8.

J'ai attendu une semaine avant de lui donner rendez-vous au café. Plus pour pouvoir mettre mes idées au clair que par pure envie. Durant ces sept jours, j'ai continué à lui parler et Loïk doit désormais en savoir plus sur moi que n'importe lequel de mes amis. Je lui ai même parlé d'eux. Il n'a jamais porté aucun jugement sur aucun de mes proches ni sur moi. Et je dois avouer que ça aussi, ça fait du bien.

Je regarde pour la troisième fois l'heure sur mon portable avant d'enfin décider de rentrer dans le bar. Sans un regard, Melkior m'annonce que le bar est fermé, mais il s'excuse en se rendant compte de ma présence.

- Désolé, j'étais... Il est avec Uriel. Près de la scène, précise-t-il.

Il replonge dans son carnet en marmonnant. Je ne m'attarde pas plus longtemps auprès de lui et rejoins Loïk dans le fond de la pièce. Loïk m'avait bien expliqué que Melkior n'est pas du genre loquace, contrairement à Uriel. Mais de ce que j'ai compris, Uriel ne m'aime pas pour autant.

- Tu joues comme un pied aujourd'hui !

- Oui et bien excuse moi d’être stressé ! manifeste Loïk.

- Quelle idée aussi de l'inviter ! Comme si le concert ne te prenait pas déjà assez le chou !

Loïk lui fait signe de se taire d'un geste et gratte quelques notes sur la guitare qu'il tient dans les mains, s'appuyant avec nonchalance contre le mur. Ça faisait des années que je n'avais pas entendu le véritable son de cet instrument. Il y a toute une différence avec la musique diffusé depuis un portable. Loïk s’arrête subitement, ne me permettant pas de profiter plus longtemps de la sensation qui montait en moi.

- Tristan ! Pardon, je ne t'avais pas entendu.

Il repose la guitare et j'ai le droit à une grimace de la part d'Uriel.

- Je t'ai vu, assure Loïk.

Uriel lui envoie un doigt d'honneur et le blond répond par la même chose. C'est difficile d'imaginer qu'ils ont vingt-deux et vingt-quatre ans.

- Ça a été ton après-m ? me demande-t-il en enfilant sa veste.

- Pars de là, sinon je sens que je vais casser un truc, soupire Uriel.

Loïk l'envoie balader et passe son bras autour de mes épaules, tout comme j'ai l'habitude de le faire avec Arllem. Ils ne sont que des amis pour moi. Il récupère le reste de ses affaires et nous emmène dehors. Je retrouve la belle moto noire qui m'a récompensée d'un bleu sur la jambe, qui est encore visible.

- Le modèle, c'est...

- Ducati, série Monster 821. Je comprends tout à fait que tu ne l'aies pas retenu.

Avec un sourire, il me tend le casque et sa veste épaisse. La même que celle du jour de notre rencontre. Elle est un peu grande, mais je suis davantage surpris de pouvoir encore sentir quelques effluves d'agrumes.

- Je maîtrise mon véhicule, mais je me sens plus serein si tu la portes. On sait jamais.

Il sort du siège un second casque et le pose sur l'assise avant de se retourner vers moi. Il m'aide à enfiler le mien, tout en m'expliquant la manière dont je dois m’asseoir, me pencher dans les virages, communiquer avec lui ou m'accrocher.

- Attends... Je dois m'accrocher à toi ?

- Tu peux t'accrocher à la moto si tu veux, mais ça sera vraiment plus facile pour toi si tu passes tes bras autour de ma taille.

Il s'assure que le casque soit bien mis sur ma tête et tapote dessus. J'ai les joues toutes compressées.

- Prêt à vivre quelque chose d'unique ?

- J'en sais rien...

Il l'enfourche et insère la clef pour démarrer. Le vrombissement du moteur a dû s'entendre dans les rues avoisinantes. Ce n'est clairement pas un modèle bas de gamme et encore moins pour jeune pilote. J'ai eu l'impression de sentir le bitume trembler sous mes pieds.
C'est facile de deviner à son regard, qu'il est fier de son petit effet. Loïk retire la béquille et m'aide à monter derrière lui.

