Chapitre 28. « It's easier to run, replacing this pain with something numb »

Je m'étais réveillée le lendemain matin, seule dans mon lit. J'avais entendu Deen partir quelques heures auparavant et j'en étais soulagée. Je ne tenais pas à me réveiller à ses côtés, je ne voulais pas qu'il me voit aussi mal et je n'étais clairement pas dans le bon état d'esprit pour une confrontation.

J'étais encore allongée et j'avais l'impression d'étouffer. Je n'avais jamais été dans un tel état avant.

Mais il ne me fallut que quelques minutes pour me ressaisir et me lever, pleine de détermination. Il fallait que je bouge sinon j'allais péter un câble. Nous étions samedi, et j'avais toute la journée pour moi.

Je n'enlevai même pas le mode avion de mon téléphone, n'ayant envie de parler à personne, puis pris un petit-déjeuner rapide, enfilai un legging, un T-Shirt, un sweat et mes baskets, et partis courir, ma musique dans les oreilles.

Le froid de l'hiver me prit immédiatement au visage, et l'air frais qui brûlait ma gorge ne me dérangea pas une seule seconde tellement j'avais besoin de me dépasser.

Lorsque j'allais mal et que j'allais courir, je battais tous les records. Et c'est ce qui se passa : je courus le plus vite possible, pleine de haine et de frustration, sans m'arrêter une seule seconde, et ce pendant deux heures. Je n'avais pas vu le temps passer, je m'étais seulement arrêtée lorsque mes jambes avaient décidé d'abandonner la partie.

Je me sentais beaucoup mieux, j'étais libérée. Je n'avais pas oublié les événement de la veille mais tous les sentiments parasites qui m'avaient envahis avaient maintenant disparu. J'étais légère, joyeuse, de nouveau moi-même.

J'avais couru sans regarder où j'allais et j'essayais de me repérer. J'allais forcément retrouver mon chemin, je n'étais pas si conne. De toute façon j'avais un peu faim. J'avais toujours de l'argent sur moi, et je décidai de m'arrêter dans un kebab pour prendre un grec à emporter.

Je n'avais aucune idée d'où j'étais mais je m'en foutais. Je me dirigeai vers un quai des bords de Seine et m'y installai pour manger en regardant les bateaux mouche passer, en écoutant ma musique sous les faibles rayons du soleil.

Je ne pensais plus à rien et ça faisait un bien fou. Je n'utilisais que mes yeux et mes oreilles, mon cerveau était en mode off et je n'avais même pas eu besoin d'utiliser ma boîte de pète d'urgence.

J'étais bien ici, seule. C'était comme si le reste du monde n'existait pas.

Mais celui-ci se rappela à moi sous la forme d'une petite mamie qui s'installa à côté de moi. J'enlevai mes écouteurs et lui souris.

– Après l'effort de réconfort ? me demanda-t-elle en regardant la boîte jaune de mon repas.

Je lui souris de plus belle. Elle était toute mignonne. C'était la mamie typique, des cheveux blancs courts et ondulés, des vêtements qui avaient sûrement vécu la Grande Guerre, et des lunettes de vues dorées.

– Vous avez l'habitude de venir ici ? lui demandai-je plus par politesse qu'autre chose.

– Oui, j'avais l'habitude d'y venir avec mes enfants lorsqu'ils étaient petits. Maintenant j'y viens avec mes petits-enfants quand ils sont chez nous mais c'est pas encore les vacances, m'expliqua-t-elle.

– Ma famille me manque aussi. C'est d'autant plus dur après Noël hein ?

Elle m'interrogea du regard et je lui expliquai que je vivais loin de ma famille.

Nous discutâmes pendant plus de deux heures, marchant parfois, ou nous asseyant sur des bancs lorsque ses jambes avaient du mal à la porter.

Elle s'appelait Michelle et elle avait vécu toute sa vie à Paris. Elle était en retraite depuis quelques années et avait travaillé toute sa vie en tant qu'institutrice dans une école primaire. Elle avait quatre enfants, trois garçons et une fille, et dix petits-enfants. Son mari était mort six ans auparavant d'un cancer des poumons.

Elle m'avait raconté sa vie et je lui avais raconté la mienne. Je lui avais tout raconté. Tout ce que je gardais au fond de moi depuis des années. Tout ce qui s'était passé ces derniers mois. Et tout ce qui s'était passé ces trois derniers jours.

Et pourtant je ne la connaissais que depuis quelques heures. J'avais peut-être dit tout ça parce qu'elle m'inspirait confiance et que c'était plus facile de se dévoiler devant une petite mamie qu'on ne connaissait pas que de paraître faible devant ses amis.

– Je ne comprends pas que tu puisses garder autant en toi ma chérie, me dit-elle. Il faut que tu parles, tu ne peux pas continuer comme ça, tu vas finir à Sainte-Anne.

Elle était très douce avec moi, comme ma grand-mère. Elle m'avait frotté le dos pendant tout mon discours sur mon enfance, la maladie de mon frère, la mort d'Ali, les conneries de Tarek et ma rupture. Elle ne m'avait jamais coupé la parole, hochant seulement la tête par moments.

