Chapitre 8
– Loki! Fais tes bagages! Je t'emmène en randonnée! On part pour trois jours! Maintenant! Tu as cinq minutes! clamai-je en poussant la porte d'entrée du pied, mon carton m'empêchant de voir plus loin que le bout de mon nez.
La situation était délicate. Je devais mentir au dieu du mensonge. J'avais plutôt intérêt à ne pas me planter.
Loki n'était pas à l'intérieur. Je balançai mon carton dans le canapé en pestant, et me précipitai dehors. Le dieu était debout sur la plage, les bras le long du corps, le regard tourné vers le ciel, l'air pensif et les sourcils froncés.
Je soupirai. J'avais oublié que nous étions dans l'un de ses mauvais jours. Cela n'allait pas me faciliter la tâche, mais je n'avais pas le choix. Coulson pouvait arriver d'un moment à l'autre et plus tôt nous serions partis, mieux se serait.
En essayant de dissimuler ma fébrilité, je dévalai la plage jusqu'à lui et m'arrêtai en dérapant à ses côtés. Il ne m'accorda pas un regard. Génial.
– Hey! J'ai un super plan! Je t'emmène en randonnée en plein cœur de l'île, tu vas adorer! déclarai-je avec entrain. On sera complètement coupés du monde, et on dormira en tente pendant quelques jours! Tu vas voir, ça va être incroyable!! On part tout de suite, prépare un sac avec tes affaires!
Il ne réagit pas.
– Loki!! Hé, je te parle!! m'exclamai-je alors avec agacement en me plantant face à lui, agitant les bras devant ses yeux. Écoute, je me doute bien que tu n'as pas envie! Mais ça nous fera du bien à tous les deux de changer d'air, allez dépêche, je t'attends dans dix minutes dans la voiture!
Toujours aucune réaction. Je soupirai et baissai les épaules. Je jouais ma dernière carte.
– Loki... murmurai-je. S'il-te-plait...
Et enfin il me regarda, sans un mot. Ses prunelles vertes étincelantes me fixaient. Je lui fis mon meilleur regard implorant. Il cligna deux fois des yeux, et parut soudain s'adoucir légèrement. Ses muscles tendus se relâchèrent. J'osai un petit sourire, le coeur battant.
– Tu n'as plus que huit minutes... lâcha-t-il avec nonchalance, son petit sourire moqueur apparaissant sur ses lèvres tandis qu'il me surplombait du regard.
À la fois heureuse et soulagée, je fis un petit bond sur place avant de repartir à toute vitesse vers la maison, un grand sourire me traversant le visage de part en part.
Tout en fourrant négligemment le nécessaire dans mon gros sac de randonnée, je me rendis compte que la boule qui me serrait le ventre n'était pas uniquement due au fait que Coulson pouvait débarquer à tout moment et que nous étions de ce fait en danger. En réalité, cette idée de randonnée que j'avais eue sur le chemin du retour pour éloigner Loki de la civilisation me plaisait beaucoup.
Cela faisait un moment que je ne m'étais pas aventurée à la recherche des secrets de l'île, et j'avais hâte d'y retourner. De plus, je sentais l'excitation m'envahir en pensant que Loki avait accepté de venir sans réelle difficulté. Peut-être l'apprivoisais-je tout doucement... Je ne pouvais plus me le cacher; malgré ses multiples défauts, je commençais à ressentir une certaine affection pour le dieu.
Cinq minutes plus tard, j'étais fin prête. Je m'étais changée et avais rapidement enfilé un short et un top où pendaient mes lunettes de soleil. Mes imposants cheveux étaient noués en queue de cheval sur le haut de ma tête et j'avais mis mes chaussures de marche. Je rajustai la sangle du lourd sac contenant des vivres, la tente et mes affaires personnelles sur mon dos, avant de crier joyeusement sur le pas de la porte:
– Je suis prête! Tu vieeennnns?
En même temps, je jetai un regard furtif dans la rue. Pas de 4x4 en vue. J'avais de la chance. Loki surgit de la maison et ferma la porte derrière lui.
