« Je veux sortir »

TW : Dépression, crises de folie, scarification
(Aucun de ces TW ne sont profondément analysés et on ne s'attarde que rarement sur l'acte en lui même, cependant l'histoire gravite du début à la fin autour des trois.)

***

Cette nouvelle a été écrite dans le cadre du concours de nouvelles de -TheDreamTeam-, et participe dans le Thème 4 (Thème Libre).

Je rappelle une nouvelle fois qu'elle est classée mature, et n'est pas forcément recommandée si vous êtes dans un état mental actuellement précaire.

Je glisse aussi que toute ressemblance avec des univers de livres déjà existants, comme Hunger Games (avec Jennifer Lawrence) ou plus subtilement Silo (avec Rebecca Ferguson) sont volontaires et pris en compte. (Tout ça pour dire que le fangirl est autorisé bahahaah)

***

L'Expérience.

Tous les cinq ans, deux hommes et deux femmes entre vingt et vingt-cinq ans sont choisis pour tenter l'Expérience. Sur la base du volontariat, les places restantes sont complétées par un tirage au sort.

En quoi ça consiste ? Tout simplement passer un an entier enfermé dans une pièce totalement noir, sans aucune interaction avec d'autres êtres vivants. Sans autre son que celui de sa propre voix.

Pourquoi faire ça ? Pour plusieurs raisons. Les candidats de milieux aisés le font par amusement, ou encore pour prouver quelque chose, même s'ils sont rares à prendre le risque. Ceux de milieux pauvres, en revanche, s'engagent dans l'épreuve par nécessité. En effet, la famille du "candidat" joui de privilèges qui pourraient bien les sauver, et ce, jusqu'à ce que celui-ci abandonne.

L'Expérience a pour but de trouver l'homme (ou la femme) qui parviendra à rester un an entier dans son isolement, et d'être toujours sain d'esprit à l'arrivée.

Il y a deux moyens d'échapper à cette année de souffrance, une fois qu'on l'a entamée. La première est de se fracasser la tête contre le mur.

La seconde est de prononcer une phrase. Une seule.

"Je veux sortir."

***

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans. J'ai deux sœurs.

4 affirmations. Si j'en crois les films, c'est tout ce qu'il me faut pour ne pas perdre la tête. Ou en tout cas la perdre plus lentement que les autres.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans. J'ai deux sœurs.

Je suis ici pour une expérience. 1 an dans le noir. 1 an dans le silence. 1 an seule. Totalement seule.

Est-ce que je suis folle d'être ici ? Complètement. Est-ce que ce n'était pas complètement mon choix ? Mais oui, absolument.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans. J'ai deux sœurs.

Mince, je vais rapidement me lasser. Ou j'en étais ? Ah oui. "Ce n'était pas complètement mon choix".

Tous les cinq ans, deux hommes et deux femmes entre vingt et vingt-cinq ans sont choisis pour tenter l'Expérience.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans. J'ai deux sœurs.

L'Expérience. Oui, c'est ça, l'Expérience. On peut tenter l'Expérience par courage (ou bêtise, tout dépend du point de vue) ou par nécessité. Dans mon cas, c'est plutôt la deuxième option.

C'est simple : les riches font ça pour s'amuser, ou pour prouver quelque chose. Les pauvres, comme nous, tiennent le plus longtemps possible sans montrer la folie qui déglingue leur cerveau. Le plus marrant, c'est que c'est souvent les candidats de ma classe sociale qui tiennent le plus longtemps, non pas par force mentale, mais plutôt parce qu'ils savent une chose : un jour dans cet enfer sombre et silencieux équivaut à un jour de plus ou leurs proches sont maintenus en vie en dehors.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans. J'ai deux sœurs.

Un vrai repas par jour, par personne. J'espère au moins qu'Annie termine son assiette. Annie a 9 ans, et c'est ma plus jeune sœur. L'autre, Éliana, est l'aînée de notre fratrie. Elle a 28 ans. Quand elle a appris que je partais faire l'Expérience, elle était furieuse.

Mais rien à faire : elle dépassé l'âge. Elle ne peut pas prendre ma place.

Le but est de voir si un humain peut tenir. Pourquoi s'acharnent-ils encore, 50 ans après ? Aucune idée.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans. J'ai deux sœurs.

