Chapitre 105. « I try to picture me without you but I can't »

Je sais que certaines d'entre vous préféraient un chapitre en une seule fois, mais je m'étais pas rendue compte d'à quel point il était conséquent... Vraiment, il était gigantesque, même moi ça m'a saoulé en le corrigeant. Donc voilà, c'est la première partie. Bonne lecture, et merci beaucoup pour tous vos commentaires ces derniers jours, vous êtes les meilleurs ! ❤

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– Maëlle...

J'ouvris les yeux automatiquement à l'entente de mon prénom, mon cœur battant la chamade à l'idée de revoir ma mère.

– Maman ?

La lumière toujours trop aveuglante m'empêchait de distinguer mes environs.

J'entendais simplement une voix résonner près de mon oreille tandis que mes yeux essayaient de s'habituer à la clarté.

J'avais comme l'impression d'être sous l'eau, et d'entendre les sons de très loin.

Puis à force d'essayer, je pus distinguer de plus en plus d'éléments autour de moi ; d'abord une télé accrochée à un mur vert en face de moi, puis une fenêtre à ma gauche devant laquelle trônait une chaise et une table sur roues. Et à ma droite...

Dad ? m'exclamai-je, un grand sourire sur les lèvres.

Mais celui-ci ne sembla pas m'entendre.

Il était assis sur une chaise près du lit sur lequel j'étais allongé, les coudes sur le matelas, et gardait la tête baissé, soutenu par ses poings sur son front.

Je t'en supplie réveille-toi, murmura-t-il.

Je suis là Papa, je suis réveillée !

Encore une fois, il ne sembla pas m'entendre.

Il releva tout de même lentement la tête, et j'eus envie de crier en voyant son air si désespéré. Ses yeux étaient rouges et de gigantesques cernes s'étaient creusées sur son si beau visage.

Je suis rien sans toi p'tit cœur... Tes frères, ta sœur, et toi, vous êtes ma seule raison de vivre.

Sa voix se brisa à la fin de sa phrase et il se passa fébrilement une main sur le visage.

Je vais passer pour un putain d'enculé mais c'est pas grave, je vais le dire quand même. Quand ta mère est morte, je me suis dit qu'au moins il me restait toi. Parce que... Putain parce que je savais très bien que quand vous êtes né j'allais perdre mon p'tit garçon. Mais je me raccrochais au fait que tu serais encore là toi quand il partirait. Que je serais pas tout seul pour surmonter sa mort. Mais j'ai jamais pensé que tu puisse partir en premier, que tu puisses me laisser seul.

Il marqua une légère pause. Ses pensées étaient un peu extrêmes, mais je ne savais pas comment j'aurais pensé à sa place.

Parce qu'à la base, je pensais plus jamais aimer. Je pensais que j'allais finir ma vie avec des coups d'un soir et ça m'allait très bien. Je m'en foutais, je vous avais vous. Et puis, heureusement, Fanny est arrivée. Avec Sohel, et puis avec Zoé. Alors maintenant je sais que je serai plus seul.

Je ne remercierai jamais assez Fanny pour avoir déboulé dans la vie de mon père et pour l'avoir porté vers le haut. Tout le monde avait besoin d'une Fanny dans sa vie.

– Attention par contre, je te connais, me fais pas dire ce que j'ai pas dit, reprit mon père dans un rire jaune. Ça veut pas dire que je te donne l'autorisation de partir.

Je soufflai du nez en ricanant ; évidemment qu'il ne m'autoriserait jamais à le quitter, il n'était pas un papa-poule pour rien.

Quand tu deviens parent, reprit-il plus sérieusement, tu te dis que tu pourras jamais aimer quelqu'un autant que t'aime ton môme. Alors qu'en fait si... C'est pas comme si t'avais une quantité d'amour restreinte à diviser et qu'à la fin il y en restait plus. Quand t'es née, je me suis dit « Putain, ça y'est, ce petit être humain il a mon cœur ». Et puis quelques minutes plus tard, ton frère est arrivé, et j'ai ressenti exactement la même chose. Et puis ça a fait pareil avec Sohel, et puis Zoé. En fait tu donnes pas de l'amour en quantité restreinte, t'en ressens au quotidien en quantité illimitée. Et tellement grande. Ça fait parfois limite mal de vous aimer à ce point. Et putain, c'est terrifiant.

