Chapitre 67. « I'm tryin' to tell you I love you, in each and every way »

Je débarquai à l'aéroport d'Orly le 20 décembre après avoir achevé ma compétition de handball. Nous avions été éliminé trois jours auparavant et avions gagné notre match pour la cinquième place la veille, contre la Hongrie. La finale allait se jouer le lendemain et opposerait l'Espagne à la Norvège. Je n'avais pas pu rester encourager Stine et Nora mais je suivrai le match à distance, plus que prête à voir la Norvège gagner.

Je n'avais prévenu aucun des gars de la date de mon arrivée et comptai bien surprendre mes amis. J'avais seulement mis Alice et Julia dans la confidence, nos retrouvailles avaient été plutôt larmoyantes à l'aéroport, et elles m'avaient annoncé que la soirée du jour se déroulait chez Hakim et Idriss. Je déposai donc mes affaires chez Alice (n'ayant plus d'appartement à Paris), laissai cette dernière ainsi que Julia partir chez nos amis en premier, et quelques heures plus tard, je toquai à la porte de l'appartement des frères.

J'explosai de rire face à la tête d'Hakim : il se tenait là, sans rien dire, les yeux et la bouche grande ouverte, sans qu'aucun son n'en sorte.

– Putain je connais ce rire ! lança Théo derrière lui.

– Princesse c'est pas sérieux ?!

Hakim me donna une brève accolade et me laissa rentrer. Je balayai la pièce des yeux à la rechercher de la personne la plus importante à mes yeux, Raph, mais ne le trouvai pas.

Mais mes yeux ne tardèrent pas à se poser sur quelqu'un d'autre et je courus littéralement dans les bras de Ken, qui se précipitait déjà dans ma direction. Nous nous entrechoquâmes et nos bras ne tardèrent pas à s'enrouler autour de l'autre. Ça m'avait tellement manqué ! Je voulais rester ici toute ma vie. Mais nous nous détachâmes finalement et nous regardâmes dans les yeux en souriant comme des benêts, sans rien dire. Il n'avait pas changé, il était même toujours aussi bronzé que cet été, probablement le résultat de son séjour en Californie quelques jours auparavant.

– T'as maigri, me dit-il finalement, les yeux plissés par son sourire.

– C'est parce que je me nourris pas uniquement de kebabs là-haut.

Nous nous sourîmes encore quelques secondes, puis je revins à la réalité et embrassai tous nos amis.

Lorsque mon regard se posa sur Deen, mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je pestai intérieurement contre moi-même : je n'allais jamais m'en remettre, c'était pas possible. Il était vraiment beau. Sa masse musculaire plus importante témoignait de sa motivation à continuer de fréquenter la salle de sport. J'avais quand même pu profiter de sa tête via les réseaux sociaux, me faisant souvent du mal, mais le voir de nouveau en vrai était complètement différent. J'avais envie de lui enlever sa casquette et de passer ma main dans ses cheveux comme j'avais l'habitude de le faire.

Son regard se posa brièvement sur moi avant qu'il ne détourne les yeux d'un air gêné. Il était flagrant qu'aucun de nous ne savait comment réagir. Je me dirigeai vers lui en évitant soigneusement de croiser de nouveau son regard et lui fis simplement la bise avant d'investir un autre coin de la pièce, le plus loin possible de lui. Je n'avais pas envie de sentir mon ventre se tordre toute la soirée.

Mon frère n'était toujours pas là et j'étais quelque peu déçue.

– Il arrive, il avait des dossiers à déposer à la fac j'crois, dit Idriss qui avait probablement compris qui je cherchais.

En effet le trajet allait être long : Raphaël était maintenant inscrit en Master 2 et ses cours se trouvaient dans la banlieue Sud de Paris.

Je m'installai donc sur les canapés, juste à côté de Ken, pour compenser notre temps de séparation, et celui-ci passa un bras sur mes épaules et m'attira contre lui. On était bien à la maison.

– Eh Elma, on a regardé tous tes matchs ! dit fièrement Moh.