- Si jamais ça va pas, tu as le droit de me frapper, déclare-t-il d'une voix forte pour couvrir le bruit.

Je hoche la tête et me retiens faiblement à lui.

- Je sais même pas où l'on va !

- Tu n'as pas besoin de savoir ! Juste à me faire confiance ! Tu me fais confiance ?

- Oui !

Il abaisse ma visière puis la sienne et quitte le parking. Je suis sérieusement sur une moto, la même moto qui aurait pu me tuer deux semaines auparavant. Le moteur vibre sous mes jambes. Je lève les yeux vers le panneau indiquant la Nationale. Il change de vitesse. Je ferme les yeux. Le grondement est hypnotique. Je me raccroche plus fort à sa taille. Mon cœur bat vite. Pourquoi même bat-il aussi vite ? Tout ce que je ressens semble se multiplier par mille. Il slalome entre les voitures, le vent fouette mes jambes. Je ris bêtement. La vitesse, les sensations... C'est putain de grisant.

Je ne compte pas le temps que nous passons sur la route, mais il finit par ralentir et complètement s’arrêter sur un parking désert, jonché de plantes. Il m'invite à descendre d'un geste de tête et coupe le moteur. Je mets un petit moment avant de réussir à retirer mon casque avec mes doigts tremblants. Je le passe sous mon bras et secoue mes cheveux. J'ai envie de changer de couleur.
Loïk fait la même chose et un coup de vent fait voler quelques-unes de ses mèches blondes.

- Alors ? Pas trop eu peur ?

Je hoche vivement la tête.

- J'ai jamais vécu un truc pareil. C'était... Whoua. J'ai... J'ai pas les mots.

- Je suis heureux que ça t'ait plu.

Il se lève et sans que j'en sache la raison, mes yeux retombent sur les poches arrières de son jean. Je me reprends quand il retire sa veste et récupère ses affaires de mes mains pour les ranger dans son coffre.

- T'as pas eu trop chaud ?

- Un peu, marmonné-je. Pourquoi on est là ? D'ailleurs, c'est quoi ?

- Un vieux cinéma désaffecté depuis un an. Le terrain à été acheté, mais jamais réhabilité. C'est devenu un coin d'urbexeurs.

Comme ce qu'il venait de me dire n'avait aucune importance, il range sa veste plus légère dans son sac et l'enfile sur le dos. Je le regarde s'éloigner derrière le bâtiment et décide finalement de le rejoindre.

- De l'urbex ? Tu fais de l'urbex ?

Il grimpe sur un renfoncement en béton, passe son sac par une fenêtre non verrouillé et me tend son bras. Son muscle se tend sous ses doigts.

- Oui, depuis que j'ai quinze ans.

J'attrape son avant-bras et escalade avec lui.

- Au départ, c'était surtout pour bien faire chier mes parents, précise-t-il en rentrant par la fenêtre.

Je le suis encore une fois et pénètre dans le bâtiment. La pièce dans laquelle nous nous trouvons n'est éclairée que par la lumière de l’extérieur. Un vieux canapé à la mousse débordante est calé contre un coin, une table est recouverte de poussière, de paquet de chips et de canettes de bière. Une chaise autour de la table est même cassée.

- On est où ?

- Salle de repos du personnel.

- Les gens avaient pas fait le ménage avant de vendre ?

- Si. Mais que veux-tu, l’être humain aime salir et casser.

Pour garder un souvenir, je décide de prendre une photo sur mon portable. Prenant soin d'inclure Loïk dans le champ.

- Aller viens, il y a un autre endroit beaucoup plus intéressant.

