Chapitre 40. « The last thing that I had heard you were doin' just fine »

Xavier...

Je n'avais pas pensé à lui depuis des années. Je n'en avais pas rêvé depuis des années. Mais les événements de la soirée avaient tout fait ressortir.

Dans mon cauchemar, il revenait me voir. Sauf que cette fois-ci je n'étais pas la petite fille sans défense de six ans. J'étais la Maëlle de vingt-deux ans, mais j'étais tout aussi sans défense.

Je n'arrivais pas à bouger, ni même à crier. Allongée dans mon lit, je le voyais s'approcher de moi. Je sentais sa main glisser sous mes vêtements et caresser mon corps.

J'avais envie de vomir. J'avais envie de pleurer. J'avais envie de crier. Mais rien ne sortait. J'étais prisonnière de mon propre corps avec pour seul sensation le toucher et donc la capacité de sentir Xavier partout sur moi.

Je m'étais réveillée en sursaut, hors d'haleine. Un toucher humain, probablement masculin. Je ne l'avais pas supporté, alors j'avais sauté du lit pour m'éloigner le plus possible de mon cauchemar.

En me retournant, la réalité m'étais revenue : j'étais chez Deen, je ne risquais plus rien.

Mais lorsqu'il avait tenté de me prendre dans ses bras, mon corps avait eu un réflexe de défense assez extraordinaire et je m'étais aussitôt écartée de lui. Pourtant j'avais besoin de lui plus que jamais.

– Je... Je suis désolée, je...

Comment exprimer ce qu'on ne comprenait pas sois-même ? Ma tête voulait du réconfort mais mon corps ne supportait aucun contact.

Alors je m'étais refermée comme une coquille. J'étais mieux dans ma bulle. Il fallait que je reste dans ma bulle.

Ali.

Je n'avais pas rêvé de lui depuis des années. Au début je faisais des cauchemars toutes les nuits et je me réveillais en pleurs. Puis au fil des mois ils s'étaient estompés avec mon deuil.

Mais ces deux souvenirs d'un coup, c'était beaucoup trop.

J'avais besoin d'Ali plus que jamais. Il était le seul qui savait. Ni lui ni moi n'en n'avions jamais parlé autour de nous. Il était la seule personne qui pouvait éloigner mes cauchemars à propos de Xavier, et j'étais la seule qui pouvait éloigner les siens.

Je n'avais pas rêvé de Xavier depuis la mort d'Ali.

Ali n'étais plus là pour m'aider à éloigner mes cauchemars.

Je me sentais plus seule et impuissante que jamais.

Ma force n'était d'un coup plus qu'un concept lointain, une façade maintenant disparue au fond de mon être. Mon cerveau me murmurait que je devais être forte devant Deen, mais le désespoir que je ressentais avait balayé ce murmure très loin.

Pour autant il ne fallait pas que quiconque apprenne ce qui m'était arrivé en foyer. C'était impensable pour moi d'en parler. J'avais beaucoup trop honte et j'avais laissé cette époque loin derrière moi.

Enfin c'était ce que je croyais.

– Gros je sais plus quoi faire, ça fait une heure qu'elle est assise par terre sans bouger. Ses yeux ils bougent même pas.

J'entendais vaguement la voix de Deen. Mais elle me paraissait tellement lointaine. Je sentais sa présence dans la pièce mais j'avais l'impression qu'il était à des kilomètres.

– Mel.

Ah, il avait appelé Raphy à la rescousse ; j'entendais ses pas rapides se diriger vers moi, puis je sentis une main se poser sur ma joue

– Putain Princesse...

J'entendis tout le désespoir qui perçait dans la voix de Ken.

Nan, je ne voulais pas que lui aussi me voit comme ça, ça lui ferait trop de mal.

Je voulais les rejoindre où ils étaient, je le voulais vraiment, mais je me sentais en sécurité à l'endroit où je me trouvais. Ma bulle me protégeait du reste du monde.

– Mel, regardes-moi s'il te plait.

Je sentais toujours la présence de mon frère accroupi près de moi. Sa voix était tellement suppliante, je mourrais d'envie de lui crier que j'étais là. Mais j'étais tellement bien comme ça.

– Mel qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? T'as besoin de quoi ?

La réponse me vint aussitôt dans un flash :

– Ali.

