– Attends, c'est qui lui ?
– Leo.
– Et c'est qui ?
– Le mari de Piper. C'est un Être de Lumière.
Avachis sur le canapé en nous partageant un pète, Maxime et moi passions l'après-midi ensemble. En réalité, je savais que Deen lui avait demandé de me babysitter pendant sa petite tournée des festivals. Nous étions maintenant au début du mois d'août, et ça faisait trois semaines que ça durait.
– Ah ouais c'est genre un ange ?
– Si tu veux. J'arrive pas à croire que t'ai jamais regardé Charmed, m'exclamai-je.
– C'était une série de p'tite go, moi je regardais Xena et Highlander quand j'étais tipeu !
J'écarquillai les yeux :
– Ça date vraiment ça par contre ! Tes parents ils surveillaient jamais ce que tu regardais ?
Jehkyl haussa les épaules :
– Bah à la base j'avais pas le droit de regarder, mais j'arrivais toujours à m'incruster quand mon reuf regardait, donc au bout d'un moment ils ont abandonné.
– Sale gosse.
– Arrête, je suis sûr que tu regardais des trucs mille fois pires !
Ce fut à mon tour d'hausser les épaules puis, sous le regard insistant de Maxime, je lui répondis :
– On regardait des films d'horreur en famille alors qu'on avait pas dix piges, avouai-je.
Jehkyl rigola :
– Putain je m'en doutais ! Genre petite soirée avec ton père et ton parrain devant Souviens toi... l'été dernier ?
J'écarquillai les yeux en regardant droit devant moi, retenant un rire. Comment avait-il deviné si précisément ?
En voyant ma réaction, mon ami éclata de rire.
– Avec Raph, même tout petits on s'incrustait quand ils regardaient leurs films d'horreur, et ils disaient rien. Quand notre mère était encore là elle les déglinguait avant de nous virer, mais une fois qu'elle est partie... Tout ça pour dire que si elle avait vu toute l'éducation de notre père, il aurait pas vécu très vieux.
Jehkyl rigola une nouvelle fois, tandis que je réfléchissais plus en profondeur à la façon dont j'avais été élevée.
Si les services sociaux avaient vraiment fait des enquêtes en profondeur, il aurait perdu notre garde plus d'une fois.
– C'est comme ça que je vais élever mes mioches, fit Maxime en ricanant. C'est la meilleure éducation.
S'il le disait. Je plaignais sa pauvre femme alors.
– Il est à qui le gosse ? demanda le rappeur après s'être de nouveau concentré pour un temps incroyable de trente secondes.
– À Piper et Leo. C'est Wyatt.
– Hein ? Mais c'est pas le grand blond Wyatt ?
Je fermai les yeux de désespoir. Cet enfant était insupportable. Et malheureusement je m'y étais beaucoup attachée ces dernières semaines.
– Si, c'est lui, mais dans le futur. Là il revient pour foutre la merde. Mais cherche pas, de toute façon t'es trop défoncé pour t'en souvenir pour le prochain épisode.
– C'est pas faux, m'approuva-t-il avant de me tendre notre pète.
Oui, en ce moment je fumais beaucoup. Je n'avais plus rien à faire de conserver mes poumons intacts au cas où ils puissent servir un jour à mon jumeau. En cas d'accident je savais qu'il préférerait sûrement que nous mourrions tous les deux. Ça me permettait de décompresser, et c'était ce dont j'avais le plus besoin. Ça ne plaisait pas trop à Deen, mais c'était ça où le retour des plaques d'eczéma.
À ma grande surprise, mon ami parvint à se taire jusqu'à la fin de l'épisode et, ce dernier terminé, il se leva vivement du canapé :
– Bon, on va graille ?
J'eus une moue dégoûtée :
– J'ai pas faim.
– Ok, je reformule : on va graille. Habille-toi, m'ordonna-t-il avant de rassembler ses affaires éparpillées sur la table basse.
– Nan, s'il te plaît, je te jure que j'ai pas faim. Mais va chercher à manger, je t'attends ici !
Jehkyl s'arrêta dans son rangement pour me lancer un regard noir :
– Elma, je te laissais pas le choix en fait, dit-il d'un ton autoritaire. Tu vas manger, même si c'est juste trois frites, tu vas manger.
J'adressai à mon ami un regard plein de rancune : il savait comment cette histoire allait se terminer.
Je savais qu'il s'inquiétait pour moi, Deen lui avait refilé toute son angoisse. Mais je ne pouvais même pas en vouloir à ce-dernier, je ne me rappelais encore que trop bien du jour où il m'avait dit qu'il avait remarqué que j'avais maigri et que mes bras étaient parsemés de plaques rouges. Je pense que dans d'autres circonstances, j'aurais eu peur pour moi aussi. Et puis je ne parlais même pas du jour où il avait découvert les nœuds que j'avais dans le dos ; il avait fallut que je lui promette de voir au moins un des gars de la bande tous les jours et de lui donner des nouvelles au moins tous les deux jours pour le dissuader d'annuler ses concerts.