Je pus constater que ses yeux étaient devenus plus brillants au fil de son récit et au fur et à mesure qu'un léger sourire prenait place sur son visage.

– Ce que je veux dire, reprit-il, c'est que c'est pas parce qu'il me reste trois enfants que je serais pas brisé si tu te bats pas. Je pourrai jamais m'en remettre, peu importe l'amour qu'il me reste pour Raph, Soso, et Zo. J'ai besoin de mes quatre enfants, et ils ont besoin de toi aussi.

Il marqua ensuite une pause, puis rouvrit la bouche. Mais avant qu'aucun son ne puisse sortir, quelqu'un toqua à la porte de ce que j'avais deviné depuis quelques minutes était ma chambre d'hôpital.

Mon père autorisa la personne à rentrer, et Fanny s'engouffra dans la chambre pour se poster à côté de son homme, une main passant délicatement dans ses cheveux :

– Viens mon amour, on rentre à la maison, ça fait deux jours que t'es là.

Deux jours ? Mais combien de temps avais-je raté ? Comment pouvais-je me réveiller ?

Toutes ces questions me firent perdre pied avec la réalité, et je fus de nouveau plongée dans l'obscurité.

[...]

– Je t'interdis de crever. Je te jure, je t'interdis de crever. Si tu crèves, je sautes par la fenêtre.

Raphaël était visiblement en colère.

Mais je ne pouvais pas lui en vouloir, je l'aurais été aussi à sa place.

– On avait pas fait de pacte à ce propos, mais y'en avait pas besoin pour tout merde ! C'était sous-entendu depuis le début que j'étais censé mourir en premier et te laisser tomber. Pas le contraire putain. C'est pas juste, toi t'as eu toute une vie pour te préparer à ça, pas moi ! Alors je te jure, t'as intérêt à te réveiller, parce qu'il est hors de question que je vive sans toi. Et si tu penses que tu peux partir en me laissant tes poumons, bah c'est que t'es sacrément conne, parce que j'en voudrai pas.

Je ne comprenais pas comment il était possible pour moi de voir et d'entendre mon environnement alors même que mon corps ne réagissait pas à mes commandes.

Comme mon père, les yeux de mon frère jumeau étaient gonflés de fatigue et il arborait de larges cernes bleus. Il fallait qu'il dorme, qu'il prenne soin de lui. Avec sa maladie, il fallait qu'il fasse attention.

– T'as pas le droit de partir. T'as pas le droit d'être égoïste. Tu veux que je te rappelle ce que ça a fait à Maman de perdre Adam ? Ça l'a tuée. Alors vas-y, si tu veux me tuer je t'en pries, meurs. Mais je sais que c'est pas le cas alors t'as intérêt de vivre la putain de ta race.

Un petit sourire amusé se dessina sur son visage après son monologue. 

Raphaël ne s'énervait jamais. Et je savais depuis le début qu'il faisait exprès de monter en pression. Peut-être pour me faire réagir ? Mais je savais aussi qu'une certaine colère l'habitait depuis que j'étais dans cet état, je l'avais entendu lors de mes états de semi-conscience la veille.

– Nan en vrai Mel, reprit-il d'une voix douce mais triste. Si tu pars je m'en remettrai pas. Et je pense bien que j'aurai plus envie de me battre. Y'a beaucoup trop de monde qui tient à toi, t'imagine même pas dans quel état sont les autres.

Raphaël rigola, et je ne compris pas pourquoi jusqu'à sa prochaine phrase :

– Remarque, peut-être que Nek te dédiera un son. Mais bon, c'est pas une raison.

Mon jumeau resta silencieux pendant quelques secondes, la tête baissée, puis il dirigea ses grands yeux bleus vers moi :

– T'es ma moitié, Mel. Si tu pars je... Putain ce serait mon pire cauchemar qui deviendrait réalité. Tu sais que parfois je me réveillais en sursaut la nuit quand j'étais tipeu parce que j'avais rêvé que tu te faisais enlever ou qu'on te tuait ? À chaque fois qu'un connard me demande ce que ça me ferait si jamais tu partais ça me donne envie de beuge. T'es une partie de moi, et si tu pars... Je pense vraiment que je me flinguerais. Fiancée ou pas, j'en aurais rien à foutre de faire du mal autour de moi, que ce soit à Papa, les petits ou Ines. J'ai jamais été aussi fort que toi, et j'y survivrai pas, j'ai aucune envie de vivre sans ma jumelle.

