BONUS 5 2/? : « Tout le monde préfère Elma »

Et joyeux deuxième confinement à tous... Bon courage. Je sais que ça peut être dur, je sais que les personnes anxieuses ou dépressives vont encore en baver énormément, et même sans ça, je sais à quelle point le confinement peut être dur à vivre. Donc si jamais vous avez du mal, si y'en a parmi vous qui ont besoin de parler de temps en temps ou simplement de se lâcher sur la situation actuelle, hésitez pas, je suis là. Je suis personne mais je suis là.

Bref. Plein de bisous, je suis avec vous. ❤

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6 mai 2020

– Renard, dit doucement Maëlle pour la deuxième fois en articulant bien et en signant. Re-nard.

Jude, les yeux exorbités, faisait preuve d'une concentration maximale pendant le cours de LSF de sa mère, reproduisant comme il pouvait ce qu'on venait de lui montrer. Moi, j'essayais de retenir le signe que ma meuf venait de nous apprendre. Ok, comme ça on aurait dit qu'à trente-trois piges je galérais plus que mon gosse de deux ans à apprendre la langue des signes, mais en vrai de vrai on lui apprenait juste quelques mots par jour à lui, ce qui n'était pas mon cas : quand le cours était fini et que les petits allaient jouer, avec Maëlle on continuait de se bourrer le crâne avec une centaine de signes et de phrases.

Cette dernière alternait entre Jude et Oscar : d'un côté, elle apprenait de nouveaux mots tous les jours oralement et en signant à notre aîné, et de l'autre, elle montrait des objets ou interprétait des actions à notre cadet avant d'associer un signe au geste. C'était tout bénef, nos deux gosses acquéraient du vocabulaire tous les jours. Et c'était impressionnant de voir qu'Oscar savait déjà mieux exprimer ses besoins par des signes que Jude au même âge par des grognement, des syllabes sans aucun sens, ou des pointements du doigt.

Une fois que Jude eut l'impression d'avoir intégré le mot et comme tous les jours, il sourit tout fièrement et se tourna vers son petit frère pour lui signer le nouveau mot qu'il avait appris. Évidemment, Oscar comprit rien à ce que son aîné lui disait, mais il rigola et Jude finit par rigoler avec lui. À la vue de leur hilarité, Maëlle et moi on comprit immédiatement que la suite des cours était morte pour aujourd'hui, et on les posa tous les deux dans le parc d'Oscar avec des jouets, nous laissant une petite demi-heure pour approfondir notre LSF à tous les deux.

Clairement, Maëlle se débrouillait bien mieux que moi. En même temps elle parlait déjà Anglais couramment, Norvégien quasi-couramment, et elle avait un bête de niveau en Espagnol et en Arabe. Donc signe ou pas, apprendre une nouvelle langue c'était que dalle pour elle.

Presque trois mois qu'on était confinés, et au final on avait pris le pli. Même si ça commençait à devenir long et qu'il y avait clairement du relâchement dans la France entière, on avait tous les quatre pris nos petites habitudes, et je crois que ça nous aurait pas dérangé de rester confinés quelques semaines de plus.

Maëlle faisait maintenant sa séance de muscu de deux heures tous les matins, s'entretenant pour une éventuelle reprise en utilisant parfois Jude et Oscar comme haltères ou comme poids pendant ses pompes, ses abdos, et le reste de ses exos. Je l'accompagnais souvent aussi, m'occupant surtout de faire faire de l'exercice aux petits et m'octroyant quelques minutes pour pouvoir faire mes propres exos.
Je taffais mon album depuis chez nous, m'étant habitué à être dérangé quelques fois par mes fils qui voulaient jouer, et me mettant plus du tout la pression pour la date de sortie : ça faisait trois ans que mon public attendait un nouveau projet, j'étais plus à quelques semaines près.
On se débrouillait aussi pour aider nos gosses dans leur développement, abandonnant parfois beaucoup Jude pour nous consacrer à l'évolution d'Oscar mais nous rattrapant toujours en passant du temps seulement avec notre aîné.
On inventait des jeux pour expliquer la situation du monde aux deux petits, pour qu'ils se rendent compte le moins possible de la gravité des choses.
Il nous arrivait aussi de disparaître pendant quelques heures pour aller nous balader avec nos fils, retrouvant souvent Tarek et Elyas sur le chemin, ou poussant parfois jusqu'à chez le Cheff, Max ou Ivan pour faire des petites soirées posées.