Je tournai vivement la tête vers Raphaël. Ses yeux brillaient.

J'avais réussi à briser ma bulle.

Mais je n'étais plus en sécurité ; tout le désespoir que ma bulle avait réussi à tenir à l'écart se réinsuffla en moi d'un seul coup. C'était trop dur.

Je ne pouvais plus respirer. Je m'accrochai au bras de mon frère.

– Mel regardes-moi, respires en même temps que moi... Inspires...

Je le suivis. De l'air entra enfin dans mes poumons.

– Expires...

Je soufflai par saccades, sans lâcher Raphaël des yeux. Nous réitérâmes le processus plusieurs fois de suite et je parvins enfin à me calmer et à respirer normalement.

Je sentais que mes joues étaient baignées de larmes et chassai celles-ci d'un revers de main rapide.

Je me rendis compte que je n'avais pas lâché le bras de mon frère. Je m'y étais cramponné de toutes mes forces et je devais lui avoir broyé les muscles. Je le lâchai soudainement :

– Désolée, dis-je enfin.

Raphaël me releva et me dirigea dans le salon.

Je croisai rapidement le regard de Deen et de Ken. Ils avaient l'air dépassés et me regardaient avec pitié. J'avais tellement honte. Ken se frotta vivement les yeux.

Je m'assis sur le canapé et quelques minutes plus tard, Deen me ramena une tasse de chocolat :

– Ça va mieux ma grosse ?

Je ne l'avais jamais entendu parler d'un ton aussi doux. J'avais dû lui faire peur.

– Je suis vraiment désolée Deen...

– Arrêtes. S'il te plait, arrêtes de t'excuser.

Son ton était sans réplique. Je savais que je les poussais tous à bout depuis quelques temps en essayant de tout leur cacher.

– Pourquoi t'as dit que t'avais besoin d'Ali ? me demanda mon frère la gorge serrée.

Bon, ça allait être la nuit des confessions. Au fond je ne voulais pas parler, je m'étais promis de ne jamais le faire, mais là nous en avions tous besoin, je n'avais plus le droit d'être égoïste.

Je reposai ma tasse sur la table et me pris la tête dans les mains en soupirant :

– Je vous dis tout parce que de toute façon vous vous imaginez déjà les pires scénarios alors autant que vous soyez fixés. Mais vous me promettez que vous aurez pas pitié de moi, c'était il y a longtemps.

Je pris une grande inspiration, mais au moment d'ouvrir la bouche, aucun son ne sortit.

Oh non finalement je ne voulais plus en parler, tout ça devenait bien trop réel. Pourquoi je n'avais pas fermé ma gueule ?

Je restai silencieuse quelques secondes, puis Ken m'encouragea :

– Vas-y Princesse, je te promets qu'on te jugera pas.

Alors je leur racontai toute l'histoire avec Xavier. Les quelques mois qu'Ali et moi avions vécu avec lui au foyer et les cauchemars qui nous avaient suivi pendant quelques années. Je leur racontai les fois où Ali et moi nous étions retrouvé pour en parler, le nombre d'heures que nous avions passé ensemble au téléphone la nuit, en pleine crise d'angoisse.

Au fil du récit je voyais leurs visages se décomposer. Ils étaient passé par toutes les émotions : la pitié, la colère, la tristesse, la rage.

– Ali c'est... J'ai jamais eu de cauchemars depuis qu'il est plus là...

Je sentais ma gorge se serrer. Pleures pas Maëlle, pleures pas.

– C'était le seul à pouvoir me calmer, mais maintenant il est plus là pour ça et... J'arrive pas à me sortir ces images de la tête.

Et merde, ça y était, je sanglotais.

Deen m'attira vivement contre lui et Raphaël s'en alla au bout de la pièce et, les yeux fermés blottie contre le sweat du rappeur, je l'entendis frapper à plusieurs reprises dans un mur.

Ali me manquait tellement. J'avais réussi à mettre ce manque de côté mais là j'avais besoin de lui, je voulais le revoir, revoir son sourire. Qu'on puisse se regarder les yeux dans les yeux et se rassurer mutuellement : « On est plus là-bas ».

Maintenant qui allait me répondre quand je disais cette phrase ? Et qui allait prononcer cette phrase pour moi ?

– Chut... Je suis là ma belle... Tout va bien, t'es rentrée chez toi.

