Chapitre 42. « It's warmer in the morning than what it is at night »
– Allez je suis sûr que vous rentrez, vous êtes minuscule !
Je levai la tête et jetai un regard meurtrier à Hugo.
Nous venions de quitter le self et étions debout devant nos casiers du collège. Les casiers étaient des petits carré ne mesurant pas plus d'un mètre sur un mètre et nos amis insistaient pour qu'Ali et moi nous accroupissions dans un casier chacun, afin de voir si on rentrait. J'avoue que j'étais curieuse de savoir si je tenais dedans aussi. Mais Ali n'était pas motivé.
– Oh allez Camara, je serai juste à côté et ils oseraient pas nous laisser tout l'aprèm' dedans. Hein ? finis-je avec agressivité en me retournant vers Tarek en particulier.
Ali se tourna vers nos trois amis et les toisa tous du haut de son mètre cinquante :
– J'ai juré si vous nous enfermez je vous ouvre le crâne. Bouhied fais pas le malin, ça va mal finir.
Nos amis étouffèrent un rire. Nous savions tous qu'Ali était hargneux et qu'il pouvait les battre tous les trois à plate couture s'il le voulait, mais nous savions aussi qu'il n'oserait jamais cogner ses frères.
C'est donc quelques minutes plus tard qu'Ali et moi tentâmes de rentrer dans nos casiers respectifs. Et ce fut concluant, nous tenions vraiment. Nos amis refermèrent la porte pour vérifier, et ce fut encore une fois un succès.
Mais en seulement quelques secondes, les choses se compliquèrent. Recroquevillée dans le noir, j'entendis une troisième voix, plus adulte :
– Bon les gars ça fait cinq minutes que vous êtes censé être en cours là.
C'était Val', un pion. Il avait l'habitude de nos conneries et s'adressaient toujours à nous avec un ton blasé.
– Allez là on se bouge !
– Ouais ouais, on récupère juste nos sacs dans nos casiers.
Putain mais Bouhied t'as vraiment zéro de Q.I, pestai-je intérieurement. Les trois avaient leur sac sur le dos.
– C'est ça fous-toi de ma gueule, allez bougez là !
J'entendis mon frère murmurer un « on fait quoi ? » et la voix d'Hugo, proche de mon casier murmurer un « on revient vous chercher après ».
Bah non en fait, on s'en fout de se faire engueuler, on veut sortir nous ! Mais ils étaient visiblement déjà partis.
– Eh ! Ils sont où les deux autres Dalton ? cria Val' dans la direction opposée de celle où on se trouvait.
Nos potes devaient être en train de sortir du hall.
Val', fan de l'univers de Lucky Luke, nous avait tous baptisés dès notre entrée en sixième : Ali était Joe parce qu'intelligent et hargneux ; Tarek était Averell, parce que je mettais un point d'honneur à dire que c'était le plus bête ; Raphaël était Jack, parce qu'il était la force tranquille ; Hugo était William, parce que plus intelligent que Tarek mais moins que Raph ; et moi j'étais Ma Dalton, leur daronne.
Val' affichait toujours un air blasé quand il avait affaire à nous mais je le soupçonnais de nous idolâtrer secrètement.
Au final, nos amis n'étaient pas revenu. Par chance, nous ne finissions qu'à quinze heure donc nous n'avions qu'une heure à attendre accroupis dans le noir.
J'avais entendu Ali pester dans le casier voisin pendant les vingt premières minutes, puis nous avions rigolé sur la façon dont nous allions défoncer nos amis.
Cet après-midi avait été la source de la phrase affectueuse qu'Ali et moi nous disions souvent pour rigoler : « Il n'y a personne d'autre avec qui j'aimerais être coincé dans un casier dans le noir un jeudi après-midi ».
Lorsque nos compatriotes étaient revenus, nous les avions abondamment frappé, puis nous avions fini par partir en fou rire tous les cinq. Encore une aventure à garder dans les annales.
