11. Lucas

Le cours met tellement de temps à passer que je vérifie quatre fois l'heure: sur l'horloge de la classe, puis sur la montre de Dylan, sur la mienne et enfin sur mon téléphone. 

Eh non mon pauvre Lucas: te voici condamner à bouffer des maths pour le restant de tes jours, parce que quelqu'un a pris possession du temps et s'amuse à faire passer les minutes au compte-goutte. Triste vie. 

J'aurais pu compter sur la compagnie de Dylan s'il n'avait pas été totalement absorbé par ces équations. 
Au fil des années, j'avais compris quelque chose d'important sur lui: s'il ne disait pas un mot pendant le cours, ce n'est pas par concentration optimale, mais parce qu'il est soit entrain de mettre en place une stratégie pour faire une connerie où je serai forcément entraîné, soit qu'il ruminait sa colère.

Bref rien de franchement super joyeux. Dans tous les cas, je finirais collé. 

C'est toujours moi qui prenais à la place de Dylan: parce que ça ne me dérangeais pas de passer une ou deux heures dans une pièce à copier le règlement et aussi parce que je suis le moins chanceux de la bande. C'est toujours moi qui me fait choper! C'est pas juste!

Mais bon, je me suis habitué avec le temps. Puis franchement, je préfère être au bahut plutôt que chez moi. La scène de ce matin me revient en mémoire et j'en frisonne. Éva m'a vu pleurer. Elle va surement se poser des questions et m'en poser aussi. Merde.

Aucune des personnes du groupe ne savait. Je l'avais vaguement évoqué à Katherine, à mots couverts. Mais il ne serait pas impossible qu'elle ait découvert la vérité d'elle même: elle devine toujours ce qu'elle ne doit pas savoir. C'est franchement agaçant. 

Katherine... Qu'elle est chiante cette fille! Et c'est pour ça que je l'adore. Puis j'aime tellement l'embêter. C'est cool de faire ça. Elle se met aussitôt à m'insulter en anglais, et j'apprends pleins de nouveaux gros mots qui me seront utiles quand j'aurais quitté ce foutu pays. 

Délivrance! Ça vient enfin de sonner! J'enfile ma veste en jean, enfonce ma casquette sur mon crâne, ce qui fait partir mes boucles châtains de pars et autres de mon crâne.  

- Bouge Dylan!

Il grogne et je me souviens de ce matin. Et qu'il sort avec sa meilleure amie à cause d'un stupide défi imposé par un abruti au prénom de Swan. Il s'appelle "cygne" quand même! Et il a tout sauf une gueule d'oiseau... Quoi que... Le cerveau peut-être. Mais quelle idée de participer à ce jeu ridicule aussi! D'ailleurs, c'est là que l'ex-londonienne m'a embrassé... Elles embrassent bien les anglaises!

Arrivé à l'embrassure de la porte, j'aperçois une jolie fille au carré plongeant, se grattant derrière l'oreille et les yeux rivés au sol. J'ai un petit pincement au cœur en voyant Eva dans cet état.
Si elle savait qu'en ce moment, elle n'était pas la seule à ne pas savoir quoi faire...

Je fais craquer mon cou et m'avance vers elle.

- Hey tu vas bien?

Eva me dévisage avec un regard hagard. Wow, elle en a prit de la bonne ou quoi? Une main se pose sur mon épaule et la voix grave aux accents légèrement traînants d'Adam me demande si par tout hasard, je n'aurais pas croisé sa copine. Tiens, c'est vrai qu'ils ne sont pas entrain d'échanger leur salive comme ils en ont l'habitude!

- Désolé mec, mais ici, c'est la 2nd C et non la A... Je n'ai pas pu la voir, je viens tout juste de sortir!

- De toutes façons, he never knows anything, je ne vois pas pourquoi tu lui poses la question...

- Trop gentille Katherine, marmonné-je à l'attention de la sœur capillaire de Shy'm, qui m'adresse un de ses petits haussements de sourcils et sourires hautains dont elle a le secret.

