Chapitre 4
« Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c'est son génie. »
Charles Baudelaire
Jenna se laisse glisser le long du tronc. Elle sort un carnet et un crayon de son sac et commence à écrire.
Jenna ne refoule jamais son inspiration, elle la vit. Elle ne cohabite plus avec la graine. Elle est la graine qui est devenue bourgeon.
Jenna est semblable à la violette qui pousse près du sapin. Personne ne l'a pas plantée là, elle est venue seule, loin des parterres de fleurs aménagés autour du kiosque.
Jenna aime les fleurs sauvages, celles qu'on ne trouve pas chez le fleuriste, celles qui ne se mettent pas en vase, celles qu'on ne cueille pas et qu'on regarde s'épanouir sans oser les toucher.
Mais le poème qu'écrit Jenna à la lumière des derniers rayons de la journée ne porte pas sur les fleurs.
Jenna écrit sur son arbre, celui contre lequel elle est adossée, celui qu'elle décrit d'une plume nostalgique. Elle suspend son crayon en l'air, elle regarde la feuille un instant en retenant son souffle.
La violette, silencieuse attend, pourtant elle est fatiguée, elle qui se couche toujours avec le soleil. Mais aujourd'hui elle attend car elle veut voir le bourgeon s'ouvrir.
Jenna ferme le carnet et sourit. Elle est heureuse, heureuse d'une façon simple et innocente. Le bonheur de ceux qui ont encore la graine...
Alors Jenna glisse son crayon dans son sac et monte à l'arbre. Elle s'assoit à califourchon sur la quinzième branche et accroche son sac au dessus. Elle se balance au rythme du vent, au rythme de la vie qui tangue sous les pieds des hommes.
La nuit est claire, assez pour lire à sa lueur. Alors pour la première fois Jenna va lui lire ce qu'elle a écrit, des mots qui ont éclos en elle et qui ont fleuri sur sa feuille :
« Une branche craque et la cime se plie
Sous le poids d'enfants qui ont grandi
Au pied de leur refuge centenaire,
Dressant vers le ciel ses épines fières.
Non, aucune cabane en ses hauteurs,
Mais un enchevêtrement trompeur
De secrets prononcés à voix basse,
Dernier relent du temps qui passe.
Un sanctuaire d'écorce pour leurs rêves,
Qui sont conservés à l'abri dans la sève
Qui figée, contemplait leurs jeux sans loi
Où suffisaient imagination et bois.
Le sapin résonne encore de leurs cris,
Dernière ruine de la nostalgie,
Les empêchant de sombrer dans l'oubli
Où les souvenirs trouveront répit. »
Jenna se tait, son murmure s'éteint et ses vers volent jusqu'à lui. Elle attend, comme un enfant attendrait le consentement d'un parent.
Une enfant, n'est-ce pas ce qu'elle est ? N'est-ce pas ce qu'est l'artiste qui se joue des mots et dont les mots se jouent de lui ? N'est-ce pas ce qu'on lui dit quand elle parle de sa graine ? Enfant, n'est-ce pas le terme qui désigne ceux dont le cœur est trop grand pour être adulte ?
Jenna n'écoute pas les discours ennuyeux de ceux qui pensent savoir. Elle n'écoute plus les mots depuis longtemps. Elle écoute le silence et les réponses qu'il porte. Elle l'écoute lui, car écouter un véritable ami c'est écouter son cœur.
Jenna n'est jamais seule car le silence lui parle. Désormais c'est son tour de parler...
« Mon poème t'a-t-il plu ?
Je te demande cela plutôt que si tu l'as compris, car pour nous je sais qu'il est une évidence.
C'est cela la poésie, l'évidence de l'âme enjolivée des tournures de l'esprit. Un sens caché derrière des mots, un cœur caché derrière l'esprit. À moins que le sens et les mots ne font qu'un et que le cœur et l'esprit soient indissociables...
Tellement de pensées qui peuvent sembler étranges pour ceux qui n'y accordent nulle attention, dérisoires même pour ceux qui disent de ne pas avoir le temps. Mais ils ont torts, on a toujours le temps si on le veut. Cela ne sert à rien de lui courir derrière, c'est lui qui nous suit.
La preuve, regarde-nous ! Quatre ans qu'on a le temps... Le temps de nous parler, de nous écouter, d'écouter nos silences. Mais tu sais, ma graine n'est plus silencieuse ! Elle cri au fond de moi, sans un bruit, mais si fort que ma plume en tremble.
C'est pour cela que j'ai écrit le poème, car ma graine me suppliait de le faire et que je ne lui résiste jamais. C'est toi qui me l'as appris, toujours écouter sa graine. Et ma graine, elle, s'abreuve de vers. Les vers sont pour elle ce que devrait lui être l'eau.
Alors j'écris, j'écris et je fais grandir ma graine. »
Jenna frissonne, les lèvres scellées et le cœur ouvert. Ouvert à sa réponse, à ce trop plein de sentiments qui l'anime. Ouvert au monde car elle appartient au monde et que le monde lui appartient...
Jenna range son carnet dans le sac qu'elle laisse tomber au sol. Elle se met debout sur la branche, les bras déployés comme deux ailes qui lui permettront un jour de s'envoler. Elle s'avance jusqu'au bout et retient son souffle tandis que les étoiles, la fleur et le sapin attendent.
Alors Jenna parle, parle avec ses lèvres, avec son cœur, avec son âme et sa graine...
« Je ferai pousser ma graine. Je réaliserai mon rêve. Je te le promets. »
Je te le promets
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