Je l'observai, interdite.
– Euh... T'es sérieux?
Le dieu haussa un sourcil.
– Un problème?
Je levai les yeux en ciel en me mordant la joue pour ne pas rire. Loki avait revêtu son uniforme asgardien. Même si je devais avouer qu'il avait la classe, il ne pourrait jamais passer trois jours à marcher dans la forêt habillé ainsi.
– Non rien, c'est pas grave, faudra juste faire attention à ne pas trop te faire remarquer... lui répondis-je avec un sourire amusé.
Le dieu haussa les épaules et alla s'installer sur le siège passager de la petite camionnette. Alors que je me mettais au volant après avoir balancé nos sacs dans le coffre, je l'entendis marmonner:
– Si cette vieille carcasse démarre, la prochaine fois que je vois Thor, je l'embrasse.
Je ne pus me retenir et explosai de rire devant son air affligé lorsque la voiture démarra en pétaradant.
Je pris la direction opposée à St Denis où, j'avais vu Coulson pour la dernière fois, et m'enfonçai dans l'île par les petites routes bordées de cases créoles et colorées.
Malgré ma bonne humeur apparente, je ne réussis à me détendre complètement que lorsque je fus sûre que Coulson ne nous retrouverait pas, c'est-à-dire jusqu'à ce que nous soyons perdus sur une petite route cabossée au milieu de nulle part.
Alors que la voiture bringuebalait dans tous les sens, Loki finit par demander, les yeux fixés droit devant lui:
– Ella... Tu pourrais... Me parler un peu de... De l'île.
Je lui décochai un regard intrigué, avant de me rendre compte qu'il était livide.
– Loki! Tu es malade?
– Non, je pète la forme, ça ne se voit pas? articula-t-il avec ironie en grimaçant, fixant toujours la route. Parle-moi, distraie-moi, fais quelque chose, Ella!
– Je peux m'arrêter si tu ne te sens pas bien! protestai-je en l'observant.
– Regarde la route par Odin, et distrais-moi! aboya le dieu.
Je soupirai en souriant devant l'entêtement et la fierté démesurée de Loki, avant d'obtempérer de bon coeur.
– Tu vois, l'île s'est formée quand le Piton des Neiges, le volcan éteint au milieu de l'île, s'est mis en éruption, commençai-je à expliquer en reportant mon attention sur la route. Mais c'était il y a super longtemps, et maintenant il s'est effondré, formant ce qu'on appelle trois cirques; Cilaos, Salazie et Mafate. Ce sont des espèces de grands creux dans le relief de l'île, si tu veux...
– Et aujourd'hui on va où?
– À Mafate! répondis-je. C'est la première fois que je le fais celui-là, alors je demanderai conseil à un guide!
– Super... souffla Loki. Et en plus elle va réussir à nous perdre dans la forêt.
– Mais non tu vas voir ça ira, je ne suis pas si nulle! rétorquai-je en lui donnant une tape sur le bras.
– Bon bref continue!
– Oui oui d'accord, m'empressai-je de dire en voyant son visage blafard. Donc bref, les trois cirques. Oui, voilà. Et après, un autre volcan est apparu, et il est toujours actif actuellement. C'est le piton de la Fournaise, à l'est de l'île, et c'est lui qui...
– Tu veux dire qu'il crache toujours de la lave?
– Oui! Tu peux arrêter de me couper la parole?!
– Et il est en éruption là maintenant?
– Bah non, sinon ça se saurait, va!
– J'exige d'aller le voir s'il entre en éruption.
– On ira! m'esclaffai-je, secrètement attendrie par l'enthousiasme que Loki refoulait tant bien que mal derrière son air hautain. Il semblait avoir repris quelques couleurs.
Je me tus sans continuer mes explications, laissant un silence tranquille et paisible s'installer dans la voiture. Loki regardait par la fenêtre, songeur. Je me surpris à le détailler du coin de l'œil.