Finalement, j'hésite entre l'envie de la taquiner gentiment ou de la remballer violement. Quelle plaie cette fille!

Dylan arrive vers notre petit groupe, et je vois Louna et Stéphanie venir de l'autre côté du couloir. Et là, j'assiste à la scène de couples la plus contradictoire que la vie ait jamais faite: d'un côté, Louna qui embrasse farouchement son petit ami (âmes sensibles complètement ignorées ici) tout en se tripotant, comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis le siècle dernier. Et de l'autre, deux jeunes personnes s'ignorant complètement, et tiquant au son de la voix de l'autre.

Même si c'est un tableau assez "comique" j'ai assez de peine pour Dylan et sa meilleure amie:  toute cette histoire ne va-t-elle pas bousiller leur amitié? Franchement, ce serait un véritable drame.

- Bon, on va manger? propose Florent en passant son bras autour des épaules de sa protégée, Aïcha.

D'un commun accord muet, nous nous mettons en route vers le self.

"J'ai la dalle!" braille mon ventre, et provoque par sa colère démesurée, des gargouillis terriblement sexy. Pas de quoi faire craquer une jolie fille qui passerait par là. En parlant de jolies filles... Marion.

"Papapa, quelle bombe!" lance mon cerveau.
"C'est une fille très classe, avec beaucoup de finesse, de douceur" dit rêveusement mon cœur.
"Qu'est ce qu'elle est bo..." commence une partie de mon anatomie dont je préfère faire taire la voix plutôt que de me retrouver avec un petit "problème".

Quoiqu'il en soit, c'est vraiment mon idéal cette fille. Peut-être un peu trop grande: quand elle ne porte pas de talons, elle fait quand même une demi-tête de plus que moi!

Et même si ce n'est absolument pas bien de penser ça, j'espère secrètement qu'elle ne va pas retomber dans les bras de Dylan. A cette idée, je m'enfonce les ongles dans la paume de ma main. Qu'ils se remettent ensemble ou pas, je refuse de sortir avec elle. Ce ne serait pas loyal envers mon pote qui l'aime encore. De toutes façons, les filles, ça fout la merde en amitié. Les garçons aussi d'ailleurs. Et cette réflexion me refait visualiser la scène de ce matin. Je sens mon jus de pommes brûler mon œsophage. Je vais gerber.

Je ralentis un peu l'allure et laisse les autres passer devant. Martin se tourne vers moi, le regard interrogateur. Je lui réponds par un signe de la main, lui faisant comprendre qu'ils peuvent partir sans moi, puis fait mine de sortir mon téléphone. Il me fait un petit sourire plein de sous-entendus et éclate de rire en entendant Florent lui dire quelque chose.

Putain!

Je fais demi-tour, la tête me tournant un peu. Je fronce le nez et ferme les yeux. Il faut que j'en parle à mes parents. Cette situation ne peut plus durer.

Derrière moi, quelqu'un est entrain de détruire le carrelage de ses talons. Une surveillante? Une prof? Une super jolie nana?

- Lucas?

Je me force à sourire et me tourne vers Katherine.

- Coucou beauty, t'es venue voir le gars le plus mignon de la Terre? fais-je, d'une voix -je l'espère- suave.

- Euh... Non, je suis venue voir la gars qui arrive à être plus pâle que moi en moins de cinq secondes.

Puis pointant du doigt mon téléphone que j'ai en main, ajoute:

- Et qui fait semblant d'avoir une vie sociale.

Mais elle est méchante cette fille! Je glisse négligemment mes mains dans les poches arrière de mon jean et hausse les sourcils.

-J'vois pas ce que tu veux dire.

Elle roule ses yeux bleus, cerclés de noir. Ils ressortent vivement comme ça. C'est joli.

- D'abord Eva qui vomit dans les toilettes, maintenant toi qui me mens... Est-ce que, par pitié, je pourrais passer une journée normale? Dis moi ton problème: je suis ton amie non?