Résignée, j'enfilai simplement une veste à l'effigie de mon équipe.
– Ah ouais donc tu vas vraiment sortir comme ça ? se moqua Jehkyl.
Je le toisai avec mépris :
– Je vais pas faire d'effort pour toi, il est fou lui !
Mon ami leva les yeux au ciel d'un air à la fois amusé et blasé, puis nous nous mîmes en route.
Encore une fois, ce n'était pas particulièrement ma dégaine en elle-même qui le dérangeait, mais le fait que je ne voulais pas faire d'effort. Il avait maintenant tendant à tout amplifier, alors que pour le coup, j'avais juste terriblement la flemme de m'habiller, et préférais largement sortir en short de sport, débardeur et baskets, chignon fait à la va-vite, et mes lunettes sur le nez.
Sans aucune volonté de ma part, mon ami jeta son dévolu sur un restaurant japonais alors qu'il n'était même pas fan de ça. Encore une stratégie pour me faire manger à tout prix.
Mais ces temps-ci je n'y arrivais vraiment pas. Mes intestins étaient constamment noués, et je ne parvenais rien à avaler sans le ressortir. Il y avait eu quelques exceptions à la règle, et Maxime avait été fier de moi, mais ça n'avait pas suffit.
On pourrait croire que je ne faisais aucun effort, mais pourtant j'essayais de me forcer, en grande partie parce que je détestais voir mes amis s'inquiéter pour moi, en particulier Deen alors qu'il était censé kiffer ce qui lui arrivait en ce moment.
Devant Raphaël, je pétais la forme, je rigolais, faisais des vannes, le charriais. Nous nous battions comme des mômes, faisions chier notre entourage, étions aussi complices que d'habitude. Je ne voulais pas que les choses changent à cause de notre angoisse mutuelle, que Raphaël s'en veuille de me mettre dans un état pareil, et encore moins qu'il s'inquiète pour moi en plus de s'inquiéter pour lui-même.
Mais une fois seule - ce qui arrivait rarement, Jehkyl, Ivan ou Eff s'incrustant sans cesse dans mes plans, et les filles tentant un maximum de me changer les idées - je me retrouvais avec mes démons et luttais tant bien que mal contre l'envie de me laisser sombrer.
Et puis bon, il fallait avouer que même aux côtés de Raphaël, l'angoisse ne disparaissait jamais : elle était même devenue un nouvel organe de mon corps, ayant emménagé il y avait de ça un mois pour devenir la voisine de la tristesse et de la terreur.
Le mot-clé de toute cette période, c'était la force. Il fallait à tout prix que je reste présente pour mon frère, le soutenant du mieux que je pouvais, et je ne pouvais pas me permettre de laisser gérer une Maëlle dépressive aux autres en plus de la perte de leur frère.
– Mange au moins un sushi. S'teuplaît, me supplia Maxime, me sortant par la même occasion de mes pensées alors que je regardais la carte sans la voir.
– Henry, j'ai pas...
– Un demi-sushi, négocia-t-il d'un ton doux.
Je fermai les yeux, m'imaginant déjà en train d'essayer d'avaler quelque chose, puis cédai en soupirant :
– Si je finis pas, le gaspillage ce sera de ta faute.
Il eut un petit sourire victorieux mais ne dit rien, et cocha plusieurs cases sur le papier.
Si au moins je pouvais lui faire plaisir... Je n'avais pas envie qu'il rentre chez lui en se faisant du souci pour moi. Il allait donc falloir que je me dépasse physiquement.
Plusieurs minutes plus tard, alors que nous rigolions, plusieurs plats nous furent servis : du riz, des sushis, des California roll, des makis, des sashimis... Comment allions-nous tout manger ?
– T'as abusé, dis-je à mon ami d'un ton catégorique. Vraiment, tu vas devoir payer pour ce qu'on aura pas bouffé.
Jehkyl frotta ses paumes l'une contre l'autre :
– Oh t'inquiètes pas que je vais tout démonter !
Je ricanai en étant témoin une fois de plus de la ressemblance qu'il avait avec son frère. Je ne savais pas comment il restait aussi mince.
– Allez Elma, sers-toi, m'encouragea-t-il.
Résignée et ayant envie de lui faire plaisir, je me servis dans le plat de riz sans broncher, puis piochai quelques sushis avant d'attraper une des soupes qui venaient de nous être apportées.
Dans mon assiette, même pas le tiers de ce que j'aurais mangé d'habitude. Mais ça me paraissait insurmontable.
