Chapitre 51. « Do you got room for one more troubled soul ? »
– Du coup t'es pompier toi c'est ça ? demanda Ken à mon père après qu'ils eurent fini de parler de rap.
Celui-ci avait spécifié à mes amis qu'il ne voulait pas qu'ils le vouvoient car je cite : « je suis pas assez vieux pour ça, je respire la jeunesse ».
Mon père acquiesça.
Cela faisait plus de trois heures que nous étions entassés dans la chambre d'hôpital de mon frère à parler de tout et de rien. Heureusement que Raphaël n'avait pas de camarade de chambre parce qu'il se serait sûrement fichu en l'air avec tous nos gloussements.
– Ouais, bah ça a jamais trop plu à ces deux-là, dit-il en nous désignant mon frère et moi de la tête, mais il faut bien gagner sa vie. À la base je voulais être pompier de Paris mais j'aurais jamais pu les élever en parallèle et puis ça, ça leur aurait vraiment, mais alors vraiment pas plu.
En même temps nous avions déjà perdu notre mère, alors devenir orphelin à cause d'un incendie quelconque, on pouvait avouer que c'était assez flippant. Je n'aimais pas parler de ce sujet alors je décidai de faire dévier la conversation :
– Oh au fait ça fait deux jours que t'es là mais je t'ai même pas demandé comment il allait mon burrito !
Mon père ricana avant de m'asséner une claque derrière la tête qui fit rire l'assemblée :
– Je te permets pas de parler de ma fille comme ça ! Et sinon elle va bien, franchement c'est le meilleur gosse que j'ai jamais eu, rien avoir avec vous deux là, les suppôts de Satan. Elle va devenir quelqu'un de bien, elle.
Je fis une moue faussement vexée :
– On en reparlera quand Raphy il sera à la tête d'une exploration spatiale et qu'il découvrira une planète habitable dans une autre galaxie.
– Oh nan mais je me fais aucun soucis pour lui, je le sais depuis le début qu'il a pris tout le talent et les neurones dans le ventre de votre mère, me taquina-t-il.
– C'est tellement agréable d'être le chouchou, s'extasia Raphaël en croisant ses mains derrière sa tête. Tu devrais essayer un jour Mel !
Je lui tirai la langue.
Les gars autour de nous étaient silencieux et suivaient notre gentille dispute d'un air amusé, comme un match de tennis.
Nous continuâmes notre querelle pendant quelques minutes, nos amis ajoutant leur grain de sel çà et là, puis mon père se leva. Il était visiblement l'heure pour lui d'aller prendre son train :
– Bon, bah je crois que c'est l'heure de rentrer auprès de ma fille préférée !
Je levai les yeux au ciel et il se dirigea vers le lit de mon frère puis s'y assis pour lui parler :
– Raph tu fais gaffe à toi, s'il te plait. Arrêtes de jouer avec ta santé, t'as plus cinq ans, tu sais très bien que ça va pas aller en s'arrangeant alors arrêtes de vouloir faire le bonhomme. Petit con vas. Bon et puis encore une fois, je suis super fier de toi pour les championnats. Allez, dit-il en attirant mon frère contre lui avant de le serrer dans ses bras, à plus mon grand.
Il se releva et checka tous les gars dans la pièce, mais avant qu'ils puissent faire de même avec Ken et Deen, ceux-ci l'arrêtèrent :
– On vient avec vous, de toute façon Deen faut qu'il parle à Elma et moi j'ai un truc à faire après.
Je me demandais si ce « truc » ne s'appelait pas Agathe, une fille qu'il fréquentait depuis quelques années et avec qui il avait une relation aussi conflictuelle que passionnée. Il allait falloir que je le cuisine à l'occasion.
Sur le quai de la gare, le moment tant redouté arriva. Ayant marché accrochée au bras de mon père, je dus me résoudre à le lâcher. Je me forçai à continuer de sourire mais j'avais l'impression qu'il était flagrant que mon sourire était faux.
– Allez p'tit cœur, à la prochaine, me dit-il en m'attirant contre lui.
Je me blottis dans ses bras comme une enfant, ne voulant pas le quitter.
– Tu sais que le seul truc qui me retient pour pas venir tous les weekends c'est de savoir que t'es heureuse, me dit-il en me caressant les cheveux. T'avoir vu sourire tout le weekend ça m'a rassuré et j'aurais moins de mal à te laisser.
S'il savait tout ce qui s'était passé ces derniers mois.
Une idée stupide me traversa tout à coup l'esprit : je mourrais d'envie de tout lui dire pour qu'il reste. Mais je savais que ce n'était pas raisonnable et que, de toute façon, je ne pouvais pas vivre avec mon père toute ma vie, il allait falloir que je songe réellement à m'émanciper.