Ça va devenir répétitif, à la fin. Ça fait combien de temps que je suis là ? Aucune idée. Au moins, m'a dit ma mère : je risque pas de me cogner dans le noir. La pièce est grande mais totalement vide. Enfin totalement vide, je suis mauvaise langue.

Il y a une paillasse dans un coin, et des toilettes dans celui à l'opposé. Autre point positif a ma splendide situation : le lit est plus confortable que celui que j'ai chez moi, d'après les rumeurs.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans. J'ai deux sœurs.

Mais bon qui sait, ils sont tous dingues en ressortant. Certains racontent qu'il y a des arcs-en-ciel dessinés sur les murs. Eh bah je peux certifier que non.

Je crois que je suis dingue aussi, en fait. Après tout, je me répète les mêmes phrases en boucle depuis que je suis arrivée ici. Si c'est pas un truc de cinglés ça...

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans. J'ai deux sœurs.

***

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans.

Est-ce que j'ai une famille ?

"Angelia. Je m'appelle Angelia. J'ai 22 ans. J'ai mal à la tête."

Je sais pas depuis combien de temps je suis là, mais suffisamment pour en avoir marre de ma propre voix. Quand c'est la seule qu'on entend à longueur de journée, en même temps, ça finit par être lassant.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans.

"Le ciel est bleu,
Au soleil de midi.
Je connais les enjeux,
Et d'mes échecs le prix.

Cette nuit la lune est rouge,
Un soldat est mort ce soir.
Sa famille attend qu'on le retrouve,
Demain le soleil sera noir."

Chanson débile, que je chantonne a mi-voix en tournant en rond. Si je continue comme ça, je serai peut-être folle, mais au moins j'aurais la meilleure maîtrise vocale du pays.

J'ai aussi pris du muscle et perdu du poids. Ça, c'est le sport. J'en avais jamais fait, mais faut croire que les journées sont longues ici.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans.

***

"C'est dégelasse. Je dépose mon assiette sur le sol. La cuisine se dégrade. Oui, j'en suis au point de traduire tout ce que je pense en paroles. Je t'emmerde, ok ? Je t'emmerde."

Un rire amer m'échappe.

"Tu as passé une bonne journée ? Moi, c'était sympa. Je suis allée voir ma sœur. Comment elle s'appelle ? Annie. Elle va avoir 10 ans ce week-end. C'est super hein ? Oui, elle est très contente. Notre mère va bientôt sortir avec elle lui acheter une jolie robe."

Une jolie robe. Je n'ai jamais vu une jolie robe, à part sur la maire quand elle venait faire la visite annuelle dans ma classe, a Noël.

C'était une robe rouge, avec de la dentelle aux poignets et des fleurs brodées sur la poitrine. La même à chaque fois. La maire était une vieille femme aux cheveux complètement blancs.

Elle nous souhaitait des bonnes fêtes, et espérait qu'on aurait des jolis cadeaux.

Des jolis cadeaux mon cul oui. Le seul cadeau que j'ai jamais reçu, c'est un tablier de travail, pour l'anniversaire de mes 15 ans. Tu parles d'un cadeau.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans.

"Je devrais en faire une chanson."

Je me lève et tape du poing dans le mur.

"Je m'appelle Angelia,
Mon esprit est en prison,
J'ai 22 ans, je crois,
J'essaye d'en faire une chanson."

Au moins, maintenant, je vois parfaitement. Et finalement, ils n'avaient pas tort : il y a bien des arcs-en-ciel.

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme. J'ai 22 ans.

Ils apparaissent quand je commence à fatiguer. Souvent, à ce moment-là, mes mains vont vers mon visage, et ensuite, j'ai mal.

Parfois ça coule. Au début je croyais que je pleurais, mais c'est trop épais et poisseux pour être des larmes.

Et c'est là qu'ils apparaissent, les arcs-en-ciel.

***

Je m'appelle Angelia. Je suis une femme.

En vérité, je trouve ça incroyable. Il y a des tas de couleurs très jolies. Par exemple dans le coin gauche, il y a du bleu. Du bleu comme le ciel.

Le ciel.

"Je veux voir le ciel."

