Chapitre 64. « Don't think twice, it's all right »
Quand Deen avait quitté son propre appartement une semaine plus tôt après mon annonce, j'avais tout fait pour ne pas fondre en larme.
Ça avait fait beaucoup plus mal qu'avec Alexis. Tellement plus que ce n'était presque pas comparable.
J'avais donné mon meilleur jeu d'actrice pour que les choses se fassent doucement, intelligemment, sans grand mélodrame. C'était la meilleure décision. Il ne fallait pas qu'il développe des sentiments pour moi avant mon départ.
Pas comme j'en avais développé pour lui.
Parce que oui, même si je m'étais voilé la face pendant très longtemps, je savais que j'étais amoureuse de cet abruti. Je l'avais su pendant des semaines avant d'apprendre pour mon contrat, mais je n'avais pas voulu me l'avouer. C'est seulement quand j'avais dû signer les papiers que je m'étais rendu compte de l'ampleur qu'avait pris notre relation. Pour moi en tout cas.
La réaction de Deen quant à elle, très détachée et cartésienne, m'avait prouvé qu'il ne s'était pas fait avoir aussi facilement que moi. Tant mieux. Je pouvais partir plus tranquille sachant qu'il n'en souffrirait pas.
Puis j'avais annoncé mon départ à Tarek, Hugo, Ken, Antoine, puis tous nos amis. Ils m'avaient rassuré sur le fait que rien ne changerait entre nous en un an et que l'on trouverait des moyens de se voir. Après tout, ce n'était pas si loin que ça la Norvège.
Ce qui m'avait fait cogiter sur ma décision le plus longtemps, ça avait été Raphaël. En plus de la séparation, sa maladie évoluait vite, et ça me tuait de passer ce temps qui nous était si précieux loin de lui. Mais il m'avait rapidement fait comprendre qu'il m'en voudrait énormément si je ne partais pas à cause de lui.
J'évitais de penser à tout cela alors que mon frère et moi nous trouvions dans la fosse de L'Olympia pour le concert de L'Entourage.
L'Olympia. Je n'arrivais pas à y croire, ils l'avaient vraiment fait. J'étais tellement fière d'eux, et encore, il n'y avait pas de mot assez fort pour décrire ce que je ressentais. Alors que je me dandinais en rappant aux côtés de Raph, d'Alice, de Stine et de Julia, je voyais de temps en temps les yeux de mes amis essayer de se poser sur moi et je les voyais esquisser des sourires lorsqu'ils y parvenaient. Et en plus ils se permettaient de se foutre de ma gueule.
Une fois le concert terminé, mes quatre acolytes et moi nous ruâmes en coulisse :
– Ça va de vous foutre de ma gueule oui ? réprimandai-je gentiment mes amis, qui rigolèrent tandis que Julia rejoignait Théo et qu'Alice et Stine allaient embêter Doum's.
– C'est même pas ça en vrai Elma, dit Antoine. Enfin, pour moi. Juste je me sens trop fier quand je vois la fierté dans ton regard.
Cet abruti avait réussi à m'attendrir.
– J'ai pas le droit à mon câlin d'après concert ? me demanda Ken en débarquant avec une serviette sur les épaules.
Je me reculai de lui, sachant très bien où il voulait en venir :
– Bouges, lui dis-je sèchement en continuant à marcher à reculons.
Son t-shirt était maculé de sueur et je n'avais aucune envie d'y goutter.
Mais le mur derrière moi arriva vite et me bloqua dans ma fuite. Le rappeur pu donc m'atteindre et m'attira dans ses bras en se dandinant bien pour être sûr d'être bien essuyé. Je restai rigide puis lui tapotai le torse pour le faire dégager, ce qu'il ne tarda pas à faire.
– Espèce de gros dégueulasse !
Il déguerpit, un grand sourire sur le visage, fier de lui.
– Bon au fait, ce soir on a les partiels de Lissa et d'Elma à fêter !
Les gars se retournèrent vers Ken, seule personne au courant de la nouvelle : j'avais été admise avec une moyenne de 18.452.
– Bah wesh et même pas ça nous le dit ! râla Moh.
– De ouf, Lissa elle nous l'a dit direct elle, se plaignit Idriss.
– Roh on s'en branle, tant que ça fait une excuse pour boire, dit Louis.
