Chapitre 29. « Trop de colère et de tristesse »

J'avais mis une bonne heure à me calmer. J'avais frappé dans quelques meubles et ça m'avait un peu soulagée. J'avais vraiment mal au poing d'avoir tapé dans le mur qui lui, se portait bien.

J'avais pris une douche et passé le reste du temps au téléphone avec Tarek, qui comprenait souvent mes accès de colère, et pour une fois il avait été de bon conseil :

– J'aurais réagis comme eux Clarkson. Même si je fais le ouf tout le temps j'aurais vrillé si j'avais appris qu'il t'était arrivé un truc. Quand ils ont appelé j'étais pas serein. Juste, essaye de les comprendre, et dès que t'es calmée vas t'excuser. Ton reuf il a ses tords aussi, il le sait et il va s'excuser c'est sûr. Mais t'as quand même pas répondu à ton putain de tel de la néejour et tu peux comprendre que ça les ai rendu paro, ils tiennent à toi.

Tarek la voix de la raison, je n'aurais jamais cru être témoin de ça un jour. Je l'avais remercié et j'avais raccroché déterminée à appliquer ses conseils. J'irai les voir demain pour m'excuser, même si ça m'arrachait la gueule et que ça foutait un coup à ma fierté.

Je mourrais de faim et entrepris de me préparer à manger. Il me manquait du sel, comme d'habitude, et j'entrepris d'aller encore une fois en demander à mon voisin. Il fallait vraiment que j'aille faire les courses, mon pauvre voisin allait finir par me facturer à force.

En sortant dans le couloir, je trébuchai sur quelque chose, me rattrapant de justesse à la rambarde des escaliers en face de moi. En me retournant je vis Ken, assis en travers de la porte. Puis mon regard se posa sur mon frère, puis sur mes deux autres amis, qui étaient eux aussi assis dans le couloir.

Ces cons étaient restés là depuis le début. Ils avaient donc entendu mon pétage de câble. Je soupirai, blasée et épuisée :

– Vous voulez vraiment pas vous en aller ?

Ils se relevèrent. Mon ton était suppliant et  j'avais été la première surprise par la faiblesse qui avait percé dans ma voix.

Leur réponse fut unanime : Non.

Je soupirai une nouvelle fois en baissant la tête. Je voulais vraiment qu'ils me laissent tranquille. J'avais besoin d'être seule pour pouvoir me renfermer sur moi-même et enfouir mes sentiments au fond de moi. Mais j'allais apparemment devoir attendre pour ça.

N'ayant plus la force de me battre, je les invitai à entrer d'un geste de la main. Même parler semblait insurmontable.

Ils s'assirent autour de ma petite table et je m'assis sur une des chaises, les jambes rassemblées contre mon torse. Je posai mon menton sur mes genoux, les entourai avec mes bras et relevai les yeux, attendant que l'un d'eux parle.

– On s'énerve plus là hein ? me demanda Antoine avec douceur. On peut parler ?

Je clignai des yeux de manière affirmative et il commença ses explications :

– En fait on s'est mutuellement monté la tête. Je pense qu'individuellement on aurait pas autant paniqué mais là y'en avait pas un pour rassurer les autres.

– Ouais quand ton reuf nous a appelé l'un après l'autre, on a pas plus flippé que ça, continua Ken, on est pas au courant de toute ta vie non plus. Sauf qu'il avait vraiment pas l'air ienb, du coup on s'est rejoint chez oim, histoire de le rassurer.

Deen enchaîna avec sa version :

– Ce matin j'avais un quetru à faire mais je suis repassé chez toi, et quand j'ai vu que t'étais pas là, bah je suis juste rentré à Auber, je me suis pas posé de question. Sauf qu'après Nek m'a envoyé un message pour savoir si je savais ce que tu faisais, et quand j'ai dit non bah il m'a dit de ramener mon derch chez lui.

– Et là ton reuf nous a tout raconté, finit Ken. Qu'il avait bientôt besoin d'une greffe, que ça t'avait fait du mal de l'entendre, et qu'il pouvait pas recevoir d'organes de beaucoup de monde. Et qu'il avait peur que t'ai fait une connerie parce que quand vous étiez ados t'avais mentionné l'idée de te foutre en l'air pour lui.

– Je te jure je sais que t'es pas une lâche, me dit Antoine. Et si j'avais été tout seul je lui aurais ris au nez à ton frère, mais j'sais pas... Là dans le contexte je me suis dit que sur un coup de tête c'était grave possible que t'ai pété un plomb, t'en aurais eu tous les droits... En plus Deen nous a dit que t'étais plus avec ton gars du coup ça ajoutait encore un truc sur tes épaules et même si t'es ultra forte, peut-être que tout combiné ça aurait pu te faire craquer.