C'était d'ailleurs ce dernier que je retrouvai l'après-midi même avec Jude, m'étant beaucoup occupé d'Oscar le matin même et souhaitant passer du temps avec mon aîné. Pendant ce temps, Maëlle profitait de sa séance de visio avec Raph et sa mif.

Comme d'habitude quand Jude revoyait quelqu'un qu'il avait pas vu depuis longtemps, il lui sauta dessus avant que je puisse protester : Covid ou pas, de toute façon comment vous vouliez empêcher un petit de deux ans de faire des câlins aux gens qu'il aimait ?

– Ça va gros ? me demanda ensuite l'Argentin en me checkant, ses yeux plissés dans un sourire que cachait son masque.

L'effet Jude : mes khos étaient toujours beaucoup trop contents de retrouver leurs neveux. Et moi ça me faisait toujours sourire niaisement.

– On est là, répondis-je simplement en ricanant, ma voix étouffée par ce putain de masque.

Clairement, si j'avais pu éviter de porter cette merde comme plein d'autres Français, je l'aurais fait. Mais j'avais pas le droit d'être inconscient, et c'était la même chose pour tous les membres de L'Entourage et de l'entourage de L'Entourage : tant que cette merde de virus était là, on n'allait pas revoir Raphaël de si tôt, mais on avait quand même prévu de lui rendre visite un jour ou l'autre. Donc je voulais être sûr qu'on lui ramène pas la mort à la maison. Même si vu l'ampleur des choses, on pouvait être sûr de rien du tout. Et puis c'était pareil pour nos parents et nos grands-parents, on n'avait pas le droit d'être inconscients alors qu'ils étaient les plus fragiles.

Ivan se baissa ensuite devant Jude, et il le souleva pour le prendre dans ses bras :

– Et toi mini-Burb ? Comment ça va ?

Pour seule réponse, Jude se contorsionna dans les bras de son oncle en rigolant, posant sur mon zin un regard admiratif, puis commença à jouer avec les cordons de son sweat noir. Ivan continua de le dévorer du regard avec ce que je devinais être un large sourire, commençant à marcher en direction de notre spot spécial confinement : un de ses gars avait une maison avec un petit jardin à Pantin, et on s'y posait souvent depuis quelques temps. On évitait d'y être trop nombreux et ça permettait aux petits de prendre l'air. 

Alors que mon pote et mon fils me laissaient comme un con avec la poussette vide sur le trottoir, je me mis en marche pour les rattraper en râlant : ça m'étonnerait pas qu'un jour un des mes zins me kidnappe un de mes gosses tellement ils en étaient fans.

Arrivés à la fameuse maison, Jude fut accueillis comme le messie. C'était dingue à quel point je m'étais fait oublier depuis l'arrivée de Maëlle dans ma vie : les premiers temps quand on débarquait en soirée c'était elle que les membres du L acclamaient, et maintenant qu'on avait un fils c'était lui qui m'éclipsait. Après tout j'étais que son géniteur et la personne qui l'emmenait voir ses oncles. Mais bon, ça me rassurait aussi de savoir que mes gosses seraient aussi bien entourés toute leur vie.

Jude passa dans les bras de quasiment tout le monde avant que Max se l'accapare complètement car je cite : « vous êtes pas ses vrais tontons bande de bouffons », ce à quoi mon fils répondit en râlant et en gigotant pour se défaire de son étreinte, préférant largement déambuler dans le jardin.

– Il t'aime pas, lui balança Théo en riant alors que Jude tapait le pied dans un ballon pour essayer de marquer un but contre Nouredine, le propriétaire de la maison, meilleur pote d'Ivan et heureux père d'une petite fille depuis deux mois. 

Max lui lança aussitôt un regard noir :

– Tu parleras quand Julia et toi vous aurez des gosses.

– Rapport ? demandai-je en checkant Ratus, qui venait d'arriver dans le jardin.

– Aucun, me répondit mon petit frère. Mais je laisserai personne me discréditer auprès de mon neveu. 

Les gars et moi on se marra face à sa mauvaise foi.

– Tu le fais tout seul en prétendant être son préféré auprès de tout le monde alors qu'il te fuit comme la peste, répliqua Eff.