Quand j'étais petite, je croyais que l'eau était bleue. Ma mère m'a expliqué un jour que c'était juste le reflet du ciel.

Un jour.

"Je veux vivre un vrai jour."

Quand je suis arrivée ici, chaque minute me paraissais une heure entière, voir deux. Au bout d'une journée, j'avais l'impression d'être restée une semaine enfermée.

Maintenant, chaque heure me paraît une minute.

Parfois le repas semble arriver quelques secondes après que j'aie fini de manger.

Manger. Manger...

"Je ne veux pas manger."

Je n'ai pas faim, quand la nourriture arrive. Et ensuite, quelques heures plus tard, je me distingue vaguement en train de racler le sol à la recherche des miettes du contenu de mon repas renversé.

J'espère qu'Annie va bien.

J'espère qu'elle voit des arcs-en-ciel, elle aussi.

J'espère qu'elle n'a pas besoin de pleurer des larmes rouges et épaisses pour les voir.

Voir. Voir...

"Je veux voir."

Ma voix est coassante. Mes yeux s'habituent à l'obscurité, bien sûr, mais ce n'est pas pareil.

Maintenant, je vois parfaitement l'intérieur de la pièce. J'ai cherché une porte, mais je n'ai pas trouvé.

Et puis j'ai été frappée par un horrible constat : il n'y a pas de porte.

À ce moment-là, la panique m'a envahie. Je ne suis pas claustrophobe, loin de là, mais l'idée d'être enfermée dans cette boite de béton pour toujours me terrifie.

Pourtant, il doit y avoir un trou puisqu'on me fait parvenir de la nourriture. Et puis une fois que j'ai fini, les bols disparaissent.

Ils sortent.

Sortir. Sortir...

***

Je veux sortir.

La seule chose que je ne dois surtout pas dire. Et pourtant, ça me démange. Elle a remplacé toutes les litanies dans ma tête. Il n'y a plus que cette phrase.

Je veux sortir.

On aura beau hurler qu'on souffre, qu'on a mal, qu'on veut voir dehors, qu'on est dingues, ils ne nous ouvrirons pas. Sauf si on dit ça.

Si on dit qu'on veut sortir.

Je veux sortir.

Alors (d'après ce qu'on raconte), on perd conscience et on se réveille sur un lit d'hôpital, un bandeau noir sur les yeux.

Il faut garder le bandeau pendant au moins deux semaines. Ça peut être plus si on a presque fait les un an, ou moins si on est sorti très peu de temps après être entré.

Ils changent le bandeau régulièrement, en faisant en sorte qu'il soit de plus en plus transparent. L'objectif est de réhabituer les yeux à voir, a supporter la lumière.

Je ne dois pas dire que je veux sortir. Surtout pas. Parce que si je sors, la situation inespérée dans laquelle est ma famille va s'arrêter. Et c'est inacceptable.

Et puis... je ne veux pas qu'ils me voient comme ça. J'ai conscience d'être dingue. Et je ne veux pas qu'ils le sache.

Ce qui est idiot : je ne sais pas depuis combien de temps exactement je suis là, mais depuis longtemps. Tous ceux avant moi sont devenus dingues depuis longtemps, a ce stade. Même s'ils n'ont pas de preuve visuelle, ils savent parfaitement que j'ai perdu la boule.

Je veux sortir.

Je veux sortir, putain, je veux tellement sortir.

J'ouvre la bouche, et aucun son ne sort. Est-ce que je suis muette, aussi ?

Ma mère disait toujours que j'avais une magnifique voix. À cette pensée, la rage m'envahit, et je me retourne pour donner un coup violent dans le mur.

Et encore un. Encore un autre. J'ai mal à la main. Mes phalanges pleurent de ces larmes poisseuses. Mes mains se portent à mon visage, comme ça m'arrive souvent maintenant, et commencent à le caresser.

Dans mes souvenirs, les caresses viennent de ma mère. Mais ses caresses ne faisaient pas mal. Pourquoi là ça fait mal ?

C'est peut-être parce que c'est moi. Je dois être une sorte de monstre.

Depuis que je suis arrivée ici, je n'ai pas versé une seule larme. Pas une seule. J'ai hurlé, marmonné, supplié, mais je n'ai pas pleuré.

