Chapitre 34. « Prêt à croiser l'épée pour la voir danser l'été »
Ces quelques jours à la montagne avaient fait du bien à tout le monde. Les gars avaient pu souffler avant le rush qu'allaient être les prochains mois et j'avais pu retrouver mes amis.
Nous étions donc tous de retour à Paris, et par je ne sais quel miracle nous étions tous rentré entiers.
Après mon nouvel arrangement avec Deen, j'avais envoyé un message à Morad pour lui dire que nous ne pouvions plus nous voir. Mais je n'étais pas encore tout à fait à l'aise avec la situation ; j'avais l'impression que notre relation se transformait petit à petit en relation de couple et je ne voulais pas que ça arrive, ça me faisait peur.
De toute façon pour l'instant nous étions tranquilles, ni lui ni moi n'avions de sentiment pour l'autre et ça ne risquait pas d'arriver ; je ferai tout pour m'en empêcher.
À quinze heure, j'étais assise en tailleur sur un banc avec mes amis de la fac en attendant notre cours de civilisation américaine de seize heure.
– Putain je suis dans la merde j'ai toujours pas fait sa dissert' de merde, déclara Jules en tirant sur sa cigarette.
– Faudrait peut-être te bouger gros, même Maëlle elle l'a fait, c'est pour dire, l'enfonça Clémence.
Je souris fièrement avant de rejeter mes cheveux en arrière comme dans une pub de shampoing et Jules me tira la langue.
Je m'étais trouvé une belle bande d'amis, même si je ne les voyais pas souvent avec mes horaires aménagés.
Alors que j'expliquais les idées que j'avais développé dans ma dissertation, mon téléphone vibra :
Burb : T'es où ?
Je levai les yeux au ciel. Il savait très bien que j'étais en cours, je lui avais dit.
Moi : À la fac, tu veux que je sois où ?
Burb : Nan j'veux dire, t'es où à la fac ?
Je ne comprenais plus rien. Je réfléchis tandis que mes amis et moi nous dirigions vers notre amphi.
Moi : Je vais en CM pourquoi ?
Sa réponse ne se fit pas attendre.
Burb : Quel amphi ?
C'était de plus en plus bizarre. Il n'allait quand même pas me dire qu'il était sur la fac ce con ?
Moi : Zola, mais pourquoi ??
Il ne répondit plus, et quelques minutes plus tard, alors que j'allais entrer dans l'amphi avec mes amis, une main me retint le poignet. Putain je m'en doutais.
– Qu'est-ce que tu fous là ? demandai-je en riant.
– Je passais dans le coin.
– Et donc ?
– Et bah je viens en cours avec toi, m'annonça-t-il avant de me précéder dans l'amphithéâtre.
Je restai quelques secondes dans le couloir, bouche bée, puis le suivis. Je lui indiquai la dernière rangée ; je savais d'avance qu'il n'allait pas me laisser travailler, alors autant ne pas embêter les autres.
Et j'avais raison. Au bout de dix minutes, il perdit patience et dessina sur mon cours. Je lui donnai une tape sur le dos de la main.
– Arrêtes tes conneries ! chuchotai-je.
Il me sourit bêtement et fis mine de se reconcentrer sur ce que le prof racontait.
- And that was highly unconstitutionnal ! Because these japanese people were being held against their will in internment camps without a reason, like prison. That's pretty ironic, when we know that the values the government was defending...
– Mais tu comprends tout ce qu'il dit ? me demanda mon ami.
Je fermai les paupières, agacée :
– D'habitude oui mais là je te cache pas que j'ai du mal avec le débile assis à côté de moi.
Il rit. On aurait dit un enfant ; il était tout simplement fier de lui.
Au bout d'environ dix minutes, je me dis qu'il réussissait enfin à se tenir quand il brisa le mince espoir qu'il me restait :
– Il dit quoi ?
Ça devait être ça d'avoir des enfants. Je me promis de ne jamais oublier ma pilule. Jamais.
– Il parle de la place des États-Unis pendant la deuxième guerre mondiale. Maintenant fermes ta gueule.
