9. Renouveau
Point De Vue Keefe:
Les oiseaux chantaient, le soleil brillait et mes larmes coulaient.
A mes côtés, assise sur le banc en agate grise et verte, Linoa s'efforçait de me calmer.
- Keefe... Tu penses encore à elle ? N'avais-tu pas dit que ça te faisait souffrir ?
Je ne lui répondis pas et la fixai de mon regard humide. Elle rougit et se cacha derrière ses cheveux.
D'une voix brisée par le chagrin, je dis:
- Oui... Mais je ne peux pas m'en empêcher...
Elle me regarda tristement, comprenant l'effroyable tourment qui me pourchassait depuis sa mort. Elle l'avait vécu avec moi ces deux dernières semaines.
- Keefe... Oublie-la, c'est mieux pour toi. Sa plantation a eu lieu hier, tu devrais être heureux qu'elle soit enfin en paix.
Enfin en paix... C'est-à-dire qu'avant elle ne l'était pas, c'était ça ?
- Ne dérange pas les morts et profite de la vie.
Elle souffla doucement et me prit la main.
- Écoute... je sais que ça va être dur de redevenir heureux, je sais que tu l'aimais beaucoup... Mais, dit toi qu'elle n'est pas vraiment partie. Elle restera toujours avec nous, veillant sur toi depuis le Bois des Errants.
Je posai ma tête sur son épaule.
- Mais c'est si dur... J'ai l'impression de la trahir...
Surtout que je pouvais revenir dans le passé pour essayer de la sauver... Mais c'était au-dessus de mes forces. Ici, au moins, dans le présent, j'arrivais à oublier, à me réparer.
Linoa était une amie attentionnée, qui ne craignait pas le regard des autres. Elle avait abandonné tous ses autres camarades pour rester avec moi, me faire rire et penser à autre chose.
- Tu penses vraiment qu'en étant heureux, tu la trahirais ?
Elle attendit vainement ma réponse et poursuivit, sa main toujours pressée contre la mienne:
- Je ne connaissais pas Sophie, mais je suis sûre que ce n'était pas son genre de vouloir voir ses amis malheureux. Surtout toi, Keefe.... Je.. Je voyais à quel point vous étiez proches tous les deux. Toi seul arrivait à lui faire oublier tous ses soucis.
Pourquoi parlait-elle de Sophie comme d'une personne infiniment malheureuse ? Nous étions ses amis, sa famille. Les Invisibles ont toujours été un problème, mais jamais elle n'a souhaité revenir à sa vie d'avant ! Je le savais, c'était moi l'Empathe, moi ! Et puis, il y avait sa lettre...
- Ah...Enfin une réaction digne de ce nom. La colère vaut toujours mieux que le découragement !
Elle l'avait fait exprès ? Juste pour que je ne sois plus si renfermé ?
- Ça fait deux semaines que ça dure, tout ce bazar. Moi je dis, va voir tes amis, rigole avec eux, parle de tes bons souvenirs ! Tu les connais mieux que moi, tu...les aimes plus que moi, aussi...
Elle me sourit tristement et, machinalement, joua avec la petite mèche tressée de devant, qu'elle se faisait tous les jours.
J'étais désolé de l'obliger à rester avec moi, j'étais si désolé qu'elle traîne avec le garçon qu'elle aimait sans recevoir le moindre signe d'affection... Mais, malgré ça, elle continuait à sourire, à faire des blagues et à rire. C'était une vraie battante. Comme elle. Comme Sophie...
- Eh ! Qu'est-ce que je viens de dire ? Allez, allez, on se lève et on va marcher ! Fini le moment de dépression.
Sitôt dit, sitôt fait. Elle descendit du banc et s'étira, me lâchant la main et me causant brusquement un vide au cœur.
Ma main était toute froide désormais.
Voyant que je ne bougeais pas, elle soupira, reprit mes mains et me tira de tout son poids. Suite à ça, elle tomba sur les fesses et rigola.
- Au moins, tu es enfin debout !
Je fis un sourire triste face à son ton dynamique. Elle ne s'abandonnait jamais à la tristesse, elle. Il fallait que je fasse pareil !
Fini Sophie, fini les cauchemars. J'étais Keefe et je ne comptais pas me laisser abattre !
Ses yeux brillèrent lorsqu'elle s'exclama:
- Voilà ! Parfait, c'est cette énergie là que je veux. Celle-là !
Je souris sincèrement. Que c'était bon d'être heureux !
Je commençais à trottiner et, comme elle ne me suivait pas, je me retournai avec un sourire moqueur.
- Bah alors, tu viens ? Ou t'es trop fatiguée ?
Ses yeux débordaient d'amour et de joie lorsqu'elle s'exclama:
- Mon Keefe est de retour ! Attends-moi, j'arrive !
La brise fraîche m'apportait le parfum fleuri de Linoa et jouait avec mes mèches rebelles.
Que c'était bon de se sentir à nouveau vivant...!
On s'installa sur une pelouse d'herbe violette et je m'allongeai.
Le soleil chauffait mon visage, m'endormissait.
Que la vie était belle.
***
Quand Linoa me réveilla, le soleil était déjà haut dans le ciel et me brûlait la rétine quand je le regardais directement.
Elle m'observa et déclara, soulagée:
- Tu as l'air d'être en meilleure forme. Bravo Keefe.
- Merci Linoa, sans toi je n'y serais pas arrivé.
Elle rougit de plaisir.
- Bon, qu'est-ce que tu veux faire maintenant ?
- Si ça ne te dérange pas, je vais passer chez moi. Je dois m'occuper de quelque chose.
Elle fit une moue déçue.
- Ah...d'accord, vas-y. Mais on se voit toujours demain, hein !?
- Bien sûr. A demain.
Je pris mon cristal de foyer et rentrai aux Rives du Réconfort.
J'allai dans ma chambre, où Ro m'attendait.
- Alors, ton rendez-vous avec la brunette ?
- Tu sais très bien que ce n'était pas un rendez-vous. On est juste amis.
- Mais oui, ils disent tous ça.
Malgré ses blagues sur Linoa et moi, malgré son sourire, je la voyais fatiguée. La mort brusque, inattendue de Sophie nous avait tous porté un coup.
- Tu ne devais pas rester avec elle toute la journée ? Pourquoi tu es rentré ? Je te manquais tant que ça ?
Je levai les yeux au ciel et lui dis que j'avais quelque chose d'important à faire, de personnel.
Malgré sa curiosité naturelle, elle ne fit pas de commentaire et sortit de la chambre. Cela montrait à quel point elle se sentait mal. La pauvre, elle aimait beaucoup Sophie... Comme nous tous.
Mais j'avais décidé de changer.
Je ne serais pas comme Biana ou Dex, inconsolables, ou comme Fitz et Grady, si tristes que leur peine se transformait en colère.
J'étais Keefe, qui saurait se reconstruire. N'avais-je pas réussi à vivre avec la trahison de ma mère ? Avec l'ignorance perpétuelle de mon père ? Au couple Fitzphie ?!
Là, c'était la même chose.
J'ouvrais mon tiroir top-secret et enlevai le fil de fer qui protégeait mes carnets. Je pris le doré et le feuilletais.
Les larmes coulèrent sur mes joues quand je vis le dessin de ma première rencontre avec Sophie. Elle était aussi perdue que moi, avant.
Je ris en me rappelant son expression et passai au dessin suivant.
Sophie était cachée dans un buisson, ses yeux marrons brillants d'excitation. C'était lors de notre troisième partie de conquête, à Everglen..
Je passai à l'image suivante, puis à une autre et encore une autre. Certains souvenirs me faisaient rire, d'autres pleurer, mais tous avaient Sophie comme élément principal.
Plus maintenant. Pas dans cette vie-là.
Désormais, je devrais me débrouiller pour vivre sans ses merveilleux yeux pailletés d'or - d'où la couleur du carnet, d'ailleurs - et sans ses émotions tourbillonnantes et percutantes.
Je jetai le carnet dans la petite poubelle en marbre sous mon bureau.
Ce fut pareil pour tout ce qui avait un rapport avec elle.
Plus de cadeaux de fin d'année, plus de dessins, plus rien. C'était fini. Sophie était partie et je devais l'accepter.
Je regardai la corbeille en pierre et fut surpris de la voir déborder. A côté, d'autres piles de souvenirs attendaient que la place se libère.
Je sortis tout ça, étant même obligé de faire cinq aller-retour pour tout jeter.
Mon père et ma garde du corps me regardèrent bizarrement mais ne firent aucun commentaire.
Mon travail enfin fini, je m'écroulai sur mon lit.
J'avais abandonné. Pour de bon.
Ou plutôt, je l'avais laissée partir en paix.
A cette pensée, j'eus un pincement au cœur mais l'ignorai.
- Tiens, je me demande bien ce que fait Linoa en ce moment...
Je l'appelai, sans m'inquiéter quand elle ne décrocha pas tout de suite. Au bout de deux minutes, elle me répondit enfin:
- Ah, salut Keefe ! Désolée, je devais aider au magasin... Tu connais mon père, toujours à vouloir être au sommet !
Elle rigola.
C'est vrai que Sir Haflat, que j'avais croisé plusieurs fois à Olentis Flores, m'avait semblé très gentil, mais du genre à aimer la compétition...En témoignait son gazon...Et son panneau de "Meilleur Psycologue des Cités Perdues"....
Penser à ça me faisait mal au cœur, donc je préférais rire en me souvenant du parterre d'herbe, tondu pour afficher la promotion de la petite boutique familiale.
Elle reprit, me sortant de mes pensées:
- Alors, qu'est-ce que tu veux ? Pas que ça me dérange que tu m'appelles hein, au contraire, j'adore ça.
Elle me fit un sourire rayonnant et rougissant de bonheur. Je n'arrivais toujours pas à croire que quelqu'un d'aussi franc puisse exister. Et déterminé. Malgré le fait que je n'étais pas forcément toujours avec elle dans le monde "réel", elle avait continué de veiller sur moi et de me changer les idées, de me guérir.
Linoa était vraiment une pépite de l'or le plus pur, et je m'en voulais d'occuper autant son temps, de la séparer de ses amis.
Comme devinant mes pensées - c'était Linoa après tout, l'elfe la plus attentive des Cités Perdues ! - , son ton se fit plus doux quand elle déclara qu'elle était vraiment heureuse que l'on soit devenu amis.
Et, malgré le fait que c'était moi qui la repoussais toujours, je sentis mon coeur se serrer à la mention du mot "amis"
Essayant malgré tout de prendre un ton joyeux, comme si ce qu'elle avait dit ne m'avait pas affecté, j'expliquai que je voulais juste savoir ce qu'elle faisait et ne voulais pas la déranger.
- Oh mais tu ne me dérange pas Keefe, au contraire ! Je l'ai déjà dit mille fois, mais je t'aime plus que tout. Je suis heureuse que tu te soucies de moi et de ce que je fais, alors même qu'on s'est vus il y a une heure.
Boum-boum. Boum-boum. Boum-boum.
Nous nous regardions dans le blanc des yeux, tout rougissants, quand une voix étouffée, celle de Sir Haflat, demanda à sa fille de l'aide pour planter les Dentelunes au fond du jardin pour une commande spéciale. Il aurait besoin qu'elle lui prépare une fiole de Pousse-Vite le plus tôt possible - c'est à dire maintenant -.
A regret elle détacha ses yeux des miens et déclara:
- Bon...bah, tu as entendu mon père... Je vais devoir y aller... Salut !
Elle me fit un clin d'œil, les joues encore rouges malgré sa peau bronzée, et je lui soufflai un au revoir le plus naturellement possible.
Deux minutes plus tard, je recevais un message sur mon transmetteur et mon cœur battit plus fort lorsque je vis que le nom "Linoa Haflat" s'était affiché sur l'écran.
Que voulait-elle bien me dire ?
Ah... Ce n'était rien de spécial, au final. Elle me rappelait juste que nous avions rendez-vous demain devant chez elle, à onze heures.
Alors c'était bon... Tout était terminé, retour à la vie à-peu-près normale, avec une amie sans problèmes, qui détestait les complications, et au Talent passe-partout.
Oui, me convainquis-je. Je suis plus heureux comme ça.
La journée du lendemain passa en un éclair, comme toujours à chaque fois que j'étais avec Linoa. Pareil pour le premier mois après la mort de... après sa mort, le deuxième, et bientôt le troisième. Chaque jour, je la voyais, que ce soit à Foxfire ou en dehors, en Atlantide ou à Mysterium...
Cette elfe me faisait ressentir des émotions que je n'avais éprouvées que très rarement, voire pas du tout. C'était la sécurité, la joie et... l'amour.
Aujourd'hui, j'allais avouer mes sentiments à Linoa.
Quant à... mon amie partie, j'évitais de penser à elle. Son souvenir réveillait beaucoup trop d'angoisse et de honte. D'affection aussi, mais je ne pouvais pas me le permettre.
Désormais, c'était Linoa que j'aimais. Linoa.
Pas...une autre elfe.
Je lui avais donné rendez-vous à Eternelia, devant la Fontaine de feu le Conseiller Kenric.
Elle était en retard. Pour la première fois depuis presque trois mois.
Je commençais à m'inquiéter. Et si elle m'avait posé un lapin ?
Heureusement, je vis enfin sa chevelure noir cuivré dans la foule.
Dès qu'elle m'aperçut, elle se dirigea vers moi.
Essoufflée, elle s'excusa de son retard: sa mère avait besoin qu'elle aille chercher des pigments pour ses peintures et elle avait déchargé toute la lumière de son transmetteur en parlant avec moi hier, ce qui faisait qu'elle n'avait pas pu me prévenir.
Je lui assurai que ce n'était rien d'une voix absente, bien plus occupé à la dévorer du regard.
Elle avait attaché ses boucles en couronne tressée autour de sa tête, souligné ses yeux d'un trait foncé et portait un haut décoré de minuscules rubis - que l'on retrouvait sur les boucles d'oreilles torsadées qu'elle affichait fièrement -, complété par une jupe noir plissée mi-cuisse.
Sans oublier la cape, bien sûr. Celle-ci, en velours cramoisi à l'intérieur, était tenue par le blason de la famille Haflat - une étoile filante sur le ciel noir-.
Elle avait remarqué que je l'observais et je sentis son plaisir et son amour, toujours débordant envers moi et tellement fort que je le sentais sans même la toucher. Cela me décida.
- Linoa, commençais-je.... Je...
Mon regard fut happé par une statue que je n'avais pas remarqué avant, trop occupé à chercher Linoa. C'était la statue de... Enfin, c'était sa statue.
Non, me morigénai-je. Pas sa statue, celle de Sophie. De Sophie !!!
- Keefe ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Son impatience me parvint, mais je n'y fis pas attention.
J'avais changé d'avis.
Fini le repos.
Au revoir la facilité, et bonjour Sophie !
Oui, Sophie, Sophie, Sophie ! Pas "elle", pas mon amie, Sophie !
Je commençais à courir mais Linoa m'arrêta.
- Keefe !! Qu'est-ce que ça veut dire ?!
Elle avait les larmes aux yeux et je m'en voulus aussitôt...
Mais, pourrais-je rester ici, comme je l'avais fait pendant deux mois et vingt-quatre jours - oui, j'avais compté -, avec elle ? Et devoir laisser Sophie une nouvelle fois ?
La réponse était non. Mille fois non.
- ... Désolé Linoa, je t'aime beaucoup, tu sais ? Je suis heureux de t'avoir rencontré.
Je recommençais à courir, ignorant ses questions.
Je choisissais Sophie, une fois de plus. Pour elle, et contre tout.
Je la choisirais à chaque fois, malgré les difficultés qui m'attendaient à chacun de ces choix. Toujours. Et je repartis dans le passé pour une énième fois en criant:
- J'arrive Sophie !
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