6. Balade illusionnaire (#2)

Point De Vue Keefe:

Après un voyage dans le temps plus que horrible - entre la vue du corps sanguinolent de Sophie toujours présente, la nausée de revenir en arrière et la fatigue que tout cela me procurait, je n'étais pas au top de ma forme-, j'arrivai en face d'une petite échoppe qui ne devait pas faire plus de 300 m², rue Umenore.

Ce devait être là que s'étaient réunis les manifestants. C'était incroyable que mon pouvoir les ait trouvés, sans autre indication que leurs réclamations !

L'heure était désormais de l'utiliser à bon escient.

Quand j'entrai, en faisant attention à ne pas faire sonner le carillon, je fus stupéfait par le rassemblement présent sous mes yeux. La petite boutique aux tons verts était noyée sous le flot de personnes qui s'y trouvaient. Nous étions tous entassés, avec à peine assez d'air pour respirer, mais cela ne semblait déranger personne !

Il régnait un bourdonnement constant, résultat de la centaine de personnes qui discutaient ici. Les bribes de phrases que j'arrivais à saisir parlaient du Conseil et de ses erreurs.

J'essayai de m'extraire de l'emplacement près de la porte, où étaient situés les plus incertains qui avaient surtout suivi leurs amis. Je voulais le dur du dur, la crème de la crème. Je voulais les plus convaincus pour les convaincre de renoncer.

Après dix minutes d'efforts, je fus au milieu de la pièce près d'une table, où parlait vivement un elfe aux cheveux blond-vénitien. Je sursautai en le reconnaissant: c'était le chef qui avait reçu un coup au coin de la bouche ! Celui qui avait insulté Sophie, celui à cause de quoi tout avait commencé !

- Il faut qu'on agisse ! s'exclamait-il. Rester dans l'ombre n'aidera pas les Cités Perdues et ne sauvera pas nos proches !

Les cris résonnaient dans le magasin, montrant leur accord. Je ne pouvais justement pas les laisser agir !

Je me plantai fermement face à eux et tentai d'exprimer au mieux ce que je ressentais, en laissant mon cœur parler, pour les persuader:

- Que reprochez-vous exactement au Conseil ? Oui, il a fait des erreurs, certaines ont même coûté la vie à des elfes, des gnomes... Mais auriez-vous fait mieux ? Alors je vous le dis: renoncez et proposez plutôt des idées pour alléger leurs responsabilités. Agissez !

Ils furent surpris par mes mots - voir tout simplement par ma présence - mais dûrent reconnaître que j'avais raison et ne prenèrent pas mouche de mon discours, la non-présence des Conseillers à mes côtés devant sûrement y être pour quelque chose.

Après quelques autres minutes de débat avec eux, où j'exposais mon point de vue le plus clairement que je le pouvais, je les laissais pendant qu'ils cherchaient comment aider le Conseil.

Le cœur et l'esprit en paix pour la première fois depuis longtemps, je retournai chez moi.

Seulement, je n'avais même pas commencé à préparer un cocktail explosif de bactéries avec Ro pour mon père, que je reçus un message télépathique de Sophie disant que tout notre groupe allait faire une excursion près des falaises Levantes et qu'on se rejoindrait là-bas.

Ma joie partit aussitôt à cette nouvelle. Était-elle vraiment obligée de tenter la mort à chacun de mes essais ? J'avais presque réussi !

La mort dans l'âme, je la rejoignis en espérant qu'un petit groupe comme le nôtre n'attirerait pas autant l'attention qu'une troupe de cinquante personnes. C'était désormais la seule chose que je pouvais faire, espérer.

Maussade, j'avertis Ro du changement de projet et elle grommela sur le fait qu'on ne pouvait même plus enquiquiner les enquiquineurs tranquillement. Elle sortit et je me changeai pour enfiler une tenue plus confortable et idéale pour une balade qui se finirait forcément bien. Forcément.

Je montai jusqu'au luminateur.

Comme les Falaises Levantes restaient un endroit très visité par les elfes grâce à ses levers de soleil enchanteurs, elles étaient inscrites parmi les 9 999 autres destinations.

Je criai donc d'une voix où perçait l'angoisse:

- Falaises Levantes !

Quand j'arrivais, Sophie, Linh et Mister Frangette étaient déjà présents et m'attendaient - ainsi que Fitz, Biana et Dex j'imagine - .

En me voyant, le Ténébreux leva les yeux au ciel, ayant l'air de se demander ce que je fichais ici.

