Chapitre 55. « I see a bad moon a-rising »
Ma résolution de calmer mon rythme de soirée ne dura pas longtemps. Quelques jours après ma petite soirée chill chez Ken et Moh, j'étais de retour chez eux pour une soirée bien alcoolisée où les places assises manquaient tellement il y avait de monde.
– Bon les gars, c'est ma dernière soirée avec vous, faut que je révise mes partiels après ! annonçai-je à qui voulait m'écouter.
– Oh nan Elma ! se plaint Idriss, de qui je m'étais quelque peu rapproché depuis qu'il s'intéressait à la maladie de Raph. On aurait su, on aurait fait un truc sépo juste avec le L et sans fumée pour ton reuf.
Sa déclaration attisa les regards brûlants de plusieurs filles présentes autour des garçons, les mêmes que bien souvent. Elles étaient toutes extrêmement bien foutues et bien sapés avec des vêtements assez courts mettant leurs formes en valeurs. Elles auraient presque pu me donner des complexes avec mon corps d'adolescente, mon jean, mon sweat et mes Vans. Mais les gars savaient très bien que si on ne sortait pas, c'était tenue confortable pour moi. J'avais quand même fait l'effort de ne pas mettre de bas de jogging.
– Eh Id, lui répondis-je, ça veut aussi dire que pour fêter la fin des partiels on se met une giga caisse !
Idriss me checka, non sans rajouter :
– Ouais, mais sah on se met une giga caisse ce soir aussi pour fêter ta dernière soirée parmi nous.
Je levai les yeux au ciel. Comme si j'allais déménager à l'autre bout du monde.
La soirée battit son plein et quelques heures plus tard, j'étais vraiment très pompette.
– Vous êtes quand même vachement beaux, tous, déclarai-je à la fin de ma discussion avec Idriss en contemplant celui-ci.
Le rappeur me dévisagea, visiblement surpris, et je me mis à rire :
– Tu verrais ta tronche ! Magique mon pote !
Ma remarque n'eut pas l'air de plaire à Clara, qui, j'avais deviné quelques jours plus tôt, était très intéressée par Idriss. La tête de la jeune fille me fis partir d'autant plus en fou rire :
– Eh t'inquiètes, je vais pas te le piquer, j'ai dis qu'il était beau, j'ai pas dit qu'il était le plus beau.
– J'avoue, y'a mieux, compléta Alice.
Les gars nous fixèrent tous en attendant la suite. Je fis danser mes sourcils en les regardant tous un à un, m'attardant plus sur Deen qui me toisait d'un air voulant dire : « Fais gaffe à ce que tu dis ou je pars avec le plan cul d'un de mes khos ».
– Moi je me casse, déclara la meuf qui tournait autour de Max depuis quelques temps. De toute façon y'en a toujours que pour ces deux putes quand elles sont là.
Je vis Ken se redresser violemment mais Maxime fut plus rapide et lui jeta un regard lourd de sens :
– C'est ça casses-toi, mais par contre reviens surtout pas si tu tiens à la vie, personne insulte Elma et Lissa.
« Lissa »... Des semaines qu'ils utilisaient le surnom donné par Doum's et je ne m'en remettait toujours pas.
Alice et moi nous regardâmes en écarquillant les yeux, surprises, alors que les autres filles suivaient et que la porte se refermait derrière elles :
– Nan mais t'es sérieux Henry ? Fallait la laisser parler, j'en ai rien à battre moi !
– La mif avant les putes, déclara Hakim en levant son verre.
Venant de lui j'étais très touchée. Il avait toujours été méfiant et il venait finalement de me déclarer comme faisant partie du crew pour de vrai.
– On est quand même mieux entre couilles, déclara Théo, ce qui lui valut une claque derrière la tête par Julia.
Quelques heures plus tard, je ne voyais vraiment plus clair et couru aux toilettes. L'alcool que j'avais ingurgité tout au long de la soirée ne tarda pas à sortir.
Je sentis quelqu'un s'accroupir derrière moi et rassembler mes cheveux sur mon dos :
– J'étais sûr que ça allait se finir comme ça, t'as beaucoup trop bu ce soir ma belle...
– D'habitude je tiens mieux que ça... articulai-je faiblement. Je comprends pas ce qu'il se passe. Je suis un bonhomme putain.
Mon copain rigola tout en me caressant le dos avec douceur :
– Je te jure que t'es pas un bonhomme, je suis cent pour cent hétéro.
Un faible rire m'échappa et je me relevai en tanguant :
– Oulah, on dirait que la terre est vraiment ronde, fis-je remarquer.
