Chapitre 15. « On a acquis le statut d'famille »

Raphaël et moi étions assis dans le train en direction de Dijon afin de rencontrer notre petite sœur. Nous étions tous les deux surexcités. Nous avions passé les trois derniers jours à harceler notre père et notre tante afin qu'ils nous envoient une photo du bébé, sans succès : ils voulaient à tout prix que ce soit une surprise totale.

Mais Zoé n'occupait qu'une petite partie de mes pensées.

En regardant le paysage défiler derrière la vitre, Nirvana dans les oreilles, je songeai à ma dernière soirée avec Deen.

Ce con m'avait embrassé. Et je l'avais laissé faire, l'embrassant même à mon tour. Le pire étant que j'avais aimé ça. C'était la première fois de ma vie que je pouvais dire que j'étais réellement en couple et j'avais tout gâché en moins d'une semaine.

Je ne savais plus où j'en étais.

J'aimais Alexis, c'était maintenant une certitude. Je savais que je ne voulais rien de plus avec Deen, et je savais que lui préférait de loin ses plans culs. Alors pourquoi avait-il fait ça ? Pourquoi l'avais-je laissé faire ? Et pourquoi n'avais-je aucun remord ?

Ce qui était sûr, c'était que ça n'allait pas se reproduire. Quelques heures après notre échange, Deen et moi avions échangé quelques messages pour essayer de mettre des mots sur ce qui s'était passé entre nous :

Burb : J'suis désolé, j'aurais pas dû faire ça, j'sais pas ce qui m'a pris. On oublie ?

Moi : T'inquiètes, t'es pas le seul fautif. C'est déjà oublié t'en fais pas

Burb : Cool. T'es toujours ma couille hein ?

Moi : T'inquiètes !

Je ne voulais vraiment pas qu'il y ait d'ambiguïté entre nous, c'était un de mes amis les plus proches et je ne voulais pas le perdre. J'espérais que les choses ne seraient pas gênantes lorsque je serais de retour sur Paris, et en y réfléchissant, je ne pensais pas qu'elles le soient ; je n'étais vraiment pas une personne prise-de-tête, ayant plutôt tendance à me foutre de tout, et j'étais quasiment sûre que Deen était déjà passé à autre chose.

Je n'en avais pas parlé à mon frère, ne pouvant pas vraiment parler de quelque chose que je ne comprenais pas moi-même. Je crois que seul Ken avait compris que quelque chose ne tournait pas rond mais il ne m'en avait pas parlé pour autant.

Alors que Raph' et moi nous levions pour récupérer nos sacs et rassembler nos affaires avant d'arriver en gare, je reçus un message de mon ami :

Ken : Bon weekend Princesse, profites de ta famille ! Et j'veux une photo de la nouvelle go Clarkson

Je souris. Je n'arrivais toujours pas à croire que je le détestais il y avait seulement quelques mois de cela.

Nous fûmes accueillis sur le quai par Ines, Tarek, et Hugo. Putain qu'est-ce qu'ils m'avaient manqué ces deux cons. Ça me faisait vraiment bizarre de ne plus faire les quatre-cent coups avec eux.

Ines sauta dans les bras de Raphaël et je sautai dans ceux d'Hugo, mettant un point d'honneur à emmerder Tarek dès mon arrivée, sachant qu'il n'aimait pas passer après quelqu'un d'autre.

– Sah t'es une putain de gamine Clarkson, me lança-t-il.

– Et toi un gros con Bouhied !

Je lui sautai finalement au cou et couvris son visage de bisous, sachant qu'il détestait toute marque d'affection.

– Tu préfères ça ? me moquai-je.

– Nan mais t'sais juste un check comme d'habitude ça passe aussi en fait, tu vas me refiler le dass.

Je lui mis une petite claque derrière la tête. Mesdames et messieurs, Tarek !

– Il t'est arrivé quoi à Paris pour que tu sois aussi affectueuse ? m'interrogea Hugo, interloqué par mon étreinte.

– Nan mais laisses tomber gros, lui répondit Raphaël. Depuis qu'elle a ses nouveaux potes c'est devenu une grosse fragile.

