Chapitre 18. « Bigo rime avec hypnose »
Avant l'entraînement j'avais décidé d'aller voir Deen enregistrer en studio. Oui, encore. Je n'avais pas grand chose à faire de mes journées à part aller en cours et au hand. Bon et puis je n'avais pas besoin de préciser que je bossais toujours mes cours au dernier moment. D'habitude chez moi je zonais avec Tarek, Hugo et mon frère, mais les deux premiers n'étaient pas là et Raphaël était chez Idriss et Hakim, probablement pour jouer à PES, et je n'avais pas envie de passer ma journée devant un écran. Enfin, je n'avais pas envie de les ridiculiser au jeu surtout.
Ça m'avait fait bizarre de voir Raph' s'entendre aussi bien avec les deux rappeurs. J'avais rigolé quelques fois avec Idriss mais j'étais sûre de n'avoir eu qu'une seule conversation avec Hakim. De tous les gars du groupe ils auraient été les derniers avec qui j'aurais vu mon frère se lier d'amitié. Mais tant mieux, ça me faisait plaisir qu'il se soit intégré dans le groupe puisque nous avions l'habitude de nous partager tous nos amis.
J'étais sur le canapé depuis une heure, en pleine lecture de L'étoffe des héros. J'avais choisit ce livre pour Ken et il avait été mitigé par sa lecture, tandis que pour l'instant je l'adorais. Deen galérait à enregistrer un couplet ; il ne cessait de le réécrire et de le refaire depuis plus d'une heure selon son frère.
Je reposai mon livre. Il était vraiment bien mais j'en avais marre, il fallait que je m'occupe autrement. Subitement je regrettai de ne pas avoir été joué à PES avec mon jumeau.
Regardant autour de moi telle une enfant, je cherchai une connerie à faire mais n'en trouvai aucune. Maxime et Ivan étaient concentrés, en train de gratter des textes tout en fumant, Eff était aux côtés de Dance pour enregistrer son morceau avec Deen, et moi, je commençais à me faire chier.
Les mains dans les poches de mon sweat, je me levai pour me rapprocher de la cabine d'enregistrement. J'attendis que Deen me regarde pour lui faire une grimace. Je m'attendais à essuyer un refus de mon humour puéril de sa part au vu de son énervement, mais il esquissa un faible sourire tout en secouant la tête avec désespoir avant de pencher de nouveau la tête sur son téléphone. Je souris et sautillai légèrement sur place, fière de l'avoir un peu déridé.
Ça ne réglait pas le problème de mon ennui pour autant. Je me dirigeai vers Dance, probablement au bout de sa vie, et appuyai sur le bouton du micro :
– Eh si ça veut pas, ça veut pas hein. Te forces pas, on sait que t'es nul, pas besoin d'essayer de nous prouver le contraire.
Le rappeur ne tarda pas à grogner, mais la mine amusée :
– Fermes un peu ta gueule toi, vas lire du Shakespeare ou je n'sais quoi, casses pas les couilles !
Je repartis en direction du canapé en rigolant. Depuis le petit incident qui avait eu lieu entre nous, je n'avais cessé de penser à Deen et ça me rendait cinglée. Je détestais l'effet qu'il avait sur moi et je faisais donc un maximum d'effort pour le faire chier comme je faisais chier tous mes potes afin de nous éviter à tous les deux de réitérer l'expérience.
Sur le canapé, j'étais littéralement affalée à côté de Jehkyl. Je me décalai petit à petit pour me rapprocher de lui, faisant de petits bons sur le canapé. Il me lança un regard en coin, méfiant, avant de se re-concentrer sur son écriture.
Je fis de petits bruit de bouche, passant d'un simple claquement de langue répété à une série de poc! avec mes lèvres sans oublier de mordre ma lèvre inférieure en inspirant en continu.
– Ta gueule Elma, lâcha Ivan d'un air blasé.
Yes, j'étais contente d'en avoir fait réagir au moins un.
Deen sortit de cabine, se dirigea vers le fond du studio et se prépara un café.
