Chapitre 125. « I'm tired, of tending to this fire »
- Il est à l'hôpital. Faut qu'on bouge.
Ses yeux étaient brillants, et elle semblait me regarder sans réellement me voir.
Je comprenais pas ce qui se passait, mais mon cœur tambourinait contre ma poitrine. Putain, pas maintenant.
- Il va bien ? tentai-je sans grande conviction tandis que Maëlle commençait à courir dans tous les sens dans la chambre pour réunir ses vêtements.
- Nan.
Je déglutis difficilement face à sa réplique catégorique.
Ok, mais j'avais vraiment besoin de plus d'explications par contre. À quel point il allait mal ?
- Comment ça ? Il en est où là ?
Mais ma copine semblait dans sa bulle, enfilant maintenant un maillot de hand au-dessus de son jean, des yeux hagards se baladant de tous les côtés de la pièce, avant de disparaître à toute vitesse dans le salon.
Bordel de merde, fait chier.
On y était préparé. Je savais qu'en me prenant d'amitié pour Raph j'allais forcément morfler à un moment donné, j'en avais été conscient depuis le début. Et depuis quelques mois, je m'étais préparé à la fin.
Mais fallait croire qu'on pouvait jamais vraiment être prêt à perdre quelqu'un qu'on aimait.
- Putain, Mika, bouge ! s'énerva ma meuf dans la pièce à côté.
Merde, oui putain, j'étais toujours immobile dans le lit depuis son appel. Sous la stupeur j'avais complètement occulté le fait qu'il fallait qu'on aille à l'hosto.
Je me levai et m'habillai dans des gestes rapides et maladroits, manquant me casser la gueule à plusieurs reprises.
Bon. Calme Deen. Elle a besoin de toi, faut que tu la fasses redescendre un minimum, même si t'es en PLS.
Je commandai un Uber, et quand j'arrivai dans le salon, la handballeuse était encore en train de courir partout pour retrouver ses affaires, commençant à s'énerver contre des objets inanimés.
Je m'approchai vivement d'elle et pris son visage entre mes paumes :
- Mel, calme-toi, regarde-moi.
La respiration rapide, les yeux écarquillés de panique, elle tenta de se débattre mais renonça lorsque ses iris croisèrent les miens.
- Ça va aller, lui dis-je doucement alors que je croyais pas une seule seconde ce que je disais. Ça sert à rien de se dépêcher pour oublier des trucs ok ? Calme-toi, respire un coup, et explique-moi ce qu'on t'a dit.
À ma grande surprise, la handballeuse s'exécuta sans broncher. Elle ferma les yeux avant de prendre une grande inspiration, puis les rouvrit en expirant doucement. Elle avait l'air si triste.
- Je me suis réveillée en sursaut et j'ai senti que quelque chose allait pas, m'expliqua-t-elle fébrilement. Je sais pas comment t'expliquer, mais c'est pas la première fois que ça arrive. Je savais qu'il y avait un truc qui allait pas avec mon frère. J'ai appelé Ines et elle m'a dit que Raph était en train d'être transporté aux urgences. Elle était trop paniquée pour me dire quoi que ce soit d'autre, elle m'a juste dit où on l'emmenait.
La putain de con de sa tante.
Faites que ce soit juste une fausse alerte et qu'il sorte au bout d'une à deux semaines, comme d'habitude.
- Ok, dis-je calmement. Maintenant on va prendre nos affaires, j'ai appelé un Uber, et on y va doucement, d'accord ?
Ma meuf hocha la tête en fermant les yeux avant de se blottir contre moi. Je sentis tous ses muscles se relâcher petit à petit contre moi tandis que je la serrais de toutes mes forces.
[...]
On mit une bonne trentaine de minutes à arriver à l'hôpital.
Maëlle, ses yeux derrière ses lunettes fixant l'autre côté de la vitre, serrait fermement ma main dans la sienne.
Elle fut la première à sauter en dehors de la voiture et à arriver à l'accueil, tout le calme qu'elle avait réussi à garder l'ayant subitement quitté.
On nous indiqua que Raph était toujours en observation et on nous dirigea vers une Ines aux yeux exagérément rouges et gonflés.
Maëlle la prit aussitôt dans ses bras, et la fiancée de Raph y fondit en larmes.
Putain, j'avais hâte que d'autres gens arrivent parce que je savais que Maëlle allait essayer de tout gérer sans craquer pour épargner sa propre détresse à Ines.
- J'ai prévenu ton père, Tarek et Hugo, annonça Ines entre deux reniflements après s'être quelque peu calmée. Ils sont sûrement partis de Dijon peu de temps après.
On attendit plus d'une heure comme ça, sans rien dire, assis sur les chaises de la salle des urgences.
