Chapitre 7
Je me sentais revivre. Comprendre enfin Loki, ce qui le tuait à petit feu, ce qui le rongeait de l'intérieur et le détruisait, enfin je savais.
J'avais l'impression d'avoir résolu une énigme impossible, et cela me donnait des ailes.
Loki me contemplait avec incompréhension.
D'un bond, je me remis sur pieds, et commençai à faire les cents pas.
– Loki, à peine arrivé, dois-je te rappeler que sur cette falaise, tu m'as sauvé la vie? Et ne crois pas que ça me fait plaisir de te le remettre en mémoire! débitai-je d'une voix forte à l'aide de grands gestes des bras. Tu as mis du temps mais malgré ton caractère exécrable, toi et moi on a fini par s'entendre plus ou moins! T'es pas vide ou perdu ou je ne sais quoi, espèce d'idiot, c'est pas possible! Tu ne peux pas dire ça alors que trois jours avant tu te comportais aussi normalement qu'un dieu narcissique puisse l'être!!
Loki, surpris, me regardait gesticuler. Une étincelle luisait au fond de ses yeux, et un mince sourire narquois fendit alors doucement ses lèvres. Même si ce regard m'énervait plus que tout, j'étais intérieurement soulagée qu'il redevienne un peu lui-même.
– Arrête de me regarder comme ça, je préférais encore quand t'étais aussi amorphe qu'une larve! soupirai-je en levant les yeux au ciel. Allez lève-toi, on va ranger tout ce bazar.
Je le vis ouvrir la bouche pour protester mais je le coupai aussitôt d'une voix sifflante:
– Loki, tu as littéralement déchiré et explosé la plupart de mes livres, je te jure qu'en temps normal je t'aurais étripé à mains nues, dieu ou pas. Dis-toi bien que tu as de la chance. Alors tu bouges ton petit cul crasseux et tu viens m'aider!
Loki fronça les sourcils, mais je vis le coin de ses lèvres frémir. Malgré son apparence déplorable, il se leva avec une vivacité stupéfiante et fut près de moi en un clin d'œil.
– Je te reconnais bien là... déclara-t-il d'une voix arrogante, un peu rauque. Une pauvre petite humaine sans aucun respect pour...
Ma main vola vers sa joue à la vitesse de l'éclair. Mais d'une rapidité stupéfiante, il attrapa mon bras d'un mouvement sec. Abasourdie, je regardai ses doigts serrés autour de mon avant-bras à quelques centimètres de sa tête.
– Tes réflexes de dieu font chier! finis-je par crier, exaspérée. Lâche-moi, c'est bon... Et épargne-moi tes commentaires débile!!
Ça y était. En l'espace de quelques minutes, Loki avait réussi à me mettre à nouveau en colère.
Foutu dieu.
– Je te jure que si tu ne répares pas tout de suite cette chambre, c'est même pas la peine d'en sortir!! Et tu te débrouilles, mais tu fais quelque chose pour mes LIVRES!!! Espèce de tête de bouc prétentieuse... tempêtai-je en quittant la chambres à grands pas.
Malgré ma colère envers Loki, je ne pus m'empêcher d'entendre un son discret et étouffé provenant de la chambre après mon départ.
J'eus un temps d'arrêt en comprenant qu'il s'agissait en réalité de Loki qui essayait de s'empêcher de rire.
De rire.
Ce dieu allait me rendre folle.
*
Suite à cet incident, nous reprîmes tout doucement nos vieilles habitudes, comme avant. Enfin presque.
À présent, j'arrivais à distinguer la part sombre, noire et brûlante qui se reflétait parfois dangereusement dans ses yeux. Ce tourbillon de pensées amères de vengeance, de ressentiment, de jalousie, et d'une rage profonde, incontrôlable et explosive.
Cette partie de lui que, au fond de moi, j'avais toujours niée. Je comprenais enfin l'ampleur de la menace qu'il pouvait représenter.
La plupart du temps, Loki se comportait comme avant. Sarcastique, narcissique et moqueur... Somme toute, les aspects de son caractère les plus plaisants.
Ô joie quand tu nous tiens...
Mais parfois, il ne parlait pas pendant un certain temps, replié sur lui même, à l'écart, les yeux assombris. Il arrivait que son regard implacable dévie sur moi, et ne me quitte plus. Je me sentais alors terriblement mal à l'aise, transpercée par ces prunelles glaciales.