Je n'avais pas très envie de plaisanter, la vie de Sophie était en jeu, mais cela risquait de faire bizarre. Je m'exclamai donc sans véritable joie:

- Dites, vous n'auriez pas vu Tam ? Je dois lui donner son bonheur de me voir ici...

Je me tournai vers lui en ayant l'air surpris de l'apercevoir. - Ah ! Te voilà! Tu as tout entendu ? Oh, que je suis confus... Je batttis des cils en faisant une moue tristounette. Puis deux secondes après je fis un grand sourire et continuai l'air de rien: - Sinon, où sont les Fitzianexinator ? Linh eut un instant de bug pendant que Tam levait encore les yeux au ciel pour ce qui me semblait être la dixième fois depuis que j'étais arrivé. Sophie, quant à elle, eut la même réaction que l'hydrokinésiste et chercha ce que je voulais dire. Elle soupira en comprenant, tout comme Linh: -Tu ne pouvais pas tout simplement dire "Fitz, Biana et Dex " au lieu de... ton nom bizarre ?

- Non.

Je lui fis un grand sourire.

Linh, qui était apparemment la seule à avoir réellement écouté ma question, répondit d'une voix douce que les Vacker avaient une réunion de famille et que Dex devaient garder ses frères et sœurs. Nous ne serions donc que quatre pour la promenade.

Nous nous mîmes en route, afin d'arriver à l'endroit que Sophie voulait nous montrer avant que le soleil ne soit trop chaud.

Fatigué de toujours trop m'inquiéter pour Sophie, je profitai deux minutes du paysage qui s'offrait devant nous et que je n'avais pas contemplé depuis au moins sept ans. Malgré le fait que l'heure du lever du soleil était plus que passée, les Falaises restaient magnifiques avec leur végétation luxuriante et diverse. On voyait passer des fées aux ailes scintillantes, des dryades jouaient près des ruisseaux et de grands buissons remplis de fleurs blanches et bleues parsemaient les côtes pentues. La température était idéale pour une balade, le vent doux bruissait dans mes cheveux et le soleil réchauffait ma peau découverte. Aucun bruit de la ville ne parvenait jusqu'ici et je savourai la nature à l'état pur sans ses artifices de joyaux.

Au bout de quelques minutes, cependant, je vis autre chose à travers cette beauté naturelle.

De grandes capes noires emplissaient tout l'espace sans aucun espoir de sortie, de vie. Quand j'essayai de m'extirper de cette fureur mortelle, je fus retenu par un regard chocolat et dû trembler sous les assauts répétés d'attaques ennemies.

J'avais peur pour moi et pour mes proches, et rêvais d'être autre part, loin de tous ces défunts et ces problèmes.

Je me mis à courir sans regarder autour de moi, j'étais bien trop terrifié d'y voir la mort.

On m'attrapa par le col en hurlant mon nom. Je me débattais, il était hors de question qu'ils me reprennent ! Pas encore une fois...

Je réussis enfin à me dégager de mon agresseur et recommençais à fuir, bousculant ceux qui se mettaient en travers de mon chemin.

Devant moi se dressait la sortie ! Les Falaises ne seraient bientôt plus qu'un mauvais souvenir !

Alors que j'étais pratiquement hors de cet endroit maudit, je reçus une énorme baffe, sans en voir l'auteur.

Je voulus me relever mais on me maintint au sol.

Soudainement deux yeux bleu-gris, apparaissant de nulle part, se plantèrent aux miens et m'ordonnèrent d'arrêter.

C'était peut-être les contours de la personne, qui se dessinaient de plus en plus clairement et laissaient apparaître une silhouette familière, ou le léger tremblement que j'avais entendu lors de l'ordre qui me convainquirent mais, quoi qu'il en soit, je lâchai prise.

Le retour à la réalité fut brutal. Devant moi, aucune trace des Invisibles ou du moindre arbrisseau détruit. Les oiseaux chantaient toujours leurs mélodies joyeuses, le ruisseau ondulait sous le soleil de onze heures.

Tout était parfait et rien n'avait changé.

C'était ce que je me disais si je faisais exception de mes amies à terre et de, surtout, Tam qui était planté au-dessus de moi et me regardait sans dire un mot.

Que faisaient-ils tous là ? Et les Invisibles, le ciel devenu noir sous les éclairs des Chargeurs ? Où était passé tout ça ?