Il marqua une courte pause et se racla la gorge.

– Je t'aime Mel... Je sais qu'on se le dit jamais, mais je t'aime. Et je voudrais bien que tu te réveilles pour que tu puisses l'entendre.

Sa voix se brisa durant sa dernière phrase, puis il se prit la tête dans les mains en sanglotant.

Je t'entends Raph. Je t'entends...

[...]

– Bonjour Maëlle, comment ça va aujourd'hui ? Et bien moi ça va très bien écoutes, merci de me le demander !

Celui-là, c'était Grégoire, mon infirmier. Il était marrant, je lui devais bien ça, même s'il était parfois agaçant.

Au moins il s'adressait à moi contrairement à certains membres du corps médical qui parlaient de leurs histoires de couple et leurs petits problèmes du quotidien alors qu'ils changeaient mes pansements. 

J'étais au courant de toute leur vie. Il fallait d'ailleurs que je dise à Marlène qu'elle était cocu.

L'esprit presque toujours embrumé, j'avais tout de même pu compter quelques jours de semi-conscience, et j'en étais normalement à mon quatrième.

J'entendais les voix des gens que j'aimais par intermittence autour de moi, mais je savais que j'en loupais beaucoup.

Hier, j'avais par exemple entendu Khadija prier à côté de moi, et j'avais essayé de m'adresser à elle en arabe, comme si elle pouvait m'entendre.

J'essayais toujours, avec l'espoir que quelqu'un me réponde un jour.

Ce matin, Kamel était venu me raconter sa vie et ses galères avec ses trois enfants. Comme d'habitude, il m'avait tuée de rire, même si j'avais été bouleversée par sa tristesse quant à mon état.

Au début, tous mes proches avaient paru déboussolés, presque abattus de ne pas me voir leur répondre.

Me déplaçant dans la chambre sans que le corps allongé dans mon lit ne bouge d'un seul millimètre, j'avais pu voir mes frères dans des états que je ne leur avais jamais connu avant, les larmes aux yeux, déglutissant ou se raclant la gorge avant de parler.

Puis le médecin leur avait expliqué qu'il était très probable que je me réveille et que tout dépendait de moi. S'il y avait une notice pour faire ça, j'étais preneuse.

Ses propos les avaient donc rassurés, et depuis ils venaient me voir avec le sourire, ou en tout cas un semblant de bonne humeur et des paroles détachées pour prétendre que la situation n'avait rien de grave. Ça m'allait : nous faisions comme si j'étais éveillée, et ils me faisaient la discussion comme si je pouvais leur répondre en parlant de sujets divers et variés.

Les filles avaient une force incroyable : elles étaient tout aussi abattues que leurs mecs mais semblaient les soutenir avec une volonté époustouflante. Julia passait son temps à rassurer Théo, Stine relevait la tête de toute la bande et Alice... Je ne savais pas ce qu'elle faisait avec Ken puisque je n'avais pas encore vu celui-ci. De part les dires de ma petite sœur, il était venu le tout premier jour mais n'avait pas supporté de me voir dans un tel état.

Je le comprenais : des tuyaux me sortaient de partout, des perfusions saillaient de mes bras, plusieurs de mes membres étaient dans des plâtres et même si mes bandages commençaient à rétrécir, ils étaient abondants.

Si quelques jours auparavant je n'avais eu aucune envie de me réveiller, voir et entendre ma famille me redonnait une force incroyable et je n'avais qu'une seule envie : ouvrir les yeux.

Mais mon corps semblait ne pas vouloir me laisser faire, et je me battais chaque jour pour ne pas sombrer dans le néant.

[...]

– Bon allez c'est bon ma grosse, c'était marrant cinq minutes, maintenant ça fait quatre jours, donc tu vas me faire le plaisir de te réveiller s'teuplaît !

Je ne pus m'empêcher de rire en voyant Deen débarquer avec un air autoritaire dans ma chambre.

– Je te jure que j'essaye Mika, mais j'y arrive pas. J'ai tout essayé putain, mais impossible de me réveiller.

Pourtant je luttais, de toutes mes forces je luttais.

