9. Dylan

C'est à peine si j'explose tout sur mon passage. Je ne me souviens que trop bien du regard de ma meilleure amie, au moment où je l'implorais silencieusement. Je me rappelle du moment où courageusement, elle s'est portée volontaire. De son calme extraordinaire. De son air grave et engagé.

Mais avais-je été le seul à m'apercevoir de ses épaules affaissées, du voile d'abattement qui assombrissait son regard alors que nous rentrions au lycée?

Et avait-elle cru réussir à me dissimuler que son mal être  était dû à moi plutôt qu'au sale quart d'heure qu'elle allait passer ce soir là chez elle?

- Qui est-ce que tu crois duper Eva? craché-je entre mes dents, en envoyant une nouvelle slave de coups de poing dans mon sac de frappe.

Je vois mes jointures en sang, je sens mon souffle s'écourter, la transpiration coule le long de ma peau et semble m'étouffer mais rien à faire, la rage m'aveugle. Moi et ma fierté de merde!

Tout à coup, des étoiles commence à danser devant mes yeux et je trébuche avant de tomber au sol.

- Eh Dylan!

Au début, je pense que c'est Philippe, mon coach, qui vient vers moi. Non, ce n'était pas sa voix... Un bras passe autour de mon buste et me soulève.

- Eh mec, tu nous fais quoi là?

Je parviens non sans peine à jeter un regard par-dessus mon épaule et croise le regard inquiet de Martin. Une fois que je suis redressé, je constate qu'il est plus grand que moi. Il a fait une de ces poussées de croissance! Il me guide vers les bancs dans le fond de la salle et me fait m'y asseoir en me tendant ma gourde. Je m'affale sur la surface en bois et avale goulument l'eau. Une fois hydraté et très légèrement reposé, je l'interroge du regard. Que fait-il ici? Il passe sa main derrière son cou et évite de croiser mes yeux.

- Je savais que t'allais pas bien non plus aujourd'hui alors je suis passé pour qu'on discute...

Immédiatement je fais le lien: Martin a vu Swan embrasser Aïcha. Et Martin a des sentiments pour la belle ivoirienne depuis... Le mois de mai.

Je suis le seul au courant: le grand blond me considère comme son meilleur ami et c'est réciproque. Et je sais bien qu'il n'a pas pu parler de ses sentimenrs à Florent: il n'accepterait jamais que celle qu'il considère comme sa soeur sorte avec celui qu'il voit comme son frère. Il est extrêmement possessif.

Je déglutis avant de détourner le regard de son visage et le poser sur mes mains abîmées.

- Ouaip. J'ai fait de la merde aujourd'hui, confessé-je, la gorge nouée.

- T'avais pas le choix mec. Sûr que Swan t'aurais dit quelque chose comme "tu dois coucher avec une fille plus vieille... Mais de mon choix!" ou quelque chose comme ça. C'est un vrai salop, il voulait juste te mettre dans l'embarras. Sauf que manque de chance, t'as une meilleure amie en or 24 carats qui a volé à ton secours.

Je passe mes paumes collantes sur mon visage et pose ma tête contre le mur. C'est vrai qu'elle n'avait pas hésité à m'aider. Mais à quel prix...

- Et encore, t'as pas tout vu, glissé-je, les yeux dans le vague.

- De quoi?

Je soupire et me redresse. Et tout en partant vers les vestiaires, je parle à Martin de cette tristesse qui émanait d'elle tout l'après-midi. Attentif, il ne pose pas de questions mais semble tout de même nerveux. Je n'y prête pas attention, trop préoccupé à vider mon sac. Arrivés devant les vestiaires je fais signe à Martin d'aller m'attendre à l'extérieur. Il obtempère et je me change le plus rapidement possible. Je sais que mon coach va le prendre très mal que je  parte en plein milieu de l'entrainement mais un savon de plus ou de moins, c'est pas ça qui va me déranger.

Lorsque je quitte le bâtiment, Martin m'attend... une cigarette à la main. Je secoue la tête et m'approche de lui.

