5. Dylan
Déjà une semaine. Une semaine que ma bande et moi traînons avec ces terminales. En fin de compte, je ne les apprécie que moyennement. Et j'ai un vrai problème avec Swan. Je le trouve assez hautain mais surtout, ce qui m'agace fortement, c'est qu'il tourne autour de Marion. Ouvertement. Devant tout le monde. Et surtout devant moi. Et elle semble s'en amuser et répond à ses signaux plus qu'explictes.
Énervé, je donne un coup de coude dans le sac de frappe de ma salle de boxe. Puis un deuxième. Suivi d'un coup de genou.
- Oh, tu nous fais quoi là?
- Pardon coach.
Philippe lève les yeux au ciel et bougonne dans sa barbe.
- C'est pas une réponse ça. Et c'est pas parce que tu n'as plus d'athèle qu'il faut y aller comme un bourrin!
Je me tais et reprends mon entraînement, en tentant de ne pas laisser déborder mes émotions. Je suis en cors de boxe ici. Pas chez un psychologue. Je me calme. La boxe thaï demande un maximum de concentration et je ne peux me laisser distraire par une fille. C'est, du moins, ce que me dirait Philippe.
Je reprends mes exercices, mettant un peu plus l'accent sur la technique du Teep ou "la technique du coup de pied pénétrant". La sueur colle mes cheveux à mon front et je souffle sous l'effort. Philippe me jauge du regard avant de lancer:
- Tu te bats pas aujourd'hui. Attends la semaine prochaine.
J'hoche la tête. On ne contredit jamais le coach. Particulièrement celui-ci. Il s'en fait pour mon poignet et je le comprends: de grosses blessures peuvent immobiliser un boxeur un long moment.
Je m'applique alors à faire travailler mes pieds, mes coudes et mes genoux. Il se rapproche un peu plus, me donne quelques indications sur ma posture ou sur ma force de frappe. Je suis concentré et imagine la silhouette de Swan. Un sourire mauvais me barre le visage et j'envoie un coup plus fort que les autres là où devrait être son entre-jambe.
- Salut.
Je m'arrête quelques instants et m'essuie le visage d'un revers du bras. Eva se tient non loin de moi, dans son short en jean et son top à motif cachemire. Toute mignonne. Je m'en vais lui faire la bise. Elle grimace du fait que je sois collant et me tire la langue. Je souris malgré moi.
Elle embrasse mes deux joues.
- Bon Eva, va falloir arrêter avec cette histoire de fossettes!
Un beau jour, alors que nous n'étions qu'en cinquième, elle avait dit qu'elle trouvait les garçons qui avaient des fossettes trop mignons et que ça lui donnait envie de leur faire un bisou. Adam lui a alors fait remarquer que j'en avais. Depuis ce jour, je suis harcelé dès que j'étire les lèvres.
Elle secoue la tête, faisant tinter ses multiples colliers dorés ou colorés.
- Non et non! Et ne te plains pas, tu es chanceux d'avoir une si jolie créature qui t'embrasse juste pour ça!
Je ris franchement avant de lui ébouriffer les cheveux et de retourner à mon entraînement. Dans une demi-heure j'ai terminé et je file chez moi avec elle. Depuis qu'on est tout petit, nous dormons fréquemment l'un chez l'autre. Des connaissances masculines m'ont demandé si je l'avais fait avec elle étant donné que nous dormirons dans le même lit. Je les avais envoyé promener. Personne ne dit des choses comme ça à l'égard de ma meilleure amie. Sauf moi.
Je sens son regard fixé sur moi et je m'applique du mieux que je peux pour qu'elle profite du spectacle.
Une main calleuse se pose sur mon épaule et la voix grave aux accents nordiques de Philippe me dit d'arrêter pour aujourd'hui. J'hoche la tête et tout en défaisant mes bandes autour de mes mains et de mes poignets, je m'avance vers elle. Je la vois envoyer un message à quelqu'un avant de ranger son portable.
- Ça va? Tu t'es bien défoulé?
Je baille pour toute réponse. Elle prend son sac et quitte le bâtiment. Comme d'habitude. Je pars aux vestiaires et prends mes affaires. J'enfile mon tee-shirt et change de bas, mets des chaussettes et noue les lacets de mes baskets. Lorsque j'en ressors, mon coach m'interpelle.
- Eh Dylan, viens voir.
Je marche dans sa direction. Il me lance, les sourcils froncés:
- Je t'es trouvé plus nerveux aujourd'hui. Un problème?
J'ai beau l'apprécier lui et son côté un peu bourru, je n'ai aucunement envie de me confier à lui.
- Non coach. Ça va. C'est le retour des vacances.
Nullement convaincu, il me fait signe de partir. Je m'exécute sans rechigner. J'ai vraiment envie de passer ce vendredi soir avec Eva. Ça fait longtemps qu'on a pas pu parler yeux dans les yeux et nous avons beaucoup de choses à nous dire. Lorsque je quitte le bâtiment, je la vois adossée au mur, les bras croisés. Le ciel est gris. Ce n'est guerre engageant mais bon. Nous devons attendre un bus.
