Chapitre 3 - ...qui pourraient nous gêner...


Ah...

...

Nous y étions presque.

...

Seulement deux mois furent nécessaires pour tout préparer.

Ce fut si rapide.

Un record.

Je devrais me réjouir de notre accomplissement.

Pourtant...

Je me sentais mal.

Mal dans mon corps. Mal dans mon esprit. Mal d'exister. Mal de vivre.

J'étais sur le toit de mon immeuble, seul. Mes pieds balançant dans le vide, je regardais tristement un paysage urbain s'étaler devant moi, enveloppé dans les ténèbres de la nuit. Il faisait froid. Chacune de mes expirations était accompagnée d'une douce vapeur volupté.
Les sons nocturnes dans une ville avaient toujours cette particularité si attrayante à mes yeux. Un silence dissonant régulièrement coupé de ronronnement. Parfois, on pouvait entendre les conversations insensées de ceux qui avaient probablement bu un verre de trop. J'aimais bien cette atmosphère. C'était peut-être la seule que j'aimais hors de ma demeure.

Alice préparait les derniers détails mais sinon tout était bon. J'attendais seulement sa confirmation pour lancer le script.

...

Le CERN.

En faisant des recherches sur eux, j'avais appris pas mal de choses. Mais il n'y avait rien de vraiment intéressant. Je n'étais pas amusé. En fouillant dans les documents récents, on pouvait lire la confusion visible chez les scientifiques depuis la révélation de la nature du monde. C'était le moment parfait pour attaquer.
De toute façon qui pouvait s'attendre à se faire voler devant ses yeux ses propres outils ?
Pas moi en tout cas.
Ce sera drôle de voir leurs réactions.

...

Hum...

J'avais beau essayer de ne pas y penser, j'avais toujours ce malaise qui me hantait.

...

J'avais été suivie. Et j'avais des raisons de l'être.

J'avais de mauvais présages pour la suite de cette opération. Et j'avais des raisons de l'être.

J'étais sceptique sur nos connaissances du monde. Et j'avais des raisons de l'être.

J'avais beaucoup de raisons et j'étais beaucoup de choses.

J'avais comme une envie de tout arrêter. Descendre, formater toutes les machines puis les brûler. Ainsi je ne pourrais plus jamais me souvenir de cette tentative absurde et je continuerai de perdre mon temps jusqu'à ce que ma vie se termine.

Car il n'y avait rien de bon dans mes actions.

Alors il valait mieux ne pas exister aux yeux du monde.

...

Dire que je voulais en devenir le dieu.

...

Combien de réseaux avais-je infiltré ? Combien d'agent de cyber sécurité avais-je fais renvoyer ? Combien de machines avais-je construit ? Combien en avais-je détruit ?

Dans quel but ?

A part celui d'exister ?

Devais-je tout annuler ?

Mon téléphone sonna.

- Fynn ! Towti yesta tèrminatay !

- J'arrive.

- Ok !

- Alice...

Je pris une longue inspiration.

- Ta deuxième langue au lycée...

- Hum ?

- C'était le français.

Je raccrochai instantanément sans lui donner aucun instant pour répondre.

Je me relevai tout en regardant la lune à l'horizon. Il ne restait plus grand-chose de la partie éclairé. Je ne voyais qu'un bon croissant laissé trop longtemps à côté d'Alice.

Ah...

Je me voyais déjà me réjouir de mon échec.

- Watashi esta là.

- Arrête de te foutre de moi ! Je n'ai jamais rien dit à propos de ton accent français quand tu parles anglais.

- Parce que mon anglais est parfait.

Elle éclata de rire. Comme à mon habitude, je restai de marbre.

...

- Tu le crois vraiment ? réussit-elle à dire après une bonne minute de fou rire.

Je me contentai de la regarder avec un regard triste. Cela suffit pour la faire repartir dans une nouvelle crise.

Après m'être fait un café et l'avoir suffisamment sucré pour ne sentir que le gout du sucre, je revins dans mon bureau. Elle semblait s'être suffisamment calmé pour avoir une discussion.

Techniquement, les fous rire était une autre méthode pour avoir un dernier mot sur elle.

Techniquement...

- Du coup ?

Elle pouffa à nouveau mais se stoppa rapidement.

- Tout est prêt. Toutes les machines et réseaux ont été vérifiés. Le script est lancé. Dans deux heures le test se lancera. Il n'y a plus qu'à attendre.

...

- Tu ne sembles pas vraiment en forme Fynn.

