Dans la forêt de Jean Hegland (2)
Reprendre les 3 livres. Trois étapes jusqu'à destination en associant chaque livre à un événement.
1-Je me mis à traverser les champs pour fuir la foule oppressante. Les pluies continues depuis plusieurs jours avaient détrempé le sol et l'avaient saturé en humidité. Le chemin était jonché d'ornières. Mes baskets furent très vite boueuses. Le ciel était bas, des oiseaux volaient au ras des fils télégraphiques et leurs cris aigus se reflétaient sur l'eau plombée des flaques d'eau. Cet environnement sinistre me rappelait le trajet emprunté par Colin et Chloé à travers les mines de cuivre lors de leur voyage de noces.
<<Il y avait, des deux côtés de la route, une mousse rase et maigre, d'un vert décoloré, et, de temps à autre, un arbre tordu et échevelé. Pas un souffle de vent ne ridait les nappes de boue qui giclaient sous les roues de la voiture>>.
J'avançais péniblement, manquant de perdre l'équilibre en glissant à chaque pas. Bientôt la boue durcit complètement et le chemin devint poussiéreux. J'arrivai dans le sous-bois. J'aperçus ce que je cherchais: la maison abandonnée de mes parents. J'en avais hérité à leur décès mais le coût des travaux de remise en état m'avait dissuadée de la vendre. Ce qu'il en restait, la masure, se dressait là comme un i penché au milieu de nulle part. Les souvenirs indésirables rejaillirent brutalement en un flash et je sentis des phénomènes incontrôlables surgir en moi.
Eole soufflait de toutes ses forces. La brise légère s'était mue en des vents d'une violence inouïe. Un souffle torride balayait tout sur son trajet. Les Titans avaient été convoqués par le Dieu du vent et entamaient un raffut assourdissant. Des pluies diluviennes inondaient tout sur leur passage. La mer se voulait dévastatrice. Des vagues de plusieurs mètres de hauteur s'étaient formées, emportant tout sur leur passage et se fracassaient en déposant une large et épaisse écume. Rien, pas même les rochers, ne résistait à leur rage. La houle avait atteint son paroxysme. Des éclairs zébraient le ciel qui avait pris une teinte orageuse, un gris électrique. Les perturbations météorologiques qui parcouraient mon organisme étaient cataclysmiques. Un cyclone venait de naître et l'œil du cyclone, c'était moi-même.
Je me remémorai un autre passage de l'écume des jours qui traduisait parfaitement mon ressenti à cet instant.
<<A l'endroit où les fleuves se jettent dans la mer il se forme une barrière difficile à franchir et de grands remous écumeux où dansent les épaves. Entre la nuit du dehors et la lumière de la lampe, les souvenirs refluaient de l'obscurité, se heurtaient à la clarté et, tantôt immergés, tantôt apparents, montraient leurs ventres blancs et leurs dos argentés.>>.
2- Je poussai la grille rouillée en fer forgé et pénétrai dans ce qu'il restait du jardin, un vaste terrain en friche. Je commençai à gratter la terre près de la petite fontaine et creusai une cavité avec l'arrière-pensée de revenir y enterrer ce que j'espérais trouver à l'intérieur dans mon ancienne chambre. Je me mis à songer à Antigone et à sa révolte.
<<Il fallait y aller ce matin, à quatre pattes, dans la nuit. Il fallait gratter la terre avec tes ongles pendant qu'ils étaient tout près et te faire empoigner par eux comme une voleuse!>>.
Je retins un sanglot. Quel sens prenait donc tout ce que j'étais en train d'accomplir? Je ne comprenais pas moi-même. Dans la vie parfois, on s'imagine jouer son rôle dans une certaine pièce et l'on ne soupçonne pas qu'on nous a discrètement changé les décors, si bien que l'on doit, sans s'en douter, se produire dans un autre spectacle, je me dis.
<<Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure[...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout.[...] Et maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire>>.
J'avais moi aussi une histoire à jouer qui n'était pas encore écrite. Je me hasardai à l'intérieur de la maison et grimpai les marches qui menaient à ma chambre, enfin, celle que j'avais partagée avec mes sœurs. Dans une vieille commode vermoulue, derrière la paroi du fond, j'en retirai un carnet: mon journal intime. Ma sœur, la plus âgée des deux, appelait ce journal avec moquerie: les mémoires d'un âne, faisant référence à la Comtesse de Ségur. Ah si elle avait su toute la souffrance que j'y déposais. Mais la connaissant, je ne pense pas que ça ait changé une once de son comportement envers moi particulièrement dénué d'empathie.
3- J'allai enterrer mon journal, ma mémoire des jours dramatiques qui avaient peuplé comme des fantômes hideux mon enfance et mon adolescence. Inutile d'encombrer mon cerveau défaillant avec ces crimes impunis, songeai-je.
Le soir était tombé. La lune pleine dans le ciel étoilé éclairait de sa lumière blafarde le recoin où je m'étais réfugiée à l'extérieur. Je ne supportais pas l'idée de passer un moment supplémentaire à l'intérieur de ce qui avait été un cachot pour moi. La température s'était adoucie. Je me sentais apaisée. Seul le bourdonnement des moustiques venait troubler le silence ambiant. Je sortis une barre de céréales et mastiquai, savourant le sucre qui parcourait mon organisme affaibli par la fatigue et le stress et le revigorait. J'étais seule. Je repensai au Petit Prince et à ses réflexions.
<<Où sont les hommes? reprit enfin le petit prince. On est un peu seul dans le désert...
--On est seul aussi chez les hommes, dit le serpent>>.
<<Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c'est qu'il cache un puits quelque part...>>.
Je n'avais jamais trouvé mon puits, mon essentiel. J'étais fragile comme ce petit prince. Ce qui m'émouvait chez lui, c'était sa fidélité pour une fleur. Il rayonnait en lui l'image d'une rose comme la flamme d'une lampe, même quand il dormait. C'est ce qui le rendait encore plus fragile.
<<Il faut bien protéger les lampes: un coup de vent peut les éteindre...>>.
Je me sentais très lasse soudain comme si j'avais pris vingt ans en quelques heures. Quel but avait mon existence et pouvait-on parler d'existence? Qu'allais-je devenir avec cette fuite sans horizon, sans but, cette fuite éperdue de moi-même en fait? Quel mal rongeait l'humanité?
<<Les hommes, dit le petit prince, ils s'enfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce qu'ils cherchent. Alors, ils s'agitent et tournent en rond...>>.
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