Chapitre 5

Lorsque Marthe revint chercher son bébé à la fin de la journée, celui-ci dormait toujours paisiblement dans son nid de couvertures.

La vieille dame se répandit en remerciements, et avec un regard en coin vers Loki, je lui déclarai en souriant qu'elle pouvait nous le re-déposer quand elle le voulait et qu'il n'y avait aucun problème.

Je sentis le regard assassin du dieu dans mon dos et mon sourire s'élargit.
Je l'avais présenté à Marthe comme un vieil ami de passage, et Loki eut tout le mal du monde à garder son calme lorsque la vieille dame le taquina en lui disant qu'il ferait peut-être mieux de se couper les cheveux.

Marthe repartit chez elle au bout d'une heure interminable de bavardage futile. J'avais bien cru que Loki allait finir par se taper la tête contre le mur.

- Je déteste cette femme... Elle est insupportable, soupira-t-il en s'affalant dans le canapé une fois que j'eus refermé la porte. Je crois que mes oreilles sont bouchées...
- Tu exagères, elle est gentille, juste un peu seule... le contrai-je en souriant. Cela dit...
Je me laissai tomber à côté de lui.
- Je suis crevée aussi...

Pendant quelques instants, le silence régna. Je finis par dire doucement:
- Je ne savais pas que tu savais si bien t'y prendre. Tu avais l'air paniqué quand je suis partie et puis là... Bon, j'ai d'abord cru que tu l'avais jeté à la mer, mais j'avoue, je suis impressionnée.
- Admets que tu en aurais été incapable, sourit fièrement Loki.
- Ça va, tu as raison, c'est vrai, souris-je. Bien joué.

- Et dire qu'à cause de toi elle nous le refilera encore... se plaignit le dieu.
- Arrête de gémir! Dans le fond, tu l'aimes bien ce petit bout, quand il ne braille pas, ripostai-je malicieusement.
- Mmh... se renfrogna Loki. Mais Jean-Eude, quand même...
Son ton dégoûté me fit rire.

- Bon, on va pas rester plantés là! m'exclamai-je en me levant. J'ai un truc super à te montrer ce soir, je suis sûre que vous n'avez rien de pareil sur Asgard!
Loki leva la tête, un sourire en coin.
- Encore un endroit où tu risques de mourir? demanda-t-il nonchalamment.
Je levai les yeux aux ciel.

- Mais non! On reste ici. Tu vas voir. Je vais commander une pizza.
Il fronça les sourcils.
- Une quoi?
- Tu verras!
- Tu es incroyablement agaçante.
- Je sais!
- Arrogante humaine.
- Tu n'es qu'un dieu exaspérant.
- C'est ridicule.
- Je t'enquiquine!
Je partis commander les pizzas en souriant, laissant Loki fulminer dans le canapé.

Une fois chose faite, j'allai ouvrir le grand tiroir en dessous de la télévision contenant des dizaines et des dizaines de films.
- Qu'est-ce que c'est? demanda Loki malgré lui.
Je lui jetai un regard amusé et il souffla en pinçant les lèvres, les narines dilatées.

Je pris le DVD intitulé Jason Bourne, film d'action et d'espionnage, persuadée que ce genre allait lui plaire.
Je l'insérai dans le lecteur, mais refusai de dire quoi que ce soit à un Loki énervé avant que le livreur ne vienne nous apporter les pizzas.

Pour le bien du pauvre garçon d'ailleurs, je n'aurais peut-être pas dû agacer le dieu ainsi. Lorsqu'il sonna à la porte, Loki me devança pour aller ouvrir et lui prit les cartons des mains si brusquement que le livreur faillit en perdre sa casquette rouge.
– Enfin monsieur, vous... tenta-t-il de protester.

Mais lorsqu'il croisa le regard noir et furibond du dieu, il se recroquevilla sur lui-même et récupéra d'une main tremblotante l'argent que je lui tendais en essayant de ne pas rire.
– Vous êtes très lent... siffla Loki, sans cesser de le fixer.

Je lui donnai un petit coup de coude. Le pauvre livreur était pâle comme la mort et semblait sur le point de se faire dessus tellement il était effrayé. J'avais pitié de lui.

– Filez, gronda le dieu.
Le garçon sursauta violemment et prit ses jambes à son coup sans demander son reste, dérapant au passage en soulevant un nuage de poussière sur le seuil.

– Super, commentai-je. Grâce à toi il va devenir le coureur le plus rapide de sa génération. La peur donne des ailes, comme on dit! Allez viens, ça va refroidir.
Je lui pris les cartons de pizza des mains et rentrai à l'intérieur, me mordant l'intérieur de la joue.