– En tout cas bien ouèj Elma, t'es ma championne ! déclara Doum's avant de me prendre sur son épaule comme un sac à patate et de me faire voyager partout dans la pièce.
Je sentais que cette soirée allait mal se finir.
[...]
Mes frères et moi passâmes ensuite une semaine géniale dans les Pyrénées au début du mois de juillet. Nous étions en train d'y accumuler les conneries et les histoires à deux balles. Qu'est-ce qu'ils allaient me manquer. Comme une mère avec ses enfants, je me posais mille questions quant à ce qu'ils allaient faire sans moi.
– Faites-moi descendre ! hurla Tarek.
Nous étions tous les quatre en bas d'une falaise pour faire de l'escalade, et Tarek n'appréciait apparemment pas l'altitude. Mon jumeau, qui était censé l'assurer, le faisait bouger le plus possible tandis que notre rebeu national se cramponnait à la corde, ayant abandonné l'idée de s'accrocher à la paroi de la roche. Hugo et moi étions assis par terre, écroulés de rire.
– T'es sûr ? demanda Raphaël.
Tarek jura et insulta mon frère en arabe avant d'enchaîner :
– Duprés je te jure tu me descends pas je trouve un moyen de descendre quand même et je te fais manger tes morts !
Mon frère éclata de rire puis décida que la torture avait assez duré et fit descendre notre ami. Celui-ci fulminait encore lorsqu'il arriva en bas, et sa peau au teint d'habitude hâlé avait soudainement éclaircie.
– Oh putain Bouhied, merci ! dis-je toujours morte de rire en essuyant mes larmes.
– J'ai trop mal au ventre, souffla Hugo en respirant difficilement.
Tous les deux pleurions de rire, Raphaël avait les larmes aux yeux à force de se retenir et Tarek était vexé :
– C'est ça moquez vous bande de hmar. T'façon y'a que des babtous pour décider de grimper sur des cailloux pour le plaisir.
Notre semaine continua dans la bonne humeur, à base de randonnées, de campings sauvages à l'alcool, de baignade dans des lacs divers, de canyoning et autres conneries en tout genre.
– Alalah vous allez me manquer ! lançai-je le dernier jour, bourrée, dans mon sac de couchage.
– Pas toi ! dirent-ils en chœur.
– Super les potes.
– Fallait pas décider de nous abandonner... déclara Tarek.
Depuis mon annonce, celui-ci faisait semblant de m'en vouloir à mort.
– T'es vraiment un beusenot Bouhied.
– Je sais... Mais c'est parce que je t'aime bien.
– En vrai tu vas nous manquer aussi, dit finalement Hugo. Mais on a pas besoin de te le dire, c'est une évidence. S'pèce de connasse.
Nos paroles étaient de plus en plus décousues par la fatigue.
– Hmm... Bah en tout cas j'vous aime les gars.
– On t'aime aussi, dirent-ils encore en chœur.
[...]
On est des produits d'nos environnements
Nos mères auraient voulu qu'on grandisse autrement
On est conditionnés à l'emprisonnement
Bats toi, bats toi, lie tes actes à ton raisonnement
On est des produits d'nos environnements
Nos mères auraient voulu qu'on grandisse autrement
On est conditionnés à l'emprisonnement
Bats toi, bats toi, c'est à nous de prendre les devants
La voix de Deen me faisait frissonner et m'énervait en même temps : putain mais quand est-ce que ces saloperies de sentiments allaient s'en aller ? Quand est-ce que mon ventre aller arrêter de se serrer rien qu'en le voyant ?
Son regard me croisait de temps en temps. Je savais qu'il était au courant de l'effet que cette musique me produisait, puisque je passais mon temps à la chantonner et que je lui avais dit que j'aimais l'entendre faire de même.
Lui et moi ne nous parlions presque plus, tout était devenu froid, comme si l'amitié qui avait précédé notre relation n'avait jamais existé. Cela me rendait très triste et je voulais obtenir des explications de sa part ; nous nous étions quand même quitté en bon termes, nous pouvions tout de même continuer à nous comporter comme des amis non ?
Après une bonne semaine dans les Pyrénées, puis quelques jours à Chamonix pour soutenir mon frère dans une compétition d'escalade avec Tarek et Hugo, je me trouvais maintenant en Belgique pour un festival auquel était convié L'Entourage.
Je connaissais tellement leurs musiques par cœur que j'aurais pu aller rapper avec eux sur scène, ce qui m'avait d'ailleurs été proposé par Doum's.