Sous l'œil attentif de Maxime, je mangeai mon premier sushi, tentant tant bien que mal de ne pas laisser paraître mon dégoût. Je n'avais vraiment pas faim, et pourtant j'adorais ça d'habitude...
Puis les bouchées furent de plus en plus simples à avaler, et comme bien souvent, j'eus faim rien qu'en mangeant.
Car ce n'était pas la première fois que Jehkyl me forçait à manger et que j'y arrivais. Mais à chaque fois que j'étais parvenue à avaler une assiettes convenable, j'avais vécu un autre scénario en rentrant chez moi.
– Là je retrouve Elma ! s'exclama fièrement mon ami. Celle qui est capable de s'enfiler deux kebabs en nous lançant des regards noirs parce qu'on la juge.
Je lui adressai un sourire reconnaissant. C'était fou ce qu'il se contentait de peu tellement il y avait eu de jours où il n'avait rien réussi à me faire manger !
Nous parvînmes finalement à vider tous les plats - en grande partie grâce à lui -, puis nous sortîmes du restaurant, repus, le bras de mon ami négligemment posé sur mes épaules :
– J'suis fier de toi, fit-il. Ça me tue de te voir maigrir de jour en jour, alors même si je sais que demain ça sera peut-être pas pareil, je suis quand même refait.
J'étais devenue si faible avec toute cette histoire, je me faisais vraiment babysitter, et le peu de la Maëlle guerrière qui restait en moi était énervée par cette faiblesse. Mais bon, j'avais beaucoup trop peu de volonté pour essayer de me ressaisir ; faire semblant d'aller bien à chaque fois que j'étais auprès de Raph ou entourée de mes amis me coûtait trop d'énergie.
Ce fut quelques heures plus tard, alors que j'allais me coucher sans avoir vomi mon repas, que je remerciai tous les dieux en lesquels je ne croyais pas d'avoir mis des personnes telles que Jehkyl sur ma route. Car c'était peut-être une petite victoire, mais c'était en tout cas la première.
Alors non, ni Maxime, ni Ivan, ni Eff, n'arriverait à soigner Raphaël. Ce n'était pas non plus eux qui arriveraient à faire disparaître l'angoisse qui me dévorait les entrailles à chaque seconde de chaque jour. Mais c'étaient eux qui me permettaient d'oublier parfois juste le temps d'une demi-seconde que j'allais perdre la personne la plus importante de ma vie, c'étaient eux qui me donnaient la force d'illuminer un peu le quotidien de mon frère jumeau, et c'était grâce à eux que je parvenais à aller voir mon frère de bonne humeur plusieurs fois par semaine.
C'était grâce à ces amis en or que le reste de mon temps avec Raphaël pouvait être aussi beau.
[...]
– Nan, j'suis vraiment pas d'accord, Gimli il sert à r, je comprends même pas qu'il ai tenu toute la saga !
– T'es sérieux ? Il est ultra stylé, les nains c'est les meilleurs ! T'es juste jaloux parce qu'il a une giga beubar et qu'il a beaucoup plus de veuchs que toi.
Nous battant pour déterminer qui était le meilleur personnage du Seigneur des Anneaux, Ivan et moi débarquâmes dans mon appartement en nous exclamant.
– Ouah mais tu fais trop la meuf, lança le rappeur d'un air aussi agacé qu'amusé. T'as la même gueule que Gollum, pourtant je t'attaque pas sur ton physique.
Je fixai mon ami quelques secondes d'un air que je voulais sérieux avant d'exploser de rire et de déposer mes clés sur un meuble du couloir :
– Sale con !
Ivan ricana avant de m'ébouriffer les cheveux comme si j'avais cinq ans tandis que je protestais face à son geste.
– Je vous laisse juste une semaine ensemble, et vous vous foutez déjà sur la gueule, fit une voix que je ne connaissais que trop bien dans le salon.
Je me retins pour ne pas y courir, voulant tout de même conserver un peu de street cred' devant Ivan, et ne voulant pas montrer à Deen qu'il m'avait vraiment manqué, et m'y dirigeai donc simplement ne marchant joyeusement.
– Wesh ma gueule, fis-je en le checkant avant de l'embrasser pendant qu'il rigolait. Ça va ?
– Pas aussi bien que toi on dirait, ricana-t-il en me sondant. Tu lui as fait prendre quoi gros ? demanda-t-il en se tournant vers Ivan pour le checker.
– Rien du tout, tu sais bien qu'elle est comme ça naturellement.
Je compris très bien ce qui se passa dans la tête de mon mec à ce moment précis : oui, mais elle a pas été comme ça depuis plusieurs semaines.
Et il aurait raison de penser ça. La plupart du temps, je faisais simplement l'effort de montrer une façade joyeuse alors que tout mourrait à l'intérieur de moi. Mais depuis quelques jours, j'arrivais vraiment à redevenir moi-même, tentant tant bien que mal d'oublier ce qui était en train de se passer. Honnêtement, je ne savais pas comment j'avais fait.