C'était lors de l'un de ces moments pesants que j'avais décidé de prendre la voiture pour partir jusqu'à St Denis, la capitale de l'île, et récupérer ma commande de livres qui venait d'arriver par avion. J'avais besoin de prendre l'air et c'était le prétexte idéal.
C'était donc de bonne humeur que je sautai dans ma vieille petite camionnette délavée, jetai négligemment mon sac à dos sur la banquette arrière, mis la clé sur le contact et démarrai.
Le soleil rayonnait dans le ciel d'azur, un vent chaud et agréable me caressait le visage par les fenêtres grandes ouvertes de l'habitacle, faisant voler mes cheveux dans tous les sens. Je savais qu'ils allaient être un cauchemar à démêler et que j'allais ressembler à un épouvantail une fois arrivée, mais pour être franche, je n'en avais vraiment rien à faire. Un grand sourire me barrait le visage tandis que je longeais la falaise du côté de l'océan, empruntant la route principale de l'île.
J'allumai le poste de radio. Les premières notes joyeuses de "Honey Honey" de la comédie musicale de Mamma Mia résonnèrent dans mes oreilles. Ivre de plaisir, je montai le volume à fond et commençai à chanter à tue-tête en souriant toute seule, bougeant la tête sur le rythme de la musique.
Je ris toute seule en pensant à la tête que Loki ferait s'il me voyait en cet instant. Et en réalisant soudain les paroles que j'étais en train de chanter, je ne pus m'empêcher de redoubler de rire.
– Honey honey, how you thrill me, ah-hah, honey honeeey!!! Honey honey, nearly kill me, ah-hah, honey honeeeey!!! I'd heard about you befoooooore!! I wanted to know some moooore!! And now I know what they mean, you're a love machiiiiine!!...
Ce n'était vraiment pas bon pour ma santé psychologique d'imaginer Loki dans cette comédie musicale où la joie de vivre prédominait, où tout n'était que chants, amour, et pluies de pétales de fleurs...
C'était donc heureuse comme jamais que j'arrivai devant la petite libraire près de l'aéroport où m'attendait ma commande. En sortant de la voiture, je savourai un instant la chaleur du soleil sur ma peau, les cris de joie des enfants qui retrouvaient leurs proches, le vent dans les feuilles de palmier au dessus de ma tête...
Je secouai la tête en souriant et entrai dans la petite échoppe. Il s'agissait d'une unique pièce fraîche et sombre, encombrée de piles de livres et d'étagères poussiéreuses pleines à craquer de lourds volumes de cuir. Un véritable labyrinthe de papier dont les murs étaient constitués de livres tenant en équilibre les uns sur les autres comme par magie, un ancien lustre imposant en cristal pendait au plafond, et tout au fond, coincé entre deux étagères remplies de bouquins, un minuscule comptoir en bois était glissé.
La boutique semblait vide. Je m'avançai avec précaution en prenant une grande inspiration, le sourire aux lèvres. J'aimais tellement cette odeur de vieux livres...
Prenant garde à ne rien faire tomber et me retenant de m'arrêter pour regarder les titres de tous les livres sur mon chemin, je me dirigeai vers le comptoir.
– Monsieur Lasource? appelai-je. Vous êtes là? C'est moi, Ella!
J'entendis un brouhaha discret suivi du bruit sourd d'un objet tombant au sol et un juron étouffé. Je souris. Le propriétaire de la librairie jaillit de derrière un rayon avec un grand sourire.
– Salut salut! Mais qui voilà? C'est notre petite Ella ça! Et alors, comme tu vas? s'exclama-t-il joyeusement en venant me faire la bise sans s'embarrasser.
– Ça va super! lui répondis-je avec entrain en l'étreignant. Et vous? Quoi de neuf? Vos élèves vont bien?
En plus de gérer sa petite boutique, Monsieur Lasource était professeur de français. C'était un homme d'une quarantaine d'années, les yeux toujours rieurs, les joues mangées par une barbe de quelques jours, et des cheveux châtains ébouriffés dans tous les sens sur le sommet de son crâne. Il portait son éternelle veste en tweed à carreaux marron, simple et confortable.
Monsieur Lasource n'était pas très grand, mais son sourire prenait tellement de place sur son visage qu'il illuminait son entourage par sa simple présence. C'était un homme joyeux, extraverti et original. Je l'admirais beaucoup.
