8. Une dernière fois (#4)
Point De Vue Keefe:
Cette fois-ci, je me trouvais déjà à Havenfield, devant la porte de Sophie. A l'intérieur, la voix de Sandor s'exclamait:
- Mademoiselle Foster ! J'ai senti une odeur suspecte, restez derrière moi .
J'entendis ses pas alors qu'il se dirigeait vers la porte, lorsqu'il l'ouvrit d'un coup. Il fit un bond en arrière, les yeux écarquillés, le menton rentré et la bouche grande ouverte mais je ne rigolais pas.
Fini le Keefe souriant aux blagues nulles, il ne servait à rien.
Sophie sortit sa tête de derrière Sandor et, elle au moins, éclata de rire face à la surprise de son garde du corps.
Celui-ci, visiblement remis de son ahurissement, essayait de reprendre contenance. Il changea de sujet tout sauf discrètement en me demandant, toussotant:
- Sinon, que faites-vous ici, Monsieur Sencen ?
Je grimaçai à la mention du nom de famille mais ne fit aucun commentaire dessus.
- Il faut que je parle à Sop-Foster immédiatement.
J'avais failli appeler Sophie, Sophie. Heureusement, personne ne semblait l'avoir remarqué. Sandor semblait même plus occupé à savoir ce que je cherchais à dire à sa protégée que comment j'étais entré ici.
- Mademoiselle Foster, pas de secret entre nous, ça nuit à mon travail de garde du corps. Je dois le savoir si vous devez repartir avec le jeune Sencen dans une autre aventure qui mettra vos vies en péril.
- Normalement rien de ce genre, Sandor.
Sophie me regarda, comme pour confirmer ce qu'elle venait de dire.
- Oui, c'est ça. D'ailleurs, tu peux rester si tu veux Sandor. Ça ne changera rien.
Ils me regardaient intrigués et je leur racontais toute l'histoire. Comment j'avais découvert mon pouvoir et ce que j'en avais fait. Tout, sauf les coups de poignard que me laissaient chaque échec.
Mon récit terminé, Sophie contemplait le vide sans rien dire tandis que Sandor s'exclamait d'une voix assurée:
- Jamais je ne laisserais quiconque faire du mal à Mademoiselle Foster ! Ma vigilance est redoublée maintenant que l'on m'a prévenu. Merci Monsieur Sencen.
Cette fois-ci, il remarqua ma grimace et rectifia:
- Keefe. Merci Keefe.
Je hochai la tête et partis m'asseoir en tailleur, les bras croisés, sur le tapis aux fleurs bleues et violettes, qui était décidément très confortable.
Sophie sortit de sa stupéfaction et me demanda ce que je faisais.
- Je veille sur toi, bien sûr.
Je haussai les épaules.
- Je suis tout à fait apte à protéger Mademoiselle Foster, seul. Au contraire, sans vouloir vous offenser, vous risqueriez de nous distraire.
- Je ne vais pas rester les bras croisés à espérer que tu protégeras assez Sophie, Sandor. Je l'ai déjà trop fait.
Il était hors de question de compter sur les autres, de compter sur Sophie et Sandor pour se protéger, si je pouvais les aider.
- Et donc... Tu comptes veiller sur moi assis sur le tapis ? Tu penses vraiment que c'est mieux ? Et, je peux me débrouiller seule.
Désolée Sophie mais je ne croyais plus à la chance qui nous empêchait à chaque fois de mourir.
- Je reste pour les éclateroles, alors.
C'était un mensonge, je ne voulais pas manger d'éclateroles, je ne le pouvais même pas à cause de mon ventre noué par la crainte que Sophie ne meurt encore. Mais au moins, elle eut l'air de me croire et me demanda comment je savais qu'il y avait des éclateroles.
- Ah oui, ton pouvoir, j'avais oublié ! Allez, viens Keefe, allons manger ces éclateroles ! J'espère que Grady nous en a laissé.
Je la suivis jusque dans la cuisine, où Grady s'empiffrait d'éclateroles.
- Eh, laisse en nous au moins deux !