- Qu'est ce qui te fait dire ça ?

- Tu n'as pas de répondant ces derniers temps. Et là tu viens de t'absenter une bonne heure juste avant le lancement.

- Qu'est-ce qu'il y a de mal à prendre une pause ?

- Tu ne prends jamais de pauses dans ce genre de moment.

- Ah...

- Je me rappelle très bien durant le lancement de Kermit, tu étais toujours présent. Tu n'hésitais pas à rester réveillé durant deux jours entiers s'il le fallait.

Je soupirai.

- Que veux-tu que je te dise ?

Alice me regarda avec une nostalgie.

- Tu as bien changé depuis mon absence.

- Ça me parait normal. Les gens changent et évoluent avec le temps.

- Pourtant, d'après ce que tu m'as raconté, tu n'as rien fait. Pourquoi tu aurais changé ?

- ...

- Pourquoi tu m'as embarqué dans ce projet ?

- Je m'ennuyais.

- Tu dis toujours que tu t'ennui pourtant tu n'as jamais rien fait pour combattre l'ennui.

- Je n'arrive pas vraiment à bien l'expliquer mais je m'ennuyais tout en étant occupé.

- C'est pas vraiment possible ça.

- Je trouvais que je n'avais rien à faire, que tout ce que je faisais était inintéressant, que toutes mes créations étaient inutiles. J'avais l'impression de rien faire.

- Alors que tu faisais des choses non ?

- Évidemment, je ne passais pas mes journées à fixer le plafond.

- En fait, ce n'est pas vraiment que tu t'ennuyais n'est-ce pas ?

- Comment ça ?

- C'est simplement que tu n'avais pas d'objectif, pas de but.

- Peut-être.

- Je comprends mieux maintenant. Oui. Après en avoir fini avec Kermit, qu'elle était ton objectif de vie ?

- Objectif de vie ?

- Par exemple Madô voulait travailler dans l'exploration spatiale. C'était son rêve depuis longtemps et il le réalise à présent. Tu avais quelque chose comme ça ?

- Non, rien.

- Ton sentiment d'ennui venait probablement de là alors. Car si tu n'as rien d'important à faire, alors tu n'as aucune raison de faire quelque chose. Avant Kermit, on s'occupait bien sur le forum. Mais maintenant...

- C'est vrai.

- Du coup la raison de ce soudain projet... Serait-ce pour essayer de reproduire les mêmes conditions qu'auparavant ?

- Comment ça ?

- Reproduire les mêmes conditions lorsqu'on était sur Kermit ?

- Je dois t'avouer que je n'y ai pas vraiment pensé. J'ai du mal à me comprendre parfois.

Alice sourit.

- Mais moi je t'ai compris.

- Hum ?...

- Maintenant, j'aimerais bien savoir qu'elle est ton état actuellement. Qu'est-ce que tu penses de ce que l'on fait ?

- Je ne sais pas vraiment.

- Attends. Attends. Je vais me permettre de te remettre le contexte. On va prendre le contrôle d'un des plus grands labos de recherche du monde et lancer une expérimentation à leur insu dans le but de créer un trou noir. Il est possible qu'on fasse crasher l'univers en faisant cela. Et tu ne sais pas ce que tu penses de cela ?

- Parce que toi tu le sens comment ?

Je sentis Alice vibrer.

- Ça va être Incroyable !

Cette énergie... Ça me faisait penser à nos premiers projets ensembles. Elle avait toujours été comme çà. Je l'avais été aussi auparavant mais maintenant...
Ce n'était plus pareil.

- Ha... je ne sais même pas si je devrais partager ton enthousiasme.

- C'est pourtant toi qui en es à l'origine !

- C'était sur un coup de tête.

- Et voilà jusqu'où on est arrivé !

- On n'a pas fait grand-chose.

- On s'apprête à hacker le CERN quand même.

- Ce n'est rien par rapport à un état.

- On va le faire en deux mois ! Alors qu'on est seulement tous les deux à travailler dessus !

- Il ne faut pas oublier l'aide de Madô et Kuro.

- Des contributions mineures.

- Néanmoins importantes.

Alice soupira.

- Je t'avais demandé quel était ton objectif après que l'on ait réussie.

- Oui.

- Après y avoir réfléchi, ta réponse n'était pas vraiment une réponse concrète.

- Hum, intéressant.

- Hein ?

- Je disais que c'était intéressant que tu penses cela car moi-même je ne trouvais pas cette réponse très satisfaisante.

- Pour quelle raison ?