Il rit de plus belle et je me fis une raison : il allait falloir que je demande le cours de quelqu'un pour le retravailler chez moi.
Effectivement, à dix-sept heures, en sortant de l'amphi, Deen avait interrompu une bonne quinzaine de fois ma concentration et il me manquait la moitié du cours.
– Putain plus jamais ! lâchai-je en sortant.
Il se contenta de rigoler et passa un bras sur mes épaules. Je frappai son torse pour la forme.
– En vrai je te respectes, j'ai rien capté de ce qu'il racontait.
– Déjà pour comprendre faudrait écouter plus de trente secondes, râlai-je.
Nous nous dirigeâmes chez lui d'un commun accord et prîmes le RER.
Comme souvent, à peine avions nous passé le pas de la porte que nos corps étaient collés l'un à l'autre, et que nos mains exploraient le corps de l'autre.
Mais j'avais envie le faire chier : il m'avait emmerdé pendant une heure, j'allai faire pareil.
Je me décollai de lui, le laissant ébahis dans l'entrée, et me dirigeai dans son canapé. Je sortis ma trousse et mes cours pour commencer à travailler.
– Tu fais quoi là ? me demanda Deen.
J'aurais aimé prendre sa tête en photo. Il était planté au milieu de son salon, comme un con, ne sachant quoi faire, un air à la fois perdu et irrité sur le visage.
Je réprimai un sourire et lui répondis en fixant mes cours, faisant mine de me mettre à travailler :
– Ah bah il faut que je travaille, j'ai pas réussi à me concentrer en Histoire alors il faut que je rattrape mon retard.
Je commençai à écrire. Je n'écrivais rien qui ai du sens, je n'avais pas de cours de toute façon, je voulais simplement l'énerver.
– T'es une gamine Elma !
Je n'aimais pas quand il m'appelait Elma, c'était pour les autres ça. J'avais l'impression d'avoir une relation différente avec Deen, probablement parce qu'il était le premier que j'avais rencontré.
– Le seul gamin que je vois c'est celui qui se tient comme un benêt au milieu de son appart.
Je l'entendis bouger et enlever son blouson :
– Répètes ça pour voir ?
– La partie où je dis que t'es un gamin ou celle où je dis que t'es un benêt ?
Fixant toujours ma feuille, je ne l'avais plus dans mon chant de vision. Ça ne me disait rien qui vaille.
Je pris un texte qui traînait dans mon trieur, et entamai sa traduction.
– Est-ce qu'un gamin il peut faire ça ? me demanda-t-il.
Il était juste derrière moi, je sentais son souffle sur mon cou. Il embrassa celui-ci pour appuyer son propos.
Je frissonnai mais restai concentrée sur ma feuille. Il ne m'aurait pas.
Ses baisers s'approfondirent et il embrassa l'autre côté de mon cou.
Craque pas Maëlle, craque pas.
– Et un benêt il peut faire ça ?
Il avait passé ses mains sous mon pull et elles se baladaient sur mes côtes.
Oh et puis merde !
Je me retournai vivement et scellai nos lèvres.
Il me rejoignit sur son canapé et m'enleva mon pull. Je m'installai à califourchon sur lui, et notre échange s'intensifia.
Il allait vraiment falloir que j'apprenne à lui résister, j'étais plus forte que ça.
[...]
– N'importe quoi, je suis sûr à quatre-vingt-dix-neuf pour cent que c'est toi, protesta Raphaël.
Nous étions chez Idriss et Hakim avec quelques autres de nos amis, et mon frère et moi débattions sur qui de nous deux avait poussé Hugo sur le radiateur, l'envoyant se faire recoudre aux urgences.
Mes souvenirs étaient vagues, mais je ne me souvenais pas avoir eu un rôle dans cet accident.
Tout le monde se marrait autour de nous, amusés par notre querelle.
– Mais bien sûr que non, c'était toi qui était derrière lui, je m'en souviens très bien !
– Tu veux vraiment qu'on l'appelle ?
– Vas-y.
Il était minuit passé, mais ni lui ni moi ne voulions abandonner nos positions, alors autant demander au principal concerné.
