Chapitre 10. « Et le ciel de Paris a son secret pour lui »

Les écouteurs sur les oreilles, je faisais un petit tour à la FNAC du coin avant de rentrer chez moi. Plus vite je rentrerai et plus vite je devrai me mettre à travailler, chose que je n'avais pas du tout envie de faire.

Je me trouvais dans le rayon des romans de science fiction. Mon choix s'arrêta sur Fondation et Empire d'Asimov. J'avais lu le premier tome il y avait quelques années de cela et je pensais en avoir assez de souvenir pour lire la suite.

Alors que je me retournais, je butai contre un torse et perdis l'équilibre. Je retins avec peine une insulte destinée à la personne m'ayant bousculée mais celle-ci ne s'en empêcha pas de râler :

– Putain mais regardes devant toi !

Je connaissais cette voix, et en relevant la tête mon hypothèse fut validée :

– Excusez-moi votre Sainteté Nekfeu, lançai-je avant de contourner le rappeur pour me diriger vers les caisses.

Quelle était la probabilité pour que je le croise lui ? De tous les gars de L'Entourage il avait fallu que je tombe sur celui à qui j'avais le plus envie de mettre des claques.

– Attends Maëlle !

Je m'arrêtai net en fermant les yeux d'agacement. Je n'avais aucune envie d'avoir une altercation avec lui au milieu du magasin.

Lorsque je me retournai, je vis le brun tripoter ses mains d'un air gêné :

– Euh... Bon... Je suis désolé. Je pensais vraiment que t'étais une petite fille à papa qui voulait juste traîner avec nous pour se vanter de nous connaître et j'ai pas vraiment cherché plus loin.

Je ne répondis pas et le laissai enchaîner, en espérant qu'il n'allait pas s'arrêter là, trop fière pour ne me satisfaire que de ça et par plaisir de l'emmerder.

– J'ai pas mal discuté avec mes khos après, ils m'ont parlé de toi et des discussions que vous avez eu, et ils ont l'air de tous bien te kiffer. Donc s'ils sont unanimes c'est que le problème vient de moi.

– T'es pas aussi con que t'en as l'air finalement, dis-je d'un air moqueur.

Le rappeur ricana doucement :

– Je suis le petit génie de la bande. Nan plus sérieusement, de ce que mes gars m'ont dit en fait ça va t'as l'air cool. C'est juste qu'il y a trop de go qui ont joué avec nous et j'suis super méfiant du coup. Mais t'as pas l'air d'une meuf comme ça, tu passes en vrai. Alors excuse-moi.

Je pouffai de rire :

– « Tu passes » ! Cimer Nekfeu les compliments.

Il rit à son tour :

– T'acceptes mes excuses quand même ? Parce que je t'avoue que j'ai pas l'habitude de m'excuser et je mets ma fierté de côté juste pour ta gueule là.

– T'inquiètes, je suis pas rancunière. Mais t'es quand même un enfoiré de rappeur, dis-je en rigolant.

– Je prends, c'est peut-être un peu mérité.

– C'est mérité de ouf tu veux dire !

Le rappeur se mordit la lèvre d'agacement dans un sourire mais ne répliqua pas, poursuivant simplement ses excuses :

– Ah ouais et désolé d'avoir mal parlé de Nirvana. Askip c'est limite du blasphème pour toi.

Je ris en levant les yeux au ciel. Alors comme ça les gars lui avaient raconté. J'étais sûre qu'ils en avaient fait des tonnes en plus.

– Ça ira pour cette fois, mais que je t'y reprenne plus !

Nous restâmes à nous sourire l'un en face de l'autre comme deux abrutis en silence, avant que le rappeur ne se décide à faire la conversation :

– C'est quoi ? me demanda-t-il en désignant le vinyle dans mes mains d'un geste du menton.

Stadium Arcadium, des Red Hot Chili Peppers. C'est pour mon père, il est fan d'eux.

Il hocha la tête avec une moue interressée et me prit délicatement mon livre des mains :

– T'as lu Les Robots ?