- Elle décrit un état et non une action. Je ne fais pas Dieu, on le devient.

- C'est ça, c'est ça !

- Vu que tu m'avais demandé ce que je voulais faire, j'ai juste répondu à côté.

- Tu en étais conscient ?

- Partiellement oui.

- Alors pourquoi ne pas m'avoir répondu correctement ?

- Parce que je ne sais pas vraiment ce que je veux faire.

- Haha !

- Quoi ?

- Tu as toujours le même souci depuis six ans.

- Hum ?

- Tu n'as toujours pas de but.

- Devenir dieu non ?

- Je veux dire but, dans le sens faire quelque chose qui te tient vraiment à cœur. Admettons qu'on devienne tous les deux des dieux. Tu as à présent une puissance quasi infinie pour réaliser tout ce que tu veux entreprendre. Que fais-tu ?

Je me mis en pause. Qu'est-ce que je voudrais faire ? La première chose qui me venait en tête était d'effacer l'humanité mais je savais que ce n'était pas une bonne réponse. Surtout que cette envie était totalement irrationnelle. Mis à part ça... Je n'avais aucune envie. Si. Je voulais simplement rester dans mon appartement et m'ennuyer à bidouiller mes machines. N'était-ce pas paradoxale ? Quel était mon problème ? Je devais trouver de l'inspiration.

- Je ne sais pas trop. Tu ferais quoi toi ?

Alice rougit brusquement. Elle fut visiblement très embarrassée.

- Je... je ne peux pas te le dire. C'est... c'est vraiment trop gênant.

- Tu ne m'aides pas là.

- Tu n'es pas obligé d'avoir un but non plus. Mais ça explique ton comportement actuel. Tu n'as pas vraiment de raison de continuer le projet.

- Mais pourquoi j'étais si engagé au début ?

- Parce que tu avais envie de commencer et d'apprendre comment casser le code je suppose. Mais maintenant, après y avoir réfléchie plus longuement. On s'est bien rendu compte que le test qui va se réaliser dans deux heures est le seul faisable et qu'il y a aucune chance d'en retirer quoi que ce soit.

- En plus, je suis du genre à ne pas finir de résoudre un problème quand je connais la solution.

- C'est ce qui se passe en ce moment.

- Un peu oui.

- Qu'est-ce que ça fait Fynn, d'être mieux compris que par soi-même ?

- C'est drôle.

- C'est tout ?

- Qu'est-ce que tu veux entendre d'autre ?

- Aucune idée.

- Je remonte sur le toit alors.

- Stop !

- Quoi ?

- Il faut surveiller les flux.

- Tu ne peux pas le faire toute seule ?

- Si, mais... je dois aller jeter les poubelles.

- Décidément...

- Ça me fera sortir un peu.

- Comme si tu en avais besoin.

- Hey ! Je suis un être humain avec des sentiments et des sensations ! J'ai besoin de prendre l'air frais comme tout le monde. Même toi tu le fais alors bon...

- C'était juste pour éviter de bosser.

- Mais oui. Mais oui. Allez, prend ma place.

Après quelques bruits de frottements plastiques, j'entendis la porte claquer.
Je regardais d'innombrables graphiques bouger constamment devant moi, en silence.

Tout était ok.

Nous allions peut être créer un trou noir. Une première pour l'humanité.

Pourtant...

Je ne pouvais m'empêcher d'être négatif. Et ce n'était pas seulement à cause de mon manque de raison de vivre mais aussi de l'ambiance dans laquelle je vivais depuis six ans déjà.

Avec cette peur constante d'être découvert...

Horrible.

Dans un bruit assourdissant, la porte d'entrée claqua violemment sur le mur, manquant de la détruire au passage. Plusieurs hommes suréquipés entrèrent, armés de fusils mitrailleurs.

- A terre ! A terre !

Restant interdit devant la violation de tous mes droits privés, j'eus à peine le temps d'appuyer sur le bouton sous ma montre lançant le script Gameover. Alors que je fus plaqué au sol, peinant à respirer, sous le choc d'avoir eu à supprimer en une fraction de secondes les dernières années de ma vie, j'entendis une voix familière prononcer mon arrestation.

- Monsieur Fynn. Vous êtes suspecté de crimes contre l'humanité et vous êtes maintenant amené en garde à vue.

En levant les yeux, je vis le même homme qui m'avait percuté sur la rue. Ce même homme qui m'avait filé.

J'étais découvert.

Mes peurs avaient eu raison.

Tout était finit.

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