Chapitre 32 : Cicatrices

Une fois seuls, ce fut Dumbledore qui parla le premier.

— J'espère que vous n'avez pas trop souffert pendant l'enfermement.

— Vous n'auriez jamais dû me faire voyager dans le temps. Ni accepter que je devienne agent double.

Dumbledore resta muet. Hermione leva la tête vers lui et lâcha d'une traite, le regard sombre :

— J'avais seize ans lors de mon voyage temporel. J'en avais dix-sept lors du lancement de cette mission d'agent double. A aucun moment vous n'avez songé au fait que peut-être, c'était trop, et que peut-être, vous m'en demandiez beaucoup trop alors que je n'ai que dix-neuf ans. J'ai dix-neuf ans, je suis encore à Poudlard car j'ai pris un an de retard et qu'en plus, j'ai presque un an d'avance sur certains élèves de la même année que moi car je suis de fin d'année. Et en plus, je suis condamnée à mourir seule ici, sans famille et sans aucun ami fiable, car je suis censée disparaître de tous les radars une fois ma mission terminée pour être sûre de ne rien changer à l'Histoire.

Dumbledore ouvrit la bouche comme pour parler, mais Hermione reprit immédiatement :

— Vous m'avez sacrifiée pour l'Histoire. Mais vous avez oublié quelque chose de capital, Monsieur : j'ai moi aussi une âme, une conscience, des rêves et des souhaits. Et je ne vous laisserai plus tout gâcher à mon avenir.

— Vous avez la possibilité de bâtir de nouveau un avenir, Miss Smith.

— Miss Granger, le coupa-t-elle. Je n'en peux plus de jouer un rôle avec vous.

— Vous avez la possibilité de vous trouver un bon métier, des amis, de vivre une belle vie.

— C'est faux. Je ne pourrai jamais aimer personne sans risquer de mettre en péril un arbre généalogique entier. Je ne pourrai jamais non plus être parfaitement comprise par les personnes ici, tout simplement car personne ne pourra jamais connaître pleinement mon histoire et que je ne pourrai jamais être pleinement moi-même.

Dumbledore secoua légèrement la tête. Hermione lâcha un petit rire, et dit :

— Et puis, vous savez quoi ? Grindelwald a totalement raison ! Vous êtes un manipulateur, et je suis convaincu qu'il n'a pas tort lorsqu'il dit que vous l'avez encouragé à être ambitieux et à se rapprocher de la magie noire ! Il m'a même tout expliqué au sujet de ces fichues Reliques de la Mort, et par Merlin, cela ne m'étonne absolument pas de vous !

Hermione attrapa sa veste et la revêtit rapidement. Dumbledore s'exclama :

— Grindelwald est un menteur. Il dirait n'importe quoi pour attiser la haine que vous pouvez ressentir envers moi. Mais je ne l'ai absolument pas encouragé à se diriger vers la magie noire, au contraire. Nous parlions en effet de puissance, mais je voulais rester vers le Bien, alors que lui désirait s'orienter vers le Mal. Il désirait dominer les sorciers et vaincre les moldus ; et moi, à l'époque, dans ma jeunesse, j'étais persuadé que la bonne voie serait de dominer tout le monde. De tous les impressionner. J'étais idiot.

— Et maintenant, avec la mort de votre sœur que vous avez tuée, vous préférez rester ici plutôt que de prendre le risque de connaître de nouveau un tel drame pour atteindre votre puissance rêvée.

Dumbledore parut blessé. Il eut un mouvement de recul ; il bredouilla :

— Il... Il vous a parlé d'elle ?

— Il m'a dit que vous aviez tué Ariana.

Il prit une grande bouffée d'air. Il paraissait soudainement paniqué ; il demanda :

— Il vous a dit que c'était moi qui l'avais tuée, alors ? Non, c'est impossible. C'est lui qui avait jeté le sortilège de la mort.

Hermione haussa les épaules. Elle tourna les talons et dit :

— J'en ai assez. Je ne veux plus faire partie de tout cela, je ne veux plus... Je ne veux plus de missions, je ne veux plus tout ça. Je veux... Je veux que tout s'arrête, simplement. Alors j'arrête ma mission avec Tom, j'arrête aussi la mission avec Grindelwald. Je n'ai que dix-neuf ans, Dumbledore, et j'ai déjà sacrifié trois ans de ma vie par loyauté pour vous. Pour « le bien commun », de ce que vous répétiez souvent.

Dumbledore prit quelques instants de réflexion. Il semblait réellement touché par les paroles d'Hermione, même s'il ne voulait pas trop le montrer, sans doute par fierté. Il finit par balbutier :

— Je suis désolé. J'aurais dû songer au fait que vous étiez bien trop jeune pour porter de telles responsabilités. Mais, au sujet de votre mission avec Tom, vous vous êtes engagée à le faire. C'est le futur que vous avez entre vos mains, Miss Smith, et vous ne pouvez pas tout sacrifier maintenant. Pas si près du but.

— Je ne vais pas tenir. Vous me demandez de nouveau de faire un sacrifice, alors ? De nouveau de me taire et de prendre sur moi comme je l'ai fait depuis mon arrivée ?