Il était déjà 16h et il fallait que Michelle rentre, elle avait l'air fatiguée. Je l'avais donc raccompagnée chez elle et elle m'avait invitée à l'intérieur.

Elle m'avait servi un chocolat chaud et nous avions encore discuté pendant un long moment.

Elle ne m'avait jugé à aucun moment. Même quand je lui avais conté mes bastons en primaire et au collège, mes courses poursuites avec les flics, mes séjours au commissariat, mes sombres combines avec mes amis à Dijon. Elle était très à l'écoute et apportait son propre regard sur chaque situation.

Nous ne nous connaissions que depuis quelques heures mais je l'adorais.

– Tu as l'air d'être très bien entourée, avait-elle déclaré. Tu as une famille formidable et des amis en qui tu peux avoir confiance. Ouvres-toi à eux, ils méritent au moins d'avoir la possibilité de t'aider.

J'acquiesçai, comprenant son point de vue. Mais je n'allais pas l'appliquer. Ça ne me ressemblait pas et je ne savais pas faire ça.

Vers 19h je décidai d'enfin rentrer chez moi. Je commençais à macérer dans mes vêtements et j'espérais que l'odeur n'avait pas été trop forte pour Michelle.

Nous échangeâmes nos numéros de téléphone. Elle m'indiqua que je pouvais l'appeler n'importe quand, et je lui retournai son invitation ; je savais qu'elle était seule et qu'elle avait besoin de parler. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle nous en étions à boire un chocolat chaud dans son appartement.

Après lui avoir fait la bise, je remis mes écouteurs et me dirigeai chez moi, ragaillardie par ma journée.


[...]


Lorsque j'insérai ma clé dans la serrure pour ouvrir mon appartement, celle-ci ne tourna pas : la porte était déjà ouverte. Sauf que je me rappelais très bien avoir fermé à clé. Il m'arrivait d'être un peu parano depuis que je vivais seule et je veillais toujours à vérifier quinze fois avant de m'en aller.

D'abord hésitante à entrer - rester dehors et appeler quelqu'un aurait été plus judicieux - ma témérité pris le dessus et je me décidai quand même à ouvrir la porte. S'il y avait quelqu'un à l'intérieur, j'avais certainement déjà botté le cul de quelqu'un de plus fort.

J'étais prête à me jeter sur n'importe qui, mais je me ravisai en voyant que, de tous les scénarios que j'avais imaginé, celui de la présence de mon frère, de Ken, d'Antoine et de Deen dans mon petit studio n'en faisait pas partie.

Raphaël était assis sur mon lit, la tête dans les mains, Deen et Ken étaient assis sur des chaises dos à moi et faisaient face à Antoine qui regardait le sol, perdu dans ses pensées. Ils ne m'avaient pas encore remarqué et un silence de mort régnait dans la pièce.

« Qu'est-ce qu'ils foutent là putain ? » fut ma première pensée. Mais en remarquant l'ambiance mortuaire de la pièce, je décidai de tenter une approche plus souple :

– Pourquoi vous avez des gueules de déterrés ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

J'avais essayé de maîtriser mon inquiétude mais celle-ci avait quand même percé dans ma voix. Les expressions qu'ils arboraient ne leur ressemblaient pas. Ils avaient l'air angoissés et je dû prendre sur moi pour ne pas afficher le même air. Je venais à peine de me remettre des événements d'hier, je n'étais pas prête à ce qu'ils m'annoncent encore une mauvaise nouvelle.

Ils sursautèrent et me fixèrent d'un air abasourdis. Je me tournai immédiatement vers mon frère pour qu'il me donne des explications, et celui-ci lâcha un soupir mélangé à un sanglot, puis se rua vers moi pour me prendre dans ses bras.

J'étais complètement perdue.

Il me serrait tellement fort que je ne pouvais plus respirer, son menton posé sur ma tête.

– Raph, parvins-je à articuler. Eh Raph j'peux plus respirer là.

Il me lâcha et essuya une larme qui lui avait échappé. Je détestais le voir comme ça, ses larmes étaient communicatives et il me fallut un contrôle énorme pour ne pas paniquer.

– Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je enfin avec douceur.

Avant que mon frère ne puisse répondre, Antoine pris la parole :

– Il s'passe que tu réponds à aucun appel depuis ce matin et qu'on pensait te retrouver dans la Seine.

Son ton était si froid, je ne l'avais jamais vu dans cet état.

Je ne comprenais plus rien. J'avais ma vie, je n'avais pas non plus besoin de les tenir au courant du déroulé de chacune de mes journées. Et puis d'ailleurs je ne l'avais jamais fait et il m'était déjà arrivé de ne donner aucune nouvelle pendant plus d'un jour, je ne voyais pas pourquoi ils se mettaient dans des états pareils.

Je pries sur moi pour ne pas m'énerver, mais je sentais que je montais vite en pression.

– Je suis juste allé courir, et j'ai passé du temps avec une amie, j'ai pas besoin de vous tenir au courant de toute ma vie non plus, merde ! répliquai-je.

– C'est pas la question, juste réponds aux messages putain ! s'énerva Ken, les mâchoires serrées. Ça nous aurait évité de nous inquiéter comme des connards ! 