Nous étions ensuite tous allé chez Raphaël et moi pour jouer aux jeux vidéos. À peine arrivés mon père, qui n'était apparemment pas en mission, m'avait regardé d'un air mauvais.
Ah, le collège avait appelé.
Ali avait aussitôt pris ma défense :
– Tyler, ton gosse et ses potes c'est vraiment des débiles mentaux.
Puis quand nous avons eu fini de lui raconter notre après-midi, mon père, n'y tenant plus, avait explosé de rire :
– Putain de merde, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter des mômes pareil !
[...]
– Maëlle...
Une voix me sortit de mon sommeil.
Oh non, c'était si agréable ! J'étais en train de me remémorer des moments de mon adolescence, et revenir à la réalité me donna aussitôt l'envie de me rendormir.
Je me tournai vers la personne responsable de mon réveil.
– Ça va ?
Deen avait l'air inquiet. Toujours blottie dans ses bras, je fronçai les sourcils, ne comprenant pas cette soudaine inquiétude.
– T'avais l'air de bien dormir, tu souriais vite fait mais t'as des larmes qui ont coulé alors je savais pas quoi faire, j'avais peur que tu rêves de l'autre.
Je passai une main sur ma joue. Effectivement elle était mouillée.
Je gratifiai le rappeur d'un sourire sincère.
– T'inquiètes pas, c'était un rêve génial.
Puis, sous sa demande, je le lui racontai.
– Ça m'a fait tellement bien de rêver de lui. D'habitude quand je me réveille après avoir rêvé d'Ali je déprime, mais là je suis super heureuse.
Je savais que souriais comme une imbécile. Mais les images de mon rêve restaient gravées dans ma tête et j'entendais toujours Ali râler.
– Je suis tellement refait de revoir ce sourire, murmura Deen tout en souriant lui-même.
Je tendis le cou pour déposer un baiser sur sa joue avant de poser ma tête sur son torse.
Un élan de gratitude m'envahit d'un coup. Il fallait qu'il sache que ce qu'il avait fait pour moi comptait beaucoup à mes yeux. Mais je ne savais pas comment faire. Je détestais exprimer mes sentiments, je l'avais beaucoup trop fait ces dernières heures.
Je me redressai et me mis en tailleur à côté du rappeur avant de commencer à jouer nerveusement avec mes doigts.
– Mikael...
Les mots ne suivirent pas.
Trop de fierté Maëlle, trop de fierté.
Je fixai toujours mes doigts mais je sentais le regard du rappeur sur moi.
– Je... Merci pour tout ce que t'as fait pour moi.
Je marquai une pause, pesant le pour et le contre avant divulguer mes prochaines paroles.
Oh et puis merde !
– J'ai beaucoup trop de fierté pour le montrer mais ça allait vraiment pas bien et tu l'as vu, et t'as pas hésité à venir quand je t'ai appelé. Alors merci... J'aurais jamais réussi à m'effacer ces images de la tête sans toi et...
Trop de confidence Maëlle, tu devrais pas lui dire ce qui tu ne dis même pas à tes frangins.
– C'est la première fois que je rêve d'Ali sans que ce soit affreusement douloureux au réveil.
Je relevai enfin la tête pour rencontrer les yeux sombres de mon ami. Il ne souriait plus mais je connaissais cet air là, il était satisfait. La connerie n'allait pas tarder à venir.
– Bah ouais je sais j'suis le meilleur, tu peux le dire !
Je ris. Merci mon Dieu il n'avait pas rendu les choses plus cucul ! Je commençais à être gênée par mon monologue.
Je lui donnais un petit coup sur l'abdomen pour la forme et il m'attira contre lui d'un ai fier.
Nous restâmes quelques minutes ainsi en silence, Deen traçant de petits cercles sur mon bras avec son pouce, tentant de nous rendormir. Je commençais à beaucoup trop apprécier ce genre de geste.
– Il était comment Ali ? demanda le rappeur, mettant fin au silence.
Je souris en me remémorant mon ami. Ça faisait tellement de bien de pouvoir s'en rappeler sans avoir mal !