- Tu t'arrêtes jamais toi hein? Connerie sur connerie, comme toujours.

Il ne bouge pas d'un pouce et tire une nouvelle fois sur la cigarette. Je le rejoins et tends ma main.

- T'es sérieux mec? lâche-t-il, visiblement étonné.

- Allez, fais pas chier et file moi s'en une. Je suis pas comme toi, t'as rien à craindre.

Son regard fixe un point invisible au loin et je sais qu'il se remémore douloureusement l'année dernière et cet été. Je me dis parfois que j'ai bien fait d'être là. Il aurait pu sombrer sans que personne ne se rende compte de rien. Et mourir.

Il pose dans ma paume tendue un de ces cylindres de papier qui nous tuent à petits feux ainsi que son briquet. Je pose le filtre sur mes lèvres et allume le briquet. Les yeux fermés, je tire sur la cigarette et avale la fumée. Puis j'expire. Elle s'envole et disparaît peu à peu, en volutes gracieuses mais meurtrières. C'est ce que mon père me répète sans cesse: "fumer tue". Mais est-ce vraiment la réalité des choses? Ma grand-mère maternelle a commencé à fumer dans sa jeunesse, et ça, pendant trente ans. Quand elle a décidé d'arrêter parce que c'était son "choix propre" comme elle ne cessait de me le rappeler, elle n'y a plus jamais touchée. Sans aucun regret. Et aujourd'hui encore, elle est en forme et vit comme si elle avait quarante ans. Alors, quel est le plus dangereux: le bourrage de crâne ou la nicotine?

Une fois terminée, je jette les restes de ma cigarette sur le sol goudronné et les écrase de mon talon.

- J'y vais, à lundi, lancé-je en me retournant.

J'entends le grand blondin répliquer quelque chose comme "Ouais, si on est toujours en vie" et j'éclate de rire tout seul. Il n'a pas tort: c'était peut-être notre dernier moment ensemble. Je sors mes écouteurs de ma poche et les branche à mon portable. Au hasard, je sélectionne une musique et tombe sur "Atlantis" de Seafret. Je laisse la musique envahir mon corps entier, et je calle le rythme de la chanson à celui de mes pas. Mon esprit divague, emporté par le morceau et je me rends compte, surpris, que je suis déjà arrivé. La chanson se termine alors et s'enchaîne avec "Be there" du même artiste.  J'ouvre l'immense porte de l'immeuble et monte les marches deux à deux, pressé que mon mauvais quart d'heure arrive le plus rapidement possible et se termine tout aussi vite.

Arrivé devant la porte d'entrée, j'hésite à franchir le seuil. Je sautille sur place, la tête renversé en arrière. Allez on se motive. Une fois la serrure déverrouillée, je pousse aussi discrètement que possible la porte.

- Dylan?

Mince. J'essaye de garder une voix aussi neutre que possible.

- Ouais, c'est moi.

Ma mère arrive, vêtue d'un simple jean et d'un débardeur rose. Ses cheveux blonds sont attachés en un chignon rapide et deux mèches encadrent son visage dont les pommettes sont parsemées de tâches de rousseur. Son regard bleu acier me perce et je détourne avec une vitesse incroyable les yeux.

- Dans le salon, dit-elle sèchement.

J'y vais et m'installe sur le fauteuil près de la fenêtre après avoir posé mes affaires au sol. Sur la table basse du salon, deux tasses de thé sont posées. Y a-t-il quelqu'un chez nous?  Et brusquement, je vois apparaître mon grand frère, Théo. Mon frangin m'adresse un sourire avec un clin d'œil et entre dans la pièce, ma mère sur les talons. Les deux blonds aux yeux bleus. S'il n'avait pas eu une telle différence d'âge, et quelques caractéristiques physiques de mon père, tel que son côté trapu ou ses boucles, on aurait pu prendre mon frère et ma mère pour des jumeaux.

Elle se racle la gorge, et ma lance, le regard froid:

-J'ai eu un appel de ton lycée. Absence à la cantine ET tout l'après-midi. En plus, je n'ai eu que de ta part un simple "Je suis vivant, ne t'inquiète pas". Tu as intérêt à avoir une sacré bonne excuse. Mais vraiment cette fois.