C'était totalement faux, mais je dis rien : Jude était ultra affectueux et il avait tellement de personnes vers qui se tourner qu'il passait pas plus de deux minutes dans les bras de quelqu'un tellement il avait envie de voir tout le monde. Ce qui frustrait mon reuf au plus haut point. 

– T'façon il ressemble trop à son père, c'est pour ça que je préfère Oscar, enchérit Maxime. Lui au moins il ressemble à Elma et c'est clairement la meilleure des deux.

Encore une fois, c'était totalement faux : je trouvais que nos deux fils ressemblaient bien plus à leur mère qu'à moi. 

– Je suis d'accord qu'avec la deuxième partie de cette phrase, lança Ivan en venant se poser à côté de nous, une clope dans la main, débarquant de la petite partie de foot improvisée après avoir aidé Jude à marquer un but.

Je le jugeai d'un regard mauvais, les mains dans les poches de ma veste :

– Euh par contre j'ai rien demandé, commence pas à le soutenir sur des trucs pareil.

– Aaaah il a raison ma gueule, appuya Théo avec un sourire mutin. Tout le monde préfère Elma.

Je le jugeai à son tour du regard, avant de me lever de ma chaise en tchipant : 

– Bah putain, vrais frères qu'ils disaient... marmonnai-je à l'attention de toute la petite tablée.

Mes khos rigolèrent en me balançant des « oh mais sois pas vexé ! » ou des « y'a que la vérité qui blesse », et je me dirigeai sur la petite parcelle d'herbe où mon fils jouait toujours au foot avec Nouredine, le prenant sous les épaules alors qu'il avait le cul par terre pour l'aider à shooter dans le ballon :

– Toi je sais que tu me préfères à ta mère, murmurai-je en le balançant pour que son pied percute la balle.

Jude rigola, ayant probablement rien capté de ce que j'avais dit, simplement amusé par le fait que je le portais bizarrement et que je venais de le faire marquer.

Ce furent deux bonnes heures plus tard que la fatigue se fit ressentir chez mon troll. Alors que quelques brins de soleil nous réchauffaient le visage pendant qu'on discutait autour de la table en plastique blanche sur la terrasse, Jude était en train d'essayer de déraciner des tulipes au font du jardin. 

Je l'engueulai une première fois, mon ton simplement menaçant, et mon fils se tourna innocemment vers moi : je voyais bien qu'il attendait juste que je détourne le regard pour recommencer, ce que je fis pour pouvoir le prendre une nouvelle fois la main dans le sac. Et Jude recommença, donc je coupai encore court à ma conversation avec Eff pour hausser le ton et lui demander de venir vers nous. Ce que Jude ne fit pas, se contentant d'aller se balader ailleurs dans le jardin.

Ce fut au bout de sa troisième tentative que je me levai finalement en gueulant :

– Oh Jude c'est bon maintenant ! lui lançai-je en m'approchant de lui sous ses yeux écarquillés de surprise. Y'en a assez, complétai-je avec un accent bien trop prononcé en le choppant par la main pour le faire décaler vers nous.

Puis alors qu'il essayait de se dérober de mon étreinte, je le pris dans mes bras sous ses cris mécontents. 

Ok il était vraiment bien fatigué, le besoin de sieste se faisait sentir. 

– À la sieste Crevette, dis-je en déposant un baiser sur la tête de mon fils en plein caprice. 

Ce dernier continua de gigoter et se mit à crier de plus belle, alors je le déposai sur la terrasse pour faire le point avec lui, m'accroupissant devant ses joues rouges baignées de larmes :

– Eh t'as le choix Jude, lui expliquai-je doucement mais avec fermeté. C'est soit tu vas à la sieste, soit tu restes au coin. À toi de me dire.

Jude bouda, croisant les bras devant lui en baissant la tête, des yeux colériques, sa tétine dans la bouche. 

– Le coin du coup ? lui demandai-je.

Mon fils sembla paniquer, puisque ses yeux s'écarquillèrent de surprise, puis son visage se détendit petit à petit. Et je crus rêver ce que je le vis faire ensuite : un clin d'œil.

Mon môme de deux ans venait de me faire un clin d'œil alors que j'étais en train de l'engueuler.

J'en croyais pas mes yeux putain.

