Là, un cochon qui court ! (2)

Quelque chose va se jouer. Les trois personnages vont se rencontrer l'un après l'autre. Quelque chose va les lier.

1-Cali Prévôt, agacée par le comportement de ceux qu'elle considérait comme de véritables abrutis, descendit quatre à quatre les escaliers et se rua dans l'avenue comme un fauve enragé.

<<Non mais, c'est pas bientôt fini ce vacarme ? Bande de dégénéré ! se mit-elle à hurler en faisant des moulinets avec les bras. Vous ne voyez pas le dragon, là, qui circule entre vos bagnoles ? Vous avez quoi dans les yeux ?>>.

Quelques automobilistes hébétés firent silence. Frédéric Personne qui était arrivé à son niveau fut stupéfait devant la hargne et le culot de cette jeune femme vêtue d'un poncho multicolore et d'un bonnet péruvien. Il s'adressa à elle: <<Mademoiselle, vous avez bien parlé d'un dragon, n'est-ce pas ? Je ne ressens pour ma part qu'une odeur de brûlé et de carbonisé et j'entends de grands bruits, comme des grognements, peut-être, mais je ne vois rien. Pouvez-vous me le décrire ?

--C'est un dragon, à première vue abominable, aussi long qu'un camion et bleu comme un autobus. Son corps est hérissé de petits tuyaux ronds, aussi fins que des brins de paille. Ce sont ces tuyaux qui évacuent les gaz d'échappement. Ses naseaux crachent des flammes avec tant de force et de bruit qu'on dirait un hélicoptère, décrivit la jeune femme.

--Mais pourquoi ne puis-je le voir ? interrogea Frédéric.

--Parce qu'il faut avoir gardé son âme d'enfant. Aujourd'hui est mon anniversaire, expliqua Cali.

--Quelle coïncidence, moi aussi ! s'exclama Frédéric.

--Ce dragon est là pour moi, reprit la jeune femme. Mes pensées étaient mélancoliques, j'ai prié pour vivre un moment de fantaisie. C'est mon cadeau, continua Cali.

--Vous êtes une bien curieuse et attachante personne, si je puis me permettre, enchaîna Frédéric. Si j'avais su ce matin en me levant pour mon train-train quotidien que j'allais faire votre rencontre, je me serais levé de meilleure humeur. Je m'appelle Frédéric Personne, et vous, si ce n'est pas indiscret ? questionna-t-il.

--Cali Prévôt. Personne, comme Ulysse face au cyclope ? rit Cali.

--Oui, c'est bien cela, apprécia Frédéric. Je vous invite à venir prendre un café ou un chocolat si vous le voulez bien. Il y a un restaurant un peu plus loin avec un bar très accueillant.

--Vous me draguez ? demanda la jeune femme tout sourire.

--Ça se voit tant que cela ? continua Frédéric avec humour. J'aimerais que vous partagiez avec moi votre univers si fantastique>> conclut Frédéric Personne.

Et ils se dirigèrent ensemble vers l'établissement, laissant derrière eux le dragon qui s'était calmé et avait commencé à s'éloigner, libérant les automobilistes impatients.

2-Pendant ce temps, Christian Barbet avait quitté sa place envahie par le monde curieux, et était sorti dans la rue, encore surpris par le spectacle auquel il venait d'assister. Il s'adressa à un passant en lui demandant si lui aussi avait bien vu ce dragon. L'autre le regarda interloqué et s'éloigna rapidement en mimant avec le doigt sur la tempe qu'il avait affaire à un cinglé. Christian, désemparé, continua son errance dans l'avenue. Il ne s'attendait plus après ces événements à ce que son rendez-vous soit honoré. Il croisa alors un couple assez singulier : une jeune femme vêtue comme au Pérou en pleine conversation avec un homme en costume-cravate portant une boîte à instrument de musique, une contrebasse ou un violoncelle, à en juger par la taille. En arrivant à leur niveau, il saisit quelques bribes de la discussion et eut la stupéfaction d'entendre la jeune femme parler de dragon.

<<Non, se dit-il, je n'avais pas halluciné>>. Il fit demi-tour et entreprit de suivre les deux personnes qui se dirigeaient vers le restaurant dont il sortait un moment plus tôt. Assis au bar, le couple d'inconnus semblait plongé dans une discussion passionnée et ignorait les personnes alentour. Christian Barbet s'approcha et s'immisça dans leur intimité en s'excusant: <<Pardonnez-moi de vous interrompre, mais je viens d'assister à un spectacle incroyable et je me sens perdu, je dois l'avouer. Dans la rue, je vous ai entendu mentionner la présence d'un dragon. Ai-je bien compris ? expliqua-t-il.

--Oui, tout à fait, répliqua Cali Prévôt, visiblement très intéressée. Vous aussi, vous l'avez donc vu ?

--Oui, j'étais devant la baie vitrée ici tout à l'heure. Je l'ai aperçu s'éloigner en direction de l'hôtel de ville et y pénétrer, reprit Christian.

--Ravie de savoir que je ne suis pas la seule à avoir des yeux d'enfant, répliqua Cali ébahie. Vous habitez cette ville ? demanda-t-elle.

--Non, j'étais venu pour un rendez-vous d'affaire que j'ai raté, expliqua Christian.

--Ne serait-ce pas votre anniversaire aujourd'hui ? interrogea Frédéric Personne qui jusqu'à présent avait écouté l'échange en silence.

--Oui, tout à fait. Pourquoi cette question ? s'étonna Christian.

--Parce que nous avons découvert que nous étions nés le même jour, répondirent simultanément Cali et Frédéric. Quelle curieuse coïncidence, mais il n'y a pas de hasard, nous devions nous rencontrer.

--Alors, fêtons ce jour si particulier qui nous réunit par l'intermédiaire d'un dragon fantastique>> dirent-ils en chœur. Et ils levèrent les mains vers le ciel dans un élan festif.

A cet instant même, de l'autre côté de l'Atlantique, à des milliards de kilomètres, les tours jumelles du World Trade Center s'effondraient, plongeant Manhattan dans un nuage noir de stupeur, d'horreur et de cauchemar.

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