J'y avais passé beaucoup trop de temps ces dernières années.
Bordel, ce que je détestais les hôpitaux. Pourtant c'était quand même grâce à ça que j'avais rencontré ma meuf.
Putain c'était grâce à la foutue maladie de Raph que j'avais rencontré ma meuf. Saloperie d'ironie.
Perdu dans mes pensées, ce fut seulement quand la main de Maëlle s'extirpa vivement de la mienne que je revins à la réalité.
Maëlle s'était jeté dans les bras de son père. J'aurais préféré jamais voir l'état fébrile dans lequel il était. Même quand Maëlle avait eu son accident je l'avais pas vu comme ça. On aurait dit qu'il savait déjà quelle allait être l'issue de ce qui était en train de se passer, et j'avais vraiment aucune envie qu'il ait raison.
Tarek et Hugo me checkèrent tristement, au ralenti, et on s'adressa des esquisses de sourires polis, presque des grimaces.
- Comment elle va ? me demanda Tarek, les yeux inquiets, un peu à l'écart du père et de la fille.
Je soupirai :
- Mal, je pense. Pour l'instant on sait rien, donc on flippe surtout.
- Va falloir qu'on prenne soin d'elle, fit catégoriquement Hugo.
- Parle pas comme ça frérot, fit Tarek d'une voix plaintive. S'te plaît.
Hugo acquiesça tristement, mais je pense qu'aucun des deux ne se voilait la face : même si on avait encore un tout petit peu d'espoir, on savait au fond de nous que c'était la fin.
- T'as laissé Elyas avec Sanya ? demandai-je à Tarek dans une tentative de changer de sujet.
J'avais prononcé le mot magique ; un petit sourire venait de se former sur le visage du kabyle. Alors c'était ça, l'effet que ça faisait de devenir daron ?
- Ouais ouais. J'aime pas trop le laisser, mais je pouvais pas l'emmener.
- Il est cent pour cent fan de son gosse, fit Hugo avec un léger sourire moqueur. Tu peux être sûr qu'il va appeler au moins une fois par heure pour savoir comment il va.
Tarek émit un petit « Tss » en guise de protestation, mais la petite lueur fière qu'il avait dans les yeux approuvaient pour lui les paroles de son frère.
Ce fut ensuite au tour de Tyler de me saluer, tandis que les gars prenaient soin de Maëlle et d'Ines.
On attendit encore une bonne dizaine de minutes avant d'enfin avoir des nouvelles. Lorsqu'une infirmière vint nous chercher, on se leva tous d'un même mouvement, nous ruant presque sur elle.
Elle nous dirigea à travers l'hôpital jusqu'au troisième étage, dans le secteur de pneumologie, puis un médecin vint à notre rencontre peu de temps après, s'asseyant auprès de nous dans la grande salle d'attente.
Putain, je flippais vraiment ma race. Surtout que le médecin avait un air super empathique du genre « je suis désolé, mais... ».
- Bien, je pense que le fait que la santé de Monsieur Duprés-Clarkson s'est très vite dégradé n'a échappé à aucun d'entre vous.
Quelques faibles « hmm » résonnèrent, d'autres de contentèrent d'hocher la tête.
- Et puis il faut aussi prendre en compte qu'il a vingt-six ans, et qu'il vit avec du temps additionnel par rapport aux nombreux diagnostics des dernières années.
Ouais, mais ça rendait pas forcément plus facile l'acceptation de la fin.
- Je ne vais pas tourner autour du pot, et je vais plutôt vous dire de but en blanc ce que vous avez besoin d'entendre : Raphaël est arrivé au bout de son temps additionnel.
Je fermai rapidement les yeux, comme si ça pouvait effacer ce qui venait d'être dit.
Nan, j'acceptais pas du tout.
Ce fut à ce moment que je me rendis compte que malgré la petite réunion improvisée chez Raph il y avait plusieurs semaines de ça, et l'annonce qui nous avait tous ébranlés, j'avais jamais réellement envisagé que ça pouvait vraiment arriver. Parce qu'on parlait de Raph putain, parce qu'il s'en était déjà sorti à plusieurs reprises, et parce qu'on lui avait dit qu'il lui restait deux ans il y avait de ça quatre ans.
Mon premier réflexe fut de jeter un œil à Maëlle, près de son père. Le bras de celui-ci autour de ses épaules tandis qu'il lui embrassait la tête les yeux fermés de douleur, la poitrine de la handballeuse se soulevait rapidement au rythme de sa respiration. Je voyais qu'elle essayait de rester forte, tentant de ne rien laisser paraître sur son visage tandis qu'elle observait Ines pleurer dans les bras d'Hugo.