Sa voix pleine d'assurance, son étreinte comme un bouclier. Mes sanglots cessèrent aussitôt.

Comment avait-il réussi à savoir ce que je pensais au moment même ?

Je m'écartai de lui et séchai aussitôt mes larmes. J'avais trop pleuré pour un soir, maintenant c'était fini.

À l'autre bout de la pièce, Ken gratifiait mon frère d'une accolade fraternelle. Même si je voyais que les deux hommes étaient tendus, il avait réussi à le calmer.

Ils revinrent vers nous et je me levai pour me pendre au coup de Raphaël dont les joues étaient baignées de larmes.

– Ça va, je te jure, je vais mieux. Il fallait juste que ça sorte. Te mets pas dans des états comme ça pour moi.

Mon frère me serra de toutes ses forces contre lui et laissa échapper un petit sanglot. Je pouvais sentir sa rage et sa culpabilité à travers son étreinte :

– Ça me rend fou qu'on t'ai fait ça. J'ai envie de le tuer. Et ça me tue que t'ai vécu tout ça toute seule putain, souffla-t-il la tête dans mon cou. Pourquoi t'as jamais rien dit ?

– J'avais trop peur.

Nous nous séparâmes pour nous asseoir sur le canapé.

– Peur de quoi ?

Je haussai les épaules :

– D'abord des menaces de Xavier. Puis ensuite d'être jugée. Et puis au fil des années je me suis tellement endurcie que j'avais honte. Alors j'en ai jamais parlé.

Ken avait les larmes aux yeux, et ça me brisait le cœur de le voir comme ça. Voilà aussi pourquoi je n'en avais parlé à personne.

– Je considérais aussi que de toute façon ce qui était fait était fait et ça servait à rien de faire souffrir plus de gens. J'aurais pas supporté que d'une certaine manière Xavier puisse atteindre mes proches. C'était mieux comme ça.

Raphaël essuya une larme sur sa joue. Finalement Xavier avait réussi à atteindre mes proches.

Je me pris le visage dans les mains, à croire que c'était devenu une habitude maintenant.

– C'est surtout pour moi que j'en ai pas parlé. J'étais petite, et à cet âge-là c'est facile d'oublier et de se créer de nouveaux souvenirs. Plus les années passaient et moins j'avais de cauchemars, et j'ai fini par oublier, ou en tout cas c'était rangé bien loin dans mes souvenirs. Même quand on parlait du foyer l'histoire avec Xavier me revenait pas forcément, juste quelques fois par ans en rêve mais très vaguement, avec moins d'intensité que cette nuit. Du coup j'ai vraiment fini par oublier. Si j'en avais parlé j'aurais jamais pu oublier, ça aurait rendu le truc beaucoup trop réel. Je me suis fait une faveur en gardant le silence.

– Mais tous les gamins qui sont encore dans un foyer avec lui t'y as pensé ?

Deen avait relevé la question qui me pesais depuis seize ans. Évidemment que j'y avais pensé.

– Même si elle avait parlé ça aurait rien changé, se chargea d'expliquer mon frère. Je suis sûr que beaucoup l'ont fait avant elle et que d'autres l'ont fait après. Mais y'a pas assez d'éducateurs spé en France, d'ailleurs ils embauchent même sans diplôme. Alors souvent la direction ferme les yeux pour pas perdre de personnel. De toute façon c'est que des sous-merde aux yeux de la société ces gamins, pourquoi ils feraient quelque chose ?

Un silence entendu suivi la remarque de mon frère. Nous savions tous les trois que c'était vrai.

– Je peux juste te poser une question ? me demanda Deen.

Il prenait vraiment des pincettes, ça ne lui ressemblait pas.

Je hochai la tête en fronçant les sourcils.

– Est-ce que tous tes souvenirs sont remontés parce que les deux fils de pute t'ont... Enfin est-ce que...

Il fallait que je mette un terme à ce massacre.

– Nan il m'a rien fait t'inquiète.

Trois soupirs différents furent poussés en même temps.

– Son pote, le grand, je crois qu'il l'aurait pas laissé faire... dis-je, songeuse.

– Je suis content de m'être fait le petit alors, déclara Deen.

J'esquissai un sourire en regardant mon poing. Moi aussi j'étais contente de m'être fait le petit.

