça forge le caractère, crois moi !

Je gardai mon sourire car c'était totalement vrai. On avait vécu énormément de galères mais elles étaient derrière nous. Elles avaient non seulement soudé notre famille mais elles nous avaient aussi énormément renforcé. Ça ne servait vraiment à rien de se plaindre alors qu'il y avait tant d'atrocités dans le monde.

– T'es vraiment une malade, enchaîna Théo. Putain on dirait pas comme ça mais en fait t'es Slumdog Millionaire.

– T'as vraiment été en foyer ? T'avais quel âge ? me demanda Deen, l'air toujours aussi sérieux.

Bon par contre s'il insistait je n'allais pas garder mon sourire longtemps. Je persistai quand même en lui répondant :

– Ouais, pendant six mois à peu près. J'avais six ans, bah c'était juste après la mort de ma mère.

– Bah wesh mais il s'est passé quoi, t'avais toujours ton père nan ? demanda Idriss.

– Ouais mais c'était compliqué. Déjà il avait que vingt-deux ans, il se retrouvait avec deux mômes de six ans sur le dos avec son Smic, et puis la mort de ma mère ça l'a fait vriller. Je te jure jamais de ma vie j'ai vu deux personnes aussi amoureuses, c'était la femme de sa vie, alors la perdre ça l'a brisé. Surtout aussi tôt. Il a recommencé à fumer et à boire et un jour on jouait en bas des tours avec mon frère et apparemment il aurait essayé de sauter. C'est ce qu'on nous a raconté mais moi j'y crois pas. Et puis mon frère et moi on a toujours été super minces et la même personne pensait qu'on était sous-alimentés. Alors que pas du tout, c'est notre père qui bouffait pas. Enfin bref, quelqu'un a cru voir des choses et du coup cette personne a prévenu les services sociaux et voilà.

– Putain mais sah, les gens ils peuvent pas se mêler un peu de leur cul ? lança Hakim.

Ah bah ça. D'un côté je savais que c'était parce qu'elle pensait que c'était le mieux pour nous que la personne avait prévenu la DDASS. Mais si elle s'était un peu plus mêlée de ses affaires nous en aurions un peu moins bavé.

– Attententends, commença Mohamed. J'viens de faire le calcul là. Mais ton père il t'a eu v'là jeune !

Je rigolai. Il n'en loupait vraiment pas une :

– C'est tout ce qui te choque dans ce que je viens de te dire ?

Les gars le regardèrent d'un œil mi-accusateur, mi-amusé. À mon avis ils avaient l'habitude.

– Et bah ouais, une soirée trop alcoolisée, pas de capote et paf! neuf mois plus tard, deux gosses.

– Ouah et ils vous ont gardé ? La vie d'ma mère j'aurais jamais pu avoir deux mômes à seize ans !

– Et woula Moh heureusement que t'en as pas eu, lui répondit Louis. Ils auraient cané au bout de deux jours avec toi.

Sa remarque fit rire tout le monde et il se renfrogna, l'air faussement vexé.

– En fait ils ont pas réussi à se débarrasser de nous. Quand ils ont découvert qu'on était là c'était trop tard pour avorter, et quand ils ont découvert qu'on était deux ils ont pas voulu nous abandonner parce qu'ils avaient peur qu'on soit séparés. En vrai c'étaient des malades, j'aurais jamais pu non plus, dis-je en regardant Mohamed.

– Putain je connais pas ton daron mais je le respecte de ouf, dit Deen.

Ouais, bah moi aussi. Je ne connaissais pas plus courageux.

– T'imagines deux mini moi de cinq ans là ? rêvassa Mohamed.

– Nan mais laisse gros, on t'a dit ils auraient cané au bout de deux jours, lâcha Morgan.

Tout le monde rit et l'ambiance qui avait d'abord été tendue par le récit de mes galères s'était complètement volatilisée pour laisser place à une ambiance de camp de vacances.

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