– Psst... Maxime... chuchotai-je tout en commençant à jouer avec les boucles brunes du rappeur.
– Hmm ? grogna-t-il, agacé.
– Tu fais quoi ?
Jehkyl me poussa sur le côté d'un coup d'épaule.
Je me redressai puis me penchai pour regarder de plus près ce qu'il écrivait ; je voyais très bien d'où j'étais mais ça n'était pas assez intrusif à mon goût.
– Maxiiiiime... Tu fais quoiiiii... ?
L'intéressé tourna la tête de mon côté, le regard plein de reproche, puis posa sa paume sur mon front avant de pousser ma tête loin de lui.
Du coin de l'œil je pus déceler un sourire amusé de son frère, occupé à touiller son café au fond du studio.
Je tentai une deuxième approche et me décalai encore d'un cul pour me coller à lui, le poussant légèrement du coude à plusieurs reprise au rythme de mes mots :
– Eh... Eh... Eh... Tu fais quoiiii ?
Il m'asséna une petite claque derrière la tête et se pencha sur son téléphone, les coudes sur les genoux. Je soupirai ; il était beaucoup plus patient que mes amis de Dijon.
Alors, prise d'un élan suicidaire, je tentai le tout pour tout en m'affalant sur le haut de son dos, laissant pendre mes bras. D'une main je lui cachai les yeux et de l'autre j'essayai de saisir son téléphone.
– Maxime j'm'ennuiiiiie, me plaignis-je.
Ni une ni deux, le rappeur posa son téléphone sur le canapé, se leva en saisissant mes jambes d'un côté et mes épaules de l'autre, et me trimbala dans le studio comme un sac de pomme de terre.
– Oh bah v'là qu'Henry il va m'emmener dans son laboratoire lugubre, me moquai-je.
– Henry ? entendis-je Eff demander.
– Bah ouais, Henry Jekyll, comme dans le livre quoi. D'ailleurs y'a une faute dans ton blaze, espèce de dyslexique vas !
Je faisais exprès d'envenimer les choses et ça marchait. J'entendis mon agresseur grogner et Deen s'esclaffer, puis vis la porte d'entrée du studio se rapprocher. Sachant très bien ce que mon ami allait faire, je tentai de me débattre et appelai au secours :
– Max lâches-moi ! suppliai-je en secouant les jambes et les bras.
À force de me dandiner, la grippe de Jehk' sur moi se fit moins assurée et je vis Eff et Ivan se rapprocher : ils allaient m'aider, c'étaient vraiment des bons potes.
Mais que dalle, au final Ivan pris mes bras et Jehkyl garda son attache sur mes pieds et ils me mirent tous les deux dehors, dans le froid. Je ne tardai pas à entendre le verrou tourner.
Bon, bah j'avais voulu jouer, j'avais perdu. Je mis la capuche de mon sweat sur ma tête et croisai les bras pour me réchauffer tout en riant discrètement : la bataille avait été marrante.
Puis je tambourinai du plus fort que je pouvais sur la porte, sans discontinuer : j'espérais que ça allait les faire chier et qu'ils allaient se dire qu'ils feraient mieux de me faire rentrer.
Mais ça n'avait pas l'air de porter ses fruits. Alors un à un je les appelai sur leur téléphone : j'avais vraiment bien fait de prendre tous leurs numéros, je me checkai moi-même mentalement.
Putain ça gelait dehors, ils n'allaient quand même pas me laisser mourir de froid ?
Aucun ne répondit, alors je décidai d'appeler seulement Jekhyl en continue. Au bout de huit appels, celui-ci décrocha :
– T'es calmée ?
J'étais vraiment tentée de continuer à le chercher, mais le bon sens me disait qu'il valait mieux faire profil bas :
– Oui... dis-je d'une voix que je voulais attendrissante. Je te promets que j'arrête.
– Je sais pas si je suis convaincu.
– Laisses-moi entrer la putain de ta race !
Je l'entendis rire à l'autre bout du fil :
– C'est pas très diplomate ça Elma.