Je donnai une tape à mon frère puis pris brièvement Ines dans mes bras, ne pouvant la réquisitionner que quelques secondes avant que mon jumeau ne se l'accapare de nouveau complètement. Nous nous mîmes en marche en direction du centre ville, moi accrochée aux bras de mes deux amis, pour aller se poser dans un kebab.

– Alors ch'est quand que tu nous fait fuiter les albums ? demanda Tarek la bouche pleine.

Ils étaient tous au courant des moindres détails de nos nouvelles vies sur Paris et de notre amitié avec les gars de L'entourage. Je la leur avais d'abord caché, ne voulant pas me vanter, mais étant devenue très proche des rappeurs, je leur en avais finalement parlé. Tarek m'avait depuis missionné de récolter toutes les informations sur les albums et EP des gars, et voulait organiser une mission commando pour voler les pistes avant que les morceaux ne sortent. Un grand malade. Mais ça ne surprenait plus personne.

– Jamais, c'est trop mes nouveaux meilleurs potes maintenant, je peux pas les trahir gros, dis-je d'un air taquin.

– C'est ça remplace-nous, regarde moi bien que t'es pas unique, quand j'veux je trouve mieux comme meilleure pote !

– Impossible, je suis irremplaçable ! Par contre des petits rebeus casse couilles comme toi y'en a plein Paris.

– Tu parles, sans moi t'es rien Clarkson.

– Putain ça fait deux minutes qu'on s'est retrouvé ils cassent déjà les couilles les deux, soupira Raphaël.

Il avait bien fait de nous interrompre parce qu'on aurait pu continuer encore longtemps comme ça. Et il le savait. Raph' avait toujours été celui qui nous tempérait. Il ne prenait jamais parti dans nos « embrouilles », se contentant toujours de lever les yeux au ciel ou de soupirer. Il ne se mêlait pas non plus des disputes plus sérieuses, car, selon lui : « Je prends ni parti pour mon frère ou ma sœur, avec vos caractères de merde y'en aura forcément un pour me renier à vie ».

– Bon avec Ines on va bouger, on se retrouve à la maison en fin d'aprem' pour l'apéro ? nous dit-il finalement.

– Ça marche !

L'apéro chez les Clarkson était toujours un passage obligé pour Tarek et Hugo au moins une fois par semaine. Même si mon frère et moi vivions à Paris, ils continuaient à entretenir cette habitude sans nous. De toute manière, ils avaient tellement passé de temps chez nous depuis tout petit que mon père les considérait presque comme ses fils.

– Eh Duprés oublies pas, ce soir, en bas du bloc, 23h ! lui lança Tarek.

Mon frère acquiesça et parti, Ines à son bras. Je ne savais pas ce que cet abruti avait encore prévu, mais je sentais que nous n'allions pas nous ennuyer.

Une fois qu'ils furent partis, Tarek fit danser ses sourcils et appuya ses deux index l'un contre l'autre en les faisant se frotter. Je lui assénai une claque derrière la tête.

– Aïe ! Bah quoi c'est vrai, on sait tous qu'ils vont faire des bails !

– Bah oui mais on a pas besoin que tu le fasses remarquer ! Bouffon vas !

– Rabats-joie.

Oui, aussi improbable que cela puisse paraître, c'était vraiment l'un de mes deux meilleurs amis.

– Faut que j'bouge aussi les filles, dit-il quelques minutes plus tard. Ce soir, 23h, en bas du bloc.

Je répondis positivement en levant les yeux au ciel. Je ne savais pas pourquoi il devait partir mais j'avais pris l'habitude de ne jamais demander, il avait de toute façon toujours quelque chose de prévu et ne restait pas en place.

Il ne restait plus qu'Hugo et moi. Nous sortîmes du restaurant et marchâmes en direction de chez nous à pied. Nous préférions parler en marchant à l'air libre plutôt que de prendre le bus. De toute façon nous n'avions jamais pris le bus sans le frauder et même si nous nous étions assagis, nous ne voulions pas nous résoudre à payer un ticket.

Hugo n'avait pas parlé depuis que nous nous étions retrouvé. Ça me faisait mal au cœur de le voir comme ça.

