Chapitre 54. « C'est pas la fin du monde et ça ira »
– Tu refais plus jamais ça putain.
Les mâchoires serrées alors que nous gravissions les marches de mes escaliers, Deen était encore fin énervé.
C'étaient les premiers mots qu'il me décrochait depuis plus de deux heures et tout ce temps n'avait pas l'air de l'avoir calmé.
Je pouvais le comprendre. S'il m'avait fait un coup pareil, je l'aurais tué.
Nous rentrions de l'hôpital, endroit où nous avions escorté Hugo avant son transfert sur Dijon en hôpital psychiatrique. J'avais encore la gorge serrée en repensant aux événements de la soirée. Et encore plus après les confessions qu'il m'avait fait lors de nos au-revoir :
– J'ai menti le jour où je t'ai dit que je voyais un clown, m'avait-il confié. En fait mon hallucination c'est toi, Raphaël, Tarek et Ali. Vos corps sans vie baignant dans une marre de sang. Sauf que j'en ai tellement peur que je préfère me persuader que c'est juste un clown. Pour ça que j'ai déjà essayé de me foutre en l'air, pas à cause d'un vieux clown.
Je n'avais pu empêcher une larme de couler et l'avais serré dans mes bras le plus fort possible en le rassurant comme je pouvais.
Je m'en voulais terriblement maintenant que je savais ce qu'il voyait réellement. J'avais déclenché cette hallucination. Je n'arrivais même pas à imaginer ce qu'il devait vivre, ce qu'il voyait était notre cauchemar à tous.
Si seulement on n'avait pas papoté comme de vieilles commères, il aurait pensé à prendre son traitement. Si je ne l'avais pas laissé seul, j'aurais pu lui indiquer qu'il était dans la réalité et il n'aurait pas pété les plombs. Si j'avais pu encaisser plus de coups, il n'aurait pas à passer plusieurs semaines en hôpital psychiatrique.
– À aucun moment tu t'es dit qu'on allait pouvoir mieux le maîtriser à deux nan ? continua de fulminer Deen. Avec ta carrure de ficelo là.
Nous étions maintenant dans mon appartement et je balançai mes clés sur la table violemment. Putain je m'en voulais tellement. Le simple fait d'imaginer Hugo, mon Hugo, dans un asile à cause de moi me faisait frissonner et me donnait envie de m'autoflageller.
– Excuse-moi j'étais trop occupé par le fait que mon meilleur pote voulait buter mon mec, lui répondis-je dans un rire jaune.
Je n'avais pas envie de me quereller à ce propos maintenant, je savais que j'avais été stupide et que j'aurais pu y laisser ma vie.
– T'es vraiment une putain d'égoïste c'est pas possible.
Je me retournai vivement vers le rappeur, piquée par sa remarque. Alors celle-là c'était la meilleure.
– Nan, fermes ta gueule, continua-t-il. C'est pas parce que tu passes ton temps à aider tout le monde que t'es pas égoïste. Parce qu'à aucun moment t'as pensé à ce que ça pourrait nous faire à tous s'il t'arrivait un truc. Putain mais le dernier truc que j'ai vu avant que tu me dégages dans ce putain de couloir c'est un taré courir vers ma meuf avec un couteau de cuisine !
Je fermai les yeux et détournai la tête tout en la gardant haute, sachant très bien que j'avais réagis inconsciemment mais ne voulant pas l'admettre.
– Ouais bah ce que j'ai vu moi c'est la deuxième facette de mon frère courir vers mon mec dans l'intention dans le poignarder. Alors excuses-moi de t'avoir sauvé les miches, la prochaine fois je le laisse faire !
– Putain mais ce que tu peux être conne quand tu t'y mets ! T'as vu sa carrure ? T'as vu la tienne ? Avec ton putain de syndrome de la sauveuse là ! Tu sais très bien que t'as eu tort mais à cause de ta putain de fierté tu veux pas admettre que t'as agis comme une débile. Et pourtant t'es loin d'être conne.