Le Ténébreux lâcha mes épaules, qu'il serrait auparavant sans pitié.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? me demanda-t-il abruptement

Je voulais lui dire que j'avais vu les Invisibles débarquer et la panique envahir les Falaises Levantes mais, d'après ses émotions complètement chamboulées où peur, colère et crainte se disputaient, je doutais qu'il puisse croire la moindre parole vraie qui sortirait de ma bouche.

Je déclarais donc le plus posément possible en me relevant que tout allait bien et qu'il ne fallait pas s'inquiéter pour si peu.

Le "si peu" que je ne connaissais d'ailleurs pas. Tam avait raison - et ce n'était pas souvent que je l'admettais -. Que s'était-il passé depuis, et pendant, que les Invisible étaient apparus ? Est-ce que, sous l'effet de la peur, j'aurais inconsciemment remonté le temps ?

Tam, comme ayant deviné mes craintes, s'exclama sans pouvoir se retenir, à l'image d'un barrage qui cède sous la pression de l'eau:

- Mais as-tu la moindre idée de ce que tu as fait !? Regarde ma sœur, regarde Sophie !

Il m'obligea à tourner la tête vers les deux filles, l'une allongée se tenant la tête, l'autre l'aidant à se relever.

La voix tremblante d'émotions, il continua:

- J'ai senti ta sombrume s'agiter, lorsque tu as commencé à crier. Après tu as essayé d'échapper à un ennemi invisible et Linh a essayé de te retenir... Tu l'as poussée sans ménagement ! Et quand Sophie est venue lui prêter main-forte, pareil ! J'ai dû te poursuivre pendant une dizaine de mètres, que tu parcourais les yeux fermés, toujours hurlant, avant de réussir à te rattraper et à te faire revenir parmi nous.

Il marqua une pause, l'air vraiment chamboulé de ce qui s'était passé. Je ne comprenais d'ailleurs pas comment cela se faisait qu'il ne m'ait pas encore enfoncé la tête dans le sol, à cause de tout ce que j'avais fait à sa jumelle.

- Alors, reprit-il, je te le demande une dernière fois: Keefe, que s'est-il passé ?

Je ne voulais pas répondre, il me prendrait pour un fou. Lui, ainsi que Sophie et Linh qui nous avaient rejoints. Je les détaillais en faisant semblant de ne pas avoir entendu Tam. Elles ne semblaient pas blessées, seulement choquées de ce qui venait de leur arriver.

J'étais vraiment désolé de ce que j'avais fait, mais ne pouvais m'excuser. Sinon je devrais expliquer l'hallucination que j'avais eue, et il en était hors de question.

Tam attendait toujours, les bras croisés et les sourcils - enfin, j'imaginais comme je n'en voyais qu'un le seul - froncés. Je devais leur servir un énième mensonge, cependant, je séchai complètement.

Comment expliquer le fait que je m'étais mis à hurler en courant partout et bousculant mes amis ? C'était impossible.

J'allais changer de sujet, de façon tout sauf discrète, quand j'aperçus de nouveau les capes sombres qui engloutissaient l'horizon.

Je ne dis rien, persuadé que c'était encore une vision mensongère et me tus.

Sophie, qui avait suivi mon regard paniqué sur les collines, s'écria:

- Les Invisibles ! Keefe, pourquoi n'as-tu rien dit ?!

Je ne lui répondis pas.

Ma langue était devenue pâteuse et j'avais un goût de sang dans la bouche parce que je mordais l'intérieur de ma joue le plus fort possible depuis que Sophie avait crié. Mon souffle s'était accéléré, au point que je haletais presque. Un étaut me serrait la poitrine et mes doigts étaient crispés, agrippés à mon pantalon.

La rage me donnait envie de tout casser, ce que la peur m'empêchait de faire. En voyant mon immobilité, la belle elfe blonde se tourna vers moi.

- Keefe ? Keefe !

Je fermai les yeux et tentai de me concentrer, de me calmer.

Lorsque je les rouvris, le regard chocolaté de Sophie était toujours planté au mien et je me rappelai ma résolution.

Ne pas craquer. Juste sauver Sophie.

Une fois cela fait, tout irait bien.

***

Mais nous étions trop peu et eux trop bien préparés.

Je m'étais rendu compte, quand ils nous avaient de nouveau découverts malgré notre groupuscule de quatre ados, que c'était Sophie qu'ils voulaient. Et c'était Sophie qu'ils auraient. Encore et pour toujours.

Cependant, je n'abandonnerai pas.

De nouveau penché sur le corps de ma Sophie, les yeux brouillés par des larmes de rage et de désespoir, je me fis une nouvelle promesse.

Cette fois-ci, je lui dirai tout.

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