– C'était l'un des meilleurs humains que la terre ai jamais porté. En foyer ç'a été ma bouée de sauvetage et j'ai été la sienne. Puis très vite c'est devenu un frère. J'étais tellement heureuse quand mon père a retrouvé sa trace quelques mois après qu'on se soit séparé ! Après il a atterri dans la même école primaire que nous et c'est devenu le frère de Raph, de Tarek et d'Hugo aussi. On a fait tellement de conneries ensemble, on a tellement ris ! On était un groupe de choc et c'était juste horrible pour notre entourage. Je crois qu'il y a pas une famille dans notre quartier qui nous connaissait pas. Tout le monde nous adorait mais en même temps nous détestait.
Je fis une pause, réalisant soudain que je ne répondais pas du tout à la question du rappeur. Celui-ci traçait maintenant un cercle autour d'un grain de beauté situé sur mon ventre. Seules nos respirations emplissaient le silence nous entourant.
Je repris mon histoire :
– Ali c'était le plus intelligent, le plus joyeux, le plus souriant. Et pourtant il avait une vie de merde. Il a jamais connu son père, et sa mère l'a abandonné quand il avait quatre ans parce qu'elle pouvait pas s'occuper de lui. Mais je l'ai jamais entendu se plaindre, je l'ai jamais vu baisser la tête. Il était toujours en train de sourire, et putain c'était communicatif.
– Je crois que je vois de quoi tu parles, me lança Deen.
Je relevai la tête en fronçant les sourcils et il m'adressa un clin d'œil :
– Je connais une meuf un peu comme ça.
Je reposai ma tête sur son torse pour dissimuler les larmes qui me piquaient subitement les yeux. Me comparer à Ali, c'était un des plus beaux compliments.
– Ali c'était le tout petit de la bande. Je me compte pas dans le lot, moi ma taille m'a toujours convenu, parce que quoi que Bouhied dise, j'suis pas petite. Bref. C'était le plus petit mais c'était le plus teigneux. Tarek et son mètre quatre-vingt ils auraient jamais pu venir à bout d'Ali, il était super vif. Et franchement on avait pas envie de le chercher, il avait un caractère bien trempé. Entre nous ça nous faisait rire, mais quand il s'attaquait aux autres il rigolait pas. Avec son intelligence et sa façon de parler il pouvait être très mesquin et il tapait souvent où ça faisait mal. Mais jamais avec nous. Avec nous c'était souvent des menaces en l'air, il râlait souvent mais rien de plus. Ça nous faisait marrer de le faire râler, c'était vraiment trop drôle à voir, dis-je en rigolant, me rappelant de son visage et de sa voix lorsqu'il était irrité.
Ni Deen ni moi ne dîmes quoi que ce soit pendant quelques minutes. J'avais toujours un sourire géant collé sur le visage, souvenir des années passées avec l'une des meilleures personnes que j'ai pu connaître.
Mon sourire s'estompa quand je pensai à Estelle et Bruno :
– Il faudrait que je retourne voir ses parents adoptifs. J'y suis pas allé depuis trop longtemps parce que ça faisait trop mal mais je pense pouvoir le faire maintenant.
– Si tu veux je peux venir avec toi.
Je me redressai. Alors ça si je m'y attendais.
– Qu'est-ce qu'on fait Mika ?
Je voyais très bien qu'il avait compris où je voulais en venir mais il préféra plaisanter :
– On parle alors qu'on devrait penser à pioncer ?
– Arrête, je parle pas de ça. On est quoi ? On a été pote, plan-cul, sex friend, et maintenant tu me proposes d'aller voir les parents de mon pote décédé. Moi je suis perdue, je sais plus ce qu'on fait, et surtout ce qu'on est.
Le rappeur se redressa à son tour pour me faire face.
La distance soudaine entre nous était désagréable mais je chassai ce sentiment très vite. Putain mais qu'est-ce qui m'arrivait ?