À la mention de ma rupture avec Alexis dont seul Deen était au courant, celui-ci me lança un regard désolé.

J'esquissai un faible sourire pour le rassurer ; il avait cru bien faire en leur en parlant.

Mon frère parla enfin :

– J'ai aussi appelé Bouhied pour savoir s'il avait des nouvelles et il m'a raconté pour les types à qui ils devaient de la thune et que tu t'étais effondrée quand tu l'avais appris. Je me suis direct dit que t'avais pensé à Ali. Et quand on s'est retrouvé avec Ken, Antoine et Deen, je leur ai tout raconté, et on s'est dit que tous ces trucs combinés ça aurait pu te faire vriller.

Il parlait d'un air coupable, comme un gamin pris la main dans le sac en train de faire une connerie.

– Je suis désolé, en fait c'est de ma faute si ils ont flippé, poursuivit Raph. Je suis censé te connaître par cœur donc comme j'étais persuadé qu'il t'était arrivé un truc ils m'ont cru. Mais maintenant que j'y réfléchis je me sens ultra con. T'es la personne la plus forte et la plus courageuse que je connaisse et je sais que tu m'aurais jamais imposé ta mort.

À la mention de ses deux derniers mots, mes amis grimacèrent. Putain ils tenaient vraiment à moi si ils pouvaient même pas entendre « ta » et « mort » l'un à côté de l'autre quand ça parlait de moi. J'étais un peu émue mais j'étais encore remontée contre eux donc je ne montrai rien. J'étais déterminée à les faire ramer.

Deen n'avait pas repris la parole, il semblait encore perdu dans ses pensées.

– Bon c'est un peu trop tendu pour moi là, déclara Ken. T'as mangé ? me demanda-t-il.

Je fis non de la tête.

– Ok, on bouge acheter des grecs et on en reparle le ventre plein. Qui vient ?

Raphaël se leva pour l'accompagner, puis après un regard entendu de la part de Ken, Antoine se décida à partir avec eux. Je me retrouvai donc seule avec Deen. J'aurais préféré me retrouver seule tout court.

Nous restâmes silencieux pendant au moins cinq minutes. Je ne le voyais pas, ayant le front posé sur mes genoux et les yeux fermés. J'étais si fatiguée.

– J'ai rarement autant flippé, dit enfin mon ami.

Je relevai la tête. J'aurais dû la laisser baisser, j'avais du mal à supporter la vue de ses yeux implorants. Il était resté silencieux tout ce temps parce qu'il était encore à fleur de peau.

– Mika je...

– Ouais je sais t'es désolée. Mais t'as pas à l'être en vrai, on a vraiment été ultra cons, admit-il. Par contre je veux que tu saches que jamais je te verrai comme une lâche. Je sais même pas comment j'ai pu penser une seule seconde que t'ai pu le faire.

Il s'arrêta quelques secondes, semblant mettre de l'ordre dans ses idées :

– Je sais que t'aurais pas pu le faire, mais c'était franchement pas les meilleures heures de ma iv, continua-t-il, sa voix grave maintenant enrouée. J'ai imaginé tous les scénarios possibles, et j'espérais limite qu'un hosto appelle pour dire que t'allais bien, que t'avais raté ton coup. C'est pour dire à quel point j'ai été con. Parce que la solution la plus probable en fait c'était juste que t'allais très bien, que tu te changeais les idées et que t'avais juste pas envie qu'on te casse les couilles. Parce que t'es ce genre de personne, pas une meuf qui baisse les bras à la première contrariété.

Un silence s'ensuivit mais je ne répondis pas, voyant qu'il n'avait pas fini. Ses yeux se baladaient sur la pièce, et on aurait dit qu'il se battait intérieurement pour savoir s'il devait dire ses prochains mots ou pas.

– C'est trop tard pour m'éloigner de toi, et de toute façon j'veux pas, mais putain y'a fallu que je tombe sur la meuf la plus indépendante et la plus casse-cou et casse-couilles de Paname. T'imaginer morte - il eut un drôle de rictus en prononçant cette phrase - ça a vraiment pas été cool. Je vais passer pour un putain de fragile en disant ça, mais maintenant je suis beaucoup trop attaché à toi et je peux pas vivre sans ma grosse, c'est juste impossible.

Je ne pouvais plus voir ses yeux bruns suppliants, c'était une torture. Deen était une des personnes les plus fortes que je connaissais et je savais qu'il ne montrait jamais ses sentiments, alors là c'était beaucoup trop pour moi. Une vague de culpabilité m'envahit en réalisant que j'étais responsable de son état :

– Mikael, dis-je enfin doucement. Je suis là tu sais, je vais bien, le rassurai-je.