Une sorte de force m'attirait inexorablement à l'écart de ma famille, et plus les jours passaient, plus j'avais l'impression qu'elle m'avalait. Pourtant je voulais vivre moi ! Je voulais me réveiller !

Alors je me battais.

Mais j'étais trop de fois engloutie par l'obscurité.

– Tu vas quand même pas continuer à laisser des gens que tu connais aps te laver ? Je t'ai connu plus hargneuse et plus fière que ça !

Je connaissais Deen par cœur ; je savais que son ton enjoué et détaché cachait une réelle détresse. Au premier regard, et en le connaissant mal, on pouvait s'y méprendre ; mais ses yeux voulaient dire tout ce que sa bouche n'exprimait pas.

C'était la première fois depuis que j'étais dans cet état qu'il me parlait.

Il était venu me voir de nombreuses fois bien sûr, me prenant la main, caressant mes cheveux, m'embrassant le front... Il s'était endormi quelques fois sur sa chaise, la tête posée sur ses mains qui tenaient fermement la mienne au bord de mon lit, tandis que mes frères, mes amis ou mon père discutaient de tout et de rien à côté de nous. Il fallait croire que mon état avait pris le dessus sur son tempérament pudique.

À chaque fois les infirmiers et les infirmières avaient été obligés de pousser Deen hors de ma chambre tard le soir car il ne voulait pas bouger. Ça avait d'ailleurs été la réaction d'à peu près tout le monde le premier jour, puis ils avaient écouté.

Mais pas Deen.

Tous les soirs il avait semblé sur le point de se battre pour rester. Et contre toute attente, ça avait toujours été mon père qui avait réussi à prendre sur lui pour l'attirer dehors en le raisonnant. Ces deux-là semblaient d'ailleurs s'être rapprochés depuis que je n'étais plus là, et j'étais heureuse qu'ils puissent se soutenir.

Tout comme mon père et mes frères, Deen était resté les quatre jours à l'hôpital, s'octroyant seulement quelques allers et retour entre ici et chez mes parents pour se laver. Il avait presque toujours été dans la chambre, sauf quelques fois où ma famille avait eu envie d'intimité pour me parler. Mais lui n'avait pas encore réussi à se retrouver seul avec moi, et je le soupçonnais d'en avoir eu peur car les autres ne lui en auraient pas du tout voulu s'il avait demandé à se retrouver seul à mes côtés.

Les larges cernes sous ses yeux bruns, ses cheveux décoiffés sous sa casquette et sa barbe mal taillée manifestaient de son manque de sommeil. Je me demandais s'il dormait même en dehors de l'hôpital, et pas seulement lorsqu'il était auprès de moi.

– Je vois que les filles sont passées par là, ricana-t-il d'un air moqueur en s'asseyant à côté de moi.

Effectivement, Alice, Julia et Stine étaient venu dans la journée et m'avait coiffée et maquillée.

– Ça va, t'es pas trop cheum, fit-il en plaçant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

Les compliments de Deen, légendaire.

Il laissa planer un blanc de quelques minutes, et je pus presque ressentir les différentes vagues de sentiments qui l'envahirent au fur et à mesure. Je le connaissais par cœur.

Si quelques minutes auparavant son visage paraissait presque en forme malgré sa fatigue évidente, ses traits étaient maintenant tirés et il avait l'air dix ans plus vieux. Ses yeux s'étaient assombris, son front était plissé et il avait la tête baissée vers ma main qu'il semblait étreindre avec force.

Il soupira un grand coup puis leva les yeux au ciel d'un air souffrant tout en prenant sa lèvre inférieur entre ses dents et en se raclant la gorge. Il amena finalement ma main vers sa bouche en la tenant fermement entre ses deux paumes :

– J'arrive pas à faire semblant, réussit-il finalement à dire, la voix plus rauque que d'habitude.

Il souffla une seconde fois comme pour se donner du courage :

– Je suis désolé de pas t'avoir parlé plus tôt, j'y arrivais pas. Mais le médecin a dit que ça pourrait te stimuler alors voilà, dit-il dans un rire jaune. Je me suis dit que j'allais venir en mode bonne humeur et joie de vivre parce que c'est les deux choses qui te résument au quotidien mais... Moi je suis pas toi. J'suis qu'un papy râleur et bougon. Et puis en te voyant comme ça, je peux pas faire genre tout va bien. Ça fait quatre jours putain, c'est beaucoup trop long...

