Chapitre 56. « On n'est pas du même groupe sanguin »

Vendredi 16 mai 2014, dernier jour de partiel. Cela faisait près de deux semaines que je m'interdisais de voir mes amis pour me concentrer exclusivement sur mes révisions. Je ne m'étais autorisée à voir Deen que quelques fois et c'est à ses côtés que je me réveillai à sept heures du matin. L'épreuve était à dix heures.

– Hmm, restes... grogna Deen d'une voix enrouée alors que j'essayai de m'extirper de mon lit.

Ce con avait un bras tellement lourd que je dû rassembler toutes mes forces pour l'ôter de mon ventre.

Je me retournai pour l'embrasser mais il m'entoura rapidement de ses bras et m'attira contre lui en me serrant tellement fort que je ne pouvais plus respirer.

– Mika j'ai des partiels, tentai-je d'articuler sans m'étouffer. Je veux pas finir au Pôle Emploi comme toi.

Ses bras se détendirent d'un coup et il me repoussa en grognant :

– Vas-y je sais même pas pourquoi je sors avec toi, t'es qu'une sorcière.

– Et toi tu pues du coude.

Ma remarque eut le mérite de le faire rire et il remonta la couette jusqu'à son nez pour finir sa nuit.

Vêtue seulement d'un maillot de hand et d'une culotte, je me préparai un petit déjeuner rapide tout en révisant mon cours de civilisation britannique. Heureusement que j'avais une bonne mémoire, seules quelques minutes seraient nécessaires à ce que je retienne la soixantaine de dates.

– Ce tarpé ! admira l'homme des cavernes dans mon lit.

Je ne daignai même pas me retourner vers lui, lui adressant seulement un doigt d'honneur dans mon dos tout en continuant à faire cuire mes pancakes en relisant mon cours.

Je l'entendis glousser et se retourner. Allez, pépère retournes dans les bras de Morphée.

– Tu sais que ça sert à rien de réviser au dernier moment... articula-t-il faiblement.

– Rendors-toi Monsieur « je-me-suis-inscrit-en-master-et-j'ai-pris-la-place-de-quelqu'un-d'autre-parce-que-je-suis-jamais-allé-en-cours ».

Je me retournai pour voir sa réaction, et comme moi quelques secondes plus tôt, il ne fit pas l'effort de se retourner et je pus seulement apercevoir un doigt d'honneur sortir de sous la couette.

Deux heures plus tard, j'étais fin prête et je prenais mes affaires avant d'affronter mon examen. J'embrassai la masse inerte dans mon lit sur la joue et me dirigeai vers la sortie.

– Merde, m'encouragea le rappeur dans une faible souffle.

Quel entrain ! J'étais sûre que son encouragement allait tout changer.


[...]


– Il vous reste quinze minutes, pensez à conclure !

Allez Maëlle, en cinq minutes elle est torchée ta conclusion.

Je n'avais jamais autant gratté de papier. J'en étais déjà à ma deuxième feuille double et ma main m'en voulait terriblement.

– Stop ! C'est fini, posez vos stylos et venez émarger.

Bon. Je ne m'étais pas totalement chié. Pour dire la vérité j'étais plutôt fière de moi et je pensais obtenir une assez bonne note.

Je sortis de la fac pour la dernière fois de l'année, plus légère que jamais. C'était enfin fini, la saison de hand aussi, j'étais enfin en vacances.

– Bon les gars on fait quoi ? demandai-je à Clémence et Jules après que nous eûmes débriefé sur le partiel.

– On va se boire un coup ? proposa Clémence. Un petit truc posé histoire de relâcher la pression ?

– Je suis chaud ! déclara Jules.

Nous commençâmes à marcher en direction d'une terrasse à laquelle nous aimions nous poser, et je plissai les yeux à l'approche d'un homme dans notre direction.

– Ouah les gars c'est Nekfeu, chuchota Clémence.

– Sérieux ? m'exclamai-je.