Deen rigola et m'aida à me stabiliser :
– Toi tu dors ici, y'a pas moyen que tu rentres chez toi.
– Je suis d'accord, ou alors faudrait que tu traînes mon cadavre.
– Flemme.
– C'est ce que je pensais.
Quelques minutes plus tard, et avec l'autorisation du propriétaire des lieux, Deen m'aida à m'avachir dans le lit de Ken.
– Vous faites pas des bails, entendis-je mon mec dire à mon ami.
– Tu fais chier, comment tu sais que mon fantasme c'est Ken depuis le début ? articulai-je très faiblement, sur le point de m'endormir.
J'entendis mon ami glousser, puis la porte se fermer. Qu'est-ce que j'étais bien... L'inventeur du matelas était un putain de génie...
[...]
Je me réveillai à treize heure le lendemain, seule dans l'appartement.
J'avais entendu Ken venir se coucher à côté de moi puis se lever, mais à part ça, j'avais dormi comme un bébé.
Un message de Ken m'indiquait qu'il ne savait pas quand il rentrerait et que je pouvais faire comme chez moi.
Je pris donc une douche avant de me préparer un petit déjeuner et de m'affaler dans le canapé. J'avais clairement la flemme de bouger de chez mes amis pour le moment.
Mais très vite, je commençai à m'ennuyer. Qu'est-ce que je pouvais faire ?
Je commençai alors à ranger l'appartement, puis à tourner dans chaque pièce comme pour visiter.
Mes yeux s'attardèrent ensuite sur le lit de Ken. Je savais ce qu'il y avait en-dessous.
Nan Maëlle, c'est pas bien, il a dit qu'il voulait que personne ne les lise.
Roh allez, juste une feuille, pas plus.
Nan mais vraiment, c'est ton pote, t'as pas le droit de faire ça.
Quelques minutes plus tard, j'étais accroupie devant une feuille maculée de lignes qu'avait écrit le rappeur. Elles n'allaient pas toutes entre elles certaines traînaient au recto, d'autres au verso, et on ne savait pas trop par où commencer. Certaines phrases étaient raturées, d'autres complètement barrées.
Plus je lisais, plus je culpabilisais. Mais j'étais tellement curieuse, et c'était tellement bien ! Ce con avait un talent fou et il ne s'en rendait même pas compte.
Éclairé par le soleil couchant
Et la lumière de la lune à l'aube
Mes deux pieds sur deux plaques tectoniques
Qui s'éloignent l'une de l'autre
Peu d'hommes sincères, Dieu sait qu'on est seul
Et les fautifs se repassent la faute
Mais notre histoire est un trésor renfermant la vérité
Symbole d'espoir laissé dans les cieux
Deux âmes sœurs, les yeux dans les yeux
Deux miroirs en face l'un de l'autre reflétant l'éternité
Je suis une étoile filante, je laisse les traînées derrière moi
Une étoile filante, je les laisse me pointer du doigt
– Putain Elma t'es pas sérieuse ?
J'étais tellement absorbée par ma lecture que je n'avais pas entendu la porte d'entrée s'ouvrir puis se refermer.
Je me relevai vivement et fis face à mon ami. Il avait les poings serrés et m'en voulait visiblement énormément.
Ken se jeta sur tous les papiers qui jonchaient le sol et m'arracha la feuille des mains :
– Putain j'savais que j'aurais dû les brûler.
– Nan Ken arrêtes !
Il se dirigeait maintenant dans la cuisine, prêt à tout fiche en l'air.
Je le poursuivis et tentai de reprendre les feuilles.
– Lâches-moi Elma, j'vais te frapper.
– J'en ai rien à battre ! Jettes rien s'il te plaît !
Il ne m'écouta pas et se défit de ma piètre emprise.
– Putain de merde Ken arrêtes c'est du génie ce que t'écris !
Il se retourna vivement vers moi, le regard brûlant de colère. Si ses yeux avaient été des mitraillettes, je serais morte soixante-quinze fois.
– Je te jure, j'en ai lu qu'une et j'ai rarement lu quelque chose d'aussi beau et bien écrit ! Après je suis peut-être pas très objective parce que t'es l'un de mes meilleurs potes, mais s'il te plait, gardes-les. T'es bourré de talent, ce serait un crime contre l'humanité de jeter ça.
Il reposa les feuilles sur un plan de travail avec violence. Je l'avais rarement vu aussi en colère contre moi.
– Qu'est-ce que tu branlais à les lire d'jà hein ? Putain mais je t'avais dit que je voulais que personne lise ces merdes !
