Les étoiles brillaient gracieusement sur le ciel désormais nocturne. Alex et Leyna arrivèrent au bout d'une rue, en fin de ville. La route continuait vers la forêt toute proche. À la faible lumière jaunâtre d'un lampadaire vieillissant, ils découvrirent le lieu indiqué par le docteur Lumens au téléphone, vingt minutes plus tôt : Une modeste maisonnette isolée, entourée d'une cour mal entretenue, noire de crasse et jonchée de mauvaises herbes. Les deux amis se regardèrent en coin, intrigués, puis franchirent un portail en bois moisi avant de s'avancer vers la porte. Après avoir constaté que la sonnette ne fonctionnait pas, Alex frappa.

Après trois tentatives infructueuses, Leyna tentait de forcer la porte lorsqu'elle s'entre-ouvrit brutalement, et la fit tomber. Le Dr.Lumens, qui se trouvait derrière, l'enjamba et passa devant, un revolver pointé en face d'Alex. Il cria :

-Résume-moi ta dernière vision !

Le jeune homme, figé et sous pression, cherchait tant bien que mal à assembler quelques mots dans la stupeur. En oubliant de réfléchir il répondit directement :

-Un-un ours ! J'étais dans le corps de..de Jekki et elle se faisait attaquer par un ours en pleine forêt !

Malgré sa réponse, le docteur ne baissa pas le revolver. Très rapidement, il enchaîna :

-Casper n'est qu'un gentil fantôme n'est-ce pas ?

-Euh..oui, rétorqua Alex, surpris par le caractère insolite de la question.

-Passes moi ta main !

Le jeune homme obéit, et le docteur tâta sa main quelques secondes.

Un instant après, il relâcha la main, et, comme satisfait se détendit: Il baissa son arme, et fit signe d'entrer. Il tendit la main vers Leyna pour l'aider, mais celle ci préféra se lever seule.

Tous s'immiscèrent alors dans la vieille maisonnette, et passèrent par un petit couloir sinistre avant d'entrer par la gauche dans ce qui semblait être un salon : Un mur composé de planches de bois pourries. Une modeste table basse en face d'un imposant canapé en cuir usé, avec quelques trous çà et là, où le rembourrage ressortait, ainsi qu'une ampoule sale qui pendait au plafond.

Lumens invita les deux amis à prendre place sur le canapé grinçant. Il prit quant à lui une chaise et, après leur avoir servi un peu de thé, s'assit en face d'eux. Conscient de ce qu'il venait de faire, il se racla la gorge, et les regardait de manière insistante.

-Désolé pour l'accueil, mais cela était nécessaire, dit-il en esquissant un léger sourire fataliste.

-Vous étiez vraiment prêt à le tuer ? Lâcha Leyna, toujours en plein choc.

- Vous ne vous posez pas les bonnes questions.

-Répondez d'abord à celle-ci.

Le docteur Lumens hésita un moment.

-Oui. Si cela s'avérait nécessaire, je l'aurais fait.

Leyna ne fit part d'aucune réponse, et se contentait de le fixer d'un regard hostile. Alex, silencieux jusque là, inspira un coup.

-Vous avez dit savoir d'où venait mon problème. J'ai passé votre test, j'attends vos explications maintenant. Pourquoi ai-je ces visions ?

Lumens saisit sa tasse de thé et en but une gorgée. Son visage prit une expression grave.

-Hum, je voudrais d'abord que tu saches, qu'en entrant en..« Contact » avec Jekki, tu as également touché à un dossier secret-défense. En fuite. Tu l'ignores mais, la situation est beaucoup plus délicate que tu ne le crois. On ne peut faire confiance qu'à peu de gens. D'où mon test à l'entrée, dont je ne peux pas tout expliquer mais qui se révélait être nécessaire, n'en déplaise à ta copine.

-Je m'appelle Leyna. Et..nous ne sommes qu'amis, ajouta-t-elle, agacée.

Après avoir lancé un regard embarrassé vers elle, Alex poursuivit :

-Très bien. Arriver à ces extrémités ne se fait pas sans raisons en effet. Maintenant expliquez-les moi. Je vous écoute.

Alex posa son regard sur le docteur, déterminé à connaître les raisons de son calvaire. Leyna regardait elle aussi, mais en direction de son ami, réalisant toujours davantage qu'Alex se dissociait du garçon qu'elle connaissait, et ce avec toujours plus d'inquiétude. Autant de froideur de sa part n'avait rien de naturel. Il venait de frôler la mort, et pourtant, il enchaînait comme si de rien n'était, allant droit au but.