Lorsque l'homme fut devant nous je constatai qu'il s'agissait bel et bien de Ken et mon sourire déjà présent depuis la fin de l'épreuve ne fit que s'élargir :

– Bah qu'est-ce que tu fais là ? demandai-je à mon ami en le checkant.

– Je passais dans le coin.

– Ah l'excuse ! m'exclamai-je. Avoues je t'ai trop manqué !

– Que dalle, tu fais tes choix, si tu préfère voir Bigo alors qu'il est carrément moins bien que moi c'est ton problème.

Je ris, puis me rappelai que j'étais avec mes deux amis de fac et me tournai vers eux pour les présenter, mais ils ne me laissèrent pas faire :

– Genre t'es pote avec Nekfeu ?

Jules était pantois, et je partis en fou rire.

Quelques minutes plus tard, je me retrouvai seule avec Ken, ayant réussi à négocier avec mes amis pour fêter la fin des partiels un autre jour. Je n'avais pas vu mon grec depuis trop longtemps.

– On se pose à notre spot ? demandai-je énergiquement.

J'avais vraiment la patate et la perspective de ces quelques mois de vacances me mettaient de très bonne humeur.

Un trajet en métro, un passage au supermarché pour acheter des bières, une virée chez notre grec de d'habitude pour repartir avec deux barquettes jaunes, et une courte marche plus tard, nous étions assis sur notre quai préféré.

Je déblatérai depuis plus d'une heure, racontant connerie sur connerie qui faisaient d'ailleurs beaucoup rire mon ami. Il ne parlait pas beaucoup depuis le début, se contentant de sourire ou de rire en mangeant, et je savais que quelque chose n'allait pas :

– Bon Ken, y'a quoi ?

Le rappeur ne fit même pas semblant de ne pas comprendre et se contenta de rester silencieux.

– Allez, je vois bien qu'il y a un truc, j'aime pas te voir comme ça, je veux aider moi.

– T'inquiètes, c'est rien, juste mon daron qui s'est fait viré de son taff, j'ai les nerfs c'est tout.

Il m'expliqua toute la situation, et je ne pus m'empêcher de fulminer en même temps que lui :

– Putain c'est vraiment dégueulasse. Encore des putains de riches qui sortent pas de leur bureau et qui voient pas leurs employés en situation. C'est sûr que c'est moins compliqué de virer des chiffres que des vraies personnes.

Le rappeur ricana.

– Qu'est-ce qu'il y a ?

– Rien, c'était juste exactement ma réaction et de te voir te vénère ça me fait redescendre.

Ah bah d'accord. Bon bah en même temps, tant mieux, au moins il éviterait peut-être d'aller casser des tibias. Je trouvais d'ailleurs sa réaction très soft pour son caractère, il était dans une colère sourde.

– Pourquoi tu me l'as pas dit direct au lieu de me laisser raconter des conneries ? demandai-je.

– Parce que ça me changeait les idées et puis t'es toujours joyeuse, c'est ultra contagieux, j'avais juste besoin de ça et du putain de sourire de ma petite reus.

Je me sentis fondre, il était vraiment adorable.

Nous continuâmes à critiquer la société et à nous énerver pendant au moins une heure, puis une idée de génie me vint :

– Vous avez des trucs de prévu avec le L dans les jours qui viennent ?

– Moi non, le reste du S je crois pas, les autres j'en sais rien. Pourquoi tu veux faire quoi ?

– Te changer les idées.

Je me levai d'un coup et cherchai le numéro de mon entraîneur dans mon répertoire :

– Arnaud, j'aurais un petit service à te demander, commençai-je. Est-ce qu'il serait possible que tu vois avec le club pour que je puisse emprunter un minibus juste pour deux jours ?

Arnaud m'annonça qu'il verrait ce qu'il pourrait faire, puis me renvoya un message et quelques heures plus tard, notre bande d'amis se trouvait dans un minibus en direction de la Bourgogne. Notre groupe se composait de Ken, Moh, Idriss, Raphaël, Deen, Eff, et Hakim.