– C'était de la torture, continua Ivan, on a pas pu passer une soirée sans qu'il y ai un abruti pour vouloir regarder !

– Tout ça pour perdre en plus, me taquina Antoine, à qui je tirai la langue.

On me servit un verre d'alcool et nous trinquâmes à mon retour.

– Bon et sinon à part cracher sur ma gueule, vous avez des trucs gentils à me dire ou vous voulez que je me casse ?

– Ah bah voilà, je me demandais quand t'allais le dire ! s'exclama Jekhyl, assis à côté de moi. Maintenant que tu le dis, ce serait bien que tu bouges.

Je m'affalai sur lui et continuai d'un ton théâtral :

– Pourquoi tant de violence envers ma personne ? Moi qui suis si facile à vivre, si calme, si attentionnée, et si bonne.

– C'est vrai que t'es bonne Elma, constata Idriss, ce qui lui valut une salve de capsules de bières et autres projectiles en tout genre.

Maxime tentait en vain de se débarrasser de ma carcasse, mais je pesais de tout mon poids contre lui.

– Je fais le mec saoulé mais j'avoue que ça m'avait un peu manqué tes conneries, dit-il.

Je me relevai, surprise par l'honnêteté qui perçait dans sa voix.

– Bah ouais fais pas la meuf surprise, tu sais bien que tu nous a manqué, dit Doums.

– Oooh ! Vous êtes adorables ! Les rappeurs les plus mignons du rap game, dis-je d'un air moqueur.

Une salve de projectiles s'abattit cette fois sur moi et nous continuâmes notre soirée en buvant, riant, et en racontant toutes les anecdotes des trois derniers mois.

Soudain, alors que j'étais en pleine discussion avec Louis sur quelques uns de ses projets, la porte de l'appartement s'ouvrit :

– Wesh les p'tits potes !

Je sursautai puis fus prise d'un frisson, n'ayant pas entendu cette voix en vrai depuis beaucoup trop longtemps. Je ne su pas trop ce qu'il se passa ensuite, mais quelques secondes plus tard j'étais pendu au cou de mon frère, mes jambes autour de sa taille et enfouissais ma tête dans son cou. Ses bras d'abord ballants à cause de la surprise se refermèrent autour de moi fermement et je l'entendis souffler contre mon épaule :

– Putain j'arrive pas à y croire.

– Pourtant je suis bien là.

Raphaël Duprés-Clarkson, l'homme de ma vie. Le monde pourrait s'arrêter de tourner, je pourrais perdre tous mes amis, la ville pourrait brûler... Tant que j'avais mon frère jumeau, je m'en fichais.

Il me déposa finalement sur le sol après de longues secondes, et nous nous regardâmes, les larmes aux yeux, pour nous analyser sous toutes les coutures. Il me fit tourner pour me regarder, et je pris son visage dans mes mains pour l'examiner :

– T'as maigri, dis-je très sérieusement en laissant une main sur sa joue.

Il n'avait effectivement pas sa tête des bons jours. Sa barbe ne parvenait pas à masquer ses joues creusées et d'amples cernes s'étaient formées sous ses yeux.

– T'inquiètes, c'est surtout les cours qui me fatiguent. Mais je te promets qu'on en parlera plus tard, pour l'instant je veux juste qu'on profite avec nos potes.

Raphaël s'avança dans la pièce et checka les gars un par un. Je m'assis ensuite sur ses genoux, ses bras vinrent entourer ma taille et je me laissai basculer en arrière avant de placer mes paumes sur ses mains.

– Eh les gars, ça fait que cinq mois, souffla Eff. Après elle repart pour six mois, ça va être tendu si vous avez déjà ce genre de réaction maintenant.

– T'inquiètes on gère, dis-je, ne croyant pas du tout à mes propres paroles.

En effet, on n'avait même pas encore fait la moitié et je sentais que la deuxième partie de l'année allait être très longue. Mais ce n'était pas le moment d'y penser.

– Ken ! L'album ça avance comment ? lançai-je.

– Ça devrait être près pour le milieu d'année si tout se passe bien.

– Je pense que ça va être l'album de l'année, dit mon frère. En toute objectivité.