Sa voix se brisa légèrement sur ce dernier mot, mais il se racla rapidement la gorge avant de froncer les sourcils d'un air décidé. Je savais qu'il n'allait pas se laisser aller si facilement, il était trop fier pour ça.

– Tu fais chier putain ! Et moi j'suis vraiment trop con de t'avoir laissé partir.

Alors là non, s'il commençait à culpabiliser j'allais lui péter sa gueule !

– J'aurais dû capter que t'étais encore en train de fuir. C'est tout ce que tu sais faire quand y'a un problème. J'aurais dû creuser pour savoir ce qui allait pas. Comme quoi, ça fait trois piges qu'on se connaît mais t'arrive quand même encore à me berner espèce de connasse.

Il n'était pas seulement triste, la lueur dans ses yeux et ses mâchoires serrées montraient qu'il était aussi en colère.

– Ça doit te faire bizarre que je vienne comme ça, te parler comme si on était encore ensemble alors que tu m'as largué... Mais je sais pas... D'un côté j'espère que tu regrette de l'avoir fait. Fin'... Tu regrettes sûrement de l'avoir fait vu ce que tu m'as dit avant qu'on te foute dans l'ambulance. Ou alors peut-être que c'était le choc, genre les derniers mots aux survivants, j'sais pas...

Deen se gratta nerveusement l'arrière de la tête.

Oui, c'était les derniers mots aux survivants. Mais ça ne les empêchait pas pour autant d'être vrai. Je regrettais notre dispute et je l'aimais de tout mon cœur.

– Sérieux, tu casse les couilles ! Tu te barre par peur qu'il m'arrive un truc et au final c'est moi qui te retrouve en PLS dans un ravin et qui parle comme un con en espérant que tu te réveilles !

J'eus un petit rire jaune ; putain d'ironie du sort.

– Bref, fit-il en se frottant vivement le visage. En tout cas si tu pensais vraiment ce que t'as dit dans la forêt, crois pas que je vais te le dire en retour, ce serait trop facile. Parce que ça te donnerait l'autorisation de caner, et moi je te la donne pas.

Au moins il rejoignait mon père et mon frère sur ce point.

– Vraiment Maëlle, reprit-il du ton le plus sérieux que je lui ai connu jusqu'à maintenant, une pointe de détresse perçant dans sa voix. Si tu canes, je te promets de te haïr jusqu'à la fin de mes jours. T'as pas le droit de me faire ça. Parce que si tu pars, je retomberait jamais amoureux de personne. Et pour ça je te détesterai.

Il leva les yeux au ciel, et je vis à la brillance de ses iris qu'il ravalait des larmes. Il se racla une énième fois la gorge, puis ses yeux eurent une lueur joueuse et un léger sourire se dessina sur son visage :

– Et j'ai dit « je retomberai jamais amoureux de personne », mais ça veut pas dire que je suis toujours amoureux de toi, crois pas, j'ai jamais dit ça. Alors prends pas la confiance.

Quel mytho... Mais si ça pouvait me permettre de l'entendre parler de ses sentiments à vive voix lors de mon réveil, ça m'allait très bien.

Deen ouvrit une nouvelle fois la bouche mais se ravisa lorsque les filles entrèrent dans ma chambre.

– Je viens lui dire au-revoir, annonça Stine.

Deen acquiesça et lui adressa un large sourire en lui laissant sa place avant de s'appuyer sur la table au fond de la chambre, me regardant d'un air protecteur.

– Salut ma belle, s'exclama Stine. Je viens te faire un bisous avant de remonter à Paris. On a un match, et vu qu'on peut pas compter sur notre meilleure arrière gauche, il faut que j'aille aider les filles. Mais je te promets que je reviens juste après ! J'ai déjà dit au staff que je serai pas là pour le prochain match vu que c'est en déplacement.

– Tu sais qu'elles galèrent sans toi ? m'annonça Alice. Vraiment, cette équipe a besoin de toi Maëlle...

– Ce qu'Alice essaye de dire Cariña, fit Julia d'un air moqueur, c'est que Stine n'est pas assez douée pour remonter le niveau.

La norvégienne s'offusqua et un concours de mauvaise foi commença entre les deux filles.