– Nan pas encore, j'ai beaucoup trop de trucs à lire. Tu lis toi ?

– Je lisais pas mal avant. Mais j'avoue qu'en ce moment avec les albums et tout j'ai plus trop le temps. Justement je venais checker si y'avait un truc qui pourrait me plaire avant de te bousculer.

Le rappeur lit plusieurs quatrième de couverture sans trouver son bonheur et au bout d'une trentaine de minutes je commençai à désespérer. J'aimais passer du temps au milieu des livres mais quelque chose me disait qu'il allait ressortir les mains vides.

– Bon ok Nekfeu on va faire un truc...

– Ken.

– Si tu veux. Ken, on va faire un truc. C'est moi qui te choisit un livre qui me donne envie, tu le lis, ensuite ce sera à mon tour de le lire et on partagera nos avis. Et tu fais pareil pour moi. Deal ?

Je lui tendis ma main et il la serra en souriant :

– Deal.

Je reposai le roman d'Asimov et nous partîmes chacun dans notre coin à la recherche d'un livre pour l'autre.

J'étais tentée de lui prendre une connerie du genre Cinquante Nuances de Grey mais je n'en fis rien, espérant qu'il soit aussi bienveillant.

Une quinzaine de minutes plus tard, nous nous retrouvions dans le rayon des romans policiers :

– Je voulais te prendre Cinquante Nuances de Grey mais je me suis dit que tu l'avais déjà lu, me lança-t-il d'un air taquin.

– Bâtard. Mais j'ai rien à dire, j'ai eu exactement la même idée, dis-je en riant. Je me suis dit que c'était stupide si après on était obligé de lire ce qu'on avait choisi pour l'autre.

– Ah ouais putain ça veut dire qu'on peut pas se faire de crasse, dit-il l'air déçu.

Visiblement on avait tous les deux pensé à se mettre des bâtons dans les roues.

Ken me tendit finalement mon livre et je lui tendis le sien.

Voyage au bout de la nuit, lis-je. T'as de la chance j'ai faillis le lire y'a pas longtemps.

– Pourquoi tu l'as pas fait ?

– C'était soit ça, soit Les Hauts de Hurle-Vent, et comme j'avais envie de lire en anglais...

– Je suis trop fort !

Je répétai après lui comme une enfant, n'ayant rien à répliquer.

– Bon et toi t'en penses quoi au lieu de dire des conneries ?

Je lui avais choisi Le Horla de Maupassant.

– Je te dirai quand je l'aurai lu.

– Ça se tient.

[...]

– Ton Harry Potter préféré ?

– J'en ai lu que deux quand j'étais tipeu. Je dirais le deuxième du coup. Et toi ?

– Le troisième. J'ai lu au moins cinq fois.

– Cinglée.

Nous étions assis sur un quai des bords de Seine, les jambes pendant dans le vide, une bière à la main, et débattions de nombreux romans depuis plus d'une heure.

L'Étranger ou La Peste ? lançai-je.

L'Étranger et toi ?

– Ouais pareil je crois.

Ça ou Shining ?

– Ouah Ken, ça t'as pas le droit par contre !

– Bien sûr que si, y'a pas de règles que je sache. Vas-y choisis.

Quel bâtard.

Shining... Nan Ça ! Roh je sais pas ! Vas-y choisis toi !

– Je sais ap, j'en n'ai lu aucun, dit-il fièrement. J'ai juste balancé deux livres connus.

Je lui donnai une tape sur l'épaule.

Un léger silence s'installa tandis que nous regardions les passants défiler sur la rive opposée.

– Vous vous êtes rencontré comment tous ? demandai-je finalement.

– Tu veux vraiment que je te raconte ma iv ?

Je haussai les épaules :

– Bah ouais. Pour voir si ça fait trois heures que tu fais semblant d'être sympa alors qu'en fait t'es vraiment un connard.

Il esquissa un léger sourire :

– T'es vraiment une petite peste, je suis sûr que t'as pas de potes tellement t'es insupportable.