– Je suis désolée, j'ai été trop curieuse. Mais je m'excuserai pas d'avoir découvert ça parce que putain, c'est magnifique.
– Je te jure t'aurais pas été une meuf je t'aurais foutu une patate.
– Mais vas-y, fais-le si ça peut te faire plaisir ! Ça changera rien au fait que je trouve que tu devrais remettre le nez dans ton tas de brouillons parce que je suis sûre qu'il y a d'autres perles dedans.
Je voyais qu'il bouillonnait toujours et qu'il se retenait de frapper ce qu'il avait sous la main. Il fallait que je le calme, je n'aimais pas l'idée de l'avoir perturbé à ce point.
– Viens, je veux te montrer un truc, déclarai-je finalement.
– Je m'en balec' de ton quetru, laisses-moi parce que je te jure qu'à force de voir ta gueule je vais t'en mettre une.
Je déglutis avec difficulté, ayant peur d'avoir perdu mon ami, mais me ressaisi aussitôt : lui et moi on était pareil, et à ce moment-là je savais que je pouvais arranger les choses alors il allait falloir que je le laisse m'en mettre plein la gueule si ça pouvait lui faire du bien.
– Je te donnes pas le choix, allez, suis-moi, on bouge chez moi.
Je ne savais pas par quel miracle j'avais réussi à le convaincre, mais moins d'une heure plus tard j'étais chez moi en compagnie de Ken. Il était toujours aussi remonté, j'avais d'ailleurs cru qu'il allait se battre avec un connard dans le métro, mais au final le trajet s'était déroulé sans encombre.
Je cherchai un vieux cahier dans un tiroir, et le tendis à mon ami :
– Tiens, lis la page que tu veux, lis tout si tu veux même.
Je me sentais toute vulnérable d'un coup. Mais je lui devais bien ça pour ma trahison.
Le rappeur pris le cahier, et l'ouvrit avec hésitation.
– Vas-y je te dis, comme ça on est quitte.
Il lit le début de la première page :
– C'est... ?
– Des lettres à ma mère.
– Nan Elma j'peux pas.
– Vas-y.
Il lit finalement les lettres une par une. Il y en avait seize en tout, certaines longues d'une dizaine de pages. La dernière n'était pas encore terminée, j'étais en train d'y travailler.
Dans ces lettres, je faisais un résumé à ma mère de chaque année passée sans elle, ce que j'espérais pour l'année suivante, et je lui adressai les moments dans lesquels elle m'avait particulièrement manqué.
La dernière parlait beaucoup de mes nouveaux amis et de ma vie sur Paris, et ce fut donc compliqué pour moi de regarder Ken lire des passages où je parlais de lui sans rien faire.
Nous restâmes ainsi en silence pendant une bonne heure. Il avait d'abord été très difficile de regarder mon ami lire en était impuissante, puis je m'y étais habituée et j'avais maintenant la sensation de lui avoir permis d'accéder à une partie de moi.
– C'est... Putain... souffla-t-il en s'essuyant rapidement les yeux. Ça t'aide de faire ça ?
J'acquiesçai doucement. Ça me faisait toujours du mal de voir mon ami comme ça.
– C'est notre psy qui nous avait dit de faire ça quand on était petit avec Raph. Tous les ans on s'échange nos cahiers et on lit ce que l'autre a écrit. Ça c'est pas le psy qui l'a dit, rigolai-je, c'est juste qu'on aime pas se cacher des trucs. Généralement on écrit sous forme de petite liste toute l'année et on commence à rédiger vers avril-mai.
– Vous échangez le jour de sa mort c'est ça ?
– Ouais, le huit juin. Au début on n'avait vraiment rien à dire et on le faisait pas trop sérieusement, ça se voit de toute façon en lisant. Mais depuis quatre-cinq ans on s'applique.
– Putain l'année où tu parles d'Ali ça m'a achevé, dit-il en riant doucement. T'écris vachement bien espèce de connasse, ça m'a rendu fragile pendant quelques secondes. Bon et puis euh... Bah pour ce que t'as dit sur moi... Moi c'est pareil hein...
Je ris nerveusement, amusée par la gêne qui s'était installée. De vrais handicapés des sentiments.
– Tu me pardonnes ? demandai-je avec hésitation.
– J'ai même pas à te pardonner, j'étais ultra vénère mais de toute façon on peut jamais rester vénère contre toi, tu fais chier.
– Je suis trop attachante c'est ça ? lançai-je avec un air enfantin.
– T'es surtout archi chiante !
– Enfoiré de grec.
– Connasse d'américaine.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top