– Plomate ça Elma. Allez, s'il te plait, laisse-moi entrer, ça meule.
– Ça quoi ?!
– Ça caille quoi ! Je te jure ces sudistes...
J'entendis des rires derrière lui. Il devait être sur haut-parleur.
– T'arranges pas ton cas là.
Je soufflai. Je ne pouvais vraiment pas m'empêcher de répliquer avec sarcasme. S'il fallait un émissaire pour une guerre quelconque, il ne fallait pas m'envoyer.
– Maxime, s'il te plait, est-ce que tu peux m'ouvrir la porte ?
– C'est qui ton rappeur préféré ?
Je me mordillai la lèvre d'énervement. Putain il allait m'avoir ce con, je voulais trop rentrer. En plus il allait m'attirer des emmerdes vu qu'il était sur haut-parleur.
À contrecœur, je lui donnai la réponse qu'il attendait :
– C'est toi évidemment, quelle question !
Le verrou de la porte tourna, puis le visage satisfait de Jehkyl apparu. Je me faufilai à l'intérieur avant qu'il ne change d'avis.
– Cimer Henry ! m'exclamai-je de l'endroit le plus éloigné de la porte.
Deen était mort de rire, et je fus satisfaite d'avoir réussi à le dérider un peu. J'espérais qu'il arriverait à finir son morceau, il était bien parti.
– Par contre Elma on retient tous qu'on est pas ton rappeur préféré, râla Eff.
– Nan mais je disais ça pour lui faire plaisir, c'est pas lui mon préféré.
Les yeux d'Eff et d'Ivan s'écarquillèrent et je ne mis pas longtemps à briser le mince espoir qu'ils avaient :
– C'est Ken mon préféré ! lançai-je fièrement, en riant comme une enfant.
C'était totalement faux, je les aimais tous autant les uns que les autres.
Nous nous chamaillâmes en nous lançant des objets en tout genre puis ils retournèrent à leur joints et leurs rimes, tandis que je retournai à mon roman.
Ce fut vers dix-sept heure que je quittai le studio toute contente, Deen ayant réussi à finir son morceau.
[...]
Mes trois amis n'eurent pas le temps de me manquer puisque le soir même nous avions rejoint le reste de L'entourage chez Deen.
Ça gloussait de partout, certains jouaient à des jeux d'alcool tandis que d'autres tentaient des freestyles sur lesquels ma tête bougeait toute seule. C'était au tour de Doum's et je me retenais pour ne pas m'enjailler plus.
– Oh les gars, regardez ce que j'ai trouvé ! s'écria Louis.
Il tourna son ordinateur portable dans la direction du petit groupe qui se trouvait sur le canapé à côté de moi.
– Ah ouais putain mets ça, je veux voir comment elle joue Elma ! s'exclama Ivan.
– Hein ? Qu'est-ce que tu fous Lo' ? demandai-je, les sourcils froncés.
Louis tourna l'écran vers moi, et je pus apercevoir une vidéo d'un match de l'Équipe de France de handball féminin jeune de 2008.
– Nan nan nan ! tentai-je de l'empêcher.
Mais alors que je me levai, Deen m'attrapa par la taille et me força à m'asseoir sur ses genoux. Notre proximité me procura une sensation étrange au creux du ventre tandis que les bras du rappeurs s'enroulaient autour de ma taille. Putain Maëlle, t'es avec Alexis et tu l'aimes, n'oublies pas.
– Allez, on veut te voir jouer nous ! protesta-t-il.
– Bah vous avez qu'à venir me voir, c'est vraiment pas si loin que ça.
– Ouais, mais les Bleues c'est pas le même niveau, dit Jehkyl tout fièrement comme si c'était l'argument suprême.
Je me décalai pour m'asseoir à côté de Deen, souhaitant mettre de la distance entre nos pulsions et moi, mis mes coudes sur mes genoux et posai ma tête sur mes paumes, les mains sur mes joues. Je n'avais pas envie qu'ils s'intéressent à moi, j'étais gênée. Il y avait une différence entre m'encourager en vrai et me mater quelques années après sur un écran. Surtout qu'à dix-sept ans j'avais toujours une tête de bébé.