Pas assez douée tu parles ! Stine avait été élue meilleure joueuse du championnat de France deux fois depuis qu'elle était à Paris, et elle le serait probablement encore cette année.

Je ne pouvais pas m'empêcher de sourire en voyant mes trois copines dans ma chambre, Deen ricanant de loin à leurs conneries ou y participant de temps en temps.

Mais rapidement, leurs voix et leurs rires se firent plus lointain, et l'obscurité que j'avais réussi à garder au loin toute la journée s'immisça petit à petit dans la chambre, faisant disparaître les odeurs, puis les sons, puis ma vision...

[...]

– Wesh Clarkson, képass aujourd'hui ?

– T'es obligé de gueuler comme ça ?

– Bah ouais, faut bien la réveiller.

J'avais de plus en plus de mal à rester dans le monde des vivants. Au fur et à mesure des allers et venues de mes proches, je me rendais compte que je manquais de larges périodes de temps. Temps dont je perdais aussi de plus en plus la notion. Pourtant ce n'était pas faute de me battre contre le néant, mais une force qui m'attirait inexorablement vers lui.

Je décidais de ne pas faire attention à l'angoisse qui me prenait de plus en plus au ventre et éclatai de rire en voyant l'entrée en matière de mes deux meilleurs amis. Visiblement, Tarek avait la patate. Hugo, quant à lui, le regardait avec désespoir :

– Putain mais si tu continues comme ça elle va juste jamais avoir envie de se réveiller gros. Si c'est pour devoir te supporter je la comprend.

Tarek lui adressa un regard faussement choqué en se penchant en arrière, la main sur sa poitrine :

– Bah wesh, c'était pas très gentil ça. Hein Clarkson ? Dis à ton pote que c'est un connard.

– Le seul connard ici c'est celui qui lui gueule dans les oreilles depuis deux minutes, gueula à son tour Hugo en s'approchant assez près de l'oreille de Tarek pour qu'il ai un mouvement de recul.

Ce dernier porta sa main à son oreille en grimaçant :

– Putain on t'a entendu jusqu'en Ouzbékistan là frérot.

J'éclatai une nouvelle fois de rire ; bordel, qu'est-ce que j'avais envie de participer à leur joute.

– Bon, plus sérieusement, il s'agirait de se réveiller là Clarkson, reprit Hugo en s'asseyant près de moi avant de me caresser délicatement la joue. Tu nous manques là.

– Bof, pas trop en vrai, souffla Tarek, mais ce serait bien que tu libères le lit, y'a d'autres malades hein. Grosse égoïste.

Je levai les yeux au ciel en souriant d'un air amusé ; comme disait ma grand-mère : s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer celui-là.

– Ouais, en plus je suis pas sûr qu'ils soient si confortables que ça, argumenta Hugo. Tu dois avoir mal au dos.

Tarek se laissa tomber sur le lit et rebondit quelques fois sur ses fesses :

– Mouais, je confirme, c'pas ouf !

– Fais gaffe à ses jambes putain, râla Hugo.

– Elles sont à vingt mètres, ça va.

En réalité il les effleurait presque, mais bon.

Tout en continuant de me caresser la joue ou la tête, réarrangeant de temps en temps mes cheveux, Hugo me donnait quelques nouvelles :

– Bon, on rigole on rigole, mais on voit pas le fond de Nicole. Je sais pas ce que t'ont dit les autres mais en vrai on fait pas les malins du tout à l'extérieur de ta chambre. Soso il est vraiment pas bien, Raph et ton daron j'en parle même pas, et puis ton mec il est au bout de sa vie. Le pire c'est que t'es même pas morte, alors j'imagine même pas leur état si tu fais pas l'effort de te réveiller. Et je suis pas sûr de vouloir découvrir mon état à moi non plus. Donc, s'teuplaît, bouge ton cul et ouvre tes yeux.

Hugo marqua une pause, semblant être coupé dans son élan, puis s'exclama en regardant Tarek :

– Qu'est-ce que tu branles ?

D'abord émue par la voix à la fois sincère et emplie de tristesse d'Hugo, je sursautai en entendant le changement de ton de mon ami, et suivie son regard en direction de Tarek.

– J'essaye de la faire réagir, ricana ce dernier.