– T'inquiètes pas pour moi !

Il m'invita à continuer du regard.

– Je t'ai demandé avant, alors tu commences et si t'es sage je te raconterai ma vie après.

Il se mordilla la lèvre d'un air mi-amusé mi-agacé mais céda finalement :

– Bon, en gros moi de base je suis de la banlieue de Nice. J'ai bougé sur Paname avec ma famille quand j'étais au collège, j'ai rencontré Mek' et Fram' qui sont vite devenu des reufs, après au lycée y'a eu Sneazz et Alpha et puis avec les potes de potes de potes y'a eu le reste d'1995 et puis L'Entourage. Zer2 on l'a rencontré qu'en 2010 mais il est vite devenu plus qu'un simple pote, et après avec les open mic et les concerts on a rencontré Deen, Jazzy, Eff, des gars d'Auber', de tout ce coin-là. Puis avec les RC on a encore élargi notre cercle. Pour la petite anecdote j'ai poussé la caisse en panne d'une meuf avec Deen, c'est comme ça qu'on a commencé à se parler. Enfin voilà quoi, rien de bien ouf en vrai.

– Ouais, des rencontres normales comme le commun des mortels quoi, ironisai-je.

– Exactement. Et toi, tes amis imaginaires, ça dit quoi ?

Je lui lançai un regard assassin mais ne pus retenir un sourire en voyant son air enfantin :

– J'ai un cercle beaaaaucoup moins large. Enfin, au quartier on était une énorme bande avec qui on traînait quasiment tous les jours mais en gros on est quatre : Raphaël, mon frère jumeau, Tarek, Hugo et moi. Hugo on le connait depuis la maternelle et Tarek depuis qu'on a six ans. On s'est jamais lâché et c'est limite plus nos frères que nos potes.

– Ouais je vois, comme moi avec le $-Crew.

– C'est ça, je m'imagine faire des conneries avec personnes d'autres qu'eux.

Ken eut un rire moqueur :

– Genre c'est quoi ta pire connerie avec ta tête d'ange là ?

Je le regardai de haut en bas d'un air hautain :

– On en parle de ta tête de babtou fragile ?

Il se mit à rire :

– Tu casses les couilles avec ta répartie, jamais tu la fermes nan ?

Je secouai la tête fièrement de gauche à droite.

– Du coup vas-y c'est quoi ta plus grosse connerie ? insista-t-il.

Je ne pouvais définitivement pas lui parler de ma vraie plus grosse connerie, je ne voulais pas passer pour un monstre non plus :

– Il est possible, je dis bien possible, qu'on soit rentré par effraction dans une putain de belle baraque et qu'on ai volé trois ou quatre-mille euros...

Les yeux du rappeur s'écarquillèrent.

– C'était pour la bonne cause ! m'exclamai-je. C'était pour payer les cadeaux de Noël. Ils avaient trop d'argent ces gens, je suis sûre qu'ils s'en sont même pas rendu compte.

Ses lèvres s'étirèrent en une moue approbatrice.

– Et toi alors ?

– Oh bah le même genre de connerie hein, rien de ouf.

Un léger silence s'installa mais le rappeur ne tarda pas à le briser :

– On a tous les deux mythos hein ?

Je tournai la tête vers lui et nous pouffâmes de rire en même temps lorsque nos regards coupables se croisèrent.

– On dit les vrais trucs ou pas ? lui demandai-je, hésitante.

Si sa « connerie » était aussi grosse que la mienne, je comprenais totalement qu'il ne veuille pas m'en parler. Surtout que nous ne nous connaissions que depuis quelques jours et qu'il y avait de cela quelques heures nous nous détestions encore.

– C'était y'a assez longtemps pour que tu puisses en parler ton que-tru ?

Je hochai la tête.

– Ok moi aussi. Mais fais pas la poucave, j'aurais deux trucs contre toi et avec mes gars on te fait disparaître dans la Seine quand on veut.