Il avait été diagnostiqué schizophrène il y avait de ça trois ans, et n'avait plus jamais été le même. Il avait toujours été un garçon souriant, plein d'entrain, similaire à Tarek de plusieurs façons mais en beaucoup plus réfléchis et moins impulsif. Je pouvais toujours compter sur lui et il était toujours de bon conseil. À cause de sa maladie et de son traitement il n'était plus lui-même, souvent fatigué et perdu dans ses pensées. Mais il restait un des mes meilleurs amis et je ne m'en serais séparée pour rien au monde. J'étais la seule avec qui il avait partagé précisément ses symptômes. J'étais la seule à savoir ce qu'il voyait et entendait tous les jours. Mais nous n'en parlions pas car cela rendait ses hallucinations trop réelles.

Je marchais à côté de lui, accrochée à son bras. Il parut d'abord surpris mais sourit finalement. Et oui, grâce à mes amis rappeurs, j'étais beaucoup moins froide qu'avant.

– Comment tu vas Moingeon ? lui demandai-je.

Il soupira puis sourit :

– Ça va, ça va. Y'a des jours avec et des jours sans, mais en général j'arrive à gérer. J'ai un traitement plus adapté et franchement je me sens bien.

Il avait l'air sincère et je fus soulagée. Son aveux me fit sourire.

– T'arrives à gérer les cours ?

Il était en IUT génie biologique. Je savais que c'était un parcours compliqué et j'étais toujours abasourdie de savoir qu'il arrivait à tout gérer avec sa maladie.

– Bah ouais, comme je retape j'ai déjà pas mal des cours de l'année dernière du coup ça passe. Cette année c'est la bonne ! dit-il d'un air triomphant.

Je rigolai. Il m'impressionnait tellement ! Il était très combatif, à aucun moment il n'avait baissé les bras.

– Bon et toi avec ton mec ? me demanda-t-il.

– J'ai fait une connerie, dis-je spontanément.

Il s'arrêta et me regarda droit dans les yeux, l'air surpris par mon ton.

– Ça fait tout juste une semaine que je crois que je suis amoureuse d'Alex et j'en ai embrassé un autre.

Son visage ne trahit aucune émotions :

– Et ? Tu regrettes ? Tu préfères l'autre ?

– Oui je regrette, parce qu'avec Mikael c'est que de l'amitié, rien de plus.

– Et bah voilà c'est réglé, dit-il d'un ton enjoué.

Puis en voyant mon air surpris, il continua :

– Clarkson, t'es pas une pute et t'es loin d'être conne, si tu regrettes et que tu veux rien de plus avec lui c'est le principal. Mais je pense que tu devrais en parler à Alexis quand même et le rassurer, l'honnêteté ça fait beaucoup de choses dans un couple.

Il était vraiment toujours de bon conseil. Nous nous remîmes à marcher.

– Et toi avec Clément ?

Il regarda droit devant lui sans me donner de réponse. Et merde. Si ce gros con lui avait fait du mal il ne ferait pas long feu, j'irai brûler sa bagnole et lui avec.

– C'est fini, je pense qu'il pouvait pas assumer une telle responsabilité.

La responsabilité dont il parlait, c'était lui. Je sentais la pression monter :

– Putain c'est vraiment un gros con j'vais le défoncer !

Il rit en me frottant la tête :

– T'inquiètes c'est pas la peine, il fait deux têtes de plus que toi en plus.

Je n'étais vraiment pas si petite que ça, un mètre soixante-dix pour une fille je trouvais ça raisonnable. Ce n'étais pas de ma faute si tous mes potes étaient des perches.

– Il sait pas ce qu'il perd, continuai-je. T'es un mec en or Moingeon, et t'es pas une responsabilité. S'il était pas prêt pour t'accepter toi sous tous tes aspects c'est qu'il t'aimait pas vraiment. Tu vas rencontrer mieux, c'est sûr.

Mon ami sourit et passa son bras sur mes épaules. Comme quoi, si aucun de nous n'avait montré de geste d'affection envers les autres de toute notre vie, c'était que ça venait peut-être de moi.


[...]


Daddy ! m'écriai-je quand mon père ouvrit la porte avant de lui sauter dans les bras.

Il me fit tournoyer comme quand j'étais petite et couvrit mon crâne de bisous alors qu'Hugo lui adressa un rapide « Wesh Tyler » avant d'entrer dans la maison et de faire comme chez lui.

Comment tu vas mon bébé ?