Une des chaises vola. Le coup de pied était parti tout seul, je n'avais pas pu me contrôler. La douleur dans mes orteils ne tarda pas à suivre mais je n'y fis pas attention.
– Casser tes meubles ça arrangera rien tu sais.
Il était si froid. Je ne pouvais même pas lui en vouloir d'être en colère à ce point. Je l'étais aussi, et contre la même personne : moi. Je savais pertinemment que si j'avais laissé Deen m'aider Hugo ne serait peut-être pas en direction pour l'hôpital psychiatrique.
Je finis par ramasser la chaise et m'asseoir dessus en silence.
Deen s'assit sur mon lit, loin de moi. Il avait raison d'être aussi distant : je détestais être traitée comme une petite fille dans ces moments-là et il l'avait compris.
Nous restâmes dans cette position au moins cinq minutes, sans rien nous dire, nous contentant de nous éviter mutuellement du regard en attendant de faire redescendre la pression en chacun de nous.
– Je me suis niqué les orteils... dis-je faiblement. Et Hugo il m'a défoncé le bide.
Je regardai avec hésitation dans la direction de mon copain, comme une enfant punie, vérifiant s'il était toujours en colère.
– Cheh. Franchement c'est bien fait pour ta gueule.
Je voyais qu'il n'était plus aussi remonté qu'avant mais je sentais qu'il allait falloir que je rame pour réparer mes conneries.
Je me levai et m'assis en tailleur à côté de lui, à une distance tout de même respectable :
– Mika je suis désolée, je sais que j'ai été conne.
Il ne réagit pas, et franchement je ne m'étais pas attendue à ce qu'il le fasse.
– Je... Franchement j'ai pas réfléchis, tout ce que je voyais c'était le danger dans lequel toi t'étais, j'ai pas pensé à moi. Je voulais vraiment pas qu'il t'atteigne. C'est vrai que j'ai pas pensé que tu pouvais m'aider, j'ai l'habitude de me démerder seule.
Toujours rien du côté du Burbigo, seulement le silence.
– La vérité c'est que si j'avais été moins conne toute la journée, si j'avais vu qu'il allait mal, si j'avais été là pour lui et si je t'avais laissé le maîtriser, il en serait pas là. Il va finir chez les fous et c'est de ma faute. Donc ouais ça me fait chier de l'admettre et d'admettre que t'as raison.
Le rappeur soupira violemment :
– Tu casses les couilles putain. Et j'ai l'impression de passer ma vie à dire que tu casses les couilles.
Je ris faiblement, sans joie. Je savais que j'étais insupportable, je ne comprenais toujours pas pourquoi il ne m'avait pas jetée. Ça ne saurait tarder.
Il soupira une nouvelle fois. Je savais qu'il avait envie de continuer à faire la gueule, mais il aimait trop parler pour ça :
– C'est pas de ta faute s'il finit en HP. Ça aurait très bien pu arriver avec Tarek ou ton reuf, le résultat aurait été le même. Et t'as ta vie merde. Tu peux pas être h24 derrière tes abrutis de potes, t'es pas leur daronne.
– Je sais... Mais ça a toujours été comme ça entre nous, je peux pas m'empêcher de m'occuper d'eux. Et Hugo... Je peux pas l'abandonner, je suis la seule à savoir comment le gérer.
– Maëlle, je vais passer pour un putain de connard, mais qu'ils aillent se faire foutre. Je suis un putain d'égoïste et je préfère savoir que tu t'occupes pas des bails de Tarek et de la maladie d'Hugo si au moins je sais que t'es en sécurité. T'imagines pas à quel point ça m'a rendu ouf d'être derrière la porte à t'entendre gémir sans savoir si t'avais un couteau dans le bide ou pas !
Je pouvais imaginer si nos rôles avaient été inversés et je comprenais totalement sa réaction. Je trouvais qu'il avait été plein de retenu car que lui aurait sûrement cassé le nez si j'avais été à sa place.
– Il l'aurait pas fait, je le sais.