Le médecin nous laissa quelques secondes pour essayer de digérer la nouvelle, puis il continua :
- Comme vous le savez, les chances qu'il obtienne une greffe sont proches de zéro, malgré la place prioritaire qu'il a sur les listes. En revanche, ce que nous pouvons faire de notre côté, c'est le soulager un maximum pour qu'il puisse partir doucement. Bien évidemment, il est le seul à pouvoir prendre cette décision.
- Vous voulez le mettre dans le coma, le coupa Tyler, le ton déprimé.
Le gars lui adressa un sourire compatissant :
- Oui, c'est ça. Cela lui éviterait de souffrir. Vous auriez évidemment tout le temps de lui dire au-revoir avant.
Tyler acquiesça douloureusement, et Maëlle lui serra la main en lui adressant un regard compatissant, avant se blottir contre lui dans une position réconfortante.
Alors là, si elle commençait à vouloir être forte pour eux deux...
- On peut le voir ? demanda Hugo d'un air déterminé, consolant toujours tant bien que mal Ines.
Putain la pauvre... Je savais pas dans quel état j'aurais été si on m'avait annoncé le même genre de connerie l'année dernière.
- Oui, il est déjà en chambre, vous pouvez y aller dès maintenant.
Il ne nous fallut pas plus pour tous nous lever en même temps et débarquer dans la chambre de Raph quelques secondes plus tard.
- Wesh les gars, s'exclama faiblement ce dernier, un sourire joyeux sur son visage épuisé. Comment ça va ?
- Ta gueule, lança Tarek. Toi, comment ça va frérot ?
- Je me suis jamais sentis aussi bien, plaisanta-t-il, enlaçant sa fiancée qui venait de poser sa tête sur sa poitrine. Et puis certainement mieux que toi Bouhied. Il t'a pas laissé dormir depuis combien de temps Elyas ?
- Beaucoup trop longtemps, soupira Tarek. Je sais plus ce que c'est le sommeil.
Raphaël ricana, mais comme depuis quelques semaines, son rire fut vite suivi d'une quinte de toux, et son visage se tendit de douleur.
Bordel, je détestais le voir souffrir comme ça. Si le coma pouvait le soulager, alors j'avais hâte que ça arrive ; une personne aussi drôle et joyeuse méritait pas de souffrir le martyre à chaque fois qu'elle riait.
Maëlle se précipita vers lui et - comme bien souvent lorsqu'il arrivait pas à se calmer - le serra contre elle en grattant l'arrière de sa tête. Lui, penché sur elle, se tenait à sa sœur comme à une bouée de sauvetage, et j'eus presque les larmes aux yeux devant cette scène de laquelle j'avais pourtant déjà été témoin plusieurs fois.
Raph finit pourtant par se calmer et, se rallongeant dans son lit, il afficha aussitôt un sourire rassurant.
Putain de Clarkson remplis de fierté.
- Faites pas ces gueules, se moqua-t-il. On savait bien que ça allait arriver un jour, faites pas les surpris.
Ce fut ce moment que choisirent Mekra et Framal pour entrer dans la chambre, suivis de près par Hugz.
- Wesh les gars, s'exclama de nouveau faiblement Raph. Ça va ?
Il réitéra le même genre d'accueil quand les autres gars du crew débarquèrent un à un, et lorsque tout le monde fut là ou qu'on pu les avoir par téléphone, on pu leur expliquer ce qui se passait.
- Mais genre, tout de suite maintenant ? demanda fébrilement Fram quand Raphaël eut finis d'expliquer.
Ce dernier hocha doucement la tête en souriant :
- Pas forcément dans la seconde, mais dans les jours qui viennent. Je veux juste attendre de dire au revoir à tous ceux qui sont pas encore là. Ou au moins à Fanny, Soso et Zo, fit-il en se tournant vers son père.
- T'es sûr ? demanda Mekra, la voix un peu cassée.
J'avais encore jamais vu le Cramé aussi atteint par quelque chose. En même temps, si moi ça me tuait de perdre Raph, j'imaginais même pas ce que ça devait lui faire à lui et à son frère qui considéraient Raph comme leur reuf.
Ce fut à ce moment que Raph abandonna tout son cinéma et que ses yeux s'emplirent de douleur, son visage peiné tandis qu'il acquiesçait :
- J'ai trop mal, j'en peux plus... avoua-t-il. Ça s'arrête jamais, ça me ronge littéralement de l'intérieur. Je sais pas combien de temps je pourrai supporter encore.
Il déglutit, semblant hésiter à sortir sa prochaine phrase, puis se lança finalement :
- Je préfère dormir et rien sentir jusqu'à réellement partir, plutôt que d'avoir mal à vouloir en mourir jusqu'à ce que ça me libère enfin.