Derrière moi, tout le monde avait éclaté de rire, et je prenais vraiment sur moi pour pas faire pareil. Putain sa bouille... C'était giga drôle. Mais il fallait pas que je perde ma crédibilité.

Pourtant c'est ce que je fis, puisque j'explosai de rire à mon tour. Et ça sembla nous réconcilier puisque Jude tendit ses petites mains vers moi. Je finis par craquer et le pris dans mes bras, puis fis le compromis de lui faire faire sa sieste sur moi pendant que je discutais avec mes zins sur la terrasse.

Jude se blottit confortablement contre moi, Max le recouvrit d'un plaid, et Ivan le regarda avec tendresse avant de lâcher un « putain ça me donne envie d'avoir des gosses vos conneries ».

Et bah je le lui souhaitais, parce que c'était clairement le plus beau truc qui me soit arrivé.

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10 août 2020

Après la naissance de Jude avec Maëlle on avait pas mal plaisanté sur le fait que je nous avais porté la poisse en sortant « J'me vois daron dans un futur proche » dans un son. Alors qu'en vrai, le flippe de la surprise passé, on s'était très vite acclimatés à notre nouvelle vie de parent. On avait même refait un deuxième gosse, et cette fois-ci sans imprévu. Mais y'a un truc qu'on pouvait pas nier, c'était que l'arrivée de Jude et la presque-mort de Raph nous avait peut-être un peu trop précipités dans une vie à laquelle on n'avait pas réellement réfléchi. 

Quand on avait appris que Maëlle était enceinte, on avait été terrifiés, mais on avait très vite relativisé et on s'était rapidement projetés dans ce qu'allaient devenir nos vies. Mais le confinement nous avait montré qu'on s'était peut-être trop précipité. Ou en tout cas, il nous avait bien prouvé qu'on n'avait archi pas maîtrisé les choses en se laissant entraîner dans le flot d'une vie de jeunes darons sans y être préparés. 

Et c'était sûrement ce qui avait causé notre rupture.

Enfin, « rupture »... On s'était tous les deux mis d'accord en se disant qu'on faisait simplement une pause et qu'on prenait du temps pour nous deux chacun de notre côté. Mais ça voulait bien dire ce que ça voulait dire... Je connaissais pas beaucoup de couple dont la pause n'avait pas été définitive. 

En soi, le confinement avait pas été aussi dur à surmonter que ce que j'aurais cru au début : passées les premières embrouilles, on avait réussi à poser des bases et à trouver un rythme pour pas rendre notre présence quasi-constante trop infernale pour l'autre. Et puis on avait tous les deux réussi à détourner un peu les interdits, moi en prétextant des sessions de studio en dehors de celui que j'avais installé chez nous, et Maëlle en se rendant chez Tarek pour que les petits se voient. 

Mais ce qui avait été le plus compliqué, c'était la grosse remise en question qu'on avait eu tous les deux un soir en se fumant un pilon : retraçant notre histoire depuis notre rencontre, je crois qu'on s'était tous les deux rendu compte au fil de notre récit qu'on était super nostalgique de l'époque où on pouvait encore faire ce qu'on voulait sans aucune restriction. On se l'était pas dit mais j'avais su les jours suivants que Maëlle avait eu la même réflexion que moi : on était encore jeunes, on avait plein de projets, et aucun incluait l'autre dedans, ou même nos mômes. C'était horrible à dire, mais putain je l'avais ressenti au plus profond de moi. L'époque où elle et moi on vivait ensemble mais durant laquelle on se voyait quasiment jamais à cause de nos soirées ou de nos taffs me manquait de ouf, je regrettais les moments où on se bourrait la gueule sans penser au lendemain matin, je rêvais de pouvoir de nouveau partir avec mes zins sur un coup de tête sans avoir à penser que j'abandonnais ma meuf et mes gosses juste pour faire plus de dingueries avec mes khos ; en fait ma jeunesse me manquait plus généralement. Et putain, pourtant j'étais pas vieux ! 

Le problème, c'est qu'une fois cette idée en tête, ça avait été impossible de m'en débarrasser. Je me réveillais avec la gorge serrée, les regrets me donnant envie de m'enfuir loin d'ici et de tout effacer. J'avais l'impression d'être coincé dans une cage. Confinement en plus, je disais même pas ça pour la métaphore. Et putain je savais que Maëlle se sentait pareil, elle qui avait toujours tout fait comme elle l'entendait et qui avait été la plus flippée de nous deux à l'idée d'avoir des mômes.

