Chapitre 3

Une semaine entière passa.

Loki et moi ne nous adressions presque pas la parole. Je vivais comme s'il n'était pas là, veillant cependant à toujours laisser une part du repas à table avant de partir vaquer à diverses occupations. Je constatais avec plaisir qu'elle disparaissait presque à chaque fois.

Quant à lui, il ne bougeait pas beaucoup, sortant à peine de son antre. Je m'inquiétais un peu, ce n'était pas bon de rester enfermé, même pour un dieu. Cependant ma fierté m'empêchait d'aller trop le solliciter. Il me mettait intérieurement mal à l'aise...

Un jour, alors que je me baignais paisiblement dans la mer à la recherche des poissons colorés qui se cachaient dans les coraux, je vis une silhouette au loin s'avancer près de l'endroit où j'avais posé mes affaires et s'asseoir dans le sable. Je reconnus la chemise blanche, et un sourire naquit sur mes lèvres.

Je laissai filer quelques minutes avant de sortir de l'eau et rejoindre à mon tour la plage. Je me rendis près de Loki et m'enroulai dans ma serviette, n'émettant aucun commentaire sur sa présence inattendue.

Je m'assis sur le sable à côté de lui et portai mon regard sur l'horizon, tout comme lui. Nous ne parlions pas. Profitant simplement du bruit apaisant des vagues, de la douce chaleur du soleil, et du bruissement du vent dans les arbres derrière nous.
C'était si calme... Je ne ressentais aucun besoin de parler, et lui non plus. Ce silence sonnait comme un appel à la paix.

Au bout d'un long moment, je sentis Loki tourner la tête vers moi. Je le regardai dans les yeux. Ses pâles prunelles vertes me dévisageaient, sans méfiance ni animosité. Un regard simple, dans lequel passait le nécessaire.
Aucun de nous ne s'excuserait pour les mots durs prononcés quelques jours plus tôt, il n'y en avait nul besoin. Nous nous comprenions sans cela.

Doucement, je lui fis un petit sourire joyeux, signant une trêve aussi clairement qu'une franche poignée de main. Je vis la commissure de ses lèvres se relever imperceptiblement, hésitantes. Mon sourire s'élargit. C'était déjà bien assez.

Je me relevai alors, ma serviette autour de la taille, et tendis une main à Loki pour l'aider à se relever. Il prit quelques secondes, mais finit par la saisir. Je le hissai sur ses pieds avec force, soulagée d'un grand poids. Je me sentais libérée, tellement plus légère...
Loki commençait doucement, à son rythme, à abaisser ses barrières. L'envie de le connaître prenait lentement le pas sur celle de le frapper... Lentement, mais sûrement.

- Allez, viens, j'ai quelque chose à te montrer, déclarai-je doucement.
Le dieu haussa un sourcil.
- Une balade au clair de lune? Je ne te pensais pas si romantique... me lança-t-il comme s'il me testait.

Il était vrai que le soleil avait disparu à l'horizon durant le temps que nous avions passé assis en silence. Mais il faisait encore clair, et une douce chaleur subsistait.
- Fais pas l'idiot et suis-moi, me contentai-je de répondre en esquissant un sourire malicieux.

Sans l'attendre, je me débarrassai de ma serviette, enfilai ma robe et m'élançai en courant le long de la plage. Je l'entendis soupirer et me suivre, ce qui me fit sourire de plus belle.

Bientôt, la plage de sable laissa place à un sentier de terre bordé de buissons et d'arbrisseaux secs longeant la côte. Nous nous élevions petit à petit par rapport à la mer, jusqu'à nous retrouver en haut de rochers noirs où les vagues, beaucoup plus puissantes, venaient se briser avec fracas.

Mes pieds nus qui martelait le sol dur du chemin ne me faisaient pas souffrir. J'avais l'habitude.

Je courais encore et encore, jusqu'à atteindre l'endroit le plus haut de la falaise, Loki toujours derrière moi. Arrivée au point de vue désert où quelques touristes s'arrêtaient pendant la journée, j'enjambai la barrière qui séparait le sentier des rochers et du vide.
Le coeur battant, les cheveux malmenés par le vent, je tenais en équilibre sur la roche saillante, les embruns des vagues qui se fracassaient sous moi me mouillant le visage.

J'ouvris les bras en croix, face à la mer, exaltée, et éclatai de rire. C'était un rire franc, heureux. Jamais je ne me sentais aussi bien que dans ces instants-là, bousculée par le vent, avec le sentiment que je pourrais m'envoler vers les étoiles d'une simple poussée du pied.

- Tu es folle?! gronda Loki dans mon dos, par-dessus le sifflement du vent. Tu vas réussir à te tuer!
Je me retournai vers lui en riant. Il était accroché à la rambarde de bois à quelques mètres, livide.
- Mais non, allez viens! Tu es un dieu oui ou non?! m'écriai-je avec défi.

Cette pique sembla décider Loki. Il enjamba la barrière de bois, et sans me quitter des yeux, avança pieds-nus sur la roche coupante pour me rejoindre. Lorsqu'il fut près de moi, je saisis son bras pour le stabiliser.
- Et maintenant regarde, lui soufflai-je. Regarde l'océan et sa fureur!

Loki tourna les yeux vers l'horizon, et son regard changea. Il s'adoucit.
Je le regardais du coin de l'œil tandis qu'il observait le bleu profond de l'eau en perpétuel mouvement, fasciné.

Distraite, je ne remarquai donc pas la vague immense qui vint soudain s'écraser contre les rochers. Surprise, je m'accrochai à Loki pour ne pas perdre l'équilibre. Il fronça les sourcils.
- Ella?
Et la vague jaillit juste devant nous, nous dépassant de deux mètres au moins dans un grondement fracassant. Et en une fraction de seconde, l'eau s'abattit sur nous.

Je manquai de glisser, mais Loki me rattrapa et enserra mon bras d'une poigne de fer. Le cœur battant, je me rendis compte qu'effectivement, j'avais bien failli me tuer.

Lorsque la vague recula, nous étions trempés jusqu'aux os, choqués et immobiles. Nous échangeâmes un regard. Et j'explosai de rire.

- C'était démeeennnnt!!! m'écriai-je, au comble de l'excitation, trépignant sur place malgré la roche glissante.
- Tu as failli mourir, objecta machinalement Loki.
- Mais non! ris-je en chassant sa remarque d'un geste de la main. Allez, avoue, t'as aimé!

Il me regarda, interloqué. Puis, un sourire, enfin un vrai sourire, se dessina sur son visage. Pour moi, il sonnait comme une victoire, et je ris de plus belle. Ce sourire était le plus beau du monde.

- Tu es vraiment suicidaire, lâcha le dieu en secouant la tête. Viens, on rentre, on est trempés.
Je le suivis donc prudemment sur les rochers, franchis la barrière dans l'autre sens, et gambadai joyeusement sur le chemin du retour.

J'avais percé la carapace du dieu le plus impénétrable des neuf mondes réunis.

Arrivés à la maison, après nous être changés, nous mangeâmes pour la première fois ensemble.
Plus tard, je souhaitai chaleureusement bonne nuit à Loki et me dirigeai vers ma chambre. Mais au dernier moment, je me retournai vers lui avec un petit sourire.

- Au fait... J'ai failli tomber de la falaise. Crois pas que j'ai rien senti hein, monsieur le dieu du mal. Tu m'as sauvé la vie. Je ne le répéterai pas alors écoute bien. Merci, Loki.

Et je refermai la porte derrière moi. Je ne l'entendis donc pas murmurer dans la pénombre:
- Non. Merci à toi, Ella Sharpe.

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