Il avait pris un air tout à fait sérieux et je cru pendant quelques secondes qu'il était capable de le faire. Deen ne le laisserait pas quand même... Si ?

– Je suis pas une balance, dis-je fermement, souhaitant affirmer mon intégrité. Si je l'avais voulu j'aurais pu envoyer des dizaines de gars en taule, dont mes propres potes, alors crois-moi quand je te dis que je sais tenir ma langue.

Je voyais qu'il hésitait, et je comprenais totalement. Même si j'étais à l'origine de ce petit débat, je n'étais pas sûre de mon coup à cent pour cent.

– Mais par contre rien me dit que toi tu me balanceras pas, dis-je.

– Je le ferai pas, c'est tout, j'ai des principes. 

Ce petit jeu commençait à devenir stressant ; je voulais vraiment savoir ce qu'il avait tant de mal à dire mais je n'étais pas convaincue de vouloir me dévoiler en contrepartie.

– Ok on le dit en même temps, décida le rappeur. À trois... Un...

– Attends ! On le dit à trois, ou on dit trois et après on le balance ?

Le rappeur se frotta la tempe, l'ai excédé :

– Après trois, balec' en vrai ! Allez, un... Deux... Trois...

– J'ai faillis buter un keumé.

– J'ai presque tué un gars.

Nous nous regardâmes droit dans les yeux, la bouche grande ouverte par la surprise. Putain mais qu'est-ce qui nous avait pris à tous les deux de dévoiler un truc pareil ?

– T'es malade de sortir des trucs comme ça à des inconnus ! lançai-je.

– Tu peux parler putain ça fait trois heures on se parle, j'aurais jamais cru un truc pareil de ta part !

Nous étions tous les deux pris entre surprise, peur et amusement. Nous étions vraiment cinglés.

– Putain heureusement qu'il y a que des poissons radioactifs qui nous écoutent, déclara le rappeur en regardant autour de lui.

Je ricanai, toujours surprise par autant de stupidité de notre part.

– Qu'est-ce qu'il s'est passé dans ton histoire ? demandai-je finalement.

– Une baston qu'a mal tourné en gros, j'ai pas réussi à me contrôler. Et toi ?

– Même genre. Mais c'était plus une vengeance qu'autre chose. Si mon frère m'avait pas arrêté...

– Ouais je vois, bah pareil, me coupa-t-il en voyant que je peinais à continuer. Putain on est vraiment trop cons de se dire des trucs pareil !

J'acquiesçai. Maintenant j'avais peur de ce qu'il pourrait faire de cette information. Sauf que je savais que lui aussi. Le problème, c'était que les gars de sa bande étaient sûrement déjà au courant de son histoire, mais pas de la mienne...

– T'inquiètes, je leur dirai rien, me dit-il, ayant visiblement compris ce qui se tramait dans ma tête. Et pour moi y'a que les gars du S qui sont au courant donc...

– Je dirai rien non plus.

La discussion s'arrêta là, nous laissant tous les deux songeurs. À croire qu'on avait une confiance aveugle en l'autre pour dire des trucs pareil... Mais non, je penchais plus pour de l'inconscience, parce que même si j'avais aimé les quelques heures passées avec lui, je restais méfiante.

– Putain mais tu tabasses des mecs je viens de réaliser, dit finalement le rappeur en riant. Genre toi, tes petits bras et tes petits poings.

– J'ai un peu le sang chaud. Le gars le méritait, je regrette limite de pas l'avoir tué. Enfin bref, tout ce qu'il y a à savoir c'est que je me bats plus, c'est une période de ma vie que je préfère oublier.

– Ça marche, j'en parlerai plus. Et t'inquiètes, je te juge pas, j'ai le sang chaud aussi cousine.

Nous nous sourîmes et une sorte d'entente silencieuse passa entre nos regards, puis nous enchaînâmes sur des sujets de conversation moins lourds, et c'est ainsi que nous apprîmes chacun à tolérer la présence de l'autre.

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