« Mon bébé ». Putain il avait un nouveau bébé, un vrai, mais il n'avait pas abandonné l'idée de m'appeler moi, Maëlle, vingt-et-un ans, « bébé ».

Super, elle est où ma petite sœur ? lançai-je, toute excitée.

En haut mais douce...

Je n'entendis pas la fin de sa phrase et me ruai à l'étage de la maison.

Ça faisait cinq ans que nous avions emménagé ici, délaissant notre petit appartement où Raphaël et moi nous partagions la seule chambre tandis que notre père dormait dans le clic-clac du salon.

C'était une petite maison jumelée avec quatre chambres et un petit jardin. J'étais très heureuse que ma petite sœur puisse vivre dans un tel luxe. Elle avait sa propre chambre, anciennement la mienne, mon père et Fanny avaient la leur, ainsi que Sohel, et mon lit et celui de mon frère avec toutes nos affaires étaient rassemblés dans la troisième chambre.

Une vraie petite maison de famille quoi.

Je me dirigeai vers la chambre de la petite et ouvrai la porte tout doucement. Je m'approchai du berceau, et me penchai au-dessus. J'aperçus enfin ma petite sœur. Elle était magnifique. Pourtant je trouvais généralement les bébés particulièrement laid, mais - peut-être par manque d'objectivité - je la trouvais sublime. Elle était toute pâle et la couleur de sa peau contrastait avec les quelques cheveux roux amassés au-dessus de sa petite tête.

Quelqu'un arriva derrière moi et me retira de ma contemplation. C'était Raphaël, accompagné de mon père, qui lui se tenait dans l'embrasure de la porte. Je laissai mon frère près du berceau pour rejoindre mon père dans le couloir :

Elle est beaucoup trop belle je veux la bouffer ! dis-je.

Il rigola puis me serra dans ses bras. Qu'est-ce que ça faisait du bien. Avant, il était la seule personne avec qui je me laissais être aussi tendre. Une telle relation pouvait paraître ridicule alors que j'avais bientôt vingt-deux ans, mais les câlins de mon papa étaient pour moi la meilleure chose au monde.

C'est vrai qu'on l'a bien réussie. Vous étiez vraiment laids ton frère et toi à la naissance, j'ai eu peur de ce qui allait sortir cette fois-ci.

Je rigolai. Pour avoir vu des photos, c'est vrai qu'on faisait peur.

Il retourna dans la nursery auprès de Raphaël et de Zoé, et Fanny et Sohel me rejoignirent dans le couloir. Ce dernier me sauta dans les bras. J'aimais tellement ce petit. Je le déposai sur le sol après l'avoir couvert de bisous et pris sa mère dans mes bras avant de la féliciter.

– Je suis super contente pour vous deux, vous le méritez, elle est super chanceuse d'avoir des parents comme vous !

– Merci ma belle, mais arrête de dire ça comme si ton frère et toi vous aviez ruiné la vie de votre père, me répondit-elle.

Je fus surprise d'avoir été à ce point percée à jour, ce qu'elle le vit, puis elle continua :

– Bah oui, je vous connais par cœur. Et votre père aussi. Il serait rien sans vous. Il n'y a pas un jour de ma vie où je ne l'ai pas entendu parler de vous. Vous êtes littéralement sa raison de vivre. Maintenant, il en a juste une troisième.

J'acquiesçai et sourit, un peu rassurée. Fanny avait toujours été comme une grande sœur pour moi et je lui vouais une confiance aveugle. Si elle le disait, c'est que c'était vrai.

Des pleurs de bébés vinrent faire voler ce petit moment en éclat.

– Tonton va s'faire disputer, déclara Sohel.

Comme pour répondre à son fils, Fanny s'énerva :

– Putain c'est pas vrai, tu les laisses deux secondes ces deux cons et ils gâchent tout !

Non, même avec un petit garçon de sept ans, les insultes n'étaient pas proscrites chez nous.

Puis en criant, elle ajouta avant que l'on ne descende ensemble :

– Tyler Zachariah Samuel Clarkson, j'en ai chié pendant neuf mois et ta fille m'a détruite en sortant, maintenant tu te démerdes pour la calmer !

Je pouffai de rire et entendit mon frère et mon père s'esclaffer dans la nursery.

Il n'y avait pas de doute, ces deux-là s'étaient bien trouvé.

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