À la fin de leur prestation, je me dirigeai vers une buvette pour prendre une pinte de bière avant de les rejoindre. Il fallait au moins ça pour me rafraîchir. Aussitôt arrivée vers mes amis, ma bière me glissa des mains pour rejoindre les lèvres d'Antoine :
– Ah cimer Elma, c'était juste ce qu'il me fallait !
– Vas t'en chercher une, s'pèce de voleur ! boudai-je en reprenant ma bière.
Il me fit une moue faussement vexée, et je lui cédai, puis ne tardai pas à céder à tous mes autres amis : je m'improvisai serveuse et fis un nombre incalculable d'aller-retour avec des bières en main.
Pour la dernière tournée, Deen vint m'aider.
– Ah ça y est, tu me fais plus la gueule ? lui lançai-je.
– Je te faisais pas la gueule.
Son ton détaché me prouvait pourtant tout le contraire.
– Si tu le dis.
Un silence s'installa, premier silence pesant entre nous.
– Tu voulais que je fasse quoi ? demanda-t-il finalement d'un ton sec. Qu'on fasse comme s'il s'était rien passé ? Parce que je suis désolé mais il s'est quand même passé deux trois trucs depuis septembre si ma mémoire est bonne..
– Putain mais t'es sérieux ? On s'est tous les deux mis d'accord sur le fait que c'était la meilleure solution de pas rester ensemble, mais on s'est pas dit de s'ignorer pour autant. Enfin, merde Mika, t'es mon pote au même titre que les autres !
– C'est toi qui tient pas parole, t'es vraiment qu'une flippette ! On avait dit qu'on essaierait et à la moindre contrainte tu fuis ! Tu peux même pas savoir si ça aurait fonctionné puisque tu veux pas essayer. T'es une putain d'hypocrite.
– Il valait mieux qu'on arrête avant d'avoir des sentiments... dis-je faiblement, essayant de ne trahir aucune émotion.
– Ouais bah voilà, comment tu peux savoir s'il y allait forcément avoir des sentiments hein ? Si tu veux pas essayer ?
– Mais parce que si on passe un an à des centaines de kilomètres l'un de l'autre sans sentiments tu vas forcément voir d'autres meufs !
Le visage du rappeur se tendit, et je sus immédiatement que j'étais allée trop loin. Ce que je lui disais était totalement injuste parce que je savais que je pouvais lui faire confiance. Mais il fallait que je continue, pour qu'il ne remarque pas que si je faisais tout ça, c'était par fierté : parce que je l'aimais mais qu'il ne m'aimait pas.
– Dans tous les cas on va se faire du mal Mika, ça sert à rien.
Son regard dur manifestait une envie de m'en coller une. Et même si je le méritais plus que quiconque, Deen était trop intègre pour le faire.
– Putain bah heureusement que j'ai jamais eu de sentiments pour toi parce que je souhaite bien du courage à celui qui en aura. Tu vas finir seule à ce rythme-là Elma.
« Elma ». Putain qu'est-ce que je détestais ça venant de sa part. Au moins il m'avait confirmé ce que je pensais depuis le début, le fait que mes sentiments n'étaient pas réciproques, et que je ne faisais pas tout cela en vain. Même si ça faisait terriblement mal.
– Bon, bah je crois qu'on s'est tout dit hein, conclus-je.
– Ouais.
Le rappeur partit avec les bières maintenant tièdes, me laissant avec pour seule compagnie une certaine solitude à laquelle j'allai devoir vite m'habituer.
[...]
J'avais passé les derniers jours de juillet auprès de ma famille, profitant de mes derniers moments en France avec eux. Sohel avait beaucoup pleuré lorsque je lui avais annoncé mon départ quelques semaines plus tôt, mais ce n'était rien à côté du moment où j'avais quitté la maison. Mon père avait littéralement dû me l'arracher des bras pour que je puisse partir. J'avais faillis fondre en larmes devant toute ma famille tellement il m'avait brisé le cœur.
Mon père avait été ravi de savoir que j'avais été recrutée par un club comme Larvik, et même s'il avait du mal à me voir partir si loin, il était apparemment terriblement fier de moi.
C'est donc le dernier weekend de juillet que tous mes amis m'accompagnèrent à l'aéroport, après avoir fait mes adieux à Dijon, pour entamer quatre semaines de préparation en Norvège, puis une nouvelle saison.