Il ne répondit pas à sa fille adoptive et préféra demander ce que je faisais ici. Et comment j'étais entré.
- C'est vrai ça, comment êtes-vous entré, Monsieur Sencen ? réalisa Sandor, qui avait déjà oublié que je détestais mon patronyme.
Un coup à la porte me permit de ne pas répondre.
- J'y vais mais cette conversation n'est pas terminée, jeune homme.
Grady ouvrait à peine la porte pour faire entrer le visiteur que Sandor s'exclamait:
- Non ! N'ouvrez surtout pas, ce sont les...
Une femme, grande à la posture altière, entra d'une démarche féline. Sa capuche rabattue laissait découvrir son visage d'une beauté glaciale. Elle se tourna vers moi et je restai figé. C'était ma mère !
Elle se détourna rapidement avec dédain et frappa Grady qui se préparait à l'hypnotiser. Il tomba comme une masse.
Je sentis la haine de Sophie, aussi forte que sa colère, lorsqu'elle se rua sur ma génitrice.
Je ne pouvais ni bouger ni l'accompagner comme à mon habitude. C'était ma mère. Etais-je capable de tuer celle qui m'avait portée durant neuf mois ?
J'en étais encore à tergiverser quand ma mère donna le coup fatal à Sandor, puis à Sophie et Edaline.
Au milieu de tous ces morts, je ne pouvais réfléchir. A quoi est-ce que cela servait désormais d'attaquer ma mère ? Les Ruewen étaient morts, Sandor était mort. Sophie...morte....
Je ne pouvais réaliser ma bêtise, j'avais hésité entre sauver Sophie ou ma génitrice, cette criminelle qui avait pratiqué toute sortes d'expériences sur moi !
Je ne pouvais m'en remettre. Sophie, j'avais tué Sophie et toute sa famille à cause de mon hésitation ! J'avais tué Sandor.
Il m'avait pourtant prévenu...Je n'étais qu'un boulet qui semait le désespoir sur son passage.
Ma mère, sans que je ne l'ai vue, s'était avancée.
- Keefe. Veux-tu nous rejoindre ?
Ma fougue d'autrefois, celle d'avant mon pouvoir, me revint alors que je m'exclamai:
- Non ! Bien sûr que non !
Elle sourit tristement avant de déclarer:
- Alors meurt !
Elle brandit un poignard, finement ciselé mais ce n'était pas la question, et alors qu'il me touchait la gorge de sa lame froide, je revins dans le passé.
Haletant, je touchai mon cou.
Rien, plus rien. La blessure avait tout bonnement disparue. Le soulagement et l'adrénaline qui redescendait, me firent m'écrouler au sol.
Je me relevais en observant le paysage.
Deux grands arbres se rejoignaient pour former une arche, devant laquelle je me tenais, et des ténébrumes, s'accrochant en torsade sur eux, emplissaient l'air de leur parfum sucré. Un peu plus loin, un bâtiment blanc et or brillait par l'incroyable végétation qui s'enroulait et fleurissait sur lui. Quand je m'approchais, je vis que sur l'étendue d'herbe était écrit, tondu, en gros "Boutique du meilleur Fleuriste des Cités Perdues". Tiens...ça me disait quelque chose...
La porte en verre s'ouvrit et une elfe sortit, un bouquet dans les mains. Elle était grande et avait la peau bronzée.
Elle se rapprochait et je pris peur. Et si j'avais fait interruption dans un manoir privé ? Mais non, c'était un fleuriste comme le disait le message dans l'herbe !
Elle vint vers moi et je la reconnus. C'était Li-quelque-chose-quelque-chose, qui était elle aussi scolarisée à Foxfire !
- Keefe ! Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
Apparemment elle se souvenait de mon nom, elle. Mal à l'aise, je m'exclamai:
- Eh ! Li.... Comment ça va ?
Avec un peu de chance elle n'avait pas remarqué le blanc après la première syllabe de son prénom.
Raté.
En souriant, elle me corrigea:
- Linoa. Je m'appelle Linoa. Lili si tu veux, mais Li' c'est un peu court. Et je vais bien, compléta-t-elle.