– Bon, moi je me tire, annonça Ivan en soufflant, je l'ai supporté pendant trop longtemps.
Une fois notre ami partis - non sans avoir répliqué à sa pique avant qu'il ne dégage le plancher-, je me collai rapidement à Deen, me mettant sur la pointe des pieds pour l'embrasser tout en laissant mes ongles se balader dans sa barbe.
– Moi je pense que c'est Aragorn le meilleur, lâcha-t-il finalement.
Je levai les yeux au ciel, puis au lieu de répondre, collai ma bouche à la sienne avant qu'il ne m'embarque dans la chambre.
Lorsque nous eûmes fini, nous nous fîmes chacun un débrieffing de notre semaine. Il me raconta ses concerts, je lui racontai mes sorties et le retour des entraînements, et je le vis m'examiner du regard pendant tout notre échange. Même si ça me gênait, je n'avais même pas envie de lui faire de reproche, sachant qu'il essayait de se rassurer comme il pouvait quant à mon état de santé.
– Bon, viens-là que je te masse, fit-il alors que nous allions nous coucher après avoir mangé devant le premier Seigneur des Anneaux, une fois que Monsieur eut conclu qu'effectivement, Aragorn était le meilleur personnage de la saga.
Je m'allongeai en culotte sur notre lit, et Deen s'appliqua à masser chaque muscle de mon dos, déterminé à faire disparaître les petites bosses qui s'y trouvaient :
– T'as repris du poids, je suis content. Et t'as moins de nœuds je trouve, dit-il d'un ton satisfait. T'arrive à être plus détendue ?
– Je crois que la reprise du hand ça m'a fait un bien de fou, avouai-je, ayant de plus en plus de mal à articuler.
S'il continuait comme ça, je savais que je n'allais pas tarder à m'endormir.
Si seulement je pouvais m'endormir tout de suite... Sans penser pendant des heures à tous les sauvetages possibles de mon frère, ce rêve que j'avais depuis toute petite mais qui était devenu bien plus vital pour moi ces dernières semaines.
– Loué soit le Saint Handball, lança religieusement Deen.
Je ne tardai pas à avoir un fou rire, surement bien aidée par la fatigue, puis ce qui devait arriver arriva, et je n'entendis pas la suite des paroles de mon copain, emportée trop vite par le sommeil.
Sommeil qui ne dura d'ailleurs pas très longtemps.
Enfin, je ne savais pas vraiment, m'endormir avec la lumière allumée et me réveiller dans le noir m'ayant fait perdre mes repères.
Deen dormait paisiblement à côté de moi, et je venais de me réveiller en sursaut, sans aucune raison.
L'angoisse ne mit que quelques secondes à me prendre au ventre, et fatalement, mon pouls s'accéléra très rapidement.
Il s'était passé quelque chose, j'en était sûre, je le sentais.
Je n'avais pas besoin de plus d'indice pour savoir que mon corps m'alertait quant à l'état de santé de mon frère, ce n'était pas la première fois que ce genre de chose m'arrivait.
Mais je n'avais encore jamais rien expérimenté d'aussi intense.
Les mains tremblantes, les yeux écarquillés de peur, j'allumai la lampe de chevet et pris tant bien que mal mon téléphone dans mes mains.
– Allez putain, jurai-je en tentant de le déverrouiller, mes mains tremblant trop pour arriver à faire quoi que ce soit.
– Mel ? fit la voix endormie de mon copain à côté de moi. Qu'est-ce que tu fous ?
Je ne répondis pas, trop occupée à essayer de trouver le contact de mon frère.
J'aurais à tout moment pu faire une crise cardiaque : mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, ma respiration était si rapide que j'aurais pu en attraper un point de côté, et mes yeux se remplissaient petit à petit d'eau.
– Qu'est-ce qui se passe ? C'est Raph ?
La voix paniquée de Deen me fit sortir de ma torpeur, et je tournai enfin la tête vers lui :
– Je... Je crois que oui, j'sais pas, j'ai l'impression qu'il y a un truc qui va pas, soufflai-je.
Le visage empli de peur, Deen posa sa main sur mon dos et le frotta doucement, tandis que je parvenais enfin à appuyer sur le petit symbole vert.
Un bip.
Deux bips...
Trois bips...
Quatre bips...
– Maëlle ?
Ce fut lorsque la voix larmoyante d'Ines retentit dans le combiné que je plaquai ma main sur ma bouche et que mon corps fut pris de petits soubresauts.
– Il est à l'hôpital, annonçai-je simplement à Deen quelques secondes plus tard, la vision trouble. Faut qu'on bouge.
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