– Mais pourquoi vous vous êtes inquiété déjà ? haussai-je le ton. Putain mais laissez-moi vivre ma vie, il m'est déjà arrivé de pas donner de nouvelle pendant une semaine ça vous a pas fait vriller pour autant que je sache !

Je vis que Ken était en train de péter un câble, lui et moi étions trop semblables. Nous ne nous étions pas engueulé depuis notre rencontre mais je savais qu'avec nos tempéraments ça pourrait aller très loin. Deen, qui n'avait pas prononcé un mot jusque là, l'empêcha de répliquer :

– On a cru que tu t'étais foutue en l'air.

Il était calme, posé. Mais la façon dont il avait prononcé ses quatre derniers mots trahissait un brin d'inquiétude et du soulagement.

Alors là je ne comprenais plus rien. Je m'assis sur mon lit, épuisée par toutes ces histoires. J'avais juste envie d'être seule.

Ils ne me lâchèrent pas des yeux, attendant probablement une quelconque explication.

– Qu'est-ce que vous voulez que je réponde à ça ? J'ai une gueule à vouloir mettre fin à mes jours ? Vous êtes vraiment trop cons ma parole ! m'énervai-je.

Ils avaient l'air de s'être calmé. Ken et Antoine fulminaient encore mais là c'était à eux de me fournir des explications, pas le contraire.

Raphaël, qui avait mis quelques temps à s'apaiser, parla enfin :

– C'est moi qui les ai appelé, avoua-t-il.

Surprise, je l'invitai à poursuivre du regard.

– J'ai pas dormi de la nuit après notre discussion d'hier. Je te connais par cœur Mel, j'ai bien vu que ça t'avait anéantie. Alors ce matin je t'ai envoyé un message pour être sûr que ça allait. Puis deux, puis trois, et je t'ai appelé une dizaine de fois. J'étais méga flippé et j'ai appelé Antoine, puis Ken, et ils ont aussi essayé de t'appeler plein de fois. Ken a appelé Deen parce que c'était la dernière personne à t'avoir vu mais il avait aucune nouvelle. On t'a cherché partout putain. Et tout ce qui me venait à l'esprit c'était que ça y'est, tu l'avais fait, alors qu'on en avait parlé des centaines de fois.

Je savais de quoi il parlait et je n'arrivais pas à croire qu'il ai pu y penser ne serait-ce qu'une seconde.

– Et j'en ai parlé aux gars, poursuivit-il. C'est pour ça qu'on t'attendait ici, on savait plus quoi faire. On était à deux doigts d'appeler les flics.

Je soupirai et me pris la tête dans les mains. Ma journée avait été géniale et ils avaient déjà tout gâché. Je n'allais pas m'excuser d'avoir pris du temps pour moi.

– Je peux pas vivre sans toi Mel, alors c'est même pas la peine de penser que de te foutre en l'air ça pourra me sauver. Parce que j'en voudrai pas de tes putain de poumons, plutôt crever.

J'étais en train de bouillir, je sentais des larmes de colère me monter aux yeux. J'en laissais couler quelques unes, je n'en avais plus rien à foutre.

– Putain Raph mais t'es vraiment trop con c'est pas possible ! Je ferai jamais ça, je sais trop bien ce que c'est de vivre en pensant qu'un jour je serai toute seule sans toi, je serai incapable de t'imposer la même chose bordel ! J'arrive pas à croire que t'ai pu penser que je le fasse ! J'ai mis des années à laisser des idées noires pareilles derrière moi alors je t'interdis de penser une seule seconde que je serai capable de le faire ! Est-ce que ça me traverse parfois l'esprit que je préférerais crever en sachant que grâce à ça tu pourras vivre plus longtemps ? Oui. Est-ce que la mort c'est plus attrayant que de te voir un jour dans un cercueil ? Oui. Est-ce que je serai capable de passer à l'acte ? Non. J'aime trop la vie pour ça Raph, et je suis pas lâche. Alors t'as pas le droit de dire ça, et t'as pas le droit de me faire passer pour une lâche devant nos potes.

J'étais à bout de souffle, j'avais envie de frapper quelque chose, de me défouler. J'aurais pu aller courir encore deux heures, voire plus, tellement j'étais sur les nerfs.

– Dégagez, tous, j'veux plus vous voir ! lançai-je froidement.

Ils ne bougèrent pas, ce qui ne fit qu'accentuer ma colère.

– Bougez ou je vous jure que je vous frappe.

Raphaël lança un regard entendu à nos amis, les invitant à faire ce que je disais. Il me connaissait par cœur et savait que j'avais besoin de me retrouver seule, je n'allais jamais arriver à me calmer si j'avais leurs tronches en face de moi.

Ils se dirigèrent vers la porte en traînant les pieds, l'air désabusé.

– Et je me serai pas jetée dans la Seine, ça aurait rempli mes poumons d'eau polluée ! criai-je à Antoine au dernier moment, avant de claquer la porte derrière eux.

Je donnai un gros coup de poing dans le mur. Ça faisait mal mais ça soulageait putain.

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