Je lui expliquai une des crises de démence de mon ami quelques années auparavant, celle qui avait laissé une cicatrice sur mon ventre, et Deen serra les mâchoires. Ça y est, il est de nouveau vénère contre moi.
– Tu fais chier putain, furent les seuls mots qui sortirent de sa bouche.
Nous restâmes en silence un petit moment. Je le laissai redescendre un peu avant d'essayer d'arranger les choses.
– Mika...
– Hmm, grogna-t-il.
– On peut arrêter de s'embrouiller s'il te plaît ? Je déteste ça.
– Hmm... Si t'arrêtes d'être conne.
– Je te promets que j'essaierai.
Il soupira et m'attira contre lui avant de m'embrasser la tempe.
[...]
– Mais naaaan !
Ken, en train de gratter des lignes sur un carnet, releva la tête vers moi et m'interrogea du regard d'un air excédé.
Lui affichant en pleine figure comme une enfant, je lui montrait l'écran de mon téléphone.
J'étais sortie de l'entraînement une heure plus tôt et nous avions décidé de nous faire une petite soirée série posée. En attendant Moh, j'étais sur mon téléphone et Ken cherchait de l'inspiration pour un futur album. J'en avais lu quelques lignes en douce, et j'avais hâte qu'il aille en studio enregistrer ça.
– C'est ton iench ? demanda-t-il en s'écartant du téléphone pour mieux voir.
L'écran affichait la photo d'un chiot berger allemand envoyée par mon père.
– Askip. C'est un scandale ! m'exclamai-je avec un accent de bourge avant de trouver le contact de mon père.
– Hey babygirl !
– T'es sur haut-parleur et essayes pas de m'amadouer, dis-je sèchement à mon père.
Il ricana à l'autre bout du fil, probablement satisfait de ma réaction quant à l'envoi de sa photo.
– T'es avec qui ?
– Wesh Tyler, se manifesta mon ami.
– Yo Nekfeu, bien ?
– Super et t...
Je plaquai ma paume sur la bouche du rappeur.
– C'est pas pour que vous flirtiez que j'appelle, continuai-je en feignant un air remonté.
Ken me mordit et je retirai vivement ma main de sa bouche.
– Qu'est-ce que t'as encore ? soupira mon père d'un air désespéré qui fit rire le rappeur.
– Qu'est-ce qu'il y a ? Tu me demandes vraiment ? Tu rigoles ? Et ben il y a que pendant plus de quinze ans j'ai réclamé un berger allemand, et une fois que je suis plus à la maison t'adoptes un putain de berger allemand ! T'aurais au moins pu prendre autre chose au lieu de me narguer, genre un chihuaha tout pérave, je sais pas moi !
Mon père ricana au bout du fil et Ken me regardait avec des yeux plissés par son sourire amusé.
– T'es au courant que si on avait pris un chien on aurait fini à la rue ? Remarque vous étiez mignons donc y'aurait eu moyen qu'on gagne un peu de thunes mais bon, c'était pas la meilleure solution quoi.
Ken me lança un regard moqueur. Il était clairement du côté de mon père cet enfoiré.
– M'en fous, je te pardonnerai jamais, dis-je sèchement. De toute façon j'ai compris que Sohel c'était votre préféré hein, vous lui passez tous ses caprices.
C'était clairement de la mauvaise foi car Sohel était élevé exactement comme mon frère et moi l'avions été.
J'entendis mon père soupirer derrière le téléphone :
– Ken, franchement je te respecte, dit-il solennellement. Je respectes tous les amis de ma fille, vous êtes des surhommes. Il faut bien du courage pour la supporter. Si vous avez besoin de parler parce que c'est un fardeau trop lourd à porter, appelez-moi, je suis là pour vous.
Ken éclata de rire et je lui assénai un coup de poing sur le bras, ce qui ne fit qu'accentuer son fou rire.
Je raccrochai immédiatement, sans laisser mon ami lui répondre, puis retournai sur mon téléphone.
– Pauvre homme... déclara Ken.
– T'façon je vous emmerde tous.