Tout le monde me demandait où nous allions depuis déjà plus de deux heures, mon frère étant le seul à savoir que je me dirigeai chez nos arrière-grands-parents dans un petit village à une demie-heure de Dijon.

Lorsque nous arrivâmes enfin, ayant circulé au milieu des bois et nous trouvant maintenant devant une ancienne ferme rénovée au bord d'un ruisseau, j'expliquai tout à mes amis :

– Alors on est chez nos arrière-grands-parents, je les ai prévenu et ils ont hâte de vous rencontrer. Ça va leur faire de la compagnie.

– Attends mais on va pas tous s'incruster chez eux ! protesta Idriss.

– Bien sûr que si qu'on va le faire, dis-je en descendant de la voiture.

– On tient tous au moins ? demanda Moh.

– Ouais, on a trop de cousins, ils ont aménagé une pièce dans les combles pour faire un petit dortoir. C'est tout mignon tu verras.

Alors que nous nous approchions de l'entrée de la maison avec tous nos sacs, mon arrière-grand-père débarqua avec son éternel marcel blanc et un vieux short troué, un sac de terreau sur l'épaule :

– Oh bah vous êtes déjà arrivés les p'tiots ! s'exclama-t-il avec son accent cent pour cent bourguignon, roulement de -r compris.

Mon frère et moi nous précipitâmes vers lui pour lui prendre le sac et le poser sur le sol. Il n'était pas croyable ; à quatre-vingt-cinq ans il travaillait comme s'il en avait cinquante.

– Mais laissez-donc ça, je peux très bien le porter, je suis pas un p'tit vieux ! râla-t-il.

Je m'approchai pour l'embrasser tandis que le chien débarquait pour me faire la fête :

– T'as plus vingt ans non plus Papé.

– De toute façon je t'ai jamais aimé toi, me répondit-il sèchement.

J'entendis mes amis rire derrière moi et j'esquissai un sourire amusé. Quand on ne le connaissait pas, on ne savait jamais si c'était du lard ou du cochon.

Mon frère se marra et avant que je ne puisse présenter mes amis, mon arrière-grand-mère débarqua :

– Nan mais c'est quand même un monde ça ! Je lui avais dit de pas porter ça tout seul, il était censé attendre Didier ! râla-t-elle.

Papé lui adressa une grimace, puis elle vint nous embrasser :

– Qu'est-ce que tu es belle ma Maëlle !

Trop mignonne. J'aimais énormément cette femme.

Elle embrassa ensuite mon frère en se mettant sur la pointe des pieds :

– Oh et puis toi, dit-elle en posant une main sur chacune des joues de mon frère pour le regarder dans les yeux.

– Mamé, je te présente nos amis, dis-je en me tournant vers le reste de l'équipe.

Je les désignai un par un et elle les embrassa tous :

– Oh je suis contente d'avoir de la visite ! Ça me changera de ce vieux bougon, dit-elle avec un regard vers Papé.

– Quand j'serai mort tu m'pleureras tous les jours, alors profites-en ! répliqua le concerné.

Ma grand-mère grogna, puis se tourna vers nous tous :

– Allez venez, je vais vous montrer votre chambre !

Mes amis la suivirent, mais je me précipitai sur le sac de terreau que mon grand-père voulait soulever de nouveau :

– Papé arrêtes tu vas te casser le dos ! râlai-je.

– On t'a pas fait venir ici pour que tu m'emmerdes, répliqua-t-il en me bousculant.

Je m'emparai tout de même du sac tant bien que mal, celui-ci étant quand même vraiment très lourd :

– Je te le mets où ? articulai-je.

– Vain diou, qu'est-ce qu'elle est casse-pieds celle-là ! grogna-t-il. On dirait Chloé.

Je souris, toujours fière d'être comparée à ma mère.

– Emmènes-le donc derrière la baraque, je m'en occuperai demain.

– T'en as encore beaucoup ?