Putain mais qu'est-ce qu'on avait fait ?

Cette question m'était revenue absolument tous les jours jusqu'à ce qu'on parle de la fameuse « pause ». Bordel et le pire c'était que je savais que j'étais amoureux de Maëlle et que j'étais littéralement dingue de nos deux p'tits mecs. Mais plus le temps passait, moins j'arrivais à respirer, et plus j'avais envie de chialer à l'idée que je pouvais pas revenir en arrière et que j'étais un gros connard de penser de cette façon.

Alors forcément, j'étais devenu aigri, et Maëlle était devenue une connasse. Après le confinement, on était arrivés au stade où on arrivait même plus à voir la gueule de l'autre sans repenser à notre vie d'avant, à quand on était gigas potes ou fous l'un de l'autre mais sans vouloir se précipiter. 

Putain mais c'était ça le pire ! C'était qu'on s'aimait toujours de ouf mais qu'on arrivait plus à se supporter parce que l'autre nous rappelait trop la nouvelle vie dans laquelle on était tous les deux coincés depuis la naissance de Jude !

Alors j'étais parti dans le Sud avec mes khos. Maëlle allait rester quelques temps avec les petits, mais elle m'avait dit qu'elle les emmènerait passer quelques temps chez son père avant de partir en vacances avec les filles. Peut-être que j'irais les chercher pour les ramener chez mes parents aussi.

Je crois que la nouvelle de notre pause slash rupture avait plus atteint notre entourage que nous : je m'étais fait défoncer par Ken (je savais qu'il avait servi la même chose à Maëlle), Max avait semblé dévasté par la nouvelle, le Cheff et Ivan avaient été ultra choqués, Ishane m'avait confié qu'il pensait que je faisais la plus grosse connerie de ma vie, Théo et Julia avaient tout fait pour essayer de nous rabibocher, Raph nous avait dit qu'on était les plus gros débiles que la terre ait jamais porté, enfin bref... Toute une vague d'encouragements quoi.

Maëlle et moi on n'avait pas totalement coupé les ponts non plus : elle m'envoyait tous les jours des snaps de nos fils histoire que je puisse quand même les voir un minimum. Mais ça s'arrêtait là.

Putain qu'est-ce qu'ils me manquaient ! Ça faisait maintenant deux semaines que j'étais soit chez mes parents, soit en vadrouille avec mes zins, et bordel j'avais vraiment l'impression qu'on m'avait retiré un morceau de moi tellement mes fils me manquaient. J'étais à deux doigts de faire un aller-retour Marseille-Paname pour aller les chercher et les garder avec moi. Mais je savais qu'ils étaient mieux avec leur mère qu'au milieu de dix mecs qui braillent et qui fument. 

Ce fut en ricanant face à une vidéo de Jude en train d'essayer de mettre du gel sur le peu de cheveux qu'avait Oscar (une idée made by Maëlle à tous les coups) qu'une vague de remords et de tristesse m'envahit alors que je buvais mon café de bon matin sur la petite terrasse de mes parents. Puis le remord laissant la place à la culpabilité, je commençai à bouillonner contre moi-même et contre le mec que j'étais devenu mais que j'arrivais pas à comprendre, et je donnai un coup de poing dans le crépis. Coup de poing qui me fit jurer à plusieurs reprises, alertant mon reuf qui me regarda ensuite avec un mélange de lassitude et de tristesse, et qui me valut une atèle.

– Vous êtes deux gros débiles, lâcha-t-il en me regardant avec des yeux plein de jugement, debout, les bras croisés sur son torse près de la voiture alors que venais de sortir de la pharmacie avec la fameuse atèle et des médocs.

Je lui lançai un regard assassin, lui intimant de fermer sa gueule et de pas en rajouter une couche. Mais Maxime ne l'entendit pas de cette oreille :

– Pas besoin de me regarder comme ça, ça me fera pas changer d'avis, souffla-t-il en ouvrant la portière côté conducteur. J'ai eu Elma au tél hier, elle était au bout du rouleau, et toi ça fait des jours que tu broies du noir. Frère, qu'est-ce qu'il vous faut de plus pour capter que vous êtes pas faits pour être séparés ?