– Je veux tout entendre ! m'exclamai-je comme une enfant capricieuse.

– T'inquiètes, c'est prévu. Tu sais bien que t'es ma critique number one, me répondit le rappeur avec un clin d'œil.

Je levai les yeux au ciel : quel lèche-cul !

Les verres s'enchaînèrent vite, et je remarquai rapidement que ma tenue de l'alcool avait fortement diminuée en seulement quelques mois.

– Comment il va Raph ? demandai-je à Idriss en milieu de soirée alors que mon frère était en pleine discussion avec Deen au fond de la pièce.

– Tu veux pas lui demander directement ?

– Je veux ta version avant pour savoir s'il enjolive la réalité ou pas.

Le rappeur soupira, probablement tiraillé entre sa loyauté envers son pote et son honnêteté envers moi :

– Ça se voit que ça se dégrade mais c'est pas ouf comme différence. En vrai il va bien, il a eu aucun séjour à l'hosto', aucun changement de traitement, que dalle. Juste, il est fatigué à cause de la fac et je crois qu'il a un peu maigri parce que tu lui manques, mais sinon il gère, t'as vraiment pas à t'en faire.

Je souris à mon ami. Je ne le dirai jamais assez, j'étais très heureuse que mon frère et moi soyons aussi bien entourés :

– Merci Idriss, tu gères.

– Ouais je sais !

Sur ses paroles pleines d'humilité, une horde de filles débarqua dans l'appartement. Ah, le harem était arrivé !

J'en reconnus quelques une qui ne tentèrent même pas de cacher leur agacement quant à ma présence et à celle de Julia et d'Alice, et je leur lançai de grands sourires de ma spécialité, un subtil mélange de foutage de gueule et d'hypocrisie.

L'une d'elle se dirigea sur les genoux de Deen et l'embrassa fougueusement. Un peu de retenue mademoiselle non ?

J'aurais menti si j'avais dit que ça ne me faisait rien. J'étais morte de jalousie. C'était vraiment la femme parfaite pour Deen : le teint hâlé et les cheveux lisses et soyeux, elle portait une robe bien collante mettant en valeur son énorme poitrine et soulignant les courbes de son corps, sans négliger son important derrière. Elle était vraiment bien foutue. Rien à voir avec moi et mes cheveux ondulés indisciplinés (pour une fois que je ne les avais pas attaché), mon jean troué, mon T-shirt Queen, ma chemise de bûcheron et mes éternelles Dr Martens qui avaient connu de meilleurs jours.

Je détournai rapidement le regard, ne souhaitant pas me torturer plus longtemps. Malheureusement tous mes amis ou presque étaient occupés avec une fille. Je levai les yeux au ciel, gentiment exaspérée : ah les mecs et leurs queues !

Je me levai et pris mon frère par la main pour l'emmener avec moi dans la cuisine. La fille à côté d'Idriss, la même que la dernière fois, me regarda en faisant danser ses sourcils.

– C'est mon frère, espèce de gourdasse, soupirai-je.

Elle me lança un regard noir mais ne s'aventura pas plus loin. Dommage, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas engueulé avec quelqu'un.

– Bon... Débriefing ! lançai-je à Raph en m'avachissant sur le lit d'un des frères.

Il me tendit son téléphone sur lequel se trouvaient tous ses résultats d'examens et des courbes d'évolution.

– Alors... Au niveau des antibios ça va, j'ai toujours pas développé de résistance à ceux que j'ai maintenant, même si j'ai dû faire une corticothérapie... La kiné on continue toujours comme avant, y'a rien eu de spécial pour changer l'approche. J'ai refait un test pour les mucolityques mais comme pour les premières fois l'efficacité a pas été ouf donc je pense que je vais abandonner l'idée. Et puis voilà.

– L'alimentation ?

– J'ai perdu pas mal de poids et j'ai du mal à en reprendre là j'avoue... Mais t'inquiètes, dans l'ensemble ça va quand même. Et puis l'appareil pour la glycémie que tu m'as acheté franchement ça change la vie.