Ses cheveux noirs tombaient sur ses épaules, et les traits nets et précis de son visage pâle se découpaient à contre-jour dans un rayon de soleil provenant de l'extérieur. La lumière entrecoupée parcourait de jeux d'ombres ses pommettes, son nez, les contours de ses lèvres, ses yeux verts... Tout son être était d'une beauté effrayante, parfaite, sans imperfections. Il n'était définitivement pas humain. Troublée, je détournai le regard.
Nous finîmes par arriver dans un petit hameau perdu au milieu de nulle part. Un large espace terreux me permit de garer la voiture et je vis au loin une maison de fortune bariolée qui portait une vieille enseigne: "DodoBar".
– Dans quel endroit de psychopathes tu nous as encore emmenés... murmura Loki en regardant autour de lui.
– La Dodo, c'est la bière locale, lâchai-je en descendant de la voiture. Et les gens ici sont tellement chaleureux que même l'armoire à glace que tu es fondra comme neige au soleil! Alors je t'interdis de critiquer. Reste ici, tu m'attends dans la voiture pendant que je vais me renseigner. Tu bouges pas, compris? Sauf si tu dois vomir. Alors tu sors en vitesse.
– Tu deviens trop autoritaire, grommela le dieu avec une mimique exaspérée.
Je claquai la portière et me dirigeai d'un pas décidé vers le "DodoBar", oubliant Loki et sa constante mauvaise foi.
–Bonjour! déclarai-je joyeusement en entrant dans l'établissement.
L'unique pièce composée de tables, de banc en bois et munies de larges fenêtres était vide, excepté un jeune homme qui essuyait des verres, accoudé au comptoir. En me voyant arriver, un petit sourire éclaira son visage fin parsemé de légères taches de rousseur.
– Salut! J'peux t'aider? demanda-t-il d'une voix accueillante.
Agréablement surprise, je répondis:
– Yep, ce serait sympa! En fait j'aimerais partir en rando pour quelques jours dans les environs mais je connais pas trop... Tu pourrais me renseigner?
– Oui bien sûr! m'assura-t-il en posant son verre avec un grand sourire. Attends...
Le jeune homme prit une carte usée dans un présentoir, fit le tour du comptoir puis la déplia sur l'une des grandes tables et me fit signe d'approcher.
– Tu vois, on est ici, m'indiqua-t-il en pointant un endroit du doigt. Si tu cherches une chouette rando de quelques jours, il y a celle de La Nouvelle, qui descend directement dans Mafate. Il faut partir de là, c'est un lieu-dit appelé le Col des Bœufs. Après, une fois dans le cirque, libre à toi de prolonger la balade, en prenant le sentier de Marla par exemple... Je l'ai déjà faite plusieurs fois et franchement elle vaut le coup, c'est magnifique! En plus il faut en profiter, elle n'est pas toujours ouverte, ils ferment le chemin quand il a trop plu... Mais là, le temps est idéal! Profite-en! me débita-t-il, ses grands yeux bleus-gris brillants d'excitation.
Visiblement, il était un véritable passionné de l'île. Il m'en parlait avec une telle ferveur et une telle lueur de joie dans les yeux, qui, instinctivement, me poussait à être parfaitement à l'aise. Je ne le connaissais pas du tout, mais à force de vivre recluse, je me rendais compte que je n'avais pas rencontré grand monde sur cette île, excepté bien sûr Marthe et monsieur Lasource. Cela me faisait du bien de voir un autre visage, de discuter avec des humains normaux, dépourvus d'ego surdimensionné et d'un caractère épuisant...
– Waouh merci! lui répondis-je avec un enthousiasme sincère. On va passer par là alors! Je peux t'acheter la carte? J'en aurai besoin je pense...
– Tiens je te la donne, j'en ai plein! déclara-t-il en la repliant et me la tendant avec un sourire adorable. Au fait, je m'appelle Eliott. Hésite pas si t'as besoin d'aide!
– Tu es sûr? Et ben... Euh... Merci! Moi c'est Ella, me présentai-je, charmée par ce jeune homme pétillant.