Je grognai en rentrant dans la vago alors qu'il était toujours debout à côté de sa portière entrouverte.

– C'est pas si simple que ça, lâchai-je finalement lorsqu'il se décida enfin à s'asseoir à sa place.

– Et bah explique-moi alors !

Soupirant, je me retins pour pas foutre un coup de poing dans le tableau de bord : en ce moment ma tristesse s'exprimait souvent à travers la colère. Puis j'indiquai finalement à mon frère de rouler, et ce dernier s'exécuta non sans marmonner dans sa barbe. Je crus distinguer un « tête de con », mais je m'en formalisai pas et me contentai de contempler le paysage défilant par la vitre.

Une fois arrivés à la maison, je décidai de m'isoler dans le jardin de mes parents, m'allongeant dans un transat la tête à l'ombre et les jambes au soleil.

Comment les deux personnes qui me manquaient le plus pouvaient aussi être celles qui me faisaient le plus remettre mon existence en question ? Putain ça faisait deux ans que j'étais daron, pourquoi c'était que maintenant que je me sentais coincé ?

– Arrête de trop penser mon grand.

La voix de ma mère juste derrière moi. Je me retournai lentement pour découvrir l'air triste qu'elle arborait à chaque fois qu'elle me voyait depuis que j'étais chez eux, tandis qu'elle continuait d'avancer dans sa longue robe bariolée. Elle s'assit finalement sur le transat juste à côté du mien.

– Mikael, je suis très contente de t'avoir avec moi cet été, me confia-t-elle dans un petit sourire avec l'accent qui me manquait tant à Paname. Mais je te promets que si d'ici la rentrée tu n'es pas retourné auprès de ta femme et que vous n'avez pas fait cesser vos bêtises, je ne t'accueillerai plus jamais chez moi.

Je levai les yeux au ciel : toujours plus.

– Ouais ! Moi j'suis bien d'accord !

Me retournant une nouvelle fois, j'eus pas le temps de finir mon mouvement que Maxime s'asseyait déjà à côté de notre daronne. Mon frère et ma mère se lancèrent un regard complice, ce qui me fit soupirer de lassitude. Ils avaient de la chance que je les aime, parce que j'étais pas d'humeur à ce qu'ils me cassent les couilles. Enfin... En fait je crois que j'avais besoin qu'ils me tirent les vers du nez et qu'ils me fassent parler de ce que je ressentais.

Un silence s'installa, durant lequel je sentis mon propre visage se fermer comme il l'avait été ces dernières semaines. Comme d'habitude, mes pensées revinrent vers Jude et Oscar, et j'eus l'impression qu'on me serrait le cœur à main nue.

– Pourquoi mon grand ? me demanda ma mère au bout de longues secondes. Pourquoi vous vous êtes séparés ?

Me redressant sur mon transat et pivotant pour m'asseoir face à eux, je posais mes coudes sur mes genoux et enfouis mon visage dans mes paumes avant de frotter fébrilement ma barbe :

– Parce qu'on s'est sentis pris au pièges, confiai-je finalement. 

– Comment ça ? s'exclama aussitôt Maxime sans me laisser le temps de continuer.

Notre daronne lui asséna un petit coup dans le bras avec un regard réprobateur. Mon frère grimaça.

– En gros on s'est rendus compte qu'on avait peut-être vécu ces deux dernières années dans le déni. Enfin je sais pas comment l'expliquer...

Je marquai une pause, grattant l'arrière de ma tête avec agitation, essayant de mettre de l'ordre dans mes pensées.

– En fait je pense que le coma de Raph ça nous a précipité dans une vie qu'on n'avait pas choisi. On a tellement eu peur de le perdre que quand il s'est réveillé, on avait déjà vécu le pire qui aurait pu nous arriver. Du coup la grossesse de Maëlle paraissait totalement surmontable face à la mort de son frère jumeau. Une fois que Jude était là, on était super heureux, mais sans nous en rendre vraiment compte on a totalement changé de vie. Puis on a refait un deuxième gosse dans la foulée. Je sais pas si vous voyez ce que je veux dire, mais c'est comme si pendant deux ans on n'avait pas voulu réaliser ce qu'être parents signifiait par rapport à nos vies d'avant. On y a jamais réfléchi en fait ! On a juste été plongés en plein dedans sans avoir le choix, pendant deux ans on vécu tous ces instants de bonheur en fermant les yeux, mais maintenant qu'on a fait un bilan... Bah on se sent tous les deux coincés alors qu'on avait d'autre rêves que de devenir parents. Enfin, on avait beaucoup de choses à accomplir avant de devenir parents en tout cas. C'est comme si... Putain en fait j'ai l'impression que j'arrive pas à faire le deuil du Mikael sans attache et sans responsabilité.