Pourtant, à cette pensée que j'ai pour la première fois, mon corps se détend et je lâche un sanglot bruyant.

Et c'est à ce moment-là que mon visage picote. Je passe une nouvelle fois ma main dessus, et cette fois encore la caresse fait mal. Mais différemment.

Pas comme une brûlure affreuse, plutôt comme quand on appuie sur un os brisé.

Pourtant, ce n'est pas ça qui me bouleverse : ce sont mes larmes.

Elles ne sont pas poisseuses, comme les autres. Elles sont douces, fluides. Je passe ma langue sur le coin de ma bouche en atteignant difficilement le bord de ma joue, et je sens un goût salé.

Je veux sortir.

Je glisse contre le mur, et ma tête cogne contre lui.

"Je veux sortir", je sanglote, "Je veux sortir. Laissez-moi sortir."

***

"Bip. Bip. Bip."

J'ouvre les yeux et la panique m'envahit. Je suis entourée d'un brouillard gris. Un... brouillard ? Non, c'est trop net pour être du brouillard.

Ma main se lève, et j'entends des sons indistincts.

"Pas compris", je marmonne.

"To... cic.. mh.."

Je grogne d'incompréhension.

"Ne vous touchez pas le visage, vous avez encore des cicatrices ouvertes."

Cette fois, la voix est parfaitement nette. Et ce n'est pas la mienne. J'ai un nouveau sursaut de terreur, et je me débats.

Des mains. Des mains qui me tiennent. C'est cent fois pire.

"NE ME TOUCHEZ PAS, NE ME TOUCHEZ PAS", je hurle.

On me lâche, une aiguille se plante dans mon cou, et je sens mon corps mollir. Pourtant, je suis toujours éveillée. Ça doit être un calmant.

Et puis des larmes coulent sur mes joues. Les mêmes qui m'ont envoyée ici.

Une voix. Et ce n'est pas la mienne. Une voix, une vraie voix.

"Combien... de temps ?, je demande.

— 9 mois", répond la voix, laconique, "Vous allez garder le bandeau 4 semaines environ. On va vous garder 3 mois à l'hôpital, vous êtes physiquement éprouvée.

— Phy...siquement ?

— Aussi étonnant que ça puisse vous paraître, vous êtes mentalement plutôt normale, pour une sortie au bout de 9 mois. Il ne reste plus que deux personnes, à l'intérieur, et je crois qu'elles ne sont encore là que parce qu'elles ont oublié que c'est possible de sortir."

Mes yeux s'agrandissent de terreur sous le bandeau, et la nausée m'envahit. Je ne réponds pas et la voix reprend.

"Vous vous sentez bien ?"

Non. Et je ne me sens absolument pas normale. Pour une sortie au bout de 9 mois ou pas. Je me sens tout sauf normale. Je me sens comme une boule de hurlements silencieux.

"Oui.

— Elle ne se sent pas bien", indique la voix à quelqu'un d'autre. (enfin, je suppose.)

Je grogne de mécontentement.

"Qu'est...ce que j'ai ?

— Des griffures sur le visage et les bras essentiellement. Quelques os de la main gauche cassés, et vous êtes en sous-poids.

— ..toujours été en sous-poids.

— Vous faites 24 kilos", précise mon interlocuteur.

Je cligne des yeux. Je fais environ le poids d'un enfant de 10 ans.

"..va s'passer quoi maintenant ?

— Vous allez avoir des crises d'angoisse sans raison apparente, ou à cause des paroles, actions ou objets qui vous rappellent l'enfermement. Il est probable que vous ne sortiez que très peu pendant un long moment. Vous êtes non seulement déshabituée à la foule, mais également aux déplacements, aux sorties...

— Non... je... veux dire... ma famille ?

— La pension alimentaire va s'arrêter à la fin de la semaine en cours, c'est-à-dire dans 4 jours. Leur vie va reprendre normalement, et la vôtre aussi avec un peu de chance. Même beaucoup de chance, en fait.

— Il y a... une chance que... que je sois de nouveau... normale ?"

Je sens le regard prudent de la personne que j'ai identifiée comme une femme, plus que je ne le vois.

"Les miracles existent, en médecine. Mais ce n'est encore arrivé à personne. Pas complètement. Sauf si vous comptez ceux qui sont restés à peine une semaine."