Je pense que j'étais pas le seul à avoir été poignardé en plein cœur par ses paroles. Parce que connaissant Raph et sa tolérance à la douleur, s'il parlait comme ça, c'est que c'était vraiment devenu insoutenable.
Plus ça allait, et moins j'y croyais à cette histoire de greffe.
Parce qu'on était pas dans le monde des Bisounours, et parce que cette mif avait une poisse pas possible alors que pour moi elle méritait tout le bonheur du monde.
On laissa finalement Raph avec son daron, Ines, Maëlle et leurs reufs, pour aller nous poser dans la salle d'attente, en silence, tous perdus dans nos pensées.
Je commençais sincèrement à envisager le meurtre pour que Raph puisse avoir de nouveaux poumons.
- Ça va être dur pour nous tous, mais il va falloir être là pour Maëlle, fit la petite voix d'Alice en face de moi.
Depuis quand c'était elle qui remontait le moral des troupes ?
Je relevai la tête pour voir le Fenek la couver d'un regard fier et amoureux.
- On a pas le droit de la laisser tomber à cause de notre propre chagrin, continua-t-elle. C'est elle qui va morfler le plus. Il faudra se battre pour elle tous les jours.
On acquiesça tous sans rien dire, mais c'était pas pour autant qu'on était pas d'accord avec elle.
Je me fis la réflexion qu'elle avait changé la petite Lissa depuis la nuit où je l'avais rencontré. Si au début je m'étais demandé ce qui avait bien pu attirer Nek chez une petite go aussi fluette et timide qu'elle, je voyais maintenant la femme confiante et élégante qu'elle était devenue.
Nek l'attira contre lui d'un bras autour de ses épaules et embrassa sa tempe. Fallait pas qu'il refasse le con, parce que ça m'étonnait qu'il arrive à la récupérer en sortant une deuxième fois la carte de l'album.
Quand Tyler sortit de la chambre, il se dirigea d'un pas lent vers moi, l'air songeur, puis il me fit signe de le suivre un peu plus loin.
Je savais pas pourquoi, mais je sentais que ça puait. Il semblait tourner et retourner ses paroles dans sa tête avant de les sortir, et je craignais vraiment ce que j'allais entendre.
- J'ai juste un conseil, me dit-il il doucement, presque à contre-cœur. Barre toi maintenant si tu penses que tu pourras pas supporter. Parce que si ça finit mal, elle sera plus jamais la même, tu la retrouveras jamais. Quitte-la.
Pardon ?
- Quitte-la maintenant, avant de te rendre compte que tu pourras plus retrouver la personne que t'aimes.
Je... Bah non ?
Ses yeux se baladèrent sur le vide derrière moi, et après plusieurs secondes de réflexion, il continua alors que j'étais de plus en plus en PLS :
- Maëlle et Raph, c'est deux personnes différentes, mais qui ont fusionné il y a bien longtemps. Maëlle c'est une partie de Raph, et Raph c'est une partie de Maëlle. Je sais qu'ils peuvent pas vivre l'un sans l'autre. S'il meurt, Maëlle va perdre une partie d'elle-même. Une grosse partie d'elle-même. Et ça va la changer plus que tu ne crois. Si ça se trouve, ce sera pas la même personne que t'as rencontré, ni celle dont t'es tombé amoureux, ni celle qui rend fou tous vos potes. Et crois-moi, ça va te rendre malheureux. Parce que tu te retrouveras coincé avec une étrangère. Parce que je sais très bien que tu voudras pas l'abandonner une fois qu'il sera partit. Alors c'est soit tu l'abandonnes maintenant, et je sais que c'est ce qu'elle préférerait, ou alors t'assumes, mais ça va te pourrir la vie.
Putain, je...
J'arrivais plus à savoir quoi penser.
Ouais ok, il avait totalement raison, j'allais forcément la perdre. J'étais conscient que j'allais avoir à faire à une épave.
Mais j'étais fou d'elle bordel, comment j'étais censé l'abandonner quand elle avait le plus besoin de moi ?
Il avait vraiment réussi à me faire douter, et pourtant y'avait un moment que je doutais plus de nous deux.
- Je dis pas ça pour être méchant, me dit-il, la voix bien trop rauque. T'es un bon gars, je le sais, et c'est pour ça que je te dis ça. T'es jeune, fais le bon choix. Ça sert à rien d'être malheureux toute ta vie parce que tu te sentiras coincé en te disant que tu peux pas l'abandonner. Vous allez devoir faire deux deuils en même temps, et rien ne t'oblige à rester auprès d'une inconnue pour le restant de tes jours.
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