J'étais tellement excitée à l'idée de partir ! J'en trépignais d'impatience depuis des semaines ! Mais plus la date de mon départ approchait, moins j'avais envie de partir. J'appréhendais beaucoup de laisser mes amis derrière moi, et les adieux furent beaucoup plus durs que ce que j'avais imaginé :
– Putain tu vas manquer Elma...
Antoine avait l'air au bout de sa vie. S'il commençait comme ça j'allais forcément finir en larmes dans l'avion.
– Vous aussi, je sais plus comment je faisais avant, sans vous.
Les passants fixaient notre groupe avec curiosité. Il fallait dire que ma bande de voyou était assez imposante puisque tout le monde était là.
J'enlaçai chacun de mes amis, leur glissant chacun un petit mot à l'oreille.
– On te jure qu'on va pas te remplacer Malou, me promit Alice en me faisant un câlin.
– Ouais, mais par contre on t'attendra avec impatience, continua Julia en se rajoutant à notre étreinte.
– Ce sera pas pareil sans toi, mais tu verras, c'est magnifique la Norvège, me dit chaleureusement Stine en finalisant le câlin groupé.
Ne pas pleurer, ne pas pleurer, ne pas pleurer.
– Je vous aime les meufs, dis-je timidement de façon à ce que seules les filles m'entendent.
Les trois m'adressèrent un regard surpris, Alice émis un « Moooh » attendrit avant de me prendre de nouveau dans ses bras, Julia rigola en disant que je devais vraiment être au bout de ma vie pour dire des choses pareilles et Stine se moqua en disant que j'étais devenue une fragile depuis quelques mois.
Un an loin de ces trois nanas d'exception, ça allait être long.
Je me défis finalement de l'étreinte d'Alice et me détournai vite d'elle avant de pleurer en voyant ses joues baignées de larmes.
Avec la gêne et la tension qui s'était installée entre Deen et moi, nous nous contentâmes d'une petite accolade assez froide pour sauver la face devant nos amis. J'avais envie de lui sauter dans les bras pour tout lui dire, lui dire que je l'aimais et que je voulais qu'on essaye quelques chose. Mais je savais que ça n'aurait servi à rien.
Il ne restait plus que Ken et Raphaël. Je me dirigeai vers ce dernier. Ne pas pleurer, ne pas pleurer, ne pas pleurer. Mais mes yeux me piquèrent bien vite.
Nous nous regardâmes sans rien faire, les larmes aux yeux, comme deux idiots. Puis mon frère s'approcha et me serra de toutes ses forces contre lui en maintenant ma tête contre son torse.
– Tu vas me manquer Mel... dit-il faiblement en m'embrassant le crâne. Mais on va y arriver, c'est qu'un an.
– Tu prends soin de toi hein ? Fais pas le con, je t'en supplie, fais attention à toi.
Mon frère me serra encore plus fort, si c'était possible, et je resserrai moi aussi mon étreinte.
Je pouvais tout annuler, là, maintenant, et rester auprès de lui.
– N'y penses même pas.
Comme d'habitude, il avait deviné ce à quoi je pensais.
Je me décollai de lui et levai les yeux au ciel pour retenir une larme qui n'allait pas tarder à m'échapper :
– Raphy...
– Je sais. Moi aussi.
Je déposai de multiples baisers sur les joues de mon jumeau, me blottis une dernière fois contre lui, puis me tournai finalement vers Ken. Qu'est-ce que j'allais faire sans lui ? Et qu'est-ce qu'il allait faire sans moi ?
– Allez, pas de scène de petite meuf, me dit-il avec un sourire coincé et une voix rauque qui trahissait son émotion.
Je me pendis à son cou et le serrai du plus fort que je pouvais :
– Prends soin de Raph', s'il te plaît, prenez-en tous soin. Et prends soin de toi aussi, surtout prends soin de toi.
– Il est grand, on est grands, il a pas besoin de nous, et j'ai pas besoin de toi. Il a pas besoin de toi non plus, tu peux partir tranquille. Et t'as intérêt à nous ramener des médailles Princesse !
Il m'embrassa le front et replaça une mèche de cheveux derrière mon oreille, puis je pris mes bagages. C'était le moment.
– J'vous aime les gueux ! lançai-je avant de me tourner et de quitter le hall.
Je ne pus retenir mes larmes que jusqu'au couloir d'embarquement.
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