Nous quittons le quartier du Polygone et rejoignons la petite université locale. Tout ça silencieusement.
- Dylan, le bus arrive!
Aussitôt, je fléchie les genoux et elle s'accroche à mon cou. Je me mets à courir, lui tenant fermement les cuisses. Pas questions de le rater: avec le mauvais temps qui se prépare, je préfère que nous n'attendions pas longtemps dehors. Mon sac de cours s'enfonce dans mon dos mais j'accelère la cadence. Nous arrivons juste à temps, avant que le bus ne redémarre. Le chauffeur nous fait signer de monter et je repose Eva au sol. Nous grimpons ensemble et payons notre trajet avec nos cartes. Je prends Eva par la main et je l'entraîne au fond du bus, où les places sont libres. Je m'assois près de la vitre et ma meilleure amie sur mes genoux.
- Y a plus de dix sièges et toi tu te cales juste ici! râlé-je, agacé par son côté collant.
- Rho, ça va, fait pas la tête!
Elle fait la moue et croise ses bras autour de sa poitrine. Elle me boude. Je soupire et la pousse.
- Ça va, rigole un peu la naine!
Je la vois ouvrir grand la bouche, en forme de "o".
- Comment ça "une naine"? Je frôle le mètre soixante-dix!
Je ricane et elle m'envoie un coup de poing dans l'épaule. Je grimace légèrement de douleur. Elle sort son téléphone de la poche arrière de son short et commence à envoyer des messages à un destinataire qui m'est inconnu. Quant à moi, je pose ma tête contre la vitre. Mon front vibre et s'y cogne contre, mais je m'en fiche. Le contact froid du verre me fait du bien. Je me vide l'esprit et garde les yeux clos. Je ne ressens rien, je ne vois rien, je n'entends rien. Tout autour de moi, en moi, c'est le néant le plus total. Ce grand moment de vide m'aide à me détendre. Je cale ma respiration sur mon rythme cardiaque et inspire profondément.
- Faut descendre, murmure Eva à mon oreille.
Son souffle chatouille ma peau et j'en frémis.
Elle se lève et je la suis, sac sur le dos. Elle appuie sur le bouton "ARRÊT DEMANDÉ" et on attend quelques secondes pour arriver. Nous descendons du véhicule et nous nous engageons dans la grande avenue commerçante de Valence. En moins d'une minute nous arrivons devant l'immeuble et je fais rentrer Eva. Nous montons les étages et arrivons devant le pallier de mon appartement. J'introduis la clé dans la serrure et je rentre dans mon chez-moi, suivi d'Eva. Elle part dans ma chambre poser ses affaires et reviens ensuite.
- Vic' arrive dans combien de temps déjà? demande-t-elle.
- Dans une bonne heure je pense.
J'entre dans la cuisine et consulte l'horloge. 18h30. C'est bien ça, mon père n'arrivera que dans une heure. Une heure et demi tout au plus.
- Vas te doucher, lui proposé-je.
Elle acquiesce et quitte la pièce. J'ouvre le frigo et bois directement au goulot du jus de fruits. Puis je m'avachie sur ma chaise en attendant que ma meilleure amie termine sa douche et son démaquillage. Il me suffit d'attendre un petit quart d'heure avant qu'elle ne revienne dans un vieux legging noir avec un large pull gris. C'est ça aussi que j'aime chez elle: simple et efficace. Je lui ébouriffe de nouveau les cheveux, recueillant au passage ses cris de protestation. Lorsque j'entre dans la salle de bains, je crois étouffer. On se croirait dans un sauna ici! Je me déshabille en vitesse et rince mon corps à l'eau froide. L'atmosphère autour de moi devient un peu plus respirable et je m'autorise par conséquent l'eau tiède. Je frotte mon corps collant de transpiration avec mon gel douche, tout en pensant au film que nous pourrions regarder ce soir. Une idée me vient. Je me rince, me sèche, pars dans ma chambre pour enfiler un bas de jogging gris.
Je laisse traîner négligemment ma serviette sur mon lit et rejoins Eva.
- Wow, fais gaffe, tu vas avoir de grosses fesses après!
Elle se tourne vers moi, cachant avec peine le bout de cookie qu'elle était en train de manger.
- Ça va, je fais attention.
Elle termine son biscuit.
- On regarde quoi?
Je prends mon air le plus mystérieux et me penche vers elle. Je murmure à son oreille le titre du film et elle lâche un petit cri hystérique en sautillant sur place. Je la prends par la main et l'entraîne vers le salon où elle s'installe à sa place habituelle. Elle se love dans une fine couverture express dans ses bras un coussin. Quelle frileuse! Je glisse le DVD dans le lecteur et m'assois à ses côtés. Je passe un bras autour de ses épaules et elle blottit sa tête contre mon torse. Sur la télévision, l'écran affiche "Hunger Games: L'embrasement".