Loki referma la porte et me suivit rapidement.
– Tu m'expliques ton petit manège maintenant?! s'exclama-t-il, exaspéré.
J'allai éteindre les lampes avant de prendre la télécommande, une généreuse part de pizza, et de m'installer confortablement avec mon plaid devant la télé.

– Tu vas pouvoir apprécier la véritable magie de ce monde... déclarai-je d'une voix mystérieuse en lui faisant signe de s'asseoir à côté de moi.
Passablement agacé, Loki soupira et finit par se poser dans le canapé.
J'allumai la télévision.

Loki fit un bond gigantesque lorsqu'il vit la lumière vive illuminer l'écran et le son en sortir puissamment.
– Qu'est-ce que... Qu'est-ce que cette sorcellerie... murmura-t-il, le visage crispé et le corps tendu comme un arc, prêt à bondir hors du canapé.

Je me délectais à la fois du film et du spectacle extraordinaire qu'incarnait un dieu effrayé par une simple télévision humaine. Bien que j'essayais de simplement profiter et de ne pas le provoquer, je ne pus empêcher un léger rire de franchir mes lèvres lorsque Loki demanda:
– Comment... Comment sont-ils rentrés dans l'écran?! Je veux dire... Pourquoi font-ils cela? Les humains sont-ils aussi stupides que pour s'enfermer dans des boîtes de métal infernales?!

– C'est un film, Loki, tentai-je d'expliquer en reprenant mon calme sous le regard noir du dieu. Ça n'est pas réel, ça a été filmé avant, ce sont des acteurs qui jouent un rôle, et...
– Ils jouent?! Est-ce comme cela que ton peuple se distrait?
Il montra du doigt le personnage principal qui manquait de se noyer.

– Non, il... Ce n'est pas réel, ils font semblant, c'est le principe même d'un film, c'est une histoire mise en scène, tu comprends? essayai-je.
Loki croisa les bras et se détendit légèrement, les yeux rivés sur l'écran. On aurait presque dit qu'il voulait le surveiller, au cas où Jason Bourne aurait l'idée de traverser la télévision.
– C'est complètement stupide... marmonna-t-il.

J'eus un petit sourire et reportai mon attention sur le film en mordant dans ma pizza. Au moins, il regardait.

Après un petit moment, je remarquai que le dieu n'avait toujours pas touché à son repas.
– Tu ne manges pas? Ça va être froid, tu sais, c'est pas un four ambulant le carton! lui lançai-je.
– Et avec quoi veux-tu que je manges cette... Chose ronde et molle? rétorqua Loki avec un regard peu amène en direction de sa pizza.

Je haussai un sourcil.
– Avec tes doigts...
Cette fois, une expression vraiment dégoûtée apparut sur son visage. Il fronça le nez.
– Vous n'êtes pas aussi évolués que je le pensais... marmonna le dieu.

Cette fois, c'était moi qui était agacée. Il se comportait comme un enfant capricieux et n'arrêtait pas de gémir et de se plaindre.
– Tais-toi et mange, lui ordonnai-je tout à coup, sans le regarder.

Loki arrêta aussitôt de marmonner. Je sentais son regard sur moi mais je ne me retournai pas. Je retins imperceptiblement mon souffle. Il l'avait cherché, mais je tenais à la vie et ne comptais pas l'énerver davantage.
Cependant il ne dit rien et fixa à nouveau l'écran. La tension palpable disparut aussi vite qu'elle était venue.

Enfin, je le vis soudain prendre une part de pizza du bout des doigts, la bouche déformée en une grimace. Je m'autorisai un sourire, tout en le regardant du coin de l'œil. Il mordit dedans à contrecœur, mais je vis son expression changer.
Peu après, il se resservit sans un mot et intérieurement, je jubilais.

Nous regardions le film en silence. Mais je voyais bien que Loki avait dépassé le stade de la surveillance de l'écran et était maintenant complètement absorbé par l'histoire. Ses lèvres étaient pincées, il ne bougeait pas, et les flashs de lumière de la télévision se reflétaient dans ses yeux fixes.

En vérité, j'étais tellement concentrée sur les diverses réactions de Loki que je ne suivis pas du tout le film...

Quand je me rendis compte que mes yeux se fermaient tous seuls et que mes membres devenaient lourds, je luttai un moment mais finis par abandonner, vaincue.

Je fermai les paupières et laissai inconsciemment ma tête retomber sur l'épaule de Loki, m'endormant sur le coup.

Surpris, il se figea. Son premier réflexe fut de s'écarter, mais il se ravisa au dernier moment, et resta à sa place, incertain. Il était totalement pris au dépourvu.

Loki reporta son attention sur le film, bien moins attentif à présent.
Un seul et unique visage dansa devant ses yeux durant tout le reste de la soirée.

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