Le silence du professeur valut mille réponses. Hermione lâcha un léger rire nerveux : elle n'allait  pas réussir à survivre, mentalement parlant. Elle ressentait l'absence de sa famille, de ses amis ; elle ressentait aussi les différences avec son époque et la solitude. Elle était la seule à vivre avec une mentalité de 1990, et cela importait beaucoup : elle devait sans arrêt mentir, faire semblant de penser et de vivre comme en 1940, alors que ce n'était pas elle. Non, elle était Hermione Granger, née en 1979 et sorcière brillante et souvent souriante issue de parents moldus, et pas cette prétendue Hermione Smith, sorcière certes brillante mais renfermée sur elle-même qui se cachait derrière l'ombre de Tom Jedusor.

Hermione, en 1996, se battait pour ses valeurs. Elle avait fondé la S.A.L.E, une organisation pour la libération des elfes, elle avait fondé l'Armée de Dumbledore, pour lutter contre la terrible Dolores Ombrage qui imposait de terribles règles aux élèves, elle avait aussi passé du temps durant cinq ans pour réfléchir aux moyens de vaincre Voldemort et d'aider Harry Potter à survivre face aux attaques qu'on lui portait. Bref, elle avait toujours tout fait pour être une personnalité entière, malgré ses angoisses et ses doutes.

Cependant, le voyage temporel avait tout brisé. Elle s'était renfermée sur elle-même, à devenir aussi morose que Tom, et à suivre uniquement ce qu'on lui avait demandé. Vous êtes venue ici pour sauver notre futur, Miss. Dumbledore lui avait répété, lors de leurs discussions, quand Hermione avait des doutes. Il lui avait dit aussi une phrase, qu'elle se répétait sans arrêt. Vous êtes sans doute découragée, mais vous ne pouvez pas abandonner en cours de route. Vous vous êtes engagée, en acceptant cette mission, à l'achever. Nous avons besoin de vous.

Alors, pour sauver le monde de la menace de Voldemort, elle s'était perdue. Et ces discussions avec Grindelwald lui avaient permis de réaliser qu'elle ne pouvait plus perdre de temps à s'enfermer dans les conventions et les lois. Elle devait vivre, elle se sentait tellement étriquée ! Elle était en train de perdre son temps, elle ne voulait plus être un sacrifice.

— Si je vous ai proposé ce voyage dans le temps dans le futur, c'est parce que je vous jugeais assez forte pour porter ce poids. Trop de choses entrent en jeu, et nous comptons sur vous pour réussir à empêcher cette menace de détruire notre futur. C'est à vous d'y réfléchir : certes, il est compliqué pour une personne si jeune d'avoir tant de responsabilités, mais vous l'avez accepté, et vous en êtes capable.

— Ma décision est déjà prise, Dumbledore. J'arrête tout.

Hermione s'approcha en hâte de la porte, prête à partir. Elle terminerait son année normalement, tout comme sa scolarité ; elle aurait ses ASPICs, et ensuite... Eh bien, elle verrait.

— Que s'est-il passé, là-bas ? s'exclama-t-il avant qu'elle sorte.

Elle resta immobile. La main sur la poignée de l'infirmerie, Hermione baissa la tête. Puis, elle souffla :

— Beaucoup de violence. De la torture, au début. Puis, Grindelwald a décidé de me former, et j'ai appris énormément de choses concernant la magie noire et la légilimancie, ainsi que l'occlumancie.

Dumbledore hocha la tête. Il percevait bien moins ses pensées qu'auparavant ; certaines paroles résonnaient bien trop dans son esprit et étaient audibles par les personnes capables de lire dans les pensées des autres, de temps à autres.

— Je vois.

— Et vous savez ce qui est le plus horrible ? s'exclama-t-elle en se tournant soudainement vers lui. C'est que Grindelwald m'a bien fait comprendre que même si je tentais me créer une nouvelle vie ici, je n'échapperais jamais à mon passé. Que sans arrêt, il me rendrait différente, et que jamais je ne saurais m'intégrer ici.

Hermione s'approcha en quelques enjambées, tout en remontant sa manche au bras droit. Elle montra au professeur, quelques instants à peine, la marque « Sang de Bourbe » inscrite sur sa peau. Dumbledore blêmit ; Hermione dit :

— Ils l'ont gravé à même ma peau. Je ne pourrai jamais plus cacher le fait que je mente sur mon sang, et donc que je ne viens pas d'ici. Je suis condamnée à toujours le cacher, car une telle cicatrice ne peut pas s'effacer avec la magie. Ils l'ont gravé avec la magie noire, et ils m'ont déjà dit que rien ne fonctionnerait pour l'enlever.

Hermione remit sa manche avec précipitation. Elle ajouta :

— Cela n'a plus d'importance, maintenant. Je veux qu'on me laisse me débrouiller seule, comme vous l'avez toujours fait.

Dumbledore ne sut qu'ajouter. La jeune femme tourna une dernière fois les talons et partit, sous le regard navré du professeur. Il ne voulait même pas imaginer ce que Grindelwald lui avait fait subir.

En tout cas, Hermione voulait reprendre sa vie en main. Et cela commençait dès l'instant même. 

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