– Nan sérieux ? s'exclama Ken, ahuri. C'est la tête du keumé qui a fait ça à ta main ?

Je lâchai un petit rire :

– Nan c'est ma main qui a fait ça à sa tête. Il était vraiment dans un sale état, ça faisait longtemps que j'avais pas été aussi satisfaite de dégommer un mec.

Mon frère m'adressa un regard réprobateur :

– Je dis rien parce qu'ils t'ont agressé en premier, mais évite de recommencer à te battre. Ça m'étonnerait que ça plaise à Papa.

À la seule mention de notre père, je me sentis devenir livide :

– Raph, s'il te plait... Tu dis rien de tout ce que je vous ai dit à Papa, suppliai-je.

– Mel je peux pas gard...

– Raph !

J'avais crié sans le vouloir, faisant sursauter mes amis.

– Je t'en supplie, lui dis rien, tu sais que ça le bousillerait, ça le rend fou de savoir qu'il a pas pu nous protéger pour des petites conneries, alors pour ça... S'il te plait, si tu tiens à lui autant que moi, tu lui en parleras pas.

Raphaël se frotta le visage puis la nuque, complètement indécis. Il était pris en sandwich entre son honnêteté envers notre père et la peur de lui faire du mal.

– Ok, dit-il finalement.

Je lâchai un soupir de soulagement.

Un long silence s'ensuivit. Personne ne savait plus quoi dire. J'avais l'impression que tout ce qui devait être exprimé l'avait été.

Je baillai un coup. Putain j'étais morte. Toute une vie de sommeil n'aurait pas suffit à me requinquer.

– On va peut-être tous aller se coucher nan ? Je vous ai assez fait chier comme ça.

Ken s'approcha de moi en premier et m'embrassa tendrement le front avant de me serrer dans ses bras :

– Tu nous as pas fait chier Princesse. Je préfère être là pour toi quand ça va pas plutôt que de savoir que t'es au fond du trou mais que tu le caches.

Je me pendit à son cou. C'était dingue la place qu'il avait pris dans ma vie.

– Tu restes là ou on te ramène chez toi ?

Il valait mieux que je rentre, je ne voulais pas que Deen soit témoin d'un autre cauchemar, il avait besoin de dormir aussi.

Je me tournai vers le propriétaire des lieux :

– Je vais rentrer je pense, c'est mieux.

Il s'approcha de moi et fis signe à Ken et Raph de m'attendre dehors.

– Je sais pourquoi tu fais ça. Même si t'as parlé tu veux pas imposer ton malheur aux autres, alors qu'il y aucun mal à ça. Et même si tu crois que ça fait de toi quelqu'un de faible de craquer, aucun de nous n'y croit. Aucun des gars du L pourrait supporter la moitié de ce que t'as vécu dans ta vie sans se pendre. Alors arrêtes de faire la meuf forte tout le temps et autorises toi à relâcher la pression. S'il te plaît. Parce que je préfère mille fois te voir craquer que tout encaisser en sachant que t'es à la limite du burn out.

Il resta silencieux quelques secondes, hésitant, puis enchaîna :

– Penses un peu à ta gueule et moins aux autres. J'en ai rien à battre de me faire réveiller la nuit si ça veut dire que je peux te faire te sentir en sécurité.

Sur ces mots, il m'embrassa.

Ça n'avait rien à voir avec les baisers avides que nous avions échangé auparavant, c'était tout autre chose. On ne voulait pas se rapprocher charnellement, on avait simplement besoin de savoir que l'autre était là. On avait besoin l'un de l'autre.

Merde, on avait dit que ça n'irait pas plus loin. Je m'étais promis que ça n'irait pas plus loin. Mais la chaleur qui m'envahissait le ventre luttait contre les principes que j'avais mis en place.

Non, il ne fallait pas que ça aille plus loin, c'était trop dangereux.

Je m'écartai vivement de lui, prise soudain d'un élan de panique. On ne pouvait pas risquer notre amitié sur un coup de tête. En plus ça ne voulait rien dire, on avait tous les deux passé une nuit horrible et c'était ce qui nous avait soudainement rapproché.

– Mikael, il faut que j'y aille. Mais je vais bien, je t'assure.

Je me retournai vivement et me dirigeai dans le couloir où m'attendaient Ken et mon frère sans laisser le temps à Deen de répondre.

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