Lorsque j'eus terminé mes confidences, je relevais la tête vers ma mère et mon frère, le cœur bien plus léger qu'avant. Putain ça faisait du bien de parler.

– Il y a une seule chose que je ne comprends pas mon chéri, dit ma mère d'un ton doux en me regardant tendrement. Tu aimes tes fils ?

J'acquiesçai dans la foulée : évidemment, je crois que j'avais jamais autant aimé avant leur naissance, je sentais même les larmes me monter aux yeux rien qu'en pensant à eux. Je crois que mon frère le vit puisqu'il détourna le regard dans une grimace peinée.

– Et tu aimes Maëlle ?

Cette fois-ci, je pris le temps de réfléchir : oui, mais parfois ça suffisait pas.

– Je vais répondre pour lui, fit Maxime. Oui il l'aime, il est fou d'elle, on l'a jamais vu aimer quelqu'un comme il aime cette chieuse, point.

Notre daronne le regarda d'un air de dire « on est d'accord ».

– Alors c'est quoi le problème ? demande ensuite ma mère. Je suis convaincue que vous pouvez tout surmonter tous les deux, alors explique-moi pourquoi elle n'est pas là aujourd'hui avec toi et avec mes petits-fils.

– C'est plus compliqué que ça Maman.

Le visage de ma mère se durcit soudainement, et mes yeux s'écarquillèrent sous la surprise : elle allait quand même pas m'embrouiller comme quand j'étais gosse, si... ?

– Il n'y a rien de compliqué. C'est vous deux qui rendez les choses compliquées. Vous êtes fous amoureux l'un de l'autre, vous aimez vos deux bébés plus que tout, vous aviez juste besoin de prendre des vacances loin l'un de l'autre pour souffler après le confinement. Personne ne vous a demandé de vous séparer pour réfléchir si oui ou non vous devriez continuer votre route ensemble. Tu sais très bien que tu ne trouveras pas mieux que Maëlle, et elle sait pertinemment qu'elle ne trouvera personne qui la canalise mieux que toi. Donc je répète ma question : quel est le problème ?

– Je flippe ! 

Je me rendis compte au sursaut de ma mère et de mon frère que j'avais un peu crié, donc c'est plus calmement que je continuai au bout de quelques secondes :

– Je sais pas pourquoi, mais je flippe quand je suis avec eux. Ça fait beaucoup moins peur d'être tout seul et de pouvoir profiter de ma vie.

– Tu songes quand même pas à... ?

– Je sais pas Maman, je sais pas, lançai-je finalement en me relevant du transat pour esquiver la discussion.

Ma mère me connaissait par cœur, donc je savais qu'elle avait deviné ce à quoi je pensais : ce serait plus simple de voir mes mômes en garde partagée en pouvant faire ce que je voulais de mon temps libre plutôt que d'être coincé avec Maëlle et mes fils h24 jusqu'à leur majorité. J'avais conscience que c'était horrible à dire, mais j'était trop flippé pour avoir les idées claires.

Je restai dans le Sud encore une bonne semaine, le manque de mes gosses se faisant de plus en plus ressentir. Et Maëlle aussi... Putain je crois que Maëlle me manquait. Mais j'avais pas remis suffisamment d'ordre dans mes pensées pour songer à rentrer à Paname et à régler les choses. 

Je profitai donc avec mes zins à Toulon, à Marseille ou à Aix, accueillant souvent des vieilles remarques de mes gars quant à mon comportement envers Maëlle et mes gosses. Putain, le couple que j'avais formé avec Maëlle avait son propre fan club, ça me cassait les couilles.

Mon dernier jour dans le Sud fut marqué par une soirée sur les toits à Marseille. Ou plutôt... Une soirée sur les toits à Marseille marqua mon dernier jour dans le Sud.