Je m'apprête à répondre quand mes yeux se ferment.

"Fatiguée...

— C'est normal", m'indique-t-elle, "C'est votre plus longue conversation depuis longtemps. Repos-..."

La fin de sa phrase se noie dans le brouillard de mon sommeil. Un sommeil calme. Noir. Silencieux.

Terrifiant.

***

"...est rouge,
Un soldat est mort ce soir.
Sa famille attend qu'on le retrouve,
Demain, le soleil sera noir."

Je me réveille en sursaut, paniquée. Inconsciemment, mes mains tentent de se porter à mon visage. Tentent.

Je suis sanglée. Ça ne fait que renforcer ma panique, et je rue.

Rapidement, des bruits de pas retentissent et j'entends la porte s'ouvrir.

La même aiguille qui m'a déjà piquée à mon arrivée a l'hôpital, il y a un mois, et plusieurs fois pendant mon séjour se pose sur mon cou. Mon corps se détend aussitôt.

"Coupe... musique.. stop..."

J'ai vaguement conscience de sangloter.

"Qu'est-ce qui se passe ?, chuchote un de mes médecins.

— C'est la première fois que cette chanson passe dans sa chambre ?

— Oui.

— Et la première fois qu'elle a une telle réaction au moment où vous allumez la radio ?

— Tout à fait madame.

— Dans ce cas, ça doit avoir un lien avec son enfermement. Elle a dû la chanter, ou y penser.

— Chanter", je souffle, "Maman. Souvenir. Chanter.

— Voilà", conclut la voix que j'ai enfin identifiée comme celle de mon premier médecin, Jade, "Elle a dû se raccrocher à un souvenir d'enfance, là-bas : c'est courant. Et maintenant ça ne lui rappelle plus la maison, mais l'enfermement."

J'acquiesce. Elle est jeune, il me semble. Je ne l'ai jamais vue, mon bandeau est encore trop opaque... mais sa voix parait jeune.

En vérité, je dirais qu'elle a dans les environs de mon âge. Peut-être 27 ou 28, comme Éliana, parce que les médecins de son service doivent forcément avoir dépassé l'âge de risquer l'Expérience.

Ce n'est pas la première fois que je me réveille paniquée. Souvent je hurle même.

"Je veux sortir", voilà ce que je hurle.

Quand Jade m'a demandé de quoi je rêvais, j'ai d'abord cru que la réponse était "de là-bas". Mais même pas.

En fait, je rêve du noir. Un noir complet, épais, silencieux. Quand elle m'a demandé ce que ça m'évoquait, je n'ai trouvé qu'une chose à répondre :

L'intérieur de ma tête.

"Endormez-la."

***

"Salut Angy. Je suis rentrée. La journée s'est bien passée, on a continué cette leçon de français dont je t'avais parlé. Je suis désolée d'être en retard, j'ai un peu traîné avec Sarah autour du bâtiment, mais je suis vite revenue te voir. J'espère que ça va aujourd'hui."

Annie arrête de parler.

"Tu as avancé ta peinture ? Tu veux me la montrer ?"

Je hoche la tête et je me lève de mon fauteuil en bois. C'est ma mère qui l'a taillé dans le bois de l'arbre, au fond du jardin.

Je regarde ma sœur. Elle a le teint pâle, les traits tirés, mais elle sourit.

Du haut de ses 15 ans, elle essaye de m'aider. Quand elle se lève, je sursaute : elle fait ma taille. Je ne m'en étais jamais rendu compte.

"Tu rêves, Angy", dit elle doucement.

Je hoche de nouveau la tête et je lui prends la main. Elle me traîne à moitié, tout en me laissant l'illusion que je la guide au bout du couloir. Ma petite sœur m'ouvre la porte, et je rentre d'un pas mécanique.

La pièce est totalement vide, et les murs sont tous d'un blanc limpide. Tous sauf un.

Celui du fond est tout de noir : j'ai utilisé 10 bouteilles de peinture pour le recouvrir (un gâchis énorme, mais ni ma mère, ni mes sœurs ne se sont plaints.).

Et puis sur ce fond noir, ils sont là. Si colorés. Eux.

Avec du bleu dans le coin à gauche.

Les arcs-en-ciel.

***

***


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top