Je contemple mon interlocutrice insistante, pour essayer de gagner du temps: son visage au teint pâle, presque maladif, est éclairé par son regard perçant, carrément foudroyant. Plusieurs boucles d'oreilles garnissent ses oreilles, dont un petit écarteur au lobe droit. Ces cheveux à la couleur aussi naturelle que celle du ketchup au MacDo sont attachés en une queue de cheval haute, où s'échappent quelques mèches gracieuses. Je me suis toujours demandé si elle était rousse, brune, ou même blonde. Aucune idée.

Katherine fait un pas de plus, se rapprochant de moi. Avec ses chaussures elle fait quelques centimètres de plus que moi. Sinon, elle est plutôt petite, ce qui est vraiment cool: on fait un trio de nains avec Stéphanie.

L'Anglaise sent bon aussi: un parfum assez séducteur, indescriptible. Il faut être assez près d'elle pour pouvoir le sentir. Comme maintenant.

Elle étire sa bouche maquillée d'un rouge à lèvres sombre pour me sourire et, d'une délicatesse que je n'aurais pu imaginer venant d'elle, serre mon épaule de ses doigts fins aux ongles noirs.

- Lucas.

La douleur me tord le ventre. Sur le coup, j'adorerai pouvoir être une fille pour me jeter dans ses bras. C'est ce que font les copines entre elles non? 

- Tu sais, Lucie...

- Ta sœur? m'interrompt-elle, tout doucement.

J'hoche la tête et poursuis.

- Ce matin, elle était dans la salle de bains. Elle n'avait pas fermé la porte. Quand je suis rentré...

Ma voix se brise sur ces derniers mots.

- ... le rasoir était couvert de sang, et son avant-bras aussi.

Le geste de Katherine me surprend, tellement il est spontané: alors qu'elle étouffe un cri de surprise, elle se serre tout contre moi. Je l'entends murmurer des choses comme "C'est terrible!" ou d'autres petites phrases dans sa langue natale que je ne comprends pas. Je lui tapote maladroitement le dos, ne sachant pas qui exactement consoler: elle ou moi?

Toujours contre moi, elle demande brusquement, d'une voix teintée de tristesse:

- Pourquoi a-t-elle fait ça?

C'est le moment des confidences. Pourtant, je n'arrive pas à sortir un son.

Nous restons là quelques instants, l'un contre l'autre. Je me surprends à fermer les yeux, le visage noyé dans son épaisse chevelure rouge. Quel bien ça peut faire que d'être là, silencieux, à se sentir soutenu!

- On devrait y aller, chuchoté-je, conscient que les autres vont se poser des questions.

- Oui, tu as raison.

Elle se dégage tout en douceur de mon étreinte et me fait un petit bisou sur la joue. Je la remercie d'un sourire un petit triste, lassé, et nous longeons sans un mot le couloir, pour aller retrouver les autres. Quand nous les retrouvons au foyer, nous avons le droit à quelques sifflements railleurs et regards curieux de la part de nos amis.  Je les fais taire en demandant pourquoi ils ne font pas la queue pour le self.

- C'est Antoine: il nous appelle par classe! se plaint l'ivorienne, l'air boudeuse.

J'attrape une chaise et m'assois dessus, joignant le groupe autour de la table. Katherine s'installe à mes côtés et discrètement, glisse sa main dans la mienne, le temps de me donner assez de courage.

Il ne faut pas faiblir.

L'ambiance autour de la table est froide: les "Jumeaux" discutent gaiement, mais un peu trop fort, comme pour couvrir le malaise qui s'installe entre Eva et Dylan. L'Anglaise ne pipe pas un mot, Aïcha joue à Candy Crush Soda sur son téléphone, Stéphanie et moi discutons de choses banales. Elle est cool Steph', je l'ai toujours bien aimé cette petite violoniste.

Quant à Adam et Louna, ils ne mangent pas ici à midi. Ils se font un petit repas en amoureux. Comme c'est mignon.

En tout cas, ils n'ont pas l'air d'avoir trop de problèmes en ce moment.  

Veinards.


Voilà un nouveau chapitre, qui j'espère vous a plu!

Que pensez vous du point de vue de Lucas?

Enfin bref, bonne journée à vous, et à la prochaine!




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