Chapitre 13. « Everybody wants to be an astronaut »

Aujourd'hui, et comme durant la plupart de mon temps libre, j'étais en studio, assise sur mon éternel canapé, les jambes posées sur celles de Deen tout en essayant de faire un plan pour un putain de commentaire littéraire.

Deen grattait des lignes sur un carnet, regardant de temps en temps en cabine les gars enregistrer les morceaux qui leur manquaient. Il m'avait dit qu'ils avaient loué une maison en Ardèche il y avait quelques mois de cela pour tous se retrouver et enregistrer, mais il leur fallait encore peaufiner l'album.

– Tu devrais changer de lunettes.

Étant concentrée sur ma feuille, je me tournai vers Deen en sursautant, et un sourire moqueur s'afficha sur son visage :

– Tu plisses les yeux quand tu regardes vers la cabine alors que t'as des lentilles, faudrait peut-être penser à aller voir un yeutiste nan ?

– Bof je m'y suis fait. Et puis arrêtes de me regarder tu me déconcentres.

Il sourit comme un débile et se concentra de nouveau sur son carnet.

Avant de pouvoir me concentrer de nouveau sur mon commentaire de texte, mon téléphone sonna :

– Jumelle à jumeau, quoi de neuf ?

– Wesh la moche, t'es occupée là ?

– Ça dépend, tu veux quoi ?

– Je devais aller au ciné avec un pote, on avait pris les places en avance mais il peut pas venir. C'est dans une heure et demie. Tu viens ?

– Ah ouais donc je suis ton bouche-trou quoi ?

– T'as tout compris ! T'es chaud ?

– Ouais j'arrive à toute.

Je raccrochai et commençais à faire mon sac quand Deen m'attrapa le poignet et m'attira contre lui en me serrant de toutes ses forces :

– Nan tu pars pas déjà ! me dit-il en boudant.

– Pas le choix, extrême urgence, jumeau en détresse cherche désespérément date pour un ciné, répondis-je faiblement.

Il m'empêchait de respirer le con. Je martelais toutes les parties du corps que je trouvais et il finit par me lâcher, ayant reçu un coup dans le ventre qui lui avait arraché un petit gémissement. Je me redressai.

– Putain mais c'est que t'as de la force mine de rien, me fit-il en se frottant le ventre.

– Bah ouais qu'est-ce que tu veux, t'as qu'à faire des abdos au lieu de bouffer des kebabs !

Il me tira la langue comme un enfant.

– Eh Elma tu nous l'amène quand ton reuf ? cria Moh du fond du studio.

Ce gars était une vraie commère.

– Euh, jamais ?

Les gars présents se tournèrent vers moi d'un air surpris :

– Oh la gamine ! Elle a pas envie de nous partager !

Ah bah si même Ken se la ramenait maintenant.

En guise de réponse, je leur désignai du regard chaque pète et cigarette, puis d'un geste des mains digne d'Evelyne Dheliat, montrai la fumée.

– Ah ouais merde c'est vrai, lâcha le grec.

– Bah ouais, à peine entré dans le studio je suis sûre qu'il perd dix ans d'espérance de vie, continuai-je.

– Tu sais on peut ne pas fumer juste une soirée si tu le ramènes, négocia Deen. Ou fumer dehors si vraaaiment on a envie.

Les autres le regardèrent, pas vraiment convaincus.

– Nan mais c'est bon, je vais pas vous faire chier toute une soirée, et puis même Raph, il accepterait jamais de venir en sachant qu'il vous empêche de faire ce que vous voulez.

Deen réprimanda nos potes du regard.

– Euh ouais nan, ramène-le ce soir Elma, c'est un ordre ! s'exclama finalement Moh.

– Ouais grave, j'ai bien envie de le rencontrer moi, lança Antoine. S'il est un minimum comme toi ça doit être un bon gars.

Je n'étais pas convaincue. Je savais que fumer aidait certain d'entre eux à être productifs, et mon frère détestait être un boulet pour les autres.