Je frotte mes yeux et tourne sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler. Ce n'est absolument pas le moment de faire une erreur. Je pourrais le regretter amèrement. 

Dire la vérité? Non, je passerai pour un pauvre enfant lâche et sans caractère, se laissant emporter par de vagues amourettes adolescentes, qu'elle juge sans grand intérêt. Il me faut donc bricoler un peu la réalité des choses... J'abhorre  mentir. Mais parfois, c'est nécessaire pour ne pas décevoir ceux qu'on aime. Pour maintenir un écran de fumée entre eux et nous, et leur faire croire ce qui est important qu'ils croient.

Comment ma mère réagirait-elle si elle apprenait que j'ai séché les cours pour une fille qui m'a plaqué avant les vacances d'été? Elle se moquerait de moi, c'est certain. Je suis faible. C'est certain aussi. 

- J'sais pas, on était avec les copains, on sortait avec des gens plus âgés... C'est bon là, je suis en seconde, tu vas pas faire ton général en chef!

Et immédiatement, elle s'énerve. Elle me crie dessus, me rappelant qu'à quinze ans on est qu'un gamin et que mon immaturité le prouve. Je serre les dents et baisse la tête. J'essaye de me blinder mais chaque parole dure qu'elle adresse à mon égard me poignarde et me gèle le cœur. J'en viens presque à détester Marion, me disant que c'est sa faute si je me fais démonter la tête par ma mère.

Lorsqu'elle termine, elle fait demi-tour et quitte la pièce sans un mot. Un lourd silence pèse sur moi. Les yeux légèrement dans le vague, j'hésite à les lever vers mon frère. Heureusement, il ne cherche pas à me taquiner. Au contraire, il s'avance vers moi et presse mon épaule chaleureusement.

- Allez vieux, j'te prépare un sandwich et on s'calle devant "Arnaques, crimes et botanique".

Je quitte le salon à sa suite tout en souriant: c'est mon film préféré. Je me dirige vers ma chambre et en refermant la porte derrière moi, ma bonne humeur s'efface aussitôt. Je m'étale sur mon lit. Je sais que j'ai des devoirs mais franchement... Aucune envie. Juste celle de dormir jusqu'à mes soixante-dix ans. Celle d'appeler Eva. De lui demander pardon.

Tiens, ça me rappelle un morceau de FAUVE ça. Du moins, un bout: "Je te demande pardon, pardon, excuse moi. Je voulais pas te faire du mal, je voulais pas. Je pensais pas que ça irait aussi loin cette histoire, j'ai pas fait gaffe, ça m'arrive parfois."

Je soupire et frotte mon visage. Je suis vraiment qu'un pauvre connard. Faire ça. A ma meilleure amie. Je saisis mon téléphone et me redresse. Je vais lui envoyer un message. Il faut que j'arrange tout pour elle. Tout.

"Coucou petit crumble, je suis désolé pour aujourd'hui. Demain on en parle et on arrange tout."

J'efface le message. Non, on dirait que je ne suis pas triste pour un sou!

"Coucou petit crumble, je me sens vraiment mal pour ce midi. Ton sacrifice était remarquable mais tu n'as pas à faire ça po"

J'interromps mon message et le supprime. C'est trop bizarre d'écrire ça comme ça, on se croirait dans un mauvais film!

"Eva, pardon. Je te jure, je vais tout arranger."

Simple, efficace. Et incroyablement froid à mon goût. J'éteins mon portable et écrase ma tête contre mes coussins. Pauvre con.

- Viens par là frangin!

Je lâche un grognement avant de me lever. Tout à coup, j'ai une idée. C'est mal, immoral, mesquin, c'est même un peu glauque, mais c'est ma seule chance.

Je vais faire croire à Marion que je tombe peu à peu amoureux d'Eva. Je vais la rendre jalouse.


Bonsoir!

La suite de Jeu de Dupe est publiée! J'espère qu'elle saura vous plaire et pardon pour le retard...






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