– Bon ok, on va dire que c'est la nuit des discussions cucul la noisette et après on arrête de faire les fragiles, commença-t-il. Quand j'ai vu ce que ces mecs t'avais fait cette nuit j'ai vrillé, ça m'a rendu ouf de pas avoir été là pour toi. Et plus la soirée avançait et plus je te voyais d'autres facettes de ta personnalité, plus je me suis rendu compte à quel point je m'étais attaché à toi. Je pense qu'on a dépassé le stade de potes, et je pense que tu le sais aussi.
J'acquiesçai. Ça ne servait plus à rien de le nier. De toute façon, plus Deen parlait et plus une chaleur étrangère se répandait dans mon ventre, venant comme appuyer ses propos.
– C'est ce que je me disais. Donc autant essayer un truc nan ? Enfin j'sais pas, c'est comme tu veux, mais de toute façon on a déjà essayé de s'éloigner et ça a pas marché, on dirait des animaux, dit-il en ricanant. Alors autant voir ce que ça donne si on test quelque chose.
Je lâchai un petit rire.
– Ça me va. Mais je te donne pas deux semaines sans me tromper, dis-je avec un air de défi.
Je le connaissais trop bien. Avant notre relation ambiguë on avait été pote, je savais comment il traitait les meufs. Mais je voulais quand même essayer par curiosité.
Il sourit, comme piqué dans son orgueil. Voilà ! Il allait vouloir tout faire pour me donner tort.
– On parie ?
Je souris en haussant un sourcil : t'es vraiment sûr de toi mon gars ?
Je lui tendis ma main, comme par habitude à force de passer des contrats avec lui, et il s'empressa de la serrer.
– Ça marche ! lançai-je.
Il m'attira vivement contre lui et mes lèvres vinrent s'écraser contre les siennes, comme pour finaliser notre contrat.
On était maintenant... en couple ? Ces deux mots me paraissaient tellement étrange pour décrire ma relation avec Deen. Et pourtant c'était ce qu'on était maintenant.
– Par contre on oublie tout du speech de canard que je t'ai fait ?
J'éclatai de rire. Ah oui le fameux discours. Je l'avais énormément apprécié et ça m'avait fait plaisir qu'il s'ouvre à moi, mais la Maëlle joueuse ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle avait par la même occasion obtenu un moyen de pression.
Le rappeur me repoussa, comme s'il avait lu dans mes pensées :
– Putain j'te connais par cœur, sérieux t'avise pas d'utiliser ça comme un doss' contre oim ! me menaça-t-il.
Je ris de plus belle et je vis son air agacé se transformer en amusement. Ses mains vinrent se poser sur mes hanches, et je ne tardai pas à me tordre sous ses pincements et ses chatouilles. Mes abdos me faisaient mal à force de rire.
– T'es ma meuf, tu devrais me respecter un minimum, dit-il en rigolant tout en continuant sa torture. Ça fait même pas cinq minutes tu casses déjà les couilles !
– C'est toi qui a proposé, parvins-je à articuler entre deux soubresauts. Alors que l'autre jour tu disais qu'il fallait être inconscient ou suicidaire pour sortir avec moi.
– Ouais bah j'aurais dû m'écouter.
Il me lâcha finalement, et d'un commun accord nous décidâmes de nous recoucher. Ce con m'avait quand même réveillé une heure seulement après que je me sois endormie et il était maintenant sept heure. Nous étions épuisés et je me doutais que la journée n'allait pas être très productive.
Je roulai sur le côté et je sentis bientôt le ventre du rappeur se coller contre mon dos et ses bras m'envelopper. J'avais encore du mal à me dire qu'un mec aussi sûr et fier de lui pouvait être aussi tendre.
Sur le point de m'endormir, je me remémorai les mots qu'il avait employé un peu plus tôt, et en guise de bonne nuit, je réussi à sortir une faible phrase :
– « Ma meuf »... J'crois que j'aime bien être ta meuf.
Je sentis les lèvres du rappeur se mouvoir en un sourire contre mon omoplate.
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