Je hochai la tête en analysant la synthèse sur son téléphone :

– Ok, ça m'a l'air bien, dis-je en souriant.

Mon frère leva les yeux au ciel :

– Tu casses les couilles quand tu fais le toubib !

– Tu te sens bien quand même ? lui demandai-je sans faire attention à sa remarque. Parce que t'as vraiment une sale gueule.

– Mais oui t'inquiètes. On a tous la même gueule dans ma promo, je peux te jurer que c'est pas seulement à cause de la muco.

– Tu t'en sors ?

– Ouais, j'adore ça de toute façon donc c'est pas un calvaire.

Effectivement mon frère était un passionné et se donnait à fond dans ses études parce qu'elles lui correspondaient totalement. Il m'en parla ensuite pendant une demi-heure avec des étoiles dans les yeux. Toute la passion qu'il mettait dans ses explications rendait la physique intéressante.

Soudain, quelqu'un toqua à la porte et mon frère et moi nous retournâmes pour apercevoir la tête de Deen. Encore une fois, mon cœur fit un bon dans ma poitrine. Bordel de merde il allait falloir que je me réendurcisse.

– Je peux te parler Elma ?

J'acquiesçai en me levant tandis que mon frère quittait la pièce, et Deen vint se tenir en face de moi. Mon cœur battait la chamade, et je me fichai des claques mentales pour me punir d'être aussi faible.

Nous nous regardâmes dans les yeux sans rien dire, et je priai pour qu'il n'y lise pas toute l'affection qu'il me restait pour lui ; je ne voulais pas être la fille éperdument amoureuse du rappeur dont le cœur était déjà pris.

Le silence qui régnait dans la pièce était vraiment très pesant. Je n'avais plus qu'une envie : me ruer sur la porte et disparaître.

– Je suis content de te voir, dit-il finalement.

Menteur. Pas après ce que je t'ai dit, sûrement pas.

– Moi aussi...

C'était carrément un euphémisme.

Nous nous parlions comme si nous faisions connaissance pour la première fois, c'était affreux.

Après avoir joué avec sa chevalière pendant quelques secondes, il releva la tête :

– Par rapport à Hana... commença-t-il avec hésitation, je veux pas que ce soit bizarre pour toi, alors si ça te dérange qu'elle soit collée à moi comme ça, je peux lui parler.

Ah c'était donc ça. La seule mention de sa nouvelle copine parfaite me fis l'effet d'un coup de couteau.

– Nan nan t'inquiètes ! Vous êtes ensemble, c'est normal, vous faites ce que vous voulez. Je suis personne pour vous en empêcher.

– T'es sûre ?

Pourquoi il insistait putain ?

– Ouais t'inquiètes ! lançai-je joyeusement en souriant. Je vous souhaite plein de bonheur !

Ma dernière phrase sonnait tellement faux ! J'avais envie de me mettre une claque pour me punir de l'avoir formulée.

Deen fit semblant de me croire et m'offrit son plus beau sourire assuré :

– Cool !

Je me retenais de ne pas le claquer pour effacer cet air si sûr de lui de son visage. Il n'avait vraiment aucune idée de ce que je ressentais pour lui.

– Cool...

Nous nous regardâmes en silence pendant quelques secondes, tous les deux gênés.

– Bon et puis je suis désolée de la façon dont on s'est quittés, dis-je finalement, pensant qu'il était temps d'enterrer la hache de guerre. Maintenant que t'es avec Hana y'a plus de soucis hein ? On peut redevenir potes ?

C'était un peu mesquin de ma part de lui rappeler notre relation en comparant avec sa nouvelle copine. Mais je n'avais pas pu m'en empêcher.

Je cru voir son sourire s'affaisser quelque peu mais il reprit rapidement d'un air serein :

– Ouais de ouf, comme avant nos conneries.

Je ne l'aurais pas formulé comme ça mais oui.

Je lui tendis la main et il la serra :

– C'est cool de te retrouver Elma.

Son dernier mot prouvait que justement non, il ne m'avait pas retrouvé et qu'on ne se retrouverait probablement jamais.

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