Une soirée bien arrosée, j'étais clairement dans un état d'esprit où je voulais plus penser à rien, et surtout pas à ce que j'abandonnais à Paname depuis trois semaines. Et pour arrêter de tourner en boucle sur le fait que ce serait la première fois depuis 2013 que Maëlle m'enverrait pas son défrief pour le clip que j'avais sorti : celui de Tout Dedans datait de l'époque où on courait entre les rendez-vous médicaux pour Oscar, avant d'apprendre pour sa surdité, et Maëlle m'avait promis en rigolant qu'elle évaluerait mes cernes sur une échelle de 1 à 10 lorsque le clip sortirait. Aucun de nous n'avait imaginé qu'on en serait arrivés là à l'époque.

Pas d'humeur à danser, j'étais juste posé sur un fauteuil du Rooftop, regardant Eff flirter avec une blonde assez bien foutue vers la balustrade qui offrait une vie imprenable sur la mer. Vu qu'il y avait pas de soirée particulière organisée et Covid oblige, il y avait assez d'espace pour respirer, et je profitais juste d'une bière au milieu des basses et du léger mistral qui allait probablement fouetter le lendemain. J'étais bien. Même si j'avais conscience d'avoir l'air d'un dépressif.

J'arrivais pas à m'arrêter de penser à Maëlle ; regardant les filles boire ou se trémousser, j'arrêtais pas de visualiser la mère de mes gosses au même endroit, songeant à comment elle se serait comportée : Maëlle aurait jamais porté ça ; Maëlle aurait mis des talons pour faire la belle mais elle les aurait enlevé dix minutes après être arrivée pour se balader pieds nus toute la soirée ; Maëlle aurait passé sa soirée à emmerder Maxime ; Maëlle aurait forcé Ivan à venir se dandiner avec elle en faisant tout sauf danser réellement ; Maëlle aurait bu quatre bières, six shots et deux verres de Rhum sans ressentir aucun effet avant plusieurs heures ; Maëlle serait venue se blottir contre moi comme un bébé à la fin de la soirée, fatiguée par sa propre hyperactivité et par l'alcool qu'elle aurait ingéré... Maëlle, Maëlle, et encore Maëlle.

Putain. En fait, je me sentais beaucoup plus pris au piège en pensant à elle sans pouvoir la voir et la toucher qu'en imaginant une vie auprès d'elle et de nos deux garçons.

Ce fut certainement pour ça que, alors qu'une nana assez bien foutue venait s'asseoir sur le dossier de mon fauteuil, je balançai, les yeux dans le vide comme dans un transe, de but en blanc :

– J'suis pas libre.

Relevant brusquement la tête en réalisant ce que je venais de dire, et en réalisant à quel point j'avais été con jusque là, je croisai les regards d'Ivan et d'Ishane, stupéfaits. Puis leur surprise laissa place à des sourires, et ils lâchèrent des « putain enfin » quasiment en cœur, et je fis pas attention à ce qu'ils firent ensuite puisque je me levai pour décaler et rentrer chez moi.

Chez moi, à Paname, vers ma femme et mes p'tits.

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19 août 2020

Quand je débarquai devant notre appartement à Auber après une très courte nuit de sommeil et plusieurs heures de train, je me stoppai net, pris par une soudaine réflexion : et s'ils étaient pas là ? Si Maëlle avait emmené les garçons à Dijon entre son snap d'hier et aujourd'hui ?

Nan, j'étais complètement con, il était neuf heures du matin, et elle me l'aurait dit si jamais elle était partie. 

Alors je pris mes clés, et je les tournai dans la serrure.

À peine la porte entrouverte, un sourire incontrôlable prit place sur mon visage lorsque j'entendis du Jul raisonner dans le salon. Et il ne fit que s'étirer lorsque j'y débarquai doucement, découvrant Maëlle dos à moi, en train de remuer les fesses sur JCVD, penchée en avant sur Jude dont elle tenait les deux mains en chantant, une odeur de pancakes emplissant l'air de l'appartement.

Ok. C'était elle ma femme, et puis c'est tout. 

Lorsque Jude remarqua ma présence et qu'il lâcha un « Paaaaaaa » plein de joie et que je me précipitai vers lui pour le prendre dans mes bras, au bord des larmes, je me fis la réflexion que je m'étais rarement senti aussi peu piégé de toute ma vie.

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