Louis mis en route la vidéo.
– Ouah mais on dirait que t'as douze ans miskine, se moqua Ken en me voyant arriver sur le terrain.
Qu'est-ce que je disais ?
– Ta gueule. Moi au moins j'avais pas une tête à claque.
Lorsque les norvégiennes entrèrent à leur tour sur le terrain, je me rappelai subitement quel match nous étions en train de regarder.
– Vous allez pas voir grand chose, dis-je, c'est France-Norvège, au bout de vingt minutes je me fais les ligaments croisés.
Je me frottai inconsciemment le genoux en y repensant.
– Merde, dit Louis avec gêne. Tu veux qu'on change ?
– Nan t'inquiètes, c'est bon, regardez plutôt mon talent ! Spoil : à la fin on perd.
Je ne pensais pas qu'ils regarderaient autant de la vidéo, croyant naïvement qu'ils allaient se lasser au bout de quelques minutes. Mais non, ils encourageaient mon équipe comme si elle jouait en direct, lançant des « Mais oui Elma ! », « Ça c'est ma championne », et autres « Putain de merde » lorsqu'ils étaient impressionnés. Ils insultaient aussi les arbitres quand ils nous pénalisaient alors qu'ils ne connaissaient même pas les règles. Ils avaient les yeux rivés sur l'écran et nous allions bientôt atteindre le moment fatidique.
– AÏE !
Plusieurs de mes amis s'étaient exclamés en cœur tandis que la Maëlle de 2008 était assise sur le sol en se tenant le genoux.
Je me rappelais de la scène en vrai, mais je n'avais pas pensé que ma blessure ait pu autant se remarquer en vidéo : on avait clairement vu ma jambe se poser, puis moi la rétracter sous le coup d'une grande décharge dans le genou. J'avais essayé de reposer le pied mais ça n'avait pas fonctionné et je m'étais donc laissé choir sur le sol avant qu'on ne m'aide à me relever.
– Ça fait mal ça ? demanda Idriss tandis que mon moi de dix-sept ans sortait du terrain en boitant, soutenue par le kiné de l'équipe et une coéquipière.
Hakim lui asséna une claque derrière la tête pour le punir de la bêtise de sa question.
– Orf, ça pique un peu, répliquai-je avec ironie.
Quelques gars continuèrent de suivre le match tandis que d'autres s'intéressèrent plus à la santé de mon genoux, me questionnant sur l'opération, la rééducation et ma suite en club.
Moins d'une heure plus tard, Louis et Jehkyl relevèrent les yeux de l'ordinateur et ce dernier déclara :
– Effectivement, elles ont perdu. J'y connais rien mais je trouve que vous avez bien joué.
Je ris ; s'il savait !
– On était pas du tout au point, déclarai-je, on avait trop de matchs dans les pattes et la Norvège c'est des monstres là-bas, ils naissent ils jouent au hand.
– Elles sont quand même bonnes les norvégiennes, déclara Moh.
– Putain les gars, un effort de vocabulaire quand je suis là, s'il vous plait ! me plaignis-je.
– Il a pas tort, l'appuya Deen. D'ailleurs ta pote Stine elle ressemble à quoi ?
Je lui frappai le bras et le regardai fixement dans les yeux d'un air menaçant :
– Tu touches à Stine je te marave.
Les gars rigolèrent, plus par moquerie qu'autre chose et Deen me remis un coup.
– Eh je rigole pas bande d'enculés, continuai-je en les toisant tous, s'il y en a un qui touche à ma copine je vous démonte tous un par un, vous savez pas la force que j'ai.
Pour appuyer mes propos, je pliai les bras pour montrer mes muscles :
– Regardez ces biscoteaux !
Ken m'entoura le cou de son bras et me frotta la tête doucement avec son poing :
– Mais oui Elma, mais oui.
Nous partîmes tous en fou rire, bien aidés par la quantité d'alcool ingurgitée, et la soirée continua.
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