Je savais qu'il était soulagé depuis qu'il m'avait vu entrer dans le studio, mais j'eus l'impression que mes paroles achevèrent de l'apaiser. Entendre ma voix l'avait sûrement conforté dans l'idée qu'effectivement, j'étais là, et que tous ses scénarios ne deviendraient jamais réalité.

Je me levai et me dirigeai dans son dos pour l'entourer de mes bras, avant de déposer un baiser sur sa joue.

– Je serai toujours là, t'inquiètes pas pour moi, il m'arrivera jamais rien.

Il se leva vivement et me pris dans ses bras, une main dans mes cheveux, l'autre dans mon dos, me serrant de toutes ses forces contre lui.

Ça faisait à peine une journée que j'avais quitté ses bras mais j'avais déjà oublié quel effet ça me faisait. Il avait le don de m'apaiser au moindre contact physique. Me retrouver ainsi dans ses bras m'empli de soulagement et toute la tension que j'avais emmagasiné dans la soirée s'évapora.

Il me repoussa enfin doucement et replaça un cheveux derrière mon oreille tout en me regardant dans les yeux. Je savais qu'il fixait la petite tache verte de mon œil droit, autrement appelée « hétérochromie » ; il faisait ça tout le temps.

Je sentis une vague de chaleur m'envahir et réalisai que je mourrais d'envie de l'embrasser.

Je ne pouvais pas faire ça, pas maintenant.

Alors pourquoi en avais-je autant envie ? C'était de la torture de résister, au fond je pouvais me laisser aller... 

Je balayai immédiatement cette pensée, je devais me raisonner :

– Mika, par rapport à hier je...

– On peut pas recommencer, dit-il en regardant furtivement mes lèvres.

– Non on peut pas, je viens de rompre avec Alexis, c'est trop tôt, dis-je sans trop de conviction.

– Je comprends, ce serait pas bien, on flouterait encore plus la barrière de l'amitié.

Pourtant nos corps disaient des choses complètement différentes en se rapprochant imperceptiblement l'un de l'autre.

Il fallait qu'il arrête de parler, sa voix grave allait me faire craquer.

– Je veux pas qu'on soit de nouveaux deux inconnus parce qu'on aura fait des conneries, continuai-je le souffle presque coupé.

– Ouais, on couche pas avec ses potes, déclara-t-il.

Ses lèvres n'étaient maintenant qu'à quelques centimètres des miennes et je savais qu'il n'était pas le seul responsable de ce rapprochement.

Puis ce qui devait arriver arriva. J'abandonnai complètement la lutte et nos lèvres se rencontrèrent, puis nos langues. Je me retrouvai bientôt plaquée contre le mur, les bras de Deen m'entourant étroitement. Je ne voulais pas le lâcher, et visiblement, lui non plus. À ce moment-là nous avions terriblement besoin l'un de l'autre. J'aurais vraiment dû répondre à ce putain de téléphone, ces heures avaient l'air d'avoir été longues pour lui. 

Nous ne pûmes aller plus loin car je me séparai vivement de lui en entendant des pas dans les escaliers. Il me lança un regard plein de reproche, un peu dubitatif, et je l'embrassai une dernière fois avant que la porte ne s'ouvre.

Je pensais que la scène de la cuisine avait été frustrante, mais ce n'étais rien à côté de ce que nous étions en train de vivre.

– À table ! cria Ken.

Ken, Antoine et Raphaël posèrent les barquettes sur la table ainsi que quelques bières, et Deen et moi nous installâmes avec eux, l'air de rien. Pendant ce temps, moi je bouillais littéralement, chacun de mes sens m'insultant pour ce que j'étais en train de leur faire subir et me poussant à retrouver les lèvres de Deen.

Nous continuâmes d'abord la discussion entamée toute à l'heure. Je réussis à les convaincre que j'allais bien et qu'ils étaient pardonnés, et ils abandonnèrent le sujet.

Puis nous rigolâmes comme si rien ne s'était passé, et j'étais vraiment soulagée. Je pouvais enfin enfouir tous mes sentiments au fond de moi et passer du bon temps avec mes amis. Je n'aimais pas aller mal et je pus enfin sourire et rire avec eux. J'étais de nouveau moi.

J'avais passé le repas à éviter de croiser le regard de Deen, non pas parce que j'avais des remords ; c'était simplement parce que je savais que mes yeux me trahiraient. Parce que je savais que mon visage n'afficherait pas un regard simplement amical.

Parce que je savais que si je le regardais, je devrai lutter contre tous mes sens pour ne pas lui sauter dessus à nouveau.

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