– Attendez on lance les paris ! s'exclama Théo. Qui pense qu'Elma elle a raison ?
Quelques mains se levèrent, dont Ivan, Idriss et Moh. Tous les autres votaient pour mon frère. Rah les traîtres, je m'en souviendrai !
– Raph tu dois des grecs à tous ceux qui pensent que ta reus a raison, annonça Antoine. J'crois en toi gamin !
Raphaël pris son téléphone et le mis en haut-parleur :
– Ouais gros, petite question ! Quand on était gosses, genre neuf, dix ans. T'rappelles t'as fini avec des points de suture au front ?
– Hmm.
– Ouais, et bah c'était à cause de qui ? Mel ou moi ?
– Techniquement toi, parce que tu m'es tombé dessus.
Quelques cris résonnèrent un peu partout autour de nous et Idriss me checka. Yes !
– Mais c'est ta frangine qui t'a poussé et ça a fait domino, donc en gros c'est de sa faute à cette connasse là !
Eh merde. Idriss se renfrogna d'un coup et le camp adverse célébra en criant. Ken esquissa une petite danse de la joie.
Raphaël raccrocha et me lança un regard victorieux.
– Je te rappelle que c'est moi le génie de nous deux, se moqua-t-il. Fies-toi à ma mémoire plutôt qu'à la tienne.
Je lui sautai dessus et nous nous battîmes comme des gosses.
– Plus jamais je te fais confiance, grogna Ivan.
– Roh ça va c'est pas toi qui devra payer huit putain de grecs ! D'ailleurs je vous retiens les autres, vous avez aucune foi en moi, c'est décevant.
– Ouais, bah en attendant on a gagné des grecs gratuits, fanfaronna Deen que je gratifiai d'un coup dans le bras.
– C'est golri à dire ça « grec gratuit », constata Moh. Grec gratuit, grec gratuit, grec gratuit, grec gratuit...
Tout le monde rigola et mon téléphone sonna. En voyant le nom « Khadija » s'afficher je fronçai les sourcils. Je montrai l'écran à mon frère qui fit une moue dubitative, puis je m'isolai dans la salle de bain.
– Allo Khadija ? Ça va ?
– Oui ma fille, ça va très bien et toi ? Tu es de retour à la capitale Tarek il m'a dit ?
– Ouais, j'ai retrouvé ma petite vie de parisienne, rigolai-je.
– C'est bien c'est bien...
Elle laissa planer un petit silence. Je me doutais qu'elle ne m'appelait pas seulement pour avoir des nouvelles, ce n'était pas son genre.
– Tarek m'a tout dit ce qu'il s'est passé pendant les vacances, dit-elle enfin.
Je ne répondis pas, par peur de dire quelque chose qu'elle ne savait peut-être pas.
– Ne fais pas l'innocente, je sais tout, continua-t-elle en arabe. Il a jamais été aussi honnête avec moi mon fils, j'ai pas trop compris sur le moment. Ah je l'ai frappé, j'étais vraiment remontée, j'arrivais pas à croire qu'il soit allé aussi loin dans ses bêtises !
– Moi aussi je l'ai frappé, il m'a beaucoup déçue.
– Je sais, c'est pour ça que je t'appelle. Je veux te remercier ma chérie. Merci de t'être occupée de lui et de l'avoir remis dans le droit chemin. Il m'a promis qu'il recommencerait plus, il a vraiment eu peur.
– J'espère bien, sinon la prochaine fois je le tue.
Le rire de Khadija retentit dans le téléphone. Elle savait très bien que ce genre de menace était monnaie courante entre son fils et moi. Aucun de nous n'aurait jamais le courage de les mettre à exécution.
– Merci beaucoup ma fille, je suis tellement heureuse de t'avoir dans ma famille, je me demande où cet âne en serait sans toi. Il serait probablement déjà en prison. Tous les jours je souhaite être ta mère. Ton père a fait un travail formidable, il est très chanceux de t'avoir.
Je sentis mes yeux me piquer. Cette femme...