Deen m'attira contre lui et tapota sur ma tête :

– Il se passe trop de choses dans ta petite tête, arrête de cogiter. Tu l'amènes et on en parle plus. On a tous envie de le rencontrer alors y'a pas vraiment de question à se poser. On saura se tenir le temps qu'il sera là. Et comme l'a dit Sneazz, c'est un ordre.

Bon bah si c'était un ordre... J'acquiesçai finalement.

Il était 18h. Je devais me bouger si je voulais arriver à l'heure au ciné. J'espérais qu'il avait choisi un bon film.

Je me levai, récupérai mes affaires et fit un au-revoir général :

– Bon bah tchouss les gueux !


[...]


Après quelques quarante-cinq minutes de trajet j'avais rejoint mon frère et nous nous asseyions dans la salle de cinéma :

– Ce soir tu viens en studio avec les gars et moi, lui lançai-je. Ils veulent te rencontrer et ils ont promis de pas fumer.

Il allait protester mais je fus plus rapide :

– J'en ai déjà parlé avec eux, ça les dérange pas, c'est même eux qui ont insisté quand je leur ai dit qu'on voulait pas les faire chier. Du coup tu viens t'as pas le choix, conclus-je.

Il haussa les épaules et me fit sa moue de « Ok ça marche, de toute façon je peux jamais rien te refuser », puis piocha des pop-corn.

Le film terminé, nous nous dirigeâmes vers le RER tout en discutant. C'était une belle nuit étoilée. L'absence de nuage rafraîchissait l'atmosphère et je marchais serrée contre Raphaël, accrochée à son bras.

Ce fut toujours dans cette configuration que nous arrivâmes au studio moins d'une heure plus tard. Raphaël salua tout le monde et à peine assis, fut assailli par une flopée de questions, comme je l'avais été quelques semaines plus tôt.

Je m'installai directement, allongée sur un des canapés, les jambes sur les genoux d'Antoine et la tête sur ceux de mon frère, qui, comme à son habitude, jouait avec mes cheveux.

– Ah ouais t'es une tête en fait ! lâcha Moh après une vingtaine de minutes de discussion. Mais tu veux être astronaute genre ?

– Nan ça je me suis fait une raison y'a longtemps, j'ai pas vraiment la condition physique. Je suis en train de me spécialiser pour être cosmologue.

Ken était en train d'enregistrer en cabine. J'écoutais distraitement la discussion, plus occupée par les couplets de mon ami.

– Ah ouais Elma nous a dit que t'avais une maladie. C'est à cause de ça tu peux pas faire ce que tu veux ? demanda Doums.

Je me reconcentrai d'un coup sur la discussion tandis que Ken sortait de cabine. 

Raphaël hocha la tête. Les gars jetèrent un regard assassin à notre ami. C'est vrai que sa tournure de phrase n'avait pas été des plus subtiles, mais ça n'avait jamais dérangé mon frère de parler de sa maladie, il n'aimait simplement pas qu'on ai pitié de lui.

– Ouais bah en fait ça touche les poumons et le système digestif. Donc j'ai un traitement assez poussé, des appareils pour dormir et tout, du coup dans l'espace ce serait chaud, dit-il en rigolant. Et c'est surtout que ça fatigue de ouf, du coup physiquement c'est tendu pour de l'entraînement intensif. J'ai que ma tête mais c'est déjà ça.

Ils avaient tous des regards intéressés. Puis Deen détendit l'atmosphère en lançant un nouveau sujet de discussion avant d'aller à son tour en cabine.

Je me redressai et me décalai vers Antoine pour laisser une place à Ken sur le canapé. Antoine passa un bras autour de mes épaules et je me blottis contre lui. 

Ces gars faisaient vraiment de moi une fragile, c'était assez dingue. Je n'avais jamais été aussi câline qu'avant de les rencontrer.

– Je suis désolé que le sujet ai été lancé, me dit-il tout bas. Ça doit pas être facile d'en parler.