Nous échangeâmes une poignée de main sans cesser de sourire. Je n'arrivais pas à détacher mon regard du sien, comme hypnotisée. C'était absurde, je le connaissais à peine... Et pourtant, la sensation de sa main chaude et douce dans la mienne me perturba plus qu'elle n'aurait dû. J'étais troublée, séduite par le charme simple et involontaire que dégageait Eliott.
Mais soudain, une ombre menaçante emplit l'encadrement de la porte, balayant froidement la quiétude du lieu, et la petite étincelle de magie qui passait brièvement entre le garçon et moi. Brusquement gênée, je reculai d'un pas et détournai le regard, prenant conscience que j'étais trop proche du jeune homme.
En levant les yeux vers la source de ce vent de malaise, je sentis une colère sourde mêlée de tristesse m'envahir.
Évidemment.
Loki...
Je lui en voulais. Une part de mon esprit me murmurait que ce n'était pas sa faute. Mais une autre voix, plus sournoise, me susurrait qu'au contraire, le dieu était bien conscient de l'aura de peur qui l'entourait et qu'il en profitait pour me ruiner la vie...
Je lui en voulais d'avoir gâché ce seul moment de quiétude et de bien-être que j'avais pu ressentir durant un bref instant. Ce sentiment étrange qui m'avait étreint la poitrine lorsque le regard d'Eliott avait plongé dans le mien. Loki m'avait brutalement ramenée à la réalité, et je ne pouvais m'empêcher d'éprouver un sentiment rancunier d'amertume à son égard.
Eliott dévisageait Loki, horrifié. Le visage tordu par la stupéfaction et l'angoisse, il fit inconsciemment quelques pas vacillants en arrière, sans quitter le dieu des yeux. Il était vrai que dans son armure asgardienne, sa carrure de guerrier bloquant toute la lumière et le regard plus sombre, plus noir que jamais, Loki était terrifiant.
Impuissante, je voulus tenter de rassurer Eliott mais la voix du dieu s'éleva tout à coup dans les airs, claquant comme un coup de fouet. Eliott sursauta.
– Que fais-tu Ella?! je t'attends depuis des lustres, par Odin! Et qui est cette... misérable vermine qui tremble comme une feuille? demanda-t-il avec dédain, accordant à peine un regard méprisant à Eliott.
– C'est un ami, crachai-je d'un ton acerbe malgré moi. Alors mesure tes propos! Et je te signale que ça fait à peine quelques minutes que je suis partie alors si le pauvre petit Loki ne sait pas attendre seul plus de quelques secondes, il aurait dû rester bien au chaud dans les bras de sa maman! Je t'avais dit de m'attendre dans la voiture!! Pourquoi faut-il toujours que tu n'en fasses qu'à ta tête?!
Je vis les yeux du dieu se plisser sous l'effet de la colère. Sans attendre sa réponse cinglante, je me tournai vers Eliott qui observait la scène, désorienté et apeuré, et lui adressai un regard d'excuse.
– Je suis désolée pour... Tout ça, soufflai-je. Merci pour la carte. Ne fais pas attention à lui. Au revoir Eliott... Je suis heureuse de t'avoir rencontré.
Je sortis du bar à grands pas rageurs, bousculant Loki au passage. J'ignorai royalement son grognement énervé et claquai avec violence la portière de la voiture en m'engouffrant à l'intérieur.
– N'y pense même pas, tu vas derrière. Si tu apparais devant moi je t'explose la figure. Éloigne-toi. Je ne veux pas te voir.
C'était d'un ton glacial et sans appel que je repoussai le dieu lorsqu'il voulut monter du côté passager.
Impassible mais vibrante d'une douloureuse colère, je regardais fixement devant moi, les mains sur le volant. Je sentis tout de même son regard interloqué peser sur moi, choqué.
Je crus qu'il allait répliquer et monter quand même, mais à mon grand étonnement, il finit par s'asseoir lourdement à l'arrière de la vieille camionnette.
Sans un mot, je démarrai la voiture.
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