7.
Le générique de fin n'a même pas commencé que Noé est déjà endormi contre moi. Je le repousse doucement de mon bras pour tenter de le réveiller. Il gémit un peu et se frotte les yeux.
- Tu devrais aller au lit, lui proposé-je. Je débarrasse.
Sans plus en demander, il se met debout et s'étire bruyamment.
- Bonne nuit, me souhaite-t-il.
J'attends d’être bien sûr qu'il soit dans sa chambre pour attraper mon portable. Loïk n'a pas cessé d'habiter mes pensées. Pourquoi m'a-t-il donné son numéro ? Car je me doute que ce ne soit pas juste pour faire causette que je possède ses chiffres griffonnés entre mes doigts. Je le tape puis me ravise. Il devait simplement se sentir coupable de m'avoir renversé, rien de plus. Rien qui ne justifierait sa sympathie envers moi, en tout cas.
Je finis de nettoyer la table basse et le doute me revient. J'ai éclaté en sanglots devant lui. Devant quelqu'un que je ne connaissais pas trente minutes avant. Pourquoi prendrait-il la peine de me réconforter ? Je m'en mords la joue et monte à l'étage pour prendre une douche et espérer me changer les idées. Mais en retirant mes vêtements, je comprends rapidement que Loïk ne s'effacera pas de ma mémoire. Pas avec ce bleu que je vais avoir sur la cuisse et qui devrait me rappeler pendant encore un bon moment notre rencontre. Sans parler de mes paumes qui continuent de me piquer affreusement. Je ris tout seul. Noé a raison. Elles ont été soignées n'importe comment. Loïk n’était clairement pas concentré dans ce qu'il faisait. Je sors rapidement de la salle de bain quand j'entends la porte d'entrée s'ouvrir et se refermer. Il rentre vraiment tôt. Bien plus tôt que d'ordinaire. Ce n'est pas normal. J'enfile un t-shirt et un jogging qui me servent pour la nuit et le rejoint dans le salon. Il est assis sur le canapé, le visage entre les mains. Un carton avec quelques affaires se trouve sur la table basse.
- Papa ?
- J'ai été viré, déclare-t-il dans un souffle.
Quand je croise son regard, j'ai l'impression de réellement le voir pour la première fois. Les récents événements l'ont épuisé. Les deux boulots qu'il accumulait pour couvrir nos dettes, les heures de travail qu'il enchaînait pour nous permettre de vivre correctement, ses nuits de sommeil de plus en plus courtes, Noé, moi et nos cauchemars... La fatigue et la peine se lisent sur son visage.
- Je vais essayer de trouver un autre boulot. On va devoir faire simplement plus attention à nos dépenses jusque-là...
- Je peux travailler quelque part, suggéré-je. Même si c'est pour récurer des toilettes ! Je... Je veux t'aider.
Il m'invite à venir m’asseoir à côté de lui et pose sa main sur mon épaule. Son faible sourire ne suffit pas à me rassurer.
- Je ne te remercierais jamais assez pour tout ce que tu fais pour moi, pour le fils que tu es. Sache que tu m'aides beaucoup avec Noé, alors que ce n'est même pas ton rôle. Tu n'as pas besoin en plus de m'aider avec nos problèmes d'argent. Ce n'est pas de ton ressort.
- Alors qu'est-ce que je dois faire ?
- Rien. Enfin si. Sois un ado. À ton âge, mes seules passions étaient la musique et les filles. À toi de trouver les tiennes et vis les à fond.
Sans honte, je le prends dans mes bras et ravale mes larmes quand ses bras m'entourent. Il n'a pas besoin de me voir craquer en plus de ça. Après une dernière accolade plus ou moins maladroite, je lui souhaite bonne nuit et m'enferme dans ma chambre pour m’écrouler sur mon matelas. Un bras en travers du visage, ses paroles se mettent à tourner en boucle. Mes passions ? À part faire la fête et boire avec mon groupe d'amis, je n'en ai pas vraiment. Et ça m’étonnerait que ça compte réellement comme telles. Il y avait bien la musique à un moment dans ma vie, mais je ne voyais pas en faire quelque chose de concret. Surtout maintenant.
Je m'assois sur mon lit et m'allonge sur le ventre pour récupérer le numéro de Loïk resté dans la poche de mon jean. Je n'ai pas un seul moment d'hésitation quand je rentre son numéro et l'appelle. Une intonation, puis deux. Et il décroche.
