Chapitre 6
« Quoi que vous rêviez d'entreprendre, commencez-le, L'audace a du génie, du pouvoir et de la magie. »
Goethe
La pluie s'abat sur le toit du kiosque où Jenna s'est abritée.
Elle écoute le clapotis mystérieux des larmes du ciel comme on écoute l'écho de ses pensées, familières dans leur rythme et étrangères dans leur résonance. Un vague souvenir du conscient s'abandonnant à l'inconnu.
Jenna se lève et quitte le cercle protecteur, s'exposant à l'eau qui s'infiltre par chacun de ses pores sans noyer de ses flots son bien le plus précieux.
Sa graine n'est plus mais Jenna ne s'en attriste pas. Elle a compris que fin et début sont indissociables, qu'ils ne font qu'un, l'un naissant à l'aube de l'autre. Elle n'est plus graine car elle est la fleur qui ne s'est pas encore ouverte, sauvage dans sa désinvolture, majestueuse dans sa solitude et indomptée dans sa différence.
Jenna s'abreuve de la pluie et s'émeut de ce ciel sans étoile, conciliante à son apparence obscure cachant une lumière qu'oublient ceux qui ne s'y reconnaissent pas. Elle n'a pas besoin de voir les astres briller pour savourer sa présence. Elle la sent dans l'infinité séparant cœur et esprit.
La dix-septième branche ploie sous le poids de la jeune fille. Jenna laisse ses doigts dévaler les sillons de l'écorce, les veines gorgées de sang de son refuge. Elle se demande quelle graine a pu se muer en cet arbre centenaire, quel enfant a gravé l'immortalité de son rêve sur le tronc creux et a façonné de son espoir les racines.
« Si tu n'avais pas que seize ans, j'aurais pu croire que c'est ta graine qu'on a semé ici. Mais la vérité est plus belle n'est-ce pas ? Ta graine, tu l'as emportée avec toi, tu l'as plantée dans ton jardin secret.
Tu sais beaucoup de choses ont changé depuis l'année dernière. L'époque des doutes est révolue, plus personne ne pourra me faire rebrousser chemin. Aucun adulte n'entachera mes rêves de son pessimisme. Je le refuse.
Aujourd'hui, j'ai commencé un recueil de poésie. Finis les feuilles volantes et les poèmes dispersés, ce que j'écris fait partie d'un tout. Mes vers sont indissociables les uns des autres, ils portent tous un éclat de mon être, une lueur de mon âme en signature.
J'espère que tu seras fière de ce que j'écris, j'y mets tout mon cœur, l'essence de mes rêves. Je n'ai pas encore montré mes poèmes à ma famille, bien sûr ils savent que j'écris mais ils n'ont jamais lu mes textes. Pour l'instant, je préfère les montrer à d'autres rêveurs comme toi et moi...
Mais j'en rencontre de moins en moins, les années passent et ils déposent les armes. Ils pensent que grandir c'est abandonner leurs rêves mais ils se trompent car ils ont toujours eu un modèle erroné d'adulte sous leurs yeux ! Ils prêtent plus d'attention à ceux qui ont échoué qu'à ceux qui ont réussi même s'ils sont nombreux.
Et puis il y a tous ceux qui se croient raisonnables, qui te sortent des chiffres pour te prouver que ton rêve est un mur dans lequel tu vas rentrer ! Je n'en ai que faire que seulement un pour cent des manuscrits envoyés à une maison d'édition sont retenus. S'il le faut je ferai partie de ce pourcentage aussi infime soit-il. Vais-je m'arrêter ici car je n'ai pas toutes les chances de réussir ? Aucun être humain ne peut prévoir qui réussira ou échouera et le risque zéro n'existe pas !
Alors tant qu'à me perdre, je préfère me perdre dans mes rêves plutôt qu'errer dans leur écœurante réalité... »
Jenna se sent prête à s'envoler, porter par son indignation et par une rage née de tout l'amour qu'elle porte en elle. Un amour farouche pour l'humanité, impulsif pour les mots, protecteur pour les rêves, amer pour le silence et mystérieux pour le ciel...
Un amour aux multiples nuances qui déborde en elle et arrose sa fleur.
Un amour aussi fort que celui qu'elle lui porte et qui s'importe peu des conditions mortelles, dépassant les limites que l'humain met inconsciemment entre lui et ceux qui sont partis.
Jenna sent son cœur battre dans sa poitrine, elle sait que lui aussi l'écoute et que tous deux ils entendent ces même mots qui rythment inlassablement les nuits de leurs retrouvailles.
« Je ferai pousser ma graine. Je réaliserai mon rêve. Je te le promets. »
Je te le promets
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