Notre ami était en train de me chatouiller les pieds. Cet enfant me désespérait.

Il s'abaissa ensuite vers mon oreille et commença à émettre des bruits de bouche plus répugnants les uns que les autres.

– Ah ouais c'est chaud si même là elle réagit pas, se marra Hugo. Elle t'aurait foutu une baffe depuis longtemps en vrai.

Tarek soupira, et parcouru la chambre des yeux comme un enfant à la recherche d'une connerie à faire. Ses yeux semblèrent s'illuminer lorsqu'ils se posèrent sur un livre sur ma table de nuit.

– Nan, tu vas pas, commença Hugo, et Tarek le regarda d'un air malicieux.

– Ok que si. Clarkson, c'est toi qui m'oblige à le faire.

Sur ces mots, il s'empara du livre que mon père m'avait amené, et commença à le tordre dans tous les sens, cornant la couverture et abîmant la tranche. Il n'arracha pas les pages, mais il n'en fallut pas plus pour m'énerver.

J'allais tuer ce petit con.

Mais Tarek s'arrêta tout à coup, les traits soudainement tristes, et s'assit près de moi :

– Putain, si même ça ça marche pas...

Un silence pesant tomba sur la pièce, Tarek gardant les yeux fixés sur mon visage d'un air sombre.

– Je vais vous laisser, annonça doucement Hugo en voyant la détresse de notre ami. Appelle-moi si y'a quelque chose gros.

Tarek ne sembla même pas l'entendre.

– Je fais grave le malin mais c'est juste une façade en vrai... Depuis qu'on m'a annoncé que t'avais disparu je suis au fond du trou. Je bédave tellement, laisse tomber. Je dors quasi plus la nuit, à moins d'avoir fumé cinq ou six pilons...

Il marqua une légère pause, les yeux dans le vide.

Je n'avais jamais vu Tarek dans un tel état de désespoir auparavant. Il me brisait le cœur, lui qui était toujours si joyeux. Bien sûr, je l'avais déjà réconforté quelques fois, mais Tarek était plutôt du genre à cacher sa souffrance sous un humour débordant, et préférait attendre que ses problèmes disparaissent plutôt que de demander de l'aide.

– J'avoue je te dis tout ça parce que j'espère que ça va te vénère et que tu vas te réveiller pour me mettre une grosse tarcha dans la gueule, ricana-t-il doucement. C'est pas la même que ma mère qui vient tous les jours pour prier. Même à la maison elle s'arrête pas d'ailleurs. Et je prie avec elle. Je suis retourné à la Mosquée, t'imagine ? Des années que j'y étais pas allé...

Tarek...

Pourquoi n'arrivais-je pas à me réveiller ? C'était une torture de voir tous mes proches souffrir à cause de moi, tout en restant impuissante. Je voulais tellement prendre mon ami dans mes bras !

– Bref, tout ça pour te dire que... Je t'aime. Et j'espère que tu m'entends pas parce que j'ai pas l'habitude de dire ce genre de choses.

Les larmes m'étaient monté aux yeux avec une facilité déconcertante en entendant ses mots. C'était la première fois en vingt-quatre ans qu'il me les disait, et je sentis mon cœur gonfler d'amour pour lui.

– Je supporterai pas que tu te réveilles pas. Ali c'était déjà trop. Je suis pas prêt à revivre ça. Je te jure j'ai cru qu'on m'avait arraché un membre quand il est mort. Toi si tu canes... Putain mais c'est un poumon qu'on m'enlève, t'es trop importante, tu t'en rends même pas compte.

Une larme dévala rapidement sa joue, mais Tarek la récupéra assez rapidement en gardant un air fier.

– C'est ouf c'que tu me rends fragile, ricana-t-il. Pourtant t'es même pas ma go. Je savais que vous alliez m'apporter que des problèmes les Clarkson la première fois où je vous ai vu putain.

C'est vrai que des problèmes, nous lui en avions apporté beaucoup. Mais il nous l'avait bien rendu aussi.

Qu'est-ce qu'on avait vécu ensemble ! Qu'est-ce qu'on avait galéré, mais qu'est-ce qu'on avait ris. Et qu'est-ce ce que l'on s'était apporté les uns aux autres... Rien que pour ça, je me devais de me réveiller. Il était impensable que je laisses mes frères seuls.

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