Il me caressa les cheveux pendant un petit moment, puis me repoussa lentement et m'embrassa le front avant de se diriger vers Ken et Deen :
– Bon, vous deux, je vous aime bien mais...
– Ouais, si on lui fait du mal tu nous éclates, le coupa Deen.
– Nan, elle vous éclatera en premier.
Mes amis ricanèrent alors que je levais les yeux au ciel.
– Et ensuite j'arriverai en Y pour vous terminer, compléta-t-il. On verra si vous rappez toujours aussi bien avec des chicots en moins. Compris ? Vous prenez soin d'elle.
Mes deux amis acquiesçèrent d'un air amusé avant de checker mon père. Putain on aurait réellement dit qu'ils avaient le même âge et qu'ils étaient potes.
Mon père se retourna et se dirigea vers sa voiture, non sans m'embrasser de nouveau le front au passage. Quelques secondes plus tard, il avait disparu dans le train et je retournai auprès de mes amis, l'air morose, les mains dans les poches.
Ken entoura mes épaules et m'attira légèrement contre lui :
– Il est vraiment trop cool putain, limite c'est notre pote.
– Ouais, enfin quand il nous menace pas de mort il est cool ouais, corrigea Deen.
Je ris. L'attitude protectrice de mon père n'avait pas d'égal.
– Bon allez, moi je me taille, annonça Ken en me souriant bêtement. Elma si tu pouvais frapper ailleurs que dans le visage du Bigo ce serait sympa, on a des concerts et des interviews.
Puis il disparut de la gare, me laissant seule avec mon ex.
C'était gênant. Ni lui ni moi ne savions quoi faire. Je n'allais certainement pas être la première à faire le premier pas. Après tout, il était la seule personne en tort.
Sans même nous consulter, nous commençâmes à marcher, chacun les mains dans les poches à une distance respectable l'un de l'autre. Il faisait froid. Comme disait ma mamie : « En Avril, ne te découvre pas d'un fil ».
Je détestais cette situation. Même si nous n'étions plus en couple, ça restait Deen. Et nous n'avions jamais été si loin l'un de l'autre.
Ça devenait long. Nous marchions sans rien dire depuis une dizaine de minute et le silence habituellement apaisant qui nous enveloppait était à ce moment-là très pesant.
– Bon ok stop, déclara le rappeur au bout d'un moment en s'arrêtant subitement de marcher.
Je levai la tête pour écouter ce qu'il avait à me dire.
– J'suis archi con, je suis vraiment désolé Maëlle. En genre une soirée j'ai tout gâché. Je te jure, je me déteste. Ça fait ultra canard de dire ça mais quand j'ai vu à quel point on t'avait blessé avec Nek je m'en suis voulu à mort, je déteste savoir que je te fais du mal.
Je soupirai en levant les yeux au ciel. Bah ouais il était con. Et oui je devrais lui en vouloir. Mais ça avait pas été intentionnel et me réconcilier avec Ken m'avait fait redescendre en pression.
– Je sais, t'es juste un gros débile...
Deen esquissa un faible sourire. Il était flagrant qu'il s'en voulait.
– Je crois que je t'en veux même plus, continuai-je. Au fond je me mets à ta place, t'as vraiment cru ce que t'as vu. Mais ce qui m'a vraiment blessée c'est que Ken et toi vous ayez pensé que j'étais une pute. Parce qu'au final vous l'avez pas dit comme ça, mais vous en pensiez pas moins. D'habitude j'en ai rien à secouer du regard des gens, mais ça m'importe vraiment ce que vous, vous pensez de moi.
Le rappeur se passa la main sur la nuque :
– J'ai envie de te dire que je le pensais pas vraiment mais je veux pas te mytho.
Ah oui quand même, c'était très honnête. Je sentis mon cœur se serrer dans ma poitrine.
– Mais c'était juste sur le moment. En fait même si tu nous avais pas dit que c'était ton daron je m'en serais voulu de ouf de penser ça après coup. Parce que c'était vraiment momentané comme quetru, je te jure, j'étais ultra vénère. Mais une fois calmé j'aurais capté que je le pensais pas du tout en vrai. Enfin s'teuplait, t'es la meuf la plus droite que je connaisse.
Je recommençai à respirer, me rendant compte que son premier aveux m'avait coupé le souffle. Je me ressaisis et balançai le deuxième détail qui me tracassait :
– De toute façon, quand bien même ça aurait pas été mon père, t'avais pas le droit de penser ça, on était plus ensemble et ça pour le coup c'était à cause de toi.
Deen se passa la main dans les cheveux. Plus la discussion avançait, plus il avait l'air tendu.
– Euh ouais à ce propos... commença-t-il avec hésitation.
Il se remit à marcher. Je voyais bien qu'il était gêné et qu'il essayait de ne pas croiser mon regard.
