Mon doigt tourne l'objectif, le temps de faire la mise au point sur les danseurs, puis j'enclenche le mécanisme avant de m'écarter de mon appareil photo. Le cliché apparait sur le petit écran, je grimace et me replace immédiatement pour en prendre un nouveau.
- Mec, le jour où je danse comme ça, je veux que tu me mettes sur ton testament.
- Ca va, j'ai de la marge avant de te léguer ma piètre fortune, se marre Dylan alors qu'Ash est toujours aussi bouche-bée. Puis je crois que le jour où t'arrives à leur niveau, je te pousse dans les rues de LA pour que tu nous rendes riche grâce à ton talent.
- T'es sérieux ? Enfoiré, je savais que tu voulais te rincer sur mon dos !
- Je n'oserais pas !
- Taisez-vous, siffle Maé. Y'en a qui écoute la musique.
- Elle veut peut-être se battre, la mouche ?
- Alors toi...
Je me concentre sur la vision des danseurs dans mon objectif pour ignorer Maé et Ash qui se chamaillent en s'éloignant du groupe. Le bras d'Ash me bouscule sur le passage et j'écarquille les yeux, surprise, les doigts qui se resserrent sur mon appareil. S'il tombe, je massacre mes amis.
Sauf qu'une main agrippe mon coude et m'aide à reprendre mon équilibre avant qu'une voix froide grince à ma gauche.
- Putain, faites gaffe.
- Désolé ! s'exclame Ash en repoussant la main de Maé de ses cheveux.
- Merci, je souris à Ryan qui relâche mon bras. Qu'est-ce qu'il y a ?
Sourcils froncés, je le dévisage alors que les traits de son visage sont tirés. Il ne me regarde pas, trop concentré à admirer les danseurs au milieu de la foule qui leur laisse de l'espace. Je laisse mon appareil photo retomber contre ma poitrine et attrape le poignet de Ryan entre mes doigts. Ca n'a aucun effet, il reste captivé par la troupe.
Puis il contracte violemment les mâchoires avant de sortir son paquet de clopes et d'en glisser une entre ses lèvres. Deux secondes après, elle est allumée et il recrache la fumée vers le plafond haut de l'entrepôt. Je n'insiste pas, ça ne sert à rien. Ryan tire une nouvelle fois sur sa cigarette, expire le nuage de fumée et il enfonce son autre main dans sa poche, bloquant mes doigts entre son bras et sa hanche.
- Ma mère dansait, avant de tomber malade.
- C'était quoi son style ?
- Le contemporain. Mais elle aimait la valse alors elle avait pris des cours avec mon père.
- Elle t'a appris à danser ? je demande alors qu'un maigre sourire vient dessiner ses lèvres. La valse, surtout.
- Ouais, jusqu'à ce qu'elle en ait marre que je lui écrase les orteils.
- Tu avais quel âge ?
- Huit ou neuf ans, un truc comme ça.
Il hausse une épaule et je me colle à lui, en silence. A ma droite, j'aperçois Dylan nous jeter un regard étonné et je lui souris, attendrie qu'il s'inquiète. Il ne le dira pas, ne demandera certainement pas pourquoi Ryan a l'air triste. Mais il apportera son soutien, d'une manière ou d'une autre. C'est toujours comme ça entre eux, silencieux mais vrai.
Les gens se mettent alors à applaudir une figure et mes yeux s'émerveillent de voir les quatre jeunes se mouvoir avec autant d'aisance. Leur corps volent au-dessus du sol, leurs mains les rattrapent et leurs jambes les amènent toujours plus haut, plus loin. Je siffle d'admiration quand l'une des deux filles est projetée en l'air avant de revenir entre les bras de son ami, qui la fait tourner dans son dos. La seconde d'après, ils ont la tête en bas et font les toupies sur leur casquette.
- Je me brise la nuque si je fais ça.
- Tu te foulerais déjà une cheville rien qu'en courant dix mètres, alors je n'imagine même pas comment tu finirais après un cours de danse, répond Ryan à Dylan lorsqu'il se glisse à côté de moi.
- Je te hais.
