14. Un miracle (#66)

Point De Vue Keefe:

Le visage de Sophie devint peu à peu moins blême, plus reposé.

Les grandes plaines d'Havenfield se dessinaient au loin, vertes et en pleine forme.

Heureusement, le saut, combiné au retour du corps de Sophie dans le passé de dix minutes, n'avait entraîné aucun problème au niveau cellulaire car, ni elle ni moi n'avions le corps transparent.

J'observai avec joie son sang, qui coulait auparavant à grande vitesse de sa nuque et en remontait désormais tout le long.

Bientôt, à l'endroit de l'ancienne blessure, il n'y eut plus rien.

J'avais réussi !

Le soulagement me donna les larmes au yeux et Sophie me demanda, inquiète:

- Keefe, tout va bien ? Que se passe-t-il ? Et... pourquoi suis-je encore vivante ? C'est un miracle !

- Oui, répétais-je, un miracle.

Biana, alertée par les exclamations de Sophie, nous rejoint.

- Sophie ? Mais tu vas beaucoup mieux ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Je ne sais pas. C'est ma bonne étoile qui m'a sauvée.

Elle sourit et me glissa.

- Je vais mieux Keefe, merci. Je pense maintenant pouvoir marcher toute seule.

Je la reposai à regret et la regardai s'éloigner, accompagnée par Biana, à la rencontre de ses parents adoptifs qui accouraient, affolés. Elwin était devant eux, ses lunettes cellulaires déjà sur le nez et une orbe de lumière dans chacune de ses mains.

Il ne s'autorisa pas à reprendre son souffle, malgré l'aspect pimpant de sa cliente préférée et quotidienne, et dit d'une voix hachée par la course et presque muette sous l'ébahissement.

- Sophie !

Après une pause, durant laquelle il inspecta la merveilleuse elfe qui se tenait il y a quelques secondes dans mes bras - dans mes bras ! Oh mon pauvre coeur...- , il déclara, sous le choc:

- Mais... Tu n'as rien !

Son exclamation sonnait presque comme une question.

Il se tourna vers Edaline et Grady.

- On m'a pourtant dit que c'était grave...

Edaline, qui ne comprenait pas non plus, hocha la tête et interrogea Biana du regard. Celle-ci s'exclama:

- C'est un miracle ! Elle a guéri comme ça, d'un coup !

Les adultes se regardèrent, à la fois étonnés, suspicieux, mais heureux de la nouvelle.

Elwin proposa même en riant que c'était peut-être le déclenchement d'un énième pouvoir, celui de guérison.

J'étais heureux de les voir tous rire de nouveau. Aucun d'eux n'avait le souvenir - les souvenirs - de la mort de leur Sophie adorée. Aucun d'eux ne se souviendrait du calvaire que nous avions tous enduré à sa mort.

Excepté moi.

Ce qui me faisait réaliser que la vie n'était - quoiqu'en dise les Anciens - pas éternelle. Je pris donc une grande décision et lançai discrètement, de la manière la plus neutre possible, à Sophie, avant de partir:

- Rendez-vous ce soir à 20 heures devant le panacier de Calla ! Je dois te dire un truc.

Elle hocha la tête et me fis un signe de la main, avant de continuer à parler avec Biana de l'étrangeté de sa guérison.

Tout tournait de nouveau.

Cela me faisait bizarre de ne plus être sur le qui-vive, à guetter chaque danger qui affecterait moralement ou physiquement Sophie.

Et aussi de voir le monde tourner à nouveau, imprévisible.

...Mais avant de partir, j'avais quelque chose d'urgent à faire.

Je rebroussai chemin, courant presque. Grady ne me dit rien, trop accaparé par sa fille guérie alors qu'on la pensait condamnée.

Arrivé à la chambre de Sophie, je vérifiais qu'il n'y avait personne. C'est bon, la voie était libre, tout le monde était occupé en bas, en train d'embrasser ou de rigoler avec Sophie.

Je me dirigeai vers son bureau et ouvrit le troisième tiroir. Le fond de celui-ci était légèrement penché vers la gauche, et je soulevai le coin surélevé.

Au fond, huit enveloppes, chacune marquée d'un prénom.

Grady. Edaline. Dex. Biana. Fitz. Linh. Tam.

Et... Keefe.

Moi.

Je la pris, puis l'ouvris.

Keefe... Si tu lis cette lettre, c'est que je suis morte.

J'en pleure et j'en crie, rien que d'y penser ( d'ailleurs ma mère commence à s'inquiéter et ne va pas tarder à venir voir ce qu'il se passe ).

Je... je ne veux pas que tu souffres. Je ne veux pas que toi, mes parents, souffriez à cause de moi, ce serait encore pire que la mort.

Si je t'écris cette lettre, c'est que j'ai peur. Peur pour vous. Peur pour moi. Peur pour ma vie.

Je me suis rendue compte que la chance ne suffisait pas toujours, et que j'en avais bien trop abusé pour pouvoir vivre sereinement.

J'ai peur de mourir, Keefe.

Je suis terrifiée.

Et pourtant, ma vie est parfaite. J'ai des amis géniaux, une famille aimante, et je vis dans un monde juste incroyable.

Mais je suis morte.

Je suis une elfe, Keefe, alors pourquoi je suis morte ?

... Je suis désolée... Toi aussi, tu dois te poser cette question en lisant ma lettre.

Je...je suis très heureuse de t'avoir connu... Sans toi, ma vie n'aurait pas été pareille. Ni aussi drôle, ni aussi gaie...

Saches que, si je ne t'avais pas rencontré, je t'aurais cherché. Jusqu'au bout du monde.

Tu es un elfe génial, Keefe, ne l'oublie pas. Malgré toutes les crasses que te fait ta mère, tu restes pur et bienveillant... Quoique un peu imprudent :) .

...Si je suis morte à cause des Invisibles ( c'est sûrement ça, j'imagine...), ne cherche pas à te venger, ne corrompe pas ton cœur si innocent.

Si c'est un accident inter-espèce ( ça pourrait arriver, vu mon expérience avec le roi Dimitar...), ne fait pas d'esclandre et ne déteste pas l'espèce.

Et, si c'est un accident inconnu ( on ne sait jamais avec moi...), ne ruine pas ta vie à essayer d'en déterminer la cause.

Sois heureux. C'est tout ce qu'il me faut pour demeurer en paix.

Adieu, Keefe.

Ta Foster.

Ce que je m'étais dit en lisant pour la première fois sa lettre, c'est qu'elle ne pourrait jamais demeurer en paix, qu'il m'était impossible de l'oublier et de "vivre heureux".

Je ne pouvais pas vivre heureux sans elle, m'étais-je dit.

Et j'avais eu raison. J'avais persisté malgré les épreuves que la vie m'envoyait, et j'avais réussi. Sophie était de retour.

Je pris également les autres lettres et, sans les regarder, les déchirai, en même temps que la mienne dans la poubelle.

Tu ne mourras plus, Sophie.

Pas besoin de lettre.

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