Il devait l'aimer d'un amour fou, pensa-t-elle, au fond d'elle même.

Lumens but une nouvelle gorgée de thé, et avertit :

-Tout ce que je vous dirai dans les minutes qui suivent est strictement secret défense. Tout doit rester entre vous et moi. N'en parlez à absolument personne d'autre, votre vie en dépend. Est-ce clair ?

Les deux amis acquiescèrent, l'une méfiante, l'autre apparemment serein et déterminé. Il gratta son pull col roulé marron, se racla la gorge, puis enchaîna.

-Bien. Bon, autant être direct tout de suite. Il y a à peu près une semaine et quelques, tu souffrais encore de douleurs prétendument inexpliquées, sur ton lit d'hôpital, après t'être évanoui face à une « forte migraine soudaine ». Ta mère a ensuite avoué t'avoir trouvé gisant sur ton lit, terrorisé et en pleurs, dans une chambre ravagée par la neige à cause d'une fenêtre brisée. Et tu racontais avoir eu une sorte de vision en voyant Jekki. Et cette après midi même, tu as également eu une vision. Tout est bon ?

-Tout est bon, répondit calmement Alex.

-Parfait. Eh bien..sache que tout cela vient du Contact, le pouvoir de Jekki. Elle a un instauré le Contact avec toi.

Ils écarquillèrent tous deux les yeux. La mine pourtant si impassible et déterminée d'Alex venait de totalement s'effondrer. Médusé, il ne pouvait rien dire. Le docteur quinquagénaire continua.

-Jekki n'est évidemment pas un être naturel. C'est une personne préconçue, façonnée par l'Homme. Et elle a été dotée de ce fameux pouvoir qu'elle cherche encore à maîtriser : Le Contact. Cette aptitude consiste à entretenir une liaison psychique entre le possesseur et des êtres vivants, animaux ou végétaux. Le possesseur peut, à terme, manipuler à sa guise l'être atteint par le Contact. Il peut stimuler ses souvenirs, son imagination, influencer ses émotions, modifier sa perception de la réalité ou tout simplement décupler sa force, le faire croître, le contrôler. Le possesseur peut également partager ses émotions, ses pensées, ses souvenirs, ses volontés ou des paroles avec la cible du Contact.

Alex avait comme un instant de stagnation dans son esprit. Il restait muet.

-Elle maîtrise tout cela ? Elle le manipule ? Demanda Leyna, dubitative et intriguée face à l'ampleur de ces pouvoirs. 

-Non, rassura Lumens, elle ne contrôle pas encore tout ça. Ses pouvoirs sont encore sous l'influence instable de ses émotions, et non pas de sa volonté. Je crois que le Contact a été instauré de mani-

Un violent choc fit trembler toute la maisonnette. Le docteur se leva subitement et fit signe aux deux jeunes de se lever rapidement.

-Dégagez vite d'ici et rejoignez le jardin à l'arrière ! Il y a une voiture qui vous y attend avec deux autres personnes, vite ! Vite !

 À ces mots, Alex et Leyna sortirent du salon et se précipitèrent vers la sortie arrière. Le docteur quant à lui, enfila prestement un gilet pare-balles et sortit un fusil à pompe d'un tiroir. Il se mit à couvert derrière une commode dans le couloir principal.

Les deux jeunes s'échappèrent aussitôt du taudis et embarquèrent sans réfléchir à l'arrière d'une Jeep verte. Un jeune homme aux cheveux blancs se trouvait à la place conducteur, à coté d'une femme tout aussi jeune qui, tripotant ses cheveux, regardait le ciel à travers la fenêtre. Elle ne faisait d'ailleurs pas attention à eux.

Le conducteur les aperçut depuis rétroviseur, arborant un sourire confiant.

-Alors vous voilà. Bon, moi c'est Gaétan 28, et l'autre perchée à coté de moi, c'est Cerys. Faites pas trop gaffe à elle. Bref, Eric est visiblement occupé avec les agents, alors attachez vous bien les gamins, on fonce !

Les deux compagnons d'infortune n'eurent à peine le temps de prononcer un mot qu'ils démarrèrent à pleine vitesse vers la forêt. Peu à peu, Alex, au milieu cette agitation, se remettait de son choc. Il réalisait ô combien sa situation était étrange, dangereuse, terrifiante, et incroyablement fantastique.