– Tu sais Khadija, Raphaël et moi on te considère comme notre mère. Tu t'es toujours comportée comme telle et c'est aussi en grande partie grâce à toi qu'on en est là aujourd'hui. Tu nous as élevé, Papa il aurait jamais réussi à s'occuper de nous sans toi. Tu comptes presque plus que ma propre mère pour moi.
– Je sais, je sais... Pour moi c'est pareil tu sais. Je n'ai jamais trop osé le dire par respect pour votre Maman mais pour moi tu es ma fille... C'est peut-être parce que tu es plus à Dijon que je m'en rend encore plus compte maintenant.
Putain... Je pourrai crever pour cette femme.
– Bon, je vais te laisser, il faut que je retourne voir si mes ânes ont pas incendié la salle à manger. Que Dieu te garde ma chérie, au revoir.
– Au revoir Khadija.
D'un geste rapide je me frottai les yeux, la gorge serrée, avant de retourner dans le salon où les conversations allaient bon train.
– Genre tu parles kabyle ? s'étonna Hakim.
– Pas couramment, mais je peux tenir une conversation. La mère de Tarek s'est beaucoup occupé de nous quand on était môme et ça parlait quasiment que comme ça chez eux, alors on a choppé des morceaux de la langue.
Hakim fit une moue étonnée. Eh ouais mon pote, tu savais pas tout sur moi !
– Et du coup ? me questionna Raph.
– Elle m'appelait pour me remercier. Bouhied lui a raconté toutes ses conneries et elle me remerciait d'avoir été là pour lui et elle m'a dit qu'elle aurait aimé que je sois sa fille.
– Ah c'est pour ça que t'as les cils un peu mouillés miskine ! me lança Idriss.
Je lui jetai une capsule de bière en riant :
– Ta gueule ! Ça m'a touché j'avoue. Elle est vraiment merveilleuse cette femme.
– En vrai au final c'est un peu notre mère aussi... songea Raphaël.
Je hochai la tête. C'était vrai. Même si notre mère nous manquait, on avait moins connu cette figure maternelle que celle de Khadija.
– Je donnerais ma vie pour elle, dis-je. Elle a fait tellement de sacrifice pour nous alors qu'on est même pas ses enfants. Je te jure, quand je serai prise en équipe de France je lui achèterai un bête d'appart sur les hauteurs de Dijon.
– Faudrait-il déjà que tu sois sélectionnée, me chambra Deen à qui je tirai la langue.
– Elle nous considère comme ces mômes alors qu'on lui en a fait baver comme jamais, continua Raphaël sans faire attention à son intervention.
– Comment ça ? demanda Ken.
– Bah avec Tarek et Hugo on faisait un max de conneries, elle nous a choppé pas mal de fois, on lui a promis un nombre incalculable de fois qu'on arrêtait, tout ça pour recommencer le lendemain et la décevoir encore. Y'a pas que notre père qui venait nous chercher au commissariat, souvent Khadija s'en chargeait aussi et étant gamin on lui a pas vraiment montré qu'on était reconnaissants, on s'en battait un peu les couilles. Alors qu'elle et notre père étaient en galère, nous on leur rajoutait encore plus de problèmes.
– Je te jure, je comprends pas pourquoi elle aurait aimé qu'on soit ses vrais gosses, on était vraiment des p'tites merde, souffla mon frère.
– En même temps je la comprends, continuai-je avec un sourire rieur sur une note plus légère. Son aîné c'est Bouhied, s'teuplait, payes ton exemple ! Pas étonnant que les trois autres arrivent pas à suivre !
– Pauvre femme, si seulement elle nous avait eu juste nous, enchéris mon frère.
Tout le monde rigola.
– W'Allah vous êtes vraiment des raclures ! s'insurgea Moh. Vous imaginez ils parlent de nous comme aç quand ils sont avec leurs potes ? Fais gaffe à toi Elma parce qu'on est pas encore marié, les choses peuvent vite changer !
Je me tordis de rire. Putain il me tuait ce gars.
– Bah fais-vite changer les choses alors, moi j'attends que ça depuis des semaines !
Moh se renfrogna et des éclats de rire retentirent.
Qu'est-ce que j'aimais cette bande d'abrutis.
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