Il sort dans le couloir et descend les escaliers. L'endroit est maintenant beaucoup plus éclairé. Il y a un énorme trou dans le plafond, créant par la même occasion une flaque d'eau stagnante sur la moquette juste en dessous. Je me penche contre le muret en béton, contemplant tout l'espace à l'étage dessous. Des tags et des signatures ornent les murs blancs. Des cadres, qui devaient servir pour les affiches films, sont brisées sur le sol. Les pas de Loïk crissent sur le verre.

- Tu tagues aussi ? osé-je lui demander d'une voix forte.

- Non ! Ça détériore le lieu. Je préfère prendre des photos.

Son portable dans la main, il le lève vers moi et je ne vois qu'un simple flash.

- Tu viens de me prendre en photo ?

- Oses me dire que tu ne l'as pas fait !

Je n'ai pas le temps de répondre qu'il disparaît dans une autre pièce avec un rire. Peu envieux de me retrouver seul, je descends les marches deux à deux et pousse à mon tour la porte battante. Un espace vide, à la moquette et aux murs noirs. Mais aucune trace de lui. Je prends une inspiration et laisse la porte se fermer derrière moi quand je pousse la seconde. Il m'envoie son flash de lumière en plein visage, me faisant lâcher un geignement.

- Désolé, j'avais pas vu que tu me suivais plus.

Il éclaire ses pieds et je suis obligé de marcher dans ses pas pour ne pas risquer de rater une marche.

- De l'Urbex, de la moto, de la boxe, de la musique... Il y a un truc que tu sais pas faire ?

Loïk continue son chemin jusqu'à l'estrade de l'écran.

- Mon café est à chier.

- Rien que ça...

D'une main, il me pousse à reculer contre la toile blanche et éclaire toute la salle. Je me demande ce que les gens regardaient ici. S'ils étaient plutôt film d'horreur, romance ou science fiction. S'ils venaient en famille, avec leurs amis ou leur cher et tendre.

- En vérité, il y a un bien un truc.

Il laisse passer un moment. Un moment où je suis accroché à lui et à cette chose que j'ignore encore.

- Je ne sais pas tomber amoureux d'une personne qui m'aime en retour, souffle-t-il.

La lumière s'efface et je suis plongé dans la plus parfaite obscurité. Je n'entends plus que ma propre respiration.

- Loïk ?

Les seuls sons qui me parviennent sont les battements rapides de mon cœur. Il vient sérieusement de me lâcher dans un endroit que je ne connais pas ? Dans le noir en plus de ça ! Mon cœur accélère.

- Loïk ! hurlé-je.

Je tends les bras devant moi jusqu'à sentir ses mains venir à ma rencontre.

- Désolé. Ma batterie est morte. Et t'as pas besoin de crier, je t'ai entendu la première fois.

Je remonte à tâtons mes mains sur ses bras. Il ne manque clairement pas de muscles.

- Qu'est-ce que tu fais ? rit-il.

Je recule mon poing et lui donne un petit coup dans le biceps. J’aurai pourtant aimé le frapper avec un peu plus de force.

- Tu m'as fait peur, abruti ! éructé-je.

- Désolé ! C'était pas prévu.

Ma respiration devient irrégulière et plus forte. Je baisse la tête et m'accroche plus fort à lui.

- Tristan ?

- Lumière... Portable...

J'ai l'impression de suffoquer. Encore. Il récupère mon portable dans ma poche et le rallume. L'écran bleu de l’accueil éclaire nos visages. Je respire déjà un peu mieux.

- Ça va ?

- Je t'avais dit que je ne mentirais plus alors je dois te dire que non, ça ne va pas. J'ai... J'ai peur du noir.

- Merde. Je... Je suis trop con.

Il allume la lampe torche de mon portable et le pose sur le sol. Sans que je ne puisse dire quoi que ce soit, il me prend dans ses bras. Mes doigts s'accrochent davantage au tissu de son sweat, sous son sac. Je plonge mon nez dans sa nuque et il me tient plus fort. L’odeur de la clémentine remonte jusqu'à moi.
Qu'est-ce qu'il m'arrive putain ?

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