Il avait réellement l'air désolé et je lui répondis de la manière la plus sincère possible pour le rassurer tout en essayant de défaire les « tresses » que m'avait fait mon frère :

– Nan nan t'inquiètes ! Justement c'est comme beaucoup de sujet tabous, je trouve qu'on devrait pouvoir parler de tout.

Il ne répondit pas et se contenta de m'embrasser la tempe.

Alors que les garçons gloussaient et que Raphaël tentait d'expliquer la création de l'Univers à un Louis aux yeux écarquillés, mon téléphone sonna, affichant le visage de mon père. Je décrochai en souriant :

Hey Dad !

– Salut mon ange, comment tu vas ?

Sa voix avait quelque chose d'étrange, je sentais que quelque chose n'allait pas et je commençai à m'inquiéter :

– Ça va et toi ? Mais pourquoi tu me parles en français ? J'aime pas quand tu fais ça, généralement c'est pour annoncer des trucs grave, la dernière fois c'était...

La mort de maman. Nous ne parlions français entre nous qu'en présence d'autres personnes francophones ou lorsque nous voulions parler de quelque chose que les autres ne devaient pas savoir. La seule exception à cette règle avait été l'annonce de la mort de notre mère, dans une pièce où seuls mon frère et moi nous trouvions.

Je m'étais levée inconsciemment, m'écartant un peu du canapé mais sachant pertinemment que tout le monde m'entendait quand même. J'étais trop perturbée pour penser à sortir.

Raphaël me rejoignit, ayant compris que quelque chose se tramait, et j'agrippai son bras avant de mettre le téléphone en haut-parleur.

– Raphy est avec moi Papa, qu'est-ce qui se passe ?

Je tentais de maîtriser l'angoisse qui me prenait progressivement au ventre, et je voyais que Raphaël aussi faisait pareil. Nous ne nous quittions pas des yeux, tentant de se rassurer mutuellement.

– Rien mon ange, tout va bien. T'es la première que j'ai appelé je sais pas pourquoi je... Je suis désolée ma princesse mais t'es plus la seule princesse de ma vie.

Je m'effondrai de soulagement dans les bras de mon frère. Putain il m'avait fait peur. Les bras de Raph' se refermèrent autour de moi, me serrant fort, et son menton se posa sur ma tête.

Puis la voix de notre père nous rappela à la réalité :

– Raphy, Mel ?

– Oui oui on est là, répondit Raphaël avec un grand sourire sur le visage.

– Elle s'appelle Zoé, elle est née ce soir, le 27 novembre 2013 à 23h12. Elle est magnifique et en parfaite santé, continua mon père. Et... je crois qu'elle me ressemble.

Sa voix était emplie d'émotion et surtout de fierté.

J'étais tellement fière aussi. J'avais une petite sœur ! Je n'étais enfin plus la seule fille. Je crois que c'était un des plus beau moments de ma vie. Je tentai de parler, la gorge serrée, ravalant quelques petites larmes. Je n'allais certainement pas pleurer devant mes amis, il fallait que je garde ma fierté devant eux !

– Papa je suis super fière de toi, tu le mérites plus que n'importe qui. Tu mérites d'être heureux et cette petite fille c'est le début d'une nouvelle vie, tu vas pouvoir tout recommencer d'un bon pied. Et putain je connais personne qui le mérite plus que toi.

– Elle a raison, enchaîna mon frère. Elle a vraiment de la chance de t'avoir cette petite, et je sais que tu seras un père formidable parce que t'as déjà été génial avec nous alors qu'on était des putain de galères tous les jours. Tu vas enfin pouvoir vivre vraiment, tu le mérites, je suis super fier de toi.

Il y eu un silence au bout du fil et je devinai que nos discours l'avaient touché.

– Ok arrêtez vous tout de suite parce que vous dites des conneries. Bon je vais vous laisser, mais vous venez vite la voir hein ?

– On saute dans le premier train ce weekend, promis Raphaël.

– Super. Allez, à plus les suppôts de Satan !

Il raccrocha et je me tournai vers mes amis avec un sourire immense sur le visage :

– ON A UNE P'TITE SOEUR LES GARS !

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