Mon téléphone vibra :
Dad : Love you
Je levai les yeux au ciel en esquissant un petit sourire.
Moi : Love you too. But youre still the worst dad ever.
Voilà ce que c'était d'avoir seize ans de différence avec son père. J'étais autant sa fille que sa pote.
– Bon il fout quoi là Sneazz ? s'impatienta mon ami.
– Il s'est fait enlevé par des aliens à tous les coups, déclarai-je de mon air le plus sérieux.
– Ah ouais en parlant de ça, comment il va Hugo ?
Cela faisait maintenant trois jours qu'il était interné sur Dijon.
– Mal, je suppose. Mais sa sœur, mes parents et Tarek et ses parents vont le voir souvent, donc il est pas tout seul, ça me rassure.
– Tu sais que c'est pas de ta faute hein ?
Je hochai les épaules. D'une certaine manière je le savais, mais je m'en voulais quand même encore.
– De toute façon ça sert à rien qu'on te dise quoi que ce soit, t'es trop butée, dit-il en souriant.
Allongée sur le canapé, les jambes sur les genoux de Ken, j'observais le plafond en repensant au Hugo que j'avais connu avant que la maladie ne se déclare. Ce Hugo-là me manquait terriblement. Il était si joyeux, toujours à faire des blagues de merde, à graffer sur les murs de Dijon tout en se dandinant sur de la dub ou du rap, à sortir dans des bars avec moi pour draguer des mecs. J'avais tellement envie de le retrouver. Mais je savais qu'il était trop tard, cette personne-là nous avait échappée. Depuis trois ans, nous faisions la connaissance d'un nouvel Hugo.
– Ken...
Je regardai dans la direction de mon ami. Celui-ci me regarda d'un air méfiant, ayant entendu mon ton digne d'un enfant ayant quelque chose à demander.
– Je pourrai lire un des textes dans la grande pile dans ta chambre ?
Depuis des années, Ken écrivait sans cesse mais ne conservait que très peu de ce qu'il grattait. Il était en train de préparer son album et écrivait de nouveaux textes, mais j'étais sûre qu'il y avait quelque chose à sauver dans son bordel.
– C'est pas contre toi mais je suis pas chaud. C'est ultra personnel et justement si j'en fais rien c'est que je veux pas que quelqu'un d'autre sache ce que j'y dis.
J'acquiesçai, pas vexée le moins du monde. Je comprenais ce besoin d'intimité, je faisais pareil de mon côté avec les lettres que j'écrivais à ma mère.
– Pourquoi tu les garde alors ? demandai-je par simple curiosité.
– J'sais aps.
Notre discussion fut interrompue par l'arrivée de Moh dans l'appartement :
– Wesh la famille !
Je lui jetai un coussin dessus.
– Putain d'handballeuse de mes couilles ! pesta-t-il et se le recevant en pleine figure.
Il adressa ensuite un doigt d'honneur à Ken qui ne se retenait pas de se foutre de sa gueule.
– T'es sérieux ?! Ça fait mille ans qu'on t'attend putain ! Je veux la finir cette putain de saison, je suis pas bien moi depuis le dernier épisode.
– T'es une drama queen Princesse.
– Rien à battre, je veux savoir si mon bébé il va bien ! Je vous jure la prochaine fois qu'un épisode se finit comme ça je vous attend pas pour regarder la suite.
Mes deux amis roulèrent leurs yeux et Moh s'installa à côté de moi, un bras sur mes épaules alors que je cherchais notre épisode sur un site de streaming.
– C'est le Bigo qui doit être content d'être en compet' avec Michael Scofield, dit Ken.
– Y'a la place pour un seul Michael dans ma vie.
– Je penses toujours que tu devrais larguer papy Bigo et retourner auprès de ton mari Sneazzy West, ronchonna Moh.
Je m'installai au fond du canapé, les jambes rassemblées contre moi et la tête sur l'épaule de Moh, et notre petite soirée commença.
Ça faisait du bien de rester au calme de temps en temps.
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