Je l'avais rencontré lors de mes tout premiers jours ici, sur l'île. Je cherchais désespérément un endroit où m'abriter puisqu'il pleuvait à verse, et j'avais foncé dans sa boutique sans réfléchir. En voyant ma tête de chien mouillé et grelottant, il s'était gentiment empêché de rire et m'avait fourni de quoi me sécher. Pendant que j'attendais assise au milieu des livres que la pluie cesse, j'avais fait connaissance avec lui.
J'avais découvert une personne heureuse, qui prenait la vie comme elle était et en profitait comme si chaque jour était le dernier. Monsieur Lasource avait toujours des anecdotes singulières et amusantes à raconter, et parlait d'une telle manière qu'on ne pouvait que ressentir une profonde affection pour cet homme excentrique.
J'étais souvent revenue dans sa librairie depuis ce jour. Il m'avait en quelque sorte prise sous son aile, et même si j'étais certaine qu'il aurait fait pareil avec n'importe qui, j'étais heureuse d'avoir une place dans le cœur de cet homme si généreux.
– Ah, tu les adorerais! s'esclaffe-t-il en répondant à ma question. Ils sont parfois un peu mous, surtout le matin! Mais cette classe est très soudée et c'est toujours un plaisir de leur donner cours, me confia monsieur Lasource en souriant. Mais, je suppose que tu es là pour ta commande? Elle vient d'arriver, viens voir!
Il se glissa derrière le comptoir et sortit de nulle part une grosse caisse en carton maladroitement refermée avec du scotch.
– Désolé je l'ai ouverte, s'excusa-t-il en me faisant un clin d'œil. Mais tu vois, j'ai eu une nouvelle livraison avec des livres qui je pense, t'intéresseront, et j'en ai glissé quelques-uns parmi les tiens, tu me diras ce que tu en penses!
– Vraiment?! Oh merci, vous êtes le meilleur!! m'exclamai-je en sautillant sur place, les yeux brillants. Quoi comme livres??
– Tu verras! répliqua-t-il avec un clin d'œil innocent en me tendant la caisse. Allez, file! Et reviens vite me donner ton avis, il y a un Barjavel dans le lot!
– La Nuit des Temps?! Ooooh je ne vous remercierai jamais assez!! Je le lirai en premier, promis! Merci m'sieur Lasource!! À bientôt! m'écriai-je en retenant tant bien que mal mon excitation.
Il laissa échapper un rire et me fit un signe de la main en me regardant quitter l'échoppe d'un pas vacillant, déséquilibrée par la lourde caisse en carton dans mes bras.
Je sautillais plus que je ne marchais en direction de ma vieille voiture.
Mais soudain, j'aperçus quelque chose qui me fit lâcher la caisse, qui s'écrasa lourdement à terre avec un bruit sourd.
Je sentis mon sang se glacer dans mes veines. Garé non loin de moi sur le parking, un gros 4x4 noir attirait le regard. Adossé à la carrosserie rutilante dans son costume noir, un permanent sourire sur les lèvres et ses lunettes de soleil sur le nez, se tenait Phil Coulson.
En un éclair, je disparus derrière une voiture, le souffle court.
En temps normal, j'aurais été tellement heureuse de le voir... Mais en temps normal, je ne cachais pas Loki chez moi. Comment aurait-il pu savoir? Je n'avais pas pris contact avec le Shield depuis que j'étais en permission! Peut-être venait-il seulement me rendre visite...
Quoi qu'il en soit, je ne pouvais pas attendre les bras ballants qu'il trouve où j'habitais, qu'il débarque et tombe sur Loki. Une unité spéciale du Shield serait sur place dans la minute et j'étais prise de frissons rien qu'en imaginant le sort qu'ils réserveraient au dieu. D'autant plus que je serais accusée de haute trahison et retirée du service.
Pendant un terrible instant, je me demandai si Loki valait vraiment la peine que je prenne le risque de tout perdre pour lui.
Puis le souvenir fugace de ses petits sourires en coin, de ses remarques exaspérantes, et de ses incompréhensibles changements d'humeur, me traversa l'esprit. Je souris.
La question ne se posait pas.
À pas de loup, je me dirigeai vers ma voiture, montai dedans armée de ma lourde caisse de livres, et quittai le parking en m'efforçant de ne pas attirer l'attention. Dans le rétroviseur, j'aperçus Coulson. Il était au téléphone et me tournait le dos.
Je m'engageai à pleine vitesse sur la route me ramenant chez moi, les fenêtres fermée, la radio éteinte.
Ils ne l'auraient pas.
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