Je la sens frémir d'excitation. C'est son film préféré de la saga.
Pendant deux heures et demi, nous restons l'un contre l'autre, devant ce fabuleux long métrage. Entre temps, mon père est rentré et Eva s'est empressée d'aller le saluer. Quand le film se termine, elle a les larmes aux yeux. Comme à chaque fois. Et mon père nous a fait livrer des pizzas: une quatre fromages, une reine et une marguarita.
On ne change pas les bonnes habitudes.
Nous nous attablons tous les trois et discutons joyeusement de tout et de rien.
- Si si, c'est vrai! dit mon père, les larmes aux yeux, tandis qu'Eva se tient les côtes et rit à en manquer d'air. Il est revenu le jour suivant!
Le métier de mon père a toujours été une véritable source de rire. À croire qu'il n'y a que des originaux et des farfelus dans le coin. Il est d'ailleurs en train de nous parler d'un homme qui se croit atteint de tous les problèmes de santé du monde.
Nous terminons le repas dans la bonne humeur et mon père nous lance un "bonne nuit!" en baîllant. Il se dirige à pas lourds dans le salon, certainement pour aller lire un peu ou regarder en replay des épisodes de ses séries préférées. Eva se redresse aussitôt et commence à débarasser la table. Je lui donne un coup de main en empilant la vaisselle sale sur un coin de la table et en allant jeter les serviettes usagées à la poubelle. Quand je me retourne, elle passe un coup d'éponge sur la table. J'attends qu'elle termine puis nous partons vers ma chambre. Nous nous installons sous les draps, elle se met contre moi et je l'entoure de mes bras.
On reste comme ça pendant quelques minutes, sans parler. Puis elle se retourne, se dégage de mon étreinte et se met à califourchon sur mes genoux. Elle me lance, but en blanc:
- J'ai rencontré un garçon. Il s'appelle Nicolas.
Intrigué, je lui demande plus de détails. Elle me le décrit alors, me parle de leurs discussions en cours et des messages qu'ils s'envoient ils auraient quelques centres d'intérêt communs et auraient des projets de vie similaires. Beaucoup de coïncidences visiblement. Le hasard fait bien les choses.
- J'ai l'impression que je ne le laisse pas indifférent, conclut-elle.
Je lui adresse un sourire franc. Tant mieux si elle trouve un petit ami. Bien que je serai toujours près d'elle pour vérifier qu'il n'est pas un affreux goujat. En tout cas, de ce qu'elle m'en a dit, il a l'air assez sympathique.
- Et Marion? Tu arrives à t'en sortir?
Je me pince les lèvres et me gratte le bout du nez.
- Non, avoué-je, dépité. Elle hante toujours mes pensées et le fait d'être avec elle assez souvent ne m'aide pas à l'oublier. Et ce Swan qui lui fait du charme sous mes yeux... Je te jure, ça me donne envie de le frapper contre un mur.
Eva secoue la tête.
- Tout ça, c'est toi qui décide de le vivre. Pourquoi tu ne t'intéresses pas aux autres filles? Il y en a pleins le lycée!
Je m'énerve et serre les poings.
- Parce que tu crois que c'est facile? On ne peut pas contrôler ses sentiments OK? Je demande pas à vivre une pareil situation!
Elle pose aussitôt ses deux mains sur mes épaules et plonge son regard dans le mien.
- Désolée d'accord? Mais calme toi un peu. C'est pas bon de vivre dans le passé. Ce que tu as foiré, tu l'as foiré. Point. Tire s'en des leçons pour tes relations futures. Et si tu aimes encore Marion, montre lui quelque chose qu'elle n'attendrait pas venant de toi. Tu l'impressionerais et tu lui prouverais que tu as changé tes défauts.
J'hoche la tête. Elle n'a pas tort.
- Mais l'essentiel, c'est de rester toi-même alors ne joue pas un rôle devant elle.
Elle se penche vers moi et pose un léger baiser sur mes lèvres.
Nous nous faisons ce baiser depuis toujours. Notre amitié est trop forte pour une simple bise mais nous ne sommes pas non plus un couple. Alors entre le french kiss et le bisou sur la joue, on a trouvé un bon compromis: le baiser aussi léger qu'une caresse d'aile de papillon, un frôlement des lèvres sans aller plus loin. Mais très vite, nous avons arrêté de le faire en public, les gens nous désignant comme petits amis. Mais ne peuvent-ils pas comprendre que chacun à sa manière pour exprimer son affection envers l'autre?
Elle s'allonge contre moi et ferme les yeux. Il lui suffit de quelques minutes pour s'endormir. Pendant ce temps, je cogite beaucoup tout en lui caressant les cheveux.
Comment montrer à Marion que je me suis amélioré sans pour autant porter un masque devant elle?
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