- Allô ?
- C'est Tristan...
- Tristan ? Ah oui ! Ce Tristan. Tu as enfin appris à te servir de ton téléphone ?
- Ne me fais pas regretter de t'avoir appelé... me renfrogné-je.
- Pardon ! C'était nul de ma part. Faut dire que je m'attendais à ce que tu m’appelles plus tôt. Attends, quitte pas.
Je l'entends verrouiller une porte, ce qui me laisse le temps de comprendre ce qu'il vient de me dire.
- C'est bon ! Alors... Pourquoi tu m'appelles ?
- Tu attendais mon appel ?
Il rit doucement et j'ai l'impression de voir son sourire en face de moi.
- Vu les circonstances de notre rencontre, je me demandais si tu n'allais pas jeter simplement mon numéro. Je crois que je suis rassuré. Donc... Pourquoi tu m'appelles ?
- J'ai pas arrêté de penser à la raison pour laquelle tu m'aurais donné de quoi ton contacter.
- Tu sais plus de choses sur moi que je n'en sais sur toi. Et je... Je veux m'assurer que tu ne vis rien de tragique ou d'horrible. Enfin quelque chose qui expliquerait pourquoi tu t'es subitement mis à pleurer.
Je me frotte les yeux et me retiens de verser des larmes. Je ne veux pas craquer. Pas encore une fois. Pas avec lui à l'autre bout de la ligne.
- Tristan ? Est-ce que ça va ?
Sa voix douce se veut rassurante, il veut me faire comprendre que je ne risque rien avec lui. Mon cœur lâche et mes remparts explosent. J'ai besoin de parler.
- Tristan...
- J'en peux plus... J'en peux plus, Loïk. J'arrive plus à supporter ce qui m'arrive. Mon frère, mon père, ma mère, nos dettes, mon meilleur ami... Ma vie ! C'est le bordel partout !
- Tu veux m'en parler ?
- Oui... lâché-je en m'essuyant les joues.
Je lui dis tout et jamais il ne m’interrompt. Si ce n'est pour poser d'autres questions. Mon frère et son TSA, la manière dont les gens le voient, dont il vit son adolescence. La manière dont je dois être avec lui, chaque geste qui doit être méticuleusement exécuté. Mon père et nos problèmes d’argents, l'incendie et le procès qui l'ont ruiné. Son travail de nuit qu'il vient de perdre, ma peur que tout ça engendre une dépression. Qu'il finisse comme ma mère. Arllem qui se fait harcelé depuis quasiment ses quatorze ans, mes autres amis qui ne se rendent compte de rien à propos de tout ça. Qui ignorent presque tout de ma vie actuelle. Qui ignorent mon envie de tout envoyer balader d'un coup de pied. Je me sens impuissant face à tout ça et ça me dévore.
- Je suis désolé... Je suis désolé de t'embarquer là-dedans... sangloté-je.
- Ne t'excuse pas pour quelque chose dont tu n'es en rien responsable. Et disons que je me sens redevable vis-à-vis de toi. Tu sais ce qu'on va faire ? On va se donner rendez-vous au café et je t'embarque pour une virée à moto. Seulement si tu as envie, précise-t-il.
- Tu ne perds pas le nord quand il s'agit de draguer, plaisanté-je les yeux encore brillants.
- Sache que je ne te drague pas, mais que je te propose ça pour te changer les idées, se justifie-t-il. Je te jure que ça ne peut être que bénéfique pour penser à autre chose.
N'étant jamais monté sur ce genre de véhicule, j'accepte plus pour le remercier de m'avoir écouté et guidé, que réellement espérer penser à rien. Et ça semble lui faire plaisir. Peut-être même plus que nécessaire.
- Ne t'inquiète pas, j'ai deux casques. Donne-moi juste un jour par message et je les prendrais.
- Réponds-moi honnêtement. Si tu as deux casques, c'est pour proposer des balades à moto quand la drague marche pas ?
- J'ai le droit à un Joker ? rit-il.
Je finis pas rire avec lui, tant j'étais sous tension. J'avais besoin de parler de tout ça et de me sentir écouter. Pas juste parce qu'il le devait, mais parce qu'il le voulait.
- Loïk ?
- Oui ?
- Merci.
- De rien.
Je sais qu'il sourit.
Je lui souhaite bonne nuit et raccroche, me laissant tomber en arrière sur mon lit. Je ne me suis jamais senti aussi léger.
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