– Toute une remorque, mais laisses, tu vas te casser le dos ma grande, t'en as plus besoin que moi. On fera ça demain, là je vais aller boire un canon chez l'Roger.

Sur ce, il se dirigea vers la maison d'en face.

Quelques minutes plus tard, je rejoignais ma grand-mère en cuisine alors que mes amis et mon frère jouaient au foot dans le grand jardin à l'arrière de la maison. Ken et Deen étaient avec elle, discutant avec animation tout en l'aidant à éplucher des légumes :

– Du rop ? demanda ma grand-mère, confuse.

Les deux rappeurs ricanèrent et Ken la corrigea :

– Non, du rap. Vous voulez que je vous fasse écouter ?

Ma grand-mère donna une tape sur la main de Ken :

– Arrêtes de me dire « vous » mon grand ! Et appelez-moi Yvette, ou Vévette ou Mamé, mais ne me dites pas vous. Autrement, oui, je veux bien écouter ton rap.

Ken ricana une nouvelle fois et lui fis écouter Ce Monde. Ma petite mamie se dandina sur la chanson et je ne pus m'empêcher de rire. Les têtes se tournèrent vers moi et je m'avançai dans la cuisine.

– Ah tu es là ma belle ! Ton papy est pas en train de porter ces fichus sac quand même ?

– Nan t'inquiètes, il est en face.

– Roh cet ivrogne... Il m'énerve, mais il m'énerve ! râla-t-elle. 

– Vous êtes mariés depuis combien de temps ? demanda Deen.

– Beaucoup trop longtemps mon grand, beaucoup trop longtemps. Ça va faire soixante-trois ans, quatre enfants, neuf petits-enfants et vingt-et-un arrière-petits-enfants.

– Ah oui, c'est beau, déclara Ken.

– Toi tu es beau mon grand, mais pas mon Henri, ça fait bien longtemps qu'il est périmé !

Nous éclatâmes tous les trois de rire tandis que ma grand-mère continuait de pester contre son mari.

– Au fait, ça a été ton examen ? me demanda-t-elle. Tu l'as pas queuté ?

– Ah ouais c'est vrai je t'ai même pas demandé, continua Deen.

– Queuté ? demanda Ken.

– Ouais, loupé, foiré, raté quoi, répondis-je. Et franchement, je me suis bien débrouillée, je pense avoir une bonne note.

– Il n'y a pas de raison ! s'exclama ma grand-mère. Ton frère et toi vous êtes très intelligents, j'ai su dès vous avez été en âge de parler que vous alliez toujours réussir à vous débrouiller à l'école.

– Comme quoi Raph c'est pas le seul génie, se moqua Deen.

– Oh ça non mon grand ! Raphaël est très intelligent, et il travaille bien, il n'y a pas de doute. Mais Maëlle est brillante, elle n'a jamais rien fait à l'école et ça l'ennuyait parce que c'était trop simple pour elle.

J'étais gênée d'un coup. Je détestais qu'on vante mes mérites, encore plus quand je me trouvais à côté.

– À quatre ans elle commençait à lire toutes les écritures sur les boîtes d'aliments, et à sept ans elle faisait nos comptes en calculant de tête. J'crois bien même qu'à huit ans elle avait appris par cœur tous les rois et les présidents français parce que ça l'amusait.

– C'est bon Mamé, j'aime pas quand tu fais ça.

– Mais il faut bien que quelqu'un le dise puisque t'es trop humble pour le dire toi-même. Ma petite Maëlle c'est la personne la plus intelligente que je connaisse, dit fièrement ma grand-mère.

Mes amis m'adressèrent un regard moqueur et je leur tirai la langue.

– Bon, c'est bien, on est en train de faire à souper, mais à quelle heure qu'il va rentrer encore mon bonhomme ? râla ma grand-mère.

Mes amis et moi rîmes de son malheur, puis nous l'aidâmes à préparer à manger et à mettre la table. Ma petite mamie allait avoir de la main d'œuvre ce weekend !

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