Je remis mes mains dans mes poches et me joignis à sa marche :
– T'inquiètes, de toute façon on avait pris les paris, je savais qu'à un moment donné t'allais craquer. Pour le coup je peux limite m'en vouloir autant à moi-même qu'à toi, ricanai-je avec aigreur.
– Ouais, nan, même pas...
Il voulait dire quelque chose depuis toute à l'heure et je voyais bien que ça ne sortait pas.
– La meuf de l'autre soir, bah... J'ai rien fait avec elle, dit-il. Putain je vais passer pour un putain de canard, marmonna-t-il très bas dans sa barbe.
Je fronçai les sourcils, un peu perdue pendant qu'il cherchait ses mots.
– En gros on s'est taillé de la réssoi tous les deux, on s'est vite fait pécho mais rien de plus. En fait j'ai fait ça par habitude et parce que j'étais plus ou moins fait, et après une fois qu'on allait passer la seconde je me suis rappelé que j'avais une meuf. Ça fait vraiment crevard dit comme ça je sais, mais voilà. Au final elle s'est barré en traitant ma daronne et je suis redescendu en fanfaronnant vers les gars parce que je voulais tenir ma réputation.
Je rigolai doucement :
– Tout ça... Pour ça.
– Je suis le roi des cons.
– Ah bah ça ! Je me demande comment t'as réussi à survivre aussi longtemps mon gars !
Il se rapprocha pour me déséquilibrer d'un coup de coude et je lui donnai un coup de poing. Mais celui-ci n'arriva jamais à destination puisque le rappeur me saisit le poignet.
Ce seul léger contact physique réveilla tous mes sens trop habitués à sa présence et je frissonnai.
Mais quelle conne ! songeai-je. Une vrai réaction d'adolescente alors qu'il me tenait seulement le poignet.
Nos regards se croisèrent et nous ne nous lâchâmes pas des yeux. Je me retenais d'abaisser les yeux sur ses lèvres et me contentai de contempler ses yeux bruns.
Fait chier. Malgré toutes les barrières que je m'étais mise et les récents événements j'étais encore bel et bien très attachée à lui.
Je dégageai rapidement mon bras avant de remettre ma main dans ma poche.
Nous nous quittâmes du regard, tous les deux gênés. Il ne fallait pas être Sherlock pour savoir qu'il avait ressenti exactement la même chose que moi durant ces quelques secondes.
Inconsciemment, nous avions marché jusqu'à chez moi. Et en idiote que j'étais je l'avais invité à monter.
Une fois dans mon studio, un silence pesant nous enveloppa de nouveau. Je préférais presque encore quand on était en froid. Parce que maintenant nous ne savions pas quoi faire après avoir réglé nos problèmes.
La même question revenait sans cesse mais dans différents contextes depuis quelques mois : qu'est-ce qu'on était ?
Nous étions vraiment des handicapés. Nous savions pertinemment que nous étions profondément attaché à l'autre mais nos deux âmes torturées étaient incapables de se le montrer normalement. Trop froids, trop fiers, trop inexpérimentés dans la discipline du comportement de couple.
– Je veux pas ne pas être avec toi...
Les mots m'avaient échappé. Je pensais l'avoir seulement pensé, mais le visage ahuri du rappeur m'indiquèrent immédiatement que j'avais bel et bien exprimé mon élucubration à haute voix.
– Ouais, bah je crois bien que moi non plus, me confia-t-il finalement.
Nous nous sourîmes timidement, puis son visage s'étira en un sourire lubrique. Je levai les yeux au ciel : on ne change pas une équipe qui gagne.
– Par contre tu me feras plus jamais parler comme un canard, c'est bon, souffla le rappeur. Depuis que je te connais je suis passé pour un gros fragile plus de fois que dans ma vie entière. Ma street cred' faut que je la ramasse à la balayette tellement elle est en miettes.
– J'en vaux la peine, ricanai-je.
– Ça c'est toi qui le dit.
Nous nous étions rapproché imperceptiblement durant notre petite querelle et les lèvres de Deen ne se trouvaient maintenant qu'à quelques centimètres des miennes.
– Connard.
– Pouffiasse.
Je m'efforçai de garder nos regards alignés et de fixer ses yeux bruns afin de ne pas loucher sur ses lèvres. Je mourrais d'envie de l'embrasser mais le laisser faire représentait le dernier pas à franchir dans notre réconciliation.
Il ne fallut pas longtemps au rappeur pour approcher son visage du mien et sceller nos lèvres. Ma langue ne tarda pas à jouer avec la sienne tandis que nos vêtements disparaissaient plus vite qu'un pochon de beuh en présence de Doum's, et les mains de Deen vinrent se placer sous mes fesses pour me porter sur le plan de travail.
Je ne tardai pas à perdre pied avec la réalité à en oublier où je me trouvais, et je tirai comme conclusion de ce moment que les disputes étaient parfois de très bonne choses si les réconciliations se déroulaient toujours de cette manière.
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