Dans un même mouvement, on roule des yeux avec Ryan et ça me fait rire lorsque Dylan écarquille les yeux avant de nous maudire. J'attrape son bras quand il tente de s'écarter et je l'attire contre moi. Bloquée entre les deux hommes, je me sens en sécurité. A ma place. Là où j'ai toujours voulu être : protégée, choyée, aimée.
Dylan ne se fait pas prier et son bras passe autour de ma taille alors qu'il embrasse ma tempe. Puis sa main vient frapper l'arrière du crâne à Ryan et ce dernier lui jette un regard noir.
- T'as un soucis ?
- C'est ma copine, ne l'oublie pas, le raille Dylan. Fais attention à tes fesses, ce serait dommage pour Khaleb que...
- Dis encore un mot et ta copine dormira toute seule ce soir, je le coupe brusquement alors qu'il sourit comme un ange.
- Oui m'dame. Je me tais.
- Bon toutou, lui souffle Ryan au-dessus de ma tête avant de tendre le bras dans mon dos pour lui pincer le bras. Chien-chien à sa maîtresse ça.
- Je vais te botter le cul, tu vas voir.
J'abandonne au moment où ils me forcent à les lâcher pour se battre comme deux adolescents. Je quitte des yeux les danseurs pour les regarder s'écarter de l'attroupement, la tête de Dylan bloquée au creux du coude de Ryan, qui le trimballe comme ça sur quelques mètres.
- Tu sais, je crois qu'il y a encore la garantie satisfait ou remboursé, sur eux.
J'éclate de rire alors que Béa passe son bras autour de mes épaules. Son sourire amusé dévisage nos amis qui se donnent en spectacle. Et je ne sais pas comment ni pourquoi, mais Ash et Maé se joignent à eux sournoisement, sautant sur leur dos.
- Je suis certain qu'on peut les abandonner ici, nous lance alors Khaleb en se glissant entre nous, ses bras sur nos épaules. On aurait enfin de vraies vacances.
- Je suis partante !
- Tu ne tiendrais pas une journée sans eux, se moque Béa quand j'acquiesce.
J'ouvre la bouche, prête à riposter, mais Khaleb me devance en se mettant de son côté. Et en jetant un regard aux garçons, je me retrouve à perdre mes mots, parce que mes amis ont raison. Le lien que j'ai créé avec eux est bien trop important pour que je les laisse dans un coin. Notre petite famille est ma force de me lever tous les matins avec le sourire. Mais Dylan et Ryan sont à part. L'un m'apporte l'amour, le bonheur, la stabilité, l'ivresse d'une vie pleine et d'une beauté à couper le souffle. L'autre me donne confiance, me pousse dans mes retranchements, me force à me dépasser. Ils sont mes deux phares, l'un à l'opposé de l'autre, pour être certains que le jour où je me perds, peu importe où je vais, je retrouve mon chemin.
Essoufflés, les quatre idiots reviennent vers nous et Dylan se tient la hanche, un sourire qui lui mange le visage alors qu'ils se dévisagent, avec Ryan.
- Hé, y'a un stand de graffiti !
Béa pointe un endroit derrière eux et je me décale pour voir trois types installées d'immenses plaques blanches contre les murs défoncés de l'entrepôt. Déjà, certaines personnes se rapprochent et Ash s'appuie contre Ryan pour attirer son attention.
- T'en as déjà fait ?
- Oui, quand j'étais en centre.
Pas besoin qu'il détaille un peu plus pour comprendre que c'était après le décès de son père, lorsqu'il a été placé en foyer. Son regard s'assombrit alors qu'il regarde des gens prendre des bombes et commencer à taguer. Je mettrais ma main à couper que ça ne lui rappelle que des mauvais souvenirs : des nuits d'insomnies, la haine contre ces vies volées, sa propre rage envers lui-même.
- Viens, je veux essayer.
Ryan n'a pas le temps de réagir que je noue mes doigts aux siens et l'attire avec moi en trottinant vers la table près des plaques, où sont ouvertes des mallettes. Je ne lui laisse pas le temps de se défiler et fouille déjà dans les couleurs de peinture.
- Emy, je...
- Vert, couleur de l'espoir, je le coupe en tendant une bombe entre nous, vert sapin.
- Ca ne changera rien...
Ses yeux s'écartent une courte seconde des miens, pour regarder les œuvres qui commencent à prendre forme. Le désarroi qui passe dans son regard me tord l'estomac et je tire sur sa main pour qu'il me regarde, moi, pas son passé et ce qui est en train de bousiller son humeur.
- Est-ce que ce n'est pas, au contraire, le parfait moment pour balayer tout ça et te créer de plus beaux souvenirs ? je lui demande, doucement, en secouant la bombe entre nous. Est-ce que ce n'est pas le meilleur endroit pour te libérer de cette douleur ?
Ryan ne répond pas, son regard féroce planté dans le mien. Je suis obligé de garder la tête penchée en arrière, parce qu'il est bien plus grand que moi, et pourtant, ça ne me fait pas peur. Je n'ai plus peur de lui, de ces changement d'attitudes, de son passé. De ses démons. C'est même l'inverse : je suis prête à les affronter avec lui, à l'aider à défaire ses chaînes.
Je crois en lui, tout comme nos amis qui nous ont rejoint et fouillent dans les mallettes à leur tour. Dylan s'arrête à côté de lui, du jaune dans la main, et serre son épaule une courte seconde. Ca ne suffit pas pour que Ryan le regarde, mais ça apaise la douleur qui continue de danser dans ses yeux. J'aperçois alors les autres couleurs que tiennent nos amis et j'esquisse un sourire. Ils sont incroyables, tous.
- On est ensemble, je murmure en lui tendant le bout de la bombe. Tu ne le feras pas seul.
Son regard quitte alors le mien et trouve nos amis avec un gars, qui leur délimite une parcelle du mur à la peinture noire. Ash rit avec Maé, Béa s'attache les cheveux en les regardant, Dylan me sourit. Et Khaleb secoue sa bombe avant de faire signe à Ryan de le rejoindre.
- Je me serais perdu, sans vous.
- Mais on est là, je chuchote aussi. Et on veut partager ça avec toi.
Il acquiesce, récupère le vert et rejoint Khaleb. Ryan attrape sa nuque, embrasse sa tempe puis il est le premier à se rapprocher de la parcelle. J'attrape la bombe rouge que me tend Dylan et le remercie.
On se tient tous les six, dans le dos de Ryan, qui se tourne un instant pour regarder nos couleurs. Et même si c'est léger, je remarque le sourire qu'il cache en faisant de nouveau face à la plaque. Sept personnes, sept couleurs : un arc-en-ciel.
Soudain, Ryan se baisse et attrape la bombe noire laissée par terre pour faire un premier trait. Puis un second, un troisième, une dizaine. Il a le coup de main et on ne bouge pas avant qu'il est fini son esquisse. Je sens que des gens viennent derrière nous, se mettent à murmurer, à siffler d'admiration. Mais je suis captivée par les gestes de Ryan, par son aisance avec la peinture, par le tag qui prend forme.
Lorsqu'il s'écarte et vient se caler entre moi et Khaleb, il souffle en secouant la bombe verte.
- Il ne reste plus qu'à l'illuminer.
- C'est magnifique, murmure Dylan. Ryan, c'est incroyable...
- C'est à toi de mettre la première couleur.
Je tourne légèrement la tête vers Ryan, pas sure de savoir à qui il parle. Puis je comprends lorsque Khaleb s'avance le premier, de l'indigo à la main. Il secoue sa bombe, sourit au dessin, puis il fait un premier trait. Et l'une des huit branches du soleil se colore.
- Vous venez ? J'ai qu'une couleur, nous lance alors Khaleb en se tournant vers nous.
Ash est le premier à le rejoindre et rapidement, il ne reste plus que Ryan et moi. Silencieusement, il m'attire contre lui et j'enroule ses hanches d'un bras, calant ma tête contre son épaule.
- Il est fier de toi, j'en suis certaine.
Ryan ne répond pas. Il embrasse mon front puis nous fait avancer vers nos amis qui nous laissent la place pour colorer les deux branches du bas. Notre Soleil au couleur de l'arc-en-ciel, dont la branche du haut reste blanche. Aussi pure que Yan.
J'attrape Dylan par les joues et l'embrasse, heureuse d'être là avec lui, avec eux. Et de me sentir aussi ivre de vie.
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