J'étais plus d'extrêmement gêné. J'allai partir quand je me souvins d'une info importante que je devais savoir.
- Li...noa, quel jour est-ce qu'on est ?
Elle me regarda bizarrement et amusée, me répondit:
- T'es un drôle toi. On est le sept.
- Le sept quoi ?
Je souris en haussant les sourcils, comme si ma question était tout-à-fait normale.
- Bah le sept février.
- Le sept février !? Mais comment c'est possible on est beaucoup trop loin de la date de sa...
Je m'arrêtai juste à temps.
- La date de quoi ?
Elle fit une moue boudeuse devant mon silence mais retrouva vite son sourire.
- Je rigolais, hein. On est le sept mars.
- Et là, tu rigoles toujours en disant ça ?
- Non.
Je ne comprenais pas pourquoi mon pouvoir m'avait emmené ici. On n'était ni à Havenfield ni le jour de sa mort ! Je voulais bien comprendre que j'avais fait n'importe quoi sous le coup de l'émotion, mais quand même, un mois avant sa mort et dans un endroit totalement inconnu, c'était vraiment incroyable - et dans le très très mauvais sens -.
Après, n'avais-je pas dit que c'était la dernière fois ?
Je fouillai ma mémoire photographique et conclu avec mauvaise foi que non, je ne l'avais jamais dit.
J'étais tout simplement incapable de renoncer à Sophie même si cela me détruisait. Et puis que gagnerais-je à rester prisonnier de mes souvenirs si je l'abandonnais ?
Au moins, ici, je pouvais la voir. Morte, c'était mieux que rien.
Les larmes commençaient à pointer à son souvenir teinté de sang.
Morte, mais je la vois.
C'était si horrible que cela me donnait envie de vomir. Je remerciai rapidement Linoa, prêt à partir quand elle m'enlaça, lâchant son bouquet.
Elle me regarda ensuite droit dans les yeux et me dit:
- Je t'aime Keefe. Même si ce n'est pas réciproque. Je t'aime et un jour, toi aussi tu m'aimeras. Je le jure.
Son regard bleu-ciel, parsemé de touche dorée, ne flanchait pas et, mal-à-l'aise, je me détournai.
- Ouais.. Salut Linoa...à la prochaine.
Il n'y aura pas de prochaine fois.
Avec le plus grand des sérieux elle me répondit:
- Au revoir Keefe. A la prochaine.
Je brandis mon cristal de saut mais, avant d'être englouti par le rayon lumineux, je vis la jeune elfe brune au dégradé cuivré rejoindre un grand elfe aux cheveux aussi dorés que ceux de ma Sophie.
C'était Sir Haflat.
Linoa était la fille de mon ancien psychologue.
Arrivé devant Havenfield, j'étais toujours aussi ébranlé et Grady, qui portait un immense plat rempli de graines, me rentra presque dedans parce qu'il ne m'avait pas vu et que j'étais en plein milieu du passage.
Je m'excusai vite et partis voir Sophie. Il fallait que je me ressaisisse ! Il était hors de question de rater encore parce que j'avais la tête en l'air.
Parole de Keefe, cette fois-ci serait la dernière !
J'entrai.
Sophie était encore et toujours dans sa chambre, je répétais tout exactement comme la dernière fois, comme toutes les dernière fois.
Je lui appris mon pouvoir, snobais sa surprise et répétais à Sandor de garder la porte du salon.
Mais je n'avais malheureusement rien dit sur la fenêtre de la chambre.
Ma génitrice surgit brusquement dans une explosion de verre - comment avait-elle fait ? Nous étions au deuxième étage ! -, accompagnée de deux gobelins que Sandor sembla reconnaître, ce qui l'ébranla. Il se plaça malgré tout immédiatement devant sa protégée. Cela n'empêcha pas ma mère de lever sa dague et de trancher vivement la carotide de Sandor, sans qu'il ne puisse esquisser un geste. Son corps massif tomba au sol au ralenti et fit un bruit mat en touchant le parquet.
Sophie ne bougeait pas, profondément choquée par la mort de son garde du corps.
Je me rappelais ma promesse de tout à l'heure en me plaçant, à mon tour devant Sophie. C'était la dernière fois. Hors de question d'échouer.
Et pourtant...et pourtant.... Ma mère évitait avec grâce mes coups et se faufila derrière moi. Tua Sophie aussi facilement qu'elle l'avait fait la première fois.
Mes larmes ne coulaient plus, épuisées par le chagrin perpétuel dans lequel j'étais plongé jusqu'au cou, quand je revins à nouveau dans le passé.
C'était la dernière fois.
Puis la dernière.
Et la dernière des dernières.
La dernière au monde.
Mais à chaque fois, je ne pouvais renoncer. Malgré la torpeur dans laquelle ça me plongeait.
Une dernière fois.
Car j'étais sûr de ne pas être plus heureux sans Sophie. Seul le "Si j'abandonne, je serais encore plus malheureux. " me convainquait de continuer. Malgré les blessures. Malgré les échecs.
Une dernière fois.
Cependant, je doutais. A chaque fois, mon pouvoir me ramenait à la demeure familiale de Linoa, qui me faisait ensuite sa déclaration, malgré tous mes efforts pour atterrir à Havanfield. Chercherait-il à me faire passer un message ?
Une dernière fois... Non, hors de question !
Laissant le corps de Sophie et ma mère derrière moi, je sautai à Olentis Flores, la boutique familiale de Linoa.
Celle-ci vint rapidement quand elle me vit arriver.
- Keefe ! Que fais-tu là ? Tu as oublié quelque chose ?
- Non...rien.
C'est vrai, que faisais-je là, le regard perdu dans le vide et les yeux rouges d'avoir trop pleuré ? Ne devrais-je pas être en train de me dire "C'est la dernière fois Keefe, courage !" ? Ne devrais-je pas essayer de sauver mon amie-qui-compte-plus-que-tout plutôt que de venir voir une elfe follement amoureuse de moi, aux yeux plus clairs et malicieux qu'un lutin, aux sourires francs et à la vie simple, sans problèmes ?
- Keefe... Tu peux tout me dire tu sais, je ne te jugerai jamais. Je ne suis pas Empathe comme toi mais je ressens ta douleur. Je ne veux pas que tu souffres Keefe. Je t'aime trop pour cela.
Malgré moi, malgré mes sentiments toujours présents pour Sophie, mon coeur se réchauffa en entendant ces mots. C'était si bon de se sentir aimé.
Je me décidai à lui raconter.
- Sophie est morte, Linoa.
Moi qui pensais ne plus rien éprouver face à ces morts répétitives, je fus bien surpris en entendant ma voix se briser et en sentant les larmes perler.
- Oh... Sophie Foster ? L'elfe blonde ?
Sa demande m'étonna. L'elfe blonde. Pas l'elfe aux milles pouvoirs, pas l'elfe aux yeux marrons. L'elfe blonde.
Linoa était vraiment une bonne personne.
J'inspirai.
- Linoa... Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à tes sentiments mais... veux-tu bien être, pour l'instant, juste une amie ? J'ai peur que la...disparition de Sophie ne me sépare de mes autres amis et je ne pense pas pouvoir supporter la solitude et la culpabilité. Tu es la personne la plus gentille que je connaisse désormais, et je suis sûr que l'on pourrait bien s'entendre
Elle resta coite un instant avant de me demander si je parlais sérieusement. Je hochai la tête et elle me fit un grand sourire.
- Oui Keefe, oui ! J'accepte avec grand plaisir. Ce n'est pas grave si tu ne m'aimes pas pour l'instant. Ça viendra plus tard !
Elle parlait avec une assurance que je lui enviais.
Je souris et lui dit:
- Très bien.
J'avais juste besoin d'un peu de repos... Il serait toujours temps de sauver Sophie dans deux semaines. Pour l'instant j'étais si fatigué, si las de tout...
